Title: Relation d'un voyage dans la Marmarique, la Cyrénaïque, et les oasis d'Audjelah et de Maradèh
Author: Jean-Raimond Pacho
Contributor: Joseph Élie Agoub
Jean-Antoine Letronne
Frédéric Müller
Philippe Lasnon de la Renaudière
Release date: September 16, 2025 [eBook #76884]
Language: French
Original publication: Paris: Firmin Didot, 1827
Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by the Österreichischen Nationalbibliothek and the Bibliothèque nationale de France/Gallica)
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Table des matières — Atlas (Liste des illustrations)
VOYAGE
DANS
LA MARMARIQUE ET LA CYRÉNAÏQUE.
IMPRIMERIE DE FIRMIN
DIDOT,
IMPRIMEUR DU ROI ET DE L’INSTITUT,
RUE JACOB, No 24.
ACCOMPAGNÉE
DE CARTES GÉOGRAPHIQUES ET TOPOGRAPHIQUES,
ET DE PLANCHES
REPRÉSENTANT LES MONUMENTS DE CES
CONTRÉES.
Par M. J. R. Pacho.
Ouvrage publié sous les auspices de S. E. le Ministre de l’Intérieur.
Dédié au Roi.
PARIS.
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT PÈRE ET
FILS,
RUE JACOB, No 24.
MDCCCXXVII.
Au Roi.
Sire,
Parmi les contrées illustrées par d’antiques souvenirs, la Cyrénaïque, une des plus interessantes à connaître, restait néanmoins peu connue. La géographie et l’histoire demandaient dès long-tems un voyageur assez heureux, pour soulever le voile qui la dérobait à la curiosité européenne ; plusieurs l’avaient tenté, aucun n’y avait complétement réussi, j’osai à mon tour l’entreprendre. Sire, vous avez accueilli, avec votre royale et indulgente bienveillance, mes faibles travaux, et vous avez bien voulu leur accorder une brillante récompense, en agréant la Dédicace de l’ouvrage dans lequel j’ai réuni leurs résultats. Cette haute faveur est le plus puissant encouragement que j’aie pu ambitionner, et le gage le plus sûr du succès de mes efforts.
Daignez agréer, Sire, l’hommage de ma reconnaissance, et celui du profond respect avec lequel
Je suis,
Sire,
De Votre Majesté,
Le très-humble et très-obéissant Serviteur
et fidèle Sujet,
J. R. Pacho.
PREMIÈRE PARTIE.
MARMARIQUE.
CARTE
DE LA MARMARIQUE ET DE LA CYRÉNAÏQUE
COMPRENANT
les Oasis voisines de ces
Contrées ;
Dressée par M. J.R. PACHO, d’après ses
observations Astronomiques et ses Itinéraires,
et appuyée en plusieurs points, sur les Cartes et les observations
les plus récentes.
1826.
(T. grande : partie gauche, partie droite.)
Par M. DE
LARENAUDIÈRE,
SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL DE LA COMMISSION CENTRALE
DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
Les dernières lignes du voyage dans la Cyrénaïque étaient tracées ; quelques jours encore, et M. Pacho allait jouir de toute sa gloire. Mais l’inflexible destin en avait autrement ordonné. Une mort déplorable dans l’âge où la mort est lointaine est venue tout à coup arrêter dans sa course ce voyageur accoutumé depuis long-temps à lutter contre les obstacles, à se roidir contre les difficultés et les mauvais jours. Il avait déja beaucoup fait pour captiver les suffrages de l’Europe éclairée, et son zèle promettait encore de nouvelles découvertes. Nous étions loin de nous attendre à faire précéder son premier ouvrage d’un tribut à sa mémoire.
Jean-Raimond Pacho naquit à Nice le 23 janvier 1794, de Joseph Pacho, négociant riche et estimé, dont les ancêtres étaient d’origine suisse. Orphelin à huit ans, dans l’âge où l’on a besoin des soins maternels et de la vigilante tendresse d’un père, il fut placé au collége de Tournon, département de l’Ardêche. Là, son goût pour le dessin et la botanique se développa tout à coup, et n’eut d’autre rival que son penchant pour la poésie. C’était d’assez mauvaises dispositions pour l’aride étude des lois à laquelle on le destinait. Le cours de droit qu’il suivit à Aix, en 1812, ne fut pas terminé ; il l’abandonna, en 1814, pour retourner dans sa patrie, où il recueillit la part qui lui revenait dans l’héritage de ses parents. Maître d’une fortune toute mobilière à cette époque de la vie où le soin de l’avenir n’occupe guère, où le besoin de conserver est le dernier de ceux qu’on éprouve, M. Pacho alla voyager en Italie et séjourna quelque temps à Turin. Ce voyage n’enrichit que son esprit, n’accrut que ses connaissances, et n’augmenta que son enthousiasme[ii] pour les beaux-arts et les monuments de l’antiquité. Sa fortune en souffrit. Il vint à Paris, en juillet 1817, dans le dessein de l’améliorer. Il crut que la peinture pouvait le conduire à l’aisance, et le genre d’Isabey fut celui qu’il adopta. Il s’essayait dans l’imitation périlleuse d’un grand modèle, lorsque son frère négociant à Alexandrie l’appela près de lui. Il s’y rendit avec toutes les illusions de l’espérance ; elles se dissipèrent promptement ; et, après une année de séjour sans résultat, il revint à Paris reprendre ses pinceaux. Quelques portraits faiblement payés, quelques articles de journaux moins lucratifs encore, étaient loin de suffire à son existence. Il s’inquiétait de son avenir lorsque son frère l’engagea à se rendre une seconde fois en Égypte. Il arriva au Caire le 12 février 1822. Pendant les premiers mois de son séjour, il s’occupa à dessiner quelques-uns des monuments de cette grande cité et des environs. Il soumit ses essais à M. Jumel, alors directeur d’une des filatures de coton du Pacha, qui s’engagea à lui fournir les fonds nécessaires pour explorer la Basse-Égypte. Il la parcourut depuis le mois de décembre 1822 jusqu’en avril 1823, époque à laquelle une disgrace essuyée par M. Jumel lui enleva les moyens de soutenir cette entreprise scientifique. Sa mort, arrivée peu de mois après, renversa toutes les espérances de M. Pacho, et l’obligea à garder en portefeuille un grand nombre de dessins, plus ou moins curieux, de sites, de monuments et d’objets d’histoire naturelle. A côté de ces stériles richesses, il languissait inoccupé et sans appui dans la ville du Caire ; les soucis de l’inaction, si puissants sur les imaginations ardentes, altéraient sa santé ; l’épuisement de ses forces amenait le découragement ; il allait y succomber, lorsqu’il eut le bonheur de rencontrer dans M. Célestin Guyenet du canton de Neuchatel en Suisse, fondateur et directeur de la manufacture d’indiennes du vice-roi, un protecteur et un ami. M. Pacho en lui peignant sa position précaire, l’intéressa vivement à ses projets d’exploration ; il obtint de ce négociant, ami des sciences, les fonds nécessaires pour continuer ses recherches et entreprendre le voyage des cinq Oasis. Parti du Caire le 17 novembre 1823, il visita successivement le Fayoum, les Oasis de Syouah, el Arachièh, et Faredghah. Il regretta que les circonstances ne lui permissent pas d’explorer trois villages isolés à quatre journées nord-ouest de Faredghah, qu’on lui annonçait comme devant renfermer de nombreuses ruines d’anciens édifices. Il revint de Faredghah à Syouah, à l’Oasis du Fayoum, au temple Keroum, puis se dirigea sur Béni-Hassan et Siout, et se rendit à Béni-Ali où il resta treize jours pour obtenir d’Hamed Bey, l’ancien Kiahya du Caire, quelques Arabes destinés à lui servir de guides. Il visita avec eux la vallée Ruinée ou des ruines, l’Oasis d’El Karghèh, Gainah, Boulac, Dakakim, Berys et leurs environs. Il revint sur ses pas, puis se porta à l’ouest et atteignit l’Oasis de Dhakel, en passant par Aïn Amour, Ballat et Themida ; il examina l’Ouadi El Gharb, qui contient[iii] neuf villages, et le Bahr Be-la-ma qui traverse l’Oasis. Il reprit la route du nord, qui le conduisit à Farafrah, puis à Siout, d’où il revint au Caire dans le courant d’août 1824. Cette exploration des Oasis de l’Égypte, résultat de neuf mois de peines et de fatigues, ne satisfit point l’active curiosité de M. Pacho. Depuis long-temps un projet d’une tout autre importance occupait sa pensée. Pendant son premier voyage à l’Oasis d’Ammon, les Arabes Aoulad-Aly l’avaient souvent entretenu du Djebel-Akhdar, nom moderne de la Pentapole Cyrénaïque. Les descriptions qu’ils lui firent de leur ancien domaine, de ses vertes collines, de la fraîcheur de ses sources et des merveilles de ses ruines ravit son imagination, et fit naître chez lui le plus vif désir d’explorer cette terre riche de vieux souvenirs et presque inconnue. Il fit part de son projet à M. Henry Salt, consul général d’Angleterre, qui, tout en ne lui laissant ignorer aucun des dangers qui l’attendaient dans cette périlleuse excursion, lui remit le programme de la société de géographie, relatif à un voyage dans la Cyrénaïque. Ce programme, fruit de la proposition de M. Alex. Barbié du Bocage, éclairait une partie des recherches de M. Pacho, comme il le dit lui-même. Son influence sur sa détermination fut décisive. Il traçait déja son itinéraire, lorsqu’il découvrit une difficulté de nature à modérer un peu les élans d’un premier enthousiasme. Il s’aperçut que le voyage serait fort cher et qu’il était sans argent. Ses démarches, pour s’en procurer, furent d’abord sans succès ; il obtint des éloges et rien de plus. Son inquiétude était grande ; elle fut heureusement de courte durée. M. Guyenet ne lui manqua pas, il fit tous les frais de l’entreprise avec ce désintéressement qui trouve plus d’approbateurs que d’imitateurs. Les consuls généraux de France et d’Angleterre, et même, ce qui est digne de remarque, celui des états Barbaresques, s’intéressèrent vivement au sort de ce voyage, et cherchèrent à en assurer le succès par des lettres de recommandation les plus pressantes. M. Müller, jeune orientaliste dont les connaissances dans la langue arabe avaient été déja fort utiles à M. Pacho dans les Oasis, et qui le servirent mieux encore dans la Cyrénaïque, voulut partager les périls et l’honneur de cette nouvelle exploration. Elle se présentait avec un attrait d’autant plus vif qu’elle avait en grande partie le caractère de la nouveauté. La Cyrénaïque n’avait pas encore été visitée dans son ensemble. Le Français Granger, sous la protection d’un chef de voleurs, avait pénétré jusqu’à Cyrène, et copié de nombreuses inscriptions antiques. Mais le récit de ses travaux avait disparu. Paul-Lucas et Bruce n’offrirent que des indications superficielles. Les notices recueillies et publiées par Della-Cella, se présentaient comme les premiers renseignements intéressants sur les monuments de l’ancienne Pentapole ; malheureusement le savant Italien ne les dessina pas, et ne soulevant qu’une partie du voile excita la curiosité sans la satisfaire entièrement. Le Père Pacifique avait ajouté peu de faits aux faits déja connus. Le général[iv] Minutoli s’était arrêté au pied du mont Catabathmus, et les grands travaux du capitaine Beechey, depuis Tripoli jusqu’à Derne, n’étaient pas alors connus. Le but de M. Pacho était d’examiner d’une manière complète toute la partie maritime comprise entre Alexandrie et les côtes de la grande Syrte. Nous allons essayer d’esquisser ici les principaux traits de cette longue exploration. Elle commence le 3 novembre 1824, par la vallée Maréotide, célèbre dans l’antiquité par ses vignobles. Le voyageur voit ensuite les ruines d’Abousir l’ancienne Taposiris, où il cherche en vain des vestiges de la Vieille-Égypte ; il s’arrête au château-fort de Lamaïd, construction des Sarrazins du moyen âge, de ceux qui se mesuraient avec les chevaliers de l’Occident. Il séjourne à Dresièh, visite les citernes de Djammernèh, et s’étonne de la solitude de ces lieux, jadis couverts de villages et d’habitants ; il franchit les collines de l’Akabah-El Soughaïer, premier échelon des hauteurs qui s’élèvent progressivement jusqu’aux montagnes de la Pentapole ; il aperçoit ici, pour la première fois, en grand nombre les tentes brunes des Arabes, et son pinceau trace le premier tableau général des mœurs de ces nomades. Il s’arrête aux ruines de Kassaba-Zarghah, puis au port de Berek, le célèbre Parætonium des anciens géographes, et l’entrepôt du commerce des Aoulad-Aly, avant qu’ils eussent cédé au génie entreprenant du vice-roi d’Égypte. Il traverse le retoutable Akabah-El-Soloum, gardé par des tribus indépendantes qui forcèrent le général Minutoli à s’arrêter au pied de ces hauteurs ; il parcourt le grand plateau de Za’rah et la célèbre et fertile vallée de Daphenèh, coupée de mille canaux et habitée par les Harâbi, guerriers courageux et cruels. Au sortir de l’Ouadi-El-Sedd, sa marche le conduit sur le rivage en face de l’île rocailleuse de Bomba, l’Aedonia de Scylax, voisine de la fameuse Platée d’Hérodote. L’aspect de l’Ouadi Temmimèh lui confirme la description que les anciens ont laissée d’Aziris. Après avoir franchi une lagune que forme le golfe de Bomba, il arrive sur les premiers échelons boisés des monts cyrénéens, et les Nubiens et les Égyptiens qui l’accompagnent, s’émerveillent de cette végétation si riche et si nouvelle pour leurs yeux habitués à la nudité du désert. Derne, tant désirée par les hommes de sa caravane et par lui-même, le reçoit enfin dans ses murs. Il y trouve d’abord un repos nécessaire, puis des contrariétés désespérantes. Il les surmonte, et reprend enfin sa route par le château de Zeïtoum, et les vallées profondes et pittoresques de Betkaât et de Tarakenet ; il se rend aux ruines de Massakhit (la ville des statues), ancien séjour des chrétiens. Il voit les débris imposants de Tammer, qui lui semblent les ruines mêmes du temple de Vénus, comme toutes celles de cette contrée lui indiquent qu’il se trouve dans l’un des cantons les plus florissants de la Pentapole. Il pénètre dans les grottes sepulcrales, et s’arrête sur le bord des réservoirs de Lameloudèh, peut-être l’ancienne Limniade. Il quitte le dromadaire pour le cheval de Barcah, et sur cette agile[v] monture il se hasarde à parcourir les bords des sommités du plateau cyrénéen et les sentiers difficiles de ses pentes abruptes. Il va chercher les restes de Natroun, la ville de la mer des Arabes. Il reconnaît dans le Ras el Hal-al le célèbre Naustathmus de Strabon. Sans s’effrayer de la guerre qui règne alors entre les tribus de ces contrées, il multiplie ses recherches, il les poursuit dans la vallée des figuiers, séjour de paix et de bonheur, où l’attend l’accueil le plus hospitalier. Djaus, Téreth, Saffnèh, Ghernès le voient successivement explorer leurs sites agrestes et les restes d’une autre civilisation. Il fait halte au port de Sousa, aux ruines et aux grottes sépulcrales de Tolometa ou Ptolémaïs, de Tokrah ou Teuchira, et d’Adrianopolis ; il essaie de déterminer la position du jardin des Hespérides ; et, à la suite de cette intéressante excursion, il revient à Sousa, l’Apollonie de Strabon, l’ancien port de Cyrène. Il s’approche de la Grennah moderne, et se trouve enfin au milieu des ruines de la capitale de la Pentapole. Il les examine en détail, descend dans les tombeaux vides, dans les cavernes profondes, dessine les sarcophages et les bas-reliefs dégradés, les statues, les colonnes, les frises mutilées ; le désir de tout connaître le détermine à pénétrer dans l’aquéduc dont les eaux alimentaient jadis la fontaine d’Apollon, et dont les hyènes aujourd’hui gardent souvent l’entrée ; il cherche, à défaut de murailles conservées, dans le seul mouvement des ruines, le plan de Cyrène, sa forme et son étendue. Il l’exhume de ses décombres pour la montrer telle qu’elle fut aux jours de son orgueil. De retour à Ben-Ghazi, qui ne conserve plus rien de l’ancienne Bérénice, il descend au Sud, atteint Ladjedabiah, dépasse près de ce point les limites des terres fertiles, et s’enfonce dans le désert des Syrtes, ancienne patrie des Nasamons. Il entre dans l’Oasis de Maradèh, caché au milieu d’un labyrinthe de monticules de sables mouvants, et dont les eaux pures ou thermales, et la forêt de palmiers, font les délices du voyageur. Il visite Audjelah, Oasis plus stérile, dont l’aspect, la culture et les produits n’ont pas changé depuis les jours d’Hérodote, et à laquelle un destin bizarre a donné pour gouverneur un Français, qui suivit enfant l’expédition d’Égypte. Le voyageur n’oublie aucun des cantons habités dépendants de ces deux groupes ; il passe une troisième fois par l’Oasis d’Ammon, et revient au Caire, par la vallée du lac Natron. Il entre dans la capitale de l’Égypte, le 17 juillet 1825.
Une telle entreprise périlleuse et difficile ne peut être soutenue que par un vif amour de la science, et disons-le, par la légitime ambition des éloges des hommes éclairés. Ce sentiment naturel explique l’empressement que mit M. Pacho à réunir ses matériaux et à se rendre en France ; et la même année, qui l’avait vu sur les ruines de Cyrène, dans les sables du désert, et sous les tentes arabes, le vit au milieu de la capitale du monde civilisé. Il arriva à Paris, le 12 novembre 1825, et s’empressa de soumettre à la Société de géographie l’ensemble de ses travaux. Elle les fit examiner,[vi] et, sur le rapport de Malte-Brun, elle lui décerna le prix proposé. Cette honorable récompense avait été précédée des suffrages de l’Académie des inscriptions, accordés particulièrement à la partie archéologique du voyage. Cette compagnie avait pour interprète le savant M. Letronne. Les deux rapporteurs manifestèrent le vœu de la prompte publication du voyage de M. Pacho. Tous deux réclamèrent en sa faveur l’appui du gouvernement. Leurs voix furent entendues de quelques amis des sciences. M. le comte Chabrol de Volvic, préfet de la Seine, qui les protége comme un homme qui leur doit une partie de sa renommée, répondit à ce noble vœu, et MM. Firmin Didot se chargèrent avec empressement de cette publication dispendieuse. Elle parut sous les auspices de S. M., qui daigna en agréer la dédicace. L’ensemble de ce grand travail a été mis sous les yeux du public, et ce juge suprême a ratifié les décisions des Académies. Il a reconnu que le talent de l’observateur était de niveau avec la tâche qu’il s’était imposée, et digne de la célébrité des lieux parcourus. On a été frappé de l’importance des faits relatifs à la géographie physique et à la distribution des plantes, et, bien que ces faits soient peu nombreux, et n’embrassent pas toutes les localités, ils permettent déja de comparer la végétation de la Cyrénaïque avec celle des terres voisines ou des zones correspondantes. On suit avec un vif intérêt les détails topographiques et archéologiques nombreux, nouveaux et empreints du cachet de l’exactitude. Les dessins de ruines, les copies d’inscriptions antiques méritent les mêmes éloges. M. Pacho sait l’art de transporter son lecteur sur les sites mêmes, par des descriptions vivantes, et de l’initier aux mœurs des habitants, par des tableaux pleins de fraîcheur, de mouvement et de vérité. Tout ce qui tient à la géographie comparée décèle le savant consciencieux, lors même qu’il se trompe, et toujours l’implacable ennemi des systèmes. M. Pacho aime à peindre les masses, à grouper les objets analogues ou dissemblables, seul moyen de les faire bien connaître. Son style généralement nerveux et brillant, s’anime sous l’influence des lieux et des souvenirs. S’il manque quelquefois de souplesse, s’il n’a pas encore toute cette pureté classique, toute cette grace flexible, heureux présent de la nature, ou dernière conquête de l’étude, c’est que les travaux de l’érudition, auxquels M. Pacho soumettait comme par force sa poétique imagination, ne lui permettaient pas d’accorder d’assez longues heures aux méditations du littérateur. Difficile à l’excès, il traitait ses propres compositions avec une rigueur que les seuls gens de goût regardent comme un devoir ; et, bien qu’au début de sa carrière littéraire, on voyait déja son talent grandir avec rapidité. Depuis le jour de son arrivée à Paris, jusqu’au jour de sa mort, M. Pacho travailla sans relâche à la rédaction de son voyage. Vivant dans une retraite profonde, il consacrait toutes les heures du jour, et souvent celles de la nuit, à ce qu’il[vii] regardait comme son plus beau titre à l’estime du monde savant. Cette tension continuelle d’esprit, cet isolement complet de la société, cette absence de toute distraction, développèrent rapidement chez lui une misantropie d’autant plus funeste qu’elle se nourrissait à chaque instant de toutes les contrariétés inséparables d’une vie littéraire et d’une position incertaine. Le même M. Guyenet, qui avait fait les frais de ses voyages, lui continuait à Paris l’appui de ses moyens. Trop fier pour solliciter les dons du pouvoir, et se croyant en droit de les obtenir, M. Pacho s’indignait de n’être pas prévenu. Peut-être des récompenses, qui n’eussent pas été des faveurs, auraient-elles exercé une heureuse influence sur son moral, et triomphé de sa noire mélancolie. Il en vint bientôt à ce point déplorable de soupçonner la foi et l’attachement de ses amis, et d’en restreindre le cercle chaque jour. Il couvrait de nuages un avenir qui n’aurait eu rien d’inquiétant pour un tout autre caractère. En descendant en lui, il aurait vu qu’il n’avait besoin de personne pour assurer sa destinée. Toutefois, au milieu de laborieuses occupations, sa santé s’altérait, et le régime excitant qu’il avait adopté, en ranimant momentanément ses forces, le replongeait bientôt dans une faiblesse plus grande. Des pensées de mort vinrent enfin l’agiter. Celui qui écrit ces lignes eut quelquefois le bonheur de rendre des instants de calme à son esprit troublé. Mais le souvenir de telles consolations disparaissait rapidement, et le désespoir s’acharnait de nouveau sur sa victime. Dans cette lutte affreuse la raison de M. Pacho succomba. Il cessa de vivre, ou plutôt de souffrir, le 26 janvier 1829, à l’âge de 35 ans et trois jours.
Ce savant voyageur appartenait à la commission centrale de la Société de géographie. C’est là que sa perte, doublement sentie, devait inspirer de plus vifs regrets, ils n’ont pas manqué à sa mémoire. Une souscription proposée, et aussitôt remplie, a été destinée à élever sur sa tombe un modeste monument. Tous ceux qui ont vécu dans son intimité démêlaient facilement à travers quelques inégalités de caractère la bonté de son cœur, et son extrême obligeance. Les hommes du désert lui avaient fourni le modèle de l’homme indépendant, il avait bien profité à leur école. Toute réserve prudente lui semblait de la tyrannie, il la repoussait. Comme l’Arabe, dont il aimait les vertus, la reconnaissance était le seul pouvoir qui le rendit partial. Ce noble sentiment est empreint dans tous ses écrits. Quelques-uns d’entre eux n’ont pas vu le jour. Parmi ces derniers se trouve un tableau des tribus Nomades anciennes et modernes, dont il avait lu plusieurs fragments dans les séances générales de la Société de géographie. C’était son ouvrage de prédilection, celui qui lui souriait le plus. Ce qu’on en connaît a déja mérité de nombreux suffrages. Ils ont été donnés au caractère original de cette composition, à la nouveauté de ses points de vue, à la variété de ses détails, et surtout à l’alliance d’un style élégant et d’une consciencieuse[viii] érudition. M. Pacho laisse encore inédit le journal de son voyage dans les Oasis, ainsi qu’une collection de dessins recueillis sur les terres habitées du désert Lybique. Le travail de M. Pacho peut faire la matière d’une intéressante publication, et compléter l’ensemble des grands ouvrages qui nous ont fait connaître les monuments d’architecture de l’Égypte et des contrées environnantes.
Durant mon premier voyage à l’Oasis d’Ammon[1], les Arabes Aoulâd-Aly m’entretinrent souvent du Djebel-Akhdar, nom moderne de la Pentapole cyrénaïque. Les descriptions qu’ils me firent de leur ancien domaine[2], de ses vertes collines, de la fraîcheur de ses sources et du merveilleux de ses ruines, quoique je les supposasse exagérées, s’accordaient assez avec les traditions historiques et les récits des voyageurs, pour augmenter le désir[ii] que j’avais formé de parcourir cette contrée célèbre. Néanmoins, selon le plan que je m’étais fait, je voulus auparavant connaître les autres Oasis du désert libyque, et ce ne fut qu’à mon retour de Dakhel, que je songeai à mettre mon projet en exécution.
Ce nouveau voyage me parut d’autant plus attrayant, que, de toutes les personnes qui l’avaient entrepris, les unes ne l’avaient exécuté qu’en partie, et les autres y avaient complétement échoué.
En effet, vers l’an 1760, Granger, chirurgien français, connu par son voyage en Égypte, se rendit à Cyrène, conduit par un chef de voleurs, à qui il avait promis une haute récompense à son retour. Sous les seuls auspices de ce dangereux protecteur, l’intrépide voyageur put néanmoins visiter les ruines de Cyrène, et copier un grand nombre d’inscriptions. Mais ces peines, ces travaux devinrent infructueux ; le Mémoire de son voyage s’égara après être parvenu en France[3].
Je ne m’arrêterai point aux notions superficielles fournies sur ce pays par Paul Lucas et le fameux Bruce. En 1812, le pacha de Tripoli, voulant punir la révolte de son fils, gouverneur de Derne, envoya une armée dans cette province ; le médecin Cervelli accompagna cette expédition, et recueillit, en traversant la Pentapole, quelques notions intéressantes. Une seconde expédition du même pacha contre les Arabes de Barcah, faite en 1817, fournit à un autre Européen l’occasion de parcourir cette contrée ; M. Della Cella, personne fort instruite, publia la relation de son voyage, et eut la gloire d’avoir soulevé le premier[iii] une partie du voile qui nous dérobait Cyrène ; toutefois, ses nombreuses indications de monuments qu’il ne dessina point, ses aperçus ingénieux mais vagues, très-intéressants mais insuffisants, excitèrent bien plus qu’ils ne satisfirent la curiosité du monde savant[4].
Le voyage à Cyrène, fait en 1819 par le P. Pacifique, préfet apostolique à Tripoli, ajouta peu aux notions données par M. Della Cella. En général, ces voyageurs, dont la position personnelle avait limité les recherches, nous ont plutôt transmis leur admiration pour ce pays qu’ils ne nous l’ont fait connaître. Les monuments d’une contrée qui fut successivement occupée par des peuples de mœurs et d’origine différentes ne pouvaient être connus par de légères descriptions, il fallait les reproduire par le dessin ; les erreurs géologiques, de fausses notions accréditées, et surtout l’intérêt de la géographie, demandaient un long examen et des observations positives ; mais ce résultat exigeait une réunion d’hommes éclairés, et il allait être obtenu.
Le général Minutoli forma le projet, en 1820, de visiter complétement la Cyrénaïque et tous ses environs. Ce général était accompagné de savants et d’artistes qui assuraient à son entreprise des résultats de la plus haute importance. Malheureusement les vœux des amis de la science furent de nouveau déçus. A peine le général prussien fut-il arrivé au pied du mont Catabathmus, que, déplorant la perte de trois Européens parmi[iv] ceux qui l’avaient accompagné[5], et rebuté par les obstacles que lui opposèrent les Arabes, il se vit obligé de retourner à Alexandrie.
Tel était, à ma connaissance, l’état où se trouvaient les notions que l’on possédait sur la Cyrénaïque, lorsque je me proposai de contribuer à mon tour à en reculer les limites. Trop peu éclairé, je ne pouvais aspirer qu’à remplir une bien faible partie de la grande lacune laissée dans la connaissance des monuments, de l’histoire et de la géographie de cette contrée. Mais avec une volonté ferme d’opposer un examen réfléchi aux préventions de l’enthousiasme, et la patience aux obstacles, j’osai espérer que je parviendrais peut-être à jeter quelque lumière sur tant de faits laissés dans l’obscurité.
Avant mon départ, j’ignorais qu’un officier anglais, M. Beechey, eût exploré, en 1822, tout le littoral de la Pentapole libyque ; je ne l’appris qu’à Cyrène même, et j’ignore encore le résultat de ses travaux. Les talents distingués de M. Beechey m’étant particulièrement connus, j’aurais sans doute renoncé à mon projet, si j’eusse eu connaissance de son voyage. Toutefois je ne regrette point les peines que j’ai essuyées ; nos recherches pourront se[v] compléter réciproquement, et seront surtout susceptibles d’offrir un avantage précieux pour le public, celui qui résulte du contrôle qu’il sera à même d’établir entre deux relations sur un pays aussi peu connu.
Affermi dans mon dessein, je le communiquai à M. Müller. Ce jeune Orientaliste, qui avait failli périr à Syouah, victime du fanatisme des habitants, désira néanmoins partager encore avec moi les chances de ce nouveau voyage ; ses connaissances dans la langue arabe m’avaient été très-utiles dans les Oasis, et elles le furent davantage dans la Cyrénaïque.
Plusieurs personnes voulurent bien s’intéresser au succès de mon entreprise.
M. C. Guyenet, habile mécanicien, résidant au Caire, m’offrit les dispositions les plus bienveillantes pour seconder l’exécution nécessairement très-dispendieuse de mon voyage.
M. Osman Nourreddin Effendi[6], qui propageait en Égypte les lumières qu’il avait acquises en Europe, s’intéressa vivement à mon projet, et il eut la bonté de le recommander à la protection du pacha.
Je trouvai chez les consuls-généraux de France et d’Angleterre ce zèle empressé à favoriser les entreprises hasardeuses pour lesquelles ils pouvaient m’offrir à-la-fois et l’exemple et d’utiles conseils. Ils essayèrent, par tous les moyens qui étaient en leur pouvoir, de me rendre plus praticable le rude sentier que j’allais suivre.
[vi]Eu égard aux démarches de M. Drovetti, j’obtins des lettres très-officieuses de Mohammed-el-Gharbi, personnage très-puissant dans la province de Ben-Ghazi, et consul-général des états barbaresques auprès du vice-roi d’Égypte.
M. Salt me recommanda avec chaleur à M. Waringhton, chargé d’affaires du roi d’Angleterre à Tripoli, et à M. Rossoni, vice-consul de la même puissance à Ben-Ghazi. Ce fut encore par les soins de M. Salt que j’eus connaissance d’un programme de la Société de Géographie de Paris, relatif à un voyage dans la Cyrénaïque : ce programme, fruit de la proposition de M. Alex. Barbié du Bocage[7], éclaira fort à propos une partie de mes recherches, et me fit même envisager l’espoir d’obtenir les suffrages de cette savante société.
Enfin, soutenu par l’appui de tant de personnes recommandables, j’entrai avec confiance dans la carrière que j’avais devant moi ; quelques dangers qu’elle présentât, j’ai eu le bonheur de les surmonter.
Guidé par les souvenirs de l’antiquité, j’espérais offrir au monde savant une abondante moisson de documents précieux ; j’espérais que le résultat de mes recherches parviendrait non seulement à intéresser les arts, mais à éclaircir quelques pages obscures de l’histoire. Le temps, le climat, et surtout la barbarie, ont en partie déçu mon attente : mais si je n’ai pu retracer les belles époques de Cyrène autonome, j’ai du moins essayé d’offrir l’image fidèle de ce qu’elle est de nos jours. J’ai eu[vii] l’avantage, n’importe par quelles chances, de séjourner long-temps dans la Pentapole, et j’ai pu mesurer, dessiner et décrire tout ce qui m’a paru digne d’intérêt.
C’est de la réunion de ces matériaux que se compose l’ouvrage que je livre au public : dire qu’il est le résultat des recherches d’un seul voyageur et de ses connaissances à peine élémentaires, c’est assez avouer sa faiblesse : cette faiblesse est d’autant plus grande qu’elle ne peut être rachetée, ni d’un côté, par ce haut degré d’intérêt que lui ont presque totalement enlevé et le temps et les hommes, ni de l’autre, par les prestiges du style qui peuvent faire valoir le sujet le moins important en le revêtant de formes agréables.
Ma relation est un canevas décousu dans lequel je passe brusquement d’un sujet à un autre, sans avoir mis entre eux d’autre accord que celui qui résulte des incidents fortuits de mon itinéraire. J’ai écrit comme j’ai voyagé : tantôt lisant, près d’une ruine, une page d’Hérodote ou de Strabon ; tantôt prenant un croquis ou herborisant, ou bien suivant avec un périple les contours de la côte, ou m’arrêtant dans une tente arabe.
Quant à la partie paléographique de cet ouvrage, quoique moins défectueuse peut-être que la première, elle lui ressemble néanmoins en ce qu’elle est inachevée. Dans l’intérêt d’une scrupuleuse fidélité, j’ai dressé moi-même les cartes géographiques et les plans, me faisant toutefois un plaisir de témoigner ma reconnaissance à M. le chevalier Lapie des conseils qu’il a bien voulu me donner. Mes autres dessins ne sont que des croquis ; mais ces croquis, je les crois fidèles ; la vérité du moins n’y a[viii] jamais été sacrifiée à des embellissements d’art et à l’effet pittoresque. Pris sur les lieux, à une très-grande échelle, ils ont été réduits avec pureté au format de la publication par un artiste distingué, M. Courtin. M. Adam fils, peintre avantageusement connu, les a ornés de figures que mon crayon inhabile n’avait indiquées que très-imparfaitement ; et M. Adam père a mis autant de soins que d’obligeance à les reproduire par son burin spirituel.
Que si, malgré toutes les imperfections de mes travaux, on les jugeait dignes de quelque attention, je devrais alors avouer que j’ai de grandes obligations à la protection que S. Exc. le Ministre de l’intérieur a bien voulu leur accorder pour en faciliter la publication. Dans cette même supposition, je ne pourrais passer sous silence l’appui que leur a offert M. le comte Chabrol de Volvic.
A ces encouragements je devrais joindre ceux que j’ai reçus de plusieurs de nos principaux savants.
J’ai trouvé chez M. Letronne, dont le nom seul rappelle la plus vaste érudition, ornée des dons brillants de l’esprit ; j’ai trouvé, dis-je, auprès de ce savant célèbre, appui, conseils et bienveillance. Ses doctes interprétations des inscriptions que contient cette relation, et les notes explicatives sur l’archéologie et l’histoire dont il l’enrichira[8], lui donneront, du moins sous ce rapport, un intérêt réel aux yeux des personnes instruites.
[ix]Que ne dois-je point aussi à MM. Champollion ! l’Europe connaît leurs importants ouvrages ; elle applaudit à cette haute découverte qui a pu dérober aux ruines de Thèbes et de Memphis les secrets si long-temps impénétrables des âges antiques : mais peu de personnes connaissent autant que moi leur caractère affable, et cette généreuse sollicitude qui prend sa source dans l’amour de la science et s’étend jusqu’à ceux qui ne lui rendent que de faibles services. Il est aussi flatteur qu’agréable pour moi de dire que, malgré les secours du ministère et les honorables rapports des académies, si mes travaux ne sont point restés enfouis dans un portefeuille, je dois cet avantage, en majeure partie, au savant auteur des Lagides. Grace à ses obligeantes démarches, à ses pressantes recommandations, M. A. Firmin Didot a consenti, dans le seul intérêt des arts qu’il cultive et propage à-la-fois, à se charger d’une publication très-dispendieuse.
Je m’honore de même des obligations que j’ai envers M. Eyriès. Ce profond et modeste géographe, par une inappréciable bonté, a bien voulu interrompre souvent ses doctes travaux pour faciliter mes essais, tant en m’indiquant des sources à consulter, qu’en m’expliquant des auteurs écrits en des langues modernes qui me sont étrangères.
Cette relation contient plusieurs inscriptions arabes traduites par M. A. Jaubert : ces services ne sont point les seuls que je dois à ce savant Orientaliste : ses utiles conseils sur tout ce qui concerne la langue arabe auraient amélioré mon ouvrage, si j’avais su en profiter.
[x]Lecteur, si je me suis autant étendu sur des détails qui me sont personnels, vous ne vous tromperez point sur mon intention ; vous ne croirez point que j’aie voulu attacher à mes excursions une importance dont le premier je reconnaîtrais le peu de fondement ; mais j’ai dû d’abord offrir un tribut de gratitude aux personnes qui ont bien voulu aider à l’exécution de mon entreprise ; quel que soit le jugement que vous portiez sur son résultat, ce jugement peut annuler mon faible mérite, mais il ne saurait influer sur les devoirs de ma reconnaissance. Ensuite, autorisé par ma propre expérience, et pénétré de respect pour ces hommes éminents chez qui l’on trouve, dans le plus grand savoir la plus grande indulgence, et dans la plus haute célébrité l’appui le plus généreux ; j’ai désiré les signaler à ceux qui se dévouent isolément à la carrière pénible des voyages ; à cette carrière dans laquelle, luttant sans cesse contre les fatigues et les souffrances, on succomberait bientôt, si l’on n’était soutenu par l’imagination, et si l’imagination ne l’était elle-même par l’amour pur et désintéressé de la vérité.
[1]D’après l’accueil que l’on fera à mon ouvrage sur la Cyrénaïque, j’en publierai un second, sur les cinq Oasis de l’Égypte ; résultat de neuf mois de peines et de fatigues dans le désert libyque.
Le jugement favorable porté sur la partie paléographique de ce second ouvrage par un célèbre archéologue, par un savant, ami sincère et défenseur généreux de la vérité, par M. Letronne, en un mot ; ce jugement, publié en plusieurs occasions et sous diverses formes (voyez Journal des Savants, mars 1826 ; Bullet. des Scienc. histor., avril et novembre même année), prouve du moins mon exactitude scrupuleuse dans cette branche de mes recherches.
Quelque obscur que soit un pareil mérite, toutefois, si l’on songe à l’importance du sujet et au théâtre de l’exploration, il est susceptible d’acquérir de l’intérêt. J’ajouterai que, fruit de la persévérance, ce faible mérite ne peut l’être aussi que de cette époque de la vie où l’on a l’avantage de réunir la force physique à la force morale ; âge heureux de ces stimulantes illusions que la froide expérience décolore bientôt et dissipe sans retour.
[2]Les Aoulâd-Aly, avant d’être soumis par Mohammed-Aly, occupaient la majeure partie du Djebel-Akhdar, désert verdoyant, ainsi nommé à cause de sa belle végétation, comparée à l’aridité des lieux qui l’entourent.
[3]Hist. de l’Acad. des Inscript. t. XXXVII, p. 389.
[4]Viag. da Trip. di Barber. alle front. occi. del Egit. Genova, 1819.
Cette intéressante relation a été traduite en français par le savant M. Eyriès, et insérée dans les Nouvelles Annales des Voyages, t. XVII et XVIII.
[5]Ces accidents, qui en rappellent tant d’autres ayant la même cause, devraient servir d’exemple aux voyageurs européens. Plusieurs d’entre eux consultant plutôt l’impulsion de leurs généreux désirs que la juste mesure de leurs forces, entreprennent inconsidérément de longs voyages en Afrique avant de s’être graduellement habitués à son funeste climat, et surtout aux fatigues et aux privations que ses déserts occasionnent. Si ces Européens succombent alors, victimes d’une aussi brusque transition, ils accomplissent la prédiction d’un proverbe arabe : Le désert dévore les hommes qu’il ne connaît pas.
[6]Actuellement bey et major-général des armées du vice-roi d’Égypte.
[7]Voyez les Bulletins de la Société de Géogr. nos 6, 12.
Cette région, comprise entre les montagnes atlantiques et la vallée du Nil, forme une plaine immense et aride, affreux séjour, qui serait resté inconnu des hommes, ainsi qu’il fut oublié de la nature, si, parmi ces continuelles ondulations de rochers nus et de plaines de sables, l’on ne rencontrait de petits cantons fertiles où les habitants se trouvent sur la terre comme des insulaires au milieu des mers.
Mais si l’on se dirige vers la partie septentrionale de cette même région, là où la côte forme ce grand promontoire, l’on trouvera, par une espèce de prodige, ces tristes déserts changés tout-à-coup en montagnes boisées, en riantes prairies ; l’on verra des sources jaillir en nappe du sein des rochers moussus, serpenter en ruisseaux dans les plaines, et tomber en cascades dans les ravins. Pour achever ces contrastes, on verra les brises marines, en se jouant dans le feuillage des forêts ou bien en glissant sur les pelouses fleuries, venir protéger ces collines toujours vertes contre le souffle dévastateur des vents du désert.
Une contrée aussi favorisée par la nature ne pouvait échapper long-temps à l’investigation des peuples civilisés. Dès le sixième siècle avant notre ère, des colons grecs se rendirent sur ses bords et y élevèrent une ville.
Cyrène fut le berceau d’un état célèbre où fleurirent les arts, qu’illustrèrent de grands hommes. Fille de la Grèce, elle vit ses monts couronnés de temples magnifiques, ses fontaines et ses forêts furent peuplées de nymphes. Plus tard, l’austère morale du Christ vint éclairer la terre ; les rayons de sa lumière pénétrèrent à Cyrène, et la vérité succéda[xii] aux fictions aimables, mais trompeuses. Enfin l’islamisme envahit cette contrée ; l’étendard de Mahomet remplaça la croix ; signal de destruction, il flotta d’abord sur des forteresses, et bientôt sur des monceaux de ruines.
Ces révolutions religieuses furent nécessairement liées à des révolutions politiques. Cyrène, après avoir été gouvernée par des rois, fut long-temps indépendante. Elle eut la gloire d’être l’alliée d’Alexandre, et la honte d’être subjuguée par ses successeurs. Rome ne dédaigna point de la recevoir en testament ; elle la traita d’abord comme fille adoptive, et la réduisit ensuite au rang des provinces tributaires. Sous les Sarrasins, Cyrène n’existait plus ; et quelques bourgades arabes s’élevèrent sur les ruines de la Pentapole. Enfin, avili et dévasté, le sol qui avait été le théâtre d’une brillante civilisation fut abandonné à des hordes errantes qui, en l’occupant de nos jours, n’ont pas même conservé la mémoire de son ancienne splendeur. Mais ces différentes phases de prospérité et de décadence exigent quelque développement.
Nous ne chercherons point à reconnaître quels furent les habitants de la Cyrénaïque dans les temps antérieurs à l’histoire ; si des peuples de diverse origine, tels que les Berbères, les Phéniciens et les Libyens, y formèrent une association politique, ou s’ils y vécurent séparés de mœurs et de langage ; si le sol de la Pentapole avait des villes avant la fondation de Cyrène, et tant d’autres hypothèses que l’on ne peut d’ailleurs avancer avec assurance que sur une connaissance approfondie de l’histoire, et lorsqu’on est doué de ce tact qui seul peut faire jaillir la vérité du choc même d’une foule d’erreurs transmises par le temps, et par le temps accréditées. En nous bornant aux traditions qui dévoilent le berceau de cette colonie, on les trouve tellement liées à la fable, qu’il est difficile de distinguer la vérité des fictions qui l’entourent.
L’île de Théra était affligée de plusieurs années de sécheresse, et ses habitants languissaient dans la disette. L’oracle de Delphes, instruit peut-être[xiii] par l’expédition des Argonautes de la grande fertilité d’un canton de Libye, ordonne à un de leurs descendants d’aller sur cette terre hospitalière jouir des biens que refusait le sol natal.
Après des tentatives infructueuses, Battus et ses colons arrivèrent dans un lieu dont le seul aspect surpasse les promesses de la Pythie. Ombragé par des forêts, arrosé par des sources, ce lieu s’étend d’un côté en plaine immense, et de l’autre descend en terrasses vers la mer. Les Libyens mêmes, secondant les intentions de l’oracle, engagèrent les Grecs à s’établir dans cet heureux canton : « Étrangers, leur dirent-ils, venez partager en paix les dons que nous accorde la nature ; ici la voûte du ciel est entr’ouverte ; ici tombent ces pluies bienfaisantes qui fertilisent nos terres et parent nos collines ; plus loin elle est d’airain, et l’on ne voit que de stériles solitudes. »
Tel est le lieu où s’arrêtèrent les colons de Théra ; bientôt les murs d’une grande ville couronnèrent la sommité de la montagne, et cette ville fut appelée Cyrène.
De même que dans toutes les traditions grecques, les historiens, rivalisant avec les poètes, ont entouré de gracieuses allégories l’origine de la ville aimée d’Apollon.
Une contrée aussi riante, environnée d’affreux déserts, devait avoir une nymphe pour protectrice ; l’eau limpide qui jaillissait au milieu de la ville du sein d’une grotte mystérieuse, devait être une divinité qui présidât aux destinées de Cyrène. Tel fut, sous différentes formes, le sujet des inventions de la fable. L’on pourrait même rapprocher de l’allégorie de Justin celle du poète de Mantoue : on pourrait supposer que la nymphe Cyrène, célébrée dans ses chants, en parcourant les côtes de son liquide empire, se serait arrêtée dans ce canton de Libye, charmée d’y respirer un air aussi pur que dans l’Attique ; et tandis qu’elle aurait pénétré dans les réduits secrets des vallons solitaires, Apollon l’eût aperçue du haut de son char, il l’eût surprise dans ces bocages, qui dès-lors auraient servi[xiv] de retraite à leurs amours. Nous en retrouverions de même le fruit dans cet Aristée, l’objet de la tendresse de la nymphe Cyrène. Élevé dans ces forêts ombreuses, sur ces collines parfumées que fréquentent des essaims d’abeilles, Aristée eût ensuite enrichi l’Arcadie des merveilles qui entourèrent son enfance en Afrique.
Quoique ces agréables fictions se décolorent souvent à l’aspect des lieux qui en furent les objets, elles leur impriment néanmoins un intérêt qui croît encore, si ces contrées célèbres se trouvent maintenant abandonnées, ou bien en proie à de farouches habitants.
Le fondateur de la colonie, connaissant tout le pouvoir d’une religion séduisante sur l’imagination active du peuple dont il était le chef, donna dans son naissant royaume la plus grande majesté au culte des dieux : il fit planter, auprès de la ville, des bois qui leur furent consacrés ; un temple magnifique fut élevé devant la grotte de la nymphe Cyrène ; ce temple fut dédié à Apollon ; et tandis que l’on conservait dans l’intérieur le feu éternel, les ondes de la fontaine traversaient, en murmurant, son sanctuaire.
A ces pompes religieuses, Battus joignit de sages institutions politiques. Dans l’objet de cimenter l’union entre ses sujets, et de leur rappeler le souvenir de leur mère patrie, il établit à Cyrène les fêtes carnéennes que l’on célébrait à Sparte le septième du mois carneus. A cette époque mémorable, le peuple quittait ses travaux ; il sortait de ses foyers ; il se portait, sans distinction d’âge ni de sexe, dans une plaine spacieuse, à l’ombre des thyons odorants ou des noueux siliquiers ; et là, après avoir imploré la clémence des dieux par des sacrifices solennels, on se livrait à la joie qu’inspirent les repas publics, et l’on exécutait des danses militaires.
Reconnaissants de tant de bienfaits, les Cyrénéens, à la mort du premier de leurs rois, lui rendirent les honneurs héroïques, et cherchèrent même, par des emblèmes ingénieux, à perpétuer le souvenir de la paix[xv] intérieure, et de la prospérité au dehors dont la colonie avait joui sous son heureux gouvernement. Ils lui consacrèrent le sylphium, symbole de leurs richesses, et lui érigèrent un tombeau à l’extrémité du marché de la ville, afin que son ombre jouît du spectacle journalier des assemblées du peuple, et que le peuple eût toujours présent à la mémoire les vertus de ce bon roi.
Le règne du premier des Battus promettait à Cyrène de longues années de paix et de bonheur ; mais ses successeurs, loin de suivre des traces si sagement indiquées, furent tous, assure Pindare, tyrans, impies et malheureux ; les récits de l’histoire se trouvent en cela d’accord avec le poète.
En effet, quoique la colonie, peu d’années après son établissement, eût augmenté son territoire, repoussé les Libyens, et vaincu l’armée égyptienne qui était venue à leur secours, elle fut bientôt troublée par des dissensions causées par ses rois, qui ne surent pas mieux assurer leur bien-être que celui du peuple qu’ils étaient appelés à gouverner.
Les Cyrénéens, effrayés de ces désordres, s’adressèrent à un législateur de Mantinée, nommé Démonax. Celui-ci se rendit à leurs sollicitations ; il partagea le peuple en trois tribus, lui rendit toutes les prérogatives dont les rois avaient joui jusqu’alors, et ne réserva pour le souverain que le domaine royal et la dignité sacerdotale. Toutefois ces réglements, commencés sous la minorité de Battus III, ne subsistèrent que durant le règne de ce prince. Arcésilas III, son fils, jaloux de reprendre les droits de ses ancêtres, quoiqu’il se fût soumis à payer un tribut à Cambyse, s’efforça de détruire, à la faveur d’un parti, les populaires institutions de Démonax. Il échoua d’abord dans ce projet, et fut même obligé de s’enfuir à Samos ; là il réunit une armée, retourna avec elle à Cyrène, et parvint à ressaisir le pouvoir royal. Mais à peine en fut-il possesseur, qu’il s’en servit pour assouvir ses ressentiments, et bientôt après il périt victime de ses propres cruautés à Barcé. Cette mort occasionna une vengeance des plus éclatantes dont l’histoire ait fait mention.
[xvi]La mère d’Arcésilas, sans être découragée par le dérisoire et allégorique présent d’un fuseau d’or, qu’elle avait reçu du roi de Salamine, au lieu d’une armée qu’elle lui avait demandée, parvint à intéresser à sa cause Aryandès, satrape du roi de Perse en Égypte. Mise à la tête de toutes les forces de ce pays, elle se dirigea sur Barcé ; et, après s’être emparée par la ruse, d’une place que les armes n’avaient pu réduire par la force, Phérétime, dans son aveugle vengeance, n’épargna pas même son sexe. Elle eut la cruauté de faire couper le sein aux femmes des principaux Barcéens, et fit suspendre ces honteux trophées autour des murs de la ville. Mais il est consolant de pouvoir ajouter qu’une pareille atrocité ne resta pas impunie : peu de temps après son glorieux triomphe, cette haineuse souveraine périt misérablement dévorée de vers, au milieu même de ceux qui, malgré leurs intentions secrètes, n’avaient retiré d’autre fruit d’une longue et dispendieuse expédition, que de servir d’instruments à la vengeance d’une femme.
Le règne des Battiades dura deux cents ans environ ; les Cyrénéens, fatigués des convulsions qui l’avaient agité, cherchèrent dans une autre forme de gouvernement, le bonheur et la tranquillité qui paraissaient les fuir. Ils crurent obtenir cette tranquillité, en se chargeant eux-mêmes du soin de la maintenir ; mais, quoique l’histoire n’ait laissé que fort peu de notions sur les événements qui se passèrent dans la colonie devenue république, néanmoins, le petit nombre de faits qu’elle éclaire, suffisent pour nous donner une idée de ceux qu’elle a laissés dans l’ombre.
Alexandre avait conquis l’Égypte et s’avançait dans la Libye pour visiter l’oracle d’Ammon. Les Cyrénéens envoyèrent au héros macédonien des ambassadeurs avec une couronne et des présents considérables. Alexandre ne dédaigna point ces égards d’un peuple libre ; il accepta ses présents, fit alliance avec lui, et suivit les ambassadeurs, qui l’accompagnèrent jusque dans le temple.
Les guerres que Cyrène eut avec Carthage au sujet des limites des deux[xvii] états, relevèrent aussi son existence politique ; l’on sait que ces guerres furent terminées et illustrées par le patriotique dévouement des deux frères Philænes. Mais au dedans, elle fut plus que jamais en proie à des troubles qu’ils attribuaient aux vices de l’organisation du gouvernement.
En vain, dans cette persuasion, ils eurent recours à Platon pour le prier de leur donner de meilleures lois. « Leurs divisions provenaient de leurs richesses, et ils avaient besoin d’être préparés par l’adversité » : telle fut la réponse du philosophe[9].
Livrés à leurs propres institutions, les Cyrénéens tombèrent sous le joug de plusieurs tyrans. On peut en juger par la sédition excitée, vers l’an 400 environ avant notre ère, par Ariston, qui fit périr presque tout le parti aristocratique ; on peut citer le tyran Néocratis, qui, afin de satisfaire l’amour dont il était épris pour la femme de Ménalippe, prêtre d’Apollon, eut l’audace de faire égorger le ministre des autels, et de forcer sa veuve à passer dans ses bras. Les dieux outragés obtinrent, il est vrai, une prompte vengeance, et la même passion qui avait fait commettre le crime servit à le venger.
Ces usurpations du pouvoir, ces violences, entraînèrent des proscriptions ; vers la fin du règne d’Alexandre, un très-grand nombre de citoyens se trouvaient exilés de Cyrène ; ils se réunirent dans la Crète à Thimbron, qui, par le meurtre d’Harpalus, se trouvait possesseur des trésors d’Alexandre et d’une armée considérable. Thimbron entreprit de s’emparer de Cyrène ; il alla mettre le siége devant[xviii] cette ville, alors très-opulente malgré ses divisions, puisqu’elle lui offrit cinq mille talents[10] pour l’engager à abandonner son entreprise.
Cependant le grand homme qui avait réuni à l’art brillant des conquêtes, celui bien plus utile d’une sage politique, Alexandre venait de mourir. Son vaste empire, dont lui seul pouvait supporter le poids, devait se dissoudre ; en vain ses généraux, réunis autour du trône du monde, voulurent y mettre un successeur ; ils ne purent y placer qu’un fantôme. Le fils de la danseuse Philline, l’inepte Aridée, frère du héros qui venait de s’éteindre, fut proclamé roi ; mais le gouvernement de l’empire que ses mains inhabiles n’auraient su diriger, fut partagé entre les compagnons d’armes d’Alexandre, et Ptolémée obtint la province d’Égypte. Quoique Ptolémée n’eût été envoyé dans cette partie des états macédoniens que sous le titre de satrape, ses vues étaient plus élevées ; et pour les remplir, il s’efforça de se concilier l’affection des Égyptiens par la douceur de son administration.
Cette adroite mais bienfaisante politique ne tarda pas à servir ses projets : plusieurs des principaux habitants de Cyrène, chassés de cette ville par une émeute populaire, pendant le siége de Thimbron, se réfugièrent à la cour d’Alexandrie. Ptolémée saisit avec empressement cette occasion pour étendre son pouvoir, et, sous le vain prétexte de rétablir les exilés dans leurs droits, il envoya contre la capitale de la Pentapole une armée considérable commandée par Ophella.
Divisés par leurs dissensions, les Cyrénéens ne purent à cette époque, ainsi que dans les premiers temps de la colonie, repousser avec triomphe cette nouvelle attaque, et Cyrène fut conquise.
Néanmoins, trop remuants pour supporter patiemment le joug qu’on leur avait imposé, les Cyrénéens essayèrent plusieurs fois de le secouer. Une première sédition fut apaisée par Agis, général de Ptolémée ; ils[xix] osèrent ensuite assiéger la garnison étrangère qui était dans leur capitale, et poussèrent la hardiesse jusqu’à se défaire des émissaires conciliateurs que leur avait envoyés le gouverneur d’Égypte. Ils furent un moment triomphants ; mais Ophella, révolté contre Ptolémée, et par cela même devenu leur chef, ayant fait alliance avec Agathoclès, alors en guerre avec les Carthaginois, devint la victime de la plus noire trahison. Il mit sur pied une armée considérable, et après deux mois de marche à travers les sables des Syrtes, dès qu’il eut rejoint le roi de Syracuse, au lieu d’un allié qu’il avait voulu servir, il trouva un ennemi qui l’attendait pour le surprendre. Ophella, soudainement attaqué, périt à la tête de son armée, qui éprouva une défaite totale.
Cet échec laissa Cyrène sans défense ; Ptolémée en profita pour la faire rentrer sous son pouvoir ; et afin de prévenir de nouvelles séditions, il en confia le gouvernement à Magas, son parent. Ce gouverneur resta fidèle à Soter ; mais sous Philadelphe il se révolta, prit le titre de roi, et entreprit même une expédition contre l’Égypte, dans laquelle il fut toutefois arrêté par un soulèvement de la Marmarique.
Après sa mort, la Pentapole continua à faire partie des états d’Égypte, dont le premier des Ptolémées avait été élu souverain dix-neuf ans après la mort d’Alexandre, jusqu’à ce que Phiscon Évergète, qui l’avait reçue en partage, l’eût transmise à son fils naturel Apion comme royaume indépendant.
De nouvelles destinées se préparaient pour Cyrène, et si l’expérience eût pu éclairer ses habitants, ils auraient enfin joui des bienfaits d’une indépendance, d’autant plus précieuse, qu’elle vint s’offrir à eux sous les auspices d’une nation alors grande et généreuse. Apion, se trouvant en mourant sans héritiers, dans la crainte que son royaume ne tombât de nouveau sous le pouvoir des Égyptiens qu’il n’aimait point, le légua au peuple romain vers l’an 96 avant notre ère.
Rome, en acceptant ce testament, laissa la liberté aux habitants de[xx] Cyrène, et ne se réserva, en qualité de protectrice, que les terres, très-considérables il est vrai, attachées au domaine royal.
Mais les Cyrénéens étaient destinés à ne point savoir jouir de leur indépendance ; des troubles intérieurs vinrent de nouveau les diviser ; en vain Sylla leur envoya Lucullus pour concilier leurs différends ; en vain ce général, en leur rappelant la réponse de Platon, opposa la sagesse de nouvelles lois au caractère turbulent des Cyrénéens, il ne put parvenir à assurer leur tranquillité, et à peine trente ans s’étaient écoulés depuis que Cyrène avait été affranchie de toute domination étrangère, que, dans l’intérêt même de ses habitants, Rome fut obligée de la réduire au rang de ses provinces.
Peu de temps après, elle fut jointe à la Crète, et gouvernée, comme province prétorienne, par un proconsul.
Vers l’an 37 avant notre ère, Antoine, qui exerçait alors une puissance suprême dans tout l’Orient, cédant aux désirs de Cléopâtre, sépara la Cyrénaïque de l’empire, et l’érigea en royaume en faveur de sa fille. Mais, après la défaite qu’il essuya à Actium, Cyrène reconnut Auguste pour souverain, avant même qu’il se fût rendu maître de l’Égypte, et devint, peu de temps après, une province du sénat, gouvernée par des préteurs.
Attachée dès-lors à la fortune de Rome, Cyrène en suivit les destinées. Avant de la voir s’écrouler avec cet empire, et tomber enfin au pouvoir de peuplades barbares, jetons un coup-d’œil sur son organisation intérieure, et recherchons, s’il se peut, quelles furent les causes de ses grandes richesses malgré ses dissensions, et celle de ses continuelles dissensions malgré sa prospérité ?
Peu d’années après la fondation de Cyrène, Barcé, bourgade libyenne, accueillit les princes de la famille royale révoltés contre Arcésilas, et devint une ville considérable. Quoique toujours gouvernée par ses propres rois, elle offrit dès-lors un mélange d’habitants grecs et libyens, jusqu’à[xxi] l’époque où les Ptolémées firent élever une ville sur le littoral voisin, qui prit le nom de la dynastie de ses fondateurs.
Ptolémaïs attira dans ses murs les Grecs de Barcé, et celle-ci fut entièrement livrée à ses habitants indigènes, dont la plupart reprirent bientôt leur genre de vie nomade. Les Barcéens recommencèrent alors à inquiéter les villes de la Pentapole, et leurs courses dévastatrices leur acquirent une telle réputation, qu’au rapport de Virgile, le nom de cette peuplade s’étendit à toutes celles qui l’environnaient.
Cyrène, appelée racine des villes, avait fondé Apollonie et Teuchira ; la première ne fut pendant long-temps que le port de la métropole, et ne devint indépendante que sous les Ptolémées ; la seconde, nommée par la suite Arsinoé, fut changée en colonie romaine vers l’an 122 environ avant notre ère.
Hespéris, plus connue sous le nom de Bérénice, qu’elle reçut de la fille de Magas, femme du troisième Ptolémée, fut la cinquième ville qui forma la Pentapole libyque. D’autres, telles que Darnis, Adriane, Lamiane, et un grand nombre de bourgs et de villages, s’élevèrent dans la Cyrénaïque en des temps postérieurs et à diverses époques.
L’histoire, comme on l’a déja observé, s’est peu occupée de l’intimité des relations entre les peuples de l’antiquité ; loin de nous faire suivre la série de leurs actions, elle borne ces actions à des querelles, et si elle les fait mouvoir, c’est pour s’entr’égorger. Il résulte de ce faux système que les troubles intérieurs, et surtout les guerres éclatantes, ont exclusivement attiré son attention ; mais ces longues aimées de paix sont pour elle une stagnation stérile dont elle dédaigne d’éclairer le cours, et d’y puiser des faits instructifs.
C’eût été néanmoins pour nous bien intéressant de connaître les relations que les Cyrénéens durent conserver avec leur mère patrie ; un poète nous apprend toutefois qu’ils lui envoyaient annuellement des théores pour lui offrir les prémices de leurs fruits.
[xxii]L’analogie de position et la réciprocité même d’intérêts ne durent-elles pas occasionner des liaisons entre les Cyrénéens et les autres Doriens, isolés comme eux sur des terres étrangères ? Il est remarquable que les noms de Cabales et d’Araraucèles se trouvent également dans la Cyrénaïque et dans l’Asie-Mineure ; et quoique, dans la première de ces contrées, ces noms désignent des tribus libyennes, et dans la seconde une ville et une région, cette identité de dénominations semble néanmoins indiquer un échange de rapports entre des peuples sortis d’une souche commune.
L’histoire aurait dû surtout nous donner quelques notions sur le commerce de Cyrène dans l’intérieur de l’Éthiopie. L’Oasis d’Ammon, cette colonie de prêtres-marchands, établie au milieu des déserts, présentait un point d’entrepôt très-avantageux pour ce commerce. Ses relations avec la Pentapole ne sont point douteuses ; les colonnes élevées en l’honneur des théores cyrénéens, et d’autres traditions historiques, en sont la preuve irrécusable.
Cyrène se serait-elle bornée à ce boulevart de la Libye intérieure ? Moins industrieuse que Carthage, n’aurait-elle pas fait pénétrer ses caravanes dans les régions plus lointaines ? Si les Nasamons servaient les intérêts de sa rivale, les Asbytes et les Auchises ne devaient-ils pas lui offrir le même secours ?
Ces dernières hypothèses seront d’autant plus probables si l’on considère que le commerce de Cyrène fut très-considérable, et que pour en seconder l’activité ils inventèrent le lembus[11]. Ce commerce était alimenté par une réunion de causes également puissantes : la grande fertilité du sol et son heureuse disposition y faisaient succéder les récoltes pendant huit mois de l’année, et des plantes précieuses qui lui étaient particulières ou bien qu’on y voyait répandues avec profusion, en augmentaient singulièrement les produits.
[xxiii]La campagne de Cyrène était divisée en trois parties, également fécondes dans une rare et précieuse succession. A peine avait-on fini la moisson et les vendanges sur les bords de la mer, que l’on passait aux collines, où les fruits se trouvaient en pleine maturité, et de là on arrivait sur le sommet des montagnes, où la nature présentait les mêmes avantages dans sa troisième phase de fertilité.
D’épaisses forêts de thyon, distribuées sur les flancs septentrionaux des monts de la Pentapole, offraient leur bois odorant pour les meubles des Cyrénéens, de même qu’elles servaient à former les tables vineuses consacrées aux fêtes de Bacchus ; tandis que le sylphium, dont la valeur égalait celle de l’argent, et que les Césars renfermaient dans leur trésor, croissait en abondance dans les lieux les plus incultes de cette heureuse contrée.
Tant de richesses prodiguées par la nature, dans un pays environné de déserts, devaient porter ses habitants à un haut degré de puissance, ou bien les plonger dans le luxe et la volupté : en premier lieu, ils auraient pu influer sur la civilisation de l’Afrique ; ils auraient pu faire pénétrer dans les régions de l’intérieur la lumière des arts, par de hardies expéditions et de philanthropiques desseins ; en second lieu, ils pouvaient jouir, sous l’ombrage de leurs forêts, des biens que leur assurait le sol, et se borner à repousser les hordes nomades de leur paisible séjour. Les Cyrénéens avaient à choisir entre une haute existence politique, et les douceurs d’une oisive retraite ; entre une gloire durable, et des jouissances passagères : et les Cyrénéens dédaignèrent la gloire et s’abandonnèrent aux plaisirs.
Les courses de chars, les repas somptueux, la mélodie des chants, les danses et les fêtes, remplirent le cours de leur molle existence ; Cyrène était déchirée par des factions, elle était envahie par des armées étrangères ; mais les cris joyeux des bacchantes étouffaient les clameurs politiques, et leurs danses lascives s’animaient au bruit des chaînes qui pesaient sur la patrie.
[xxiv]Le luxe et la volupté furent portés au comble : le luxe s’étendit jusqu’aux artistes, et principalement sur ceux qui exerçaient des arts frivoles ; la volupté reçut le nom spécial de cette contrée, et fut même érigée en secte par le philosophe Aristippe, qui, par un singulier contraste, était disciple de Socrate.
« Opposer une stoïque résignation aux rigueurs de l’infortune, et sacrifier son bien-être particulier au bien public, étaient des chimères que l’on a follement décorées du nom de vertus ; saisir avec empressement le plaisir fugitif, ne s’occuper que du moment présent sans s’inquiéter, ni de l’avenir, ni du passé ; en un mot, concentrer toutes les jouissances en l’amour de soi-même, et entourer la vie de roses, dont on devait respirer les parfums sans toucher aux épines, » tels étaient les préceptes fondamentaux de la secte cyrénaïque.
L’on conçoit que de pareilles idées répandues dans une société, étaient bien plus susceptibles d’en relâcher les liens, que propres à cimenter cette union qui fait la force des états ; et si elles convenaient peu à Cyrène gouvernée par des rois, elles devaient bien moins convenir à Cyrène république. Il est presque superflu d’ajouter que ce ne fut point par de pareils mobiles que Sparte et Rome acquirent ce haut degré de puissance qui les rendit maîtresses de tant de nations ; la pauvreté fit leur force, l’austérité de mœurs la cimenta, et leur union l’agrandit.
Des philosophes postérieurs à Aristippe, les Carnéade et les Ératosthène, firent entendre sous les portiques de Cyrène une morale plus pure ; mais quelle influence pouvaient exercer les hautes spéculations des sciences ou les sublimes préceptes de la philosophie sur des esprits énervés et sur des hommes avides de jouir ? L’impulsion était donnée, et ces sages illustrèrent leur patrie sans avoir influé sur ses mœurs.
Nous cesserons donc d’être surpris que les Cyrénéens, livrés à une morale voluptueuse et regorgeant de richesses, n’aient jamais pu supporter le poids de la liberté qui s’offrit si souvent à eux : pareils à des enfants[xxv] capricieux, s’ils mordaient le frein qu’on leur imposait, c’était parce qu’il gênait leurs fantaisies, mais ils trébuchaient aussitôt qu’ils parvenaient à le rompre.
Cependant Cyrène, confondue parmi les nombreuses provinces de l’empire romain, avait perdu sa physionomie originelle ; et ses habitants, outre les peuplades libyennes des environs, offraient un mélange de Grecs, de Romains et d’Israélites.
Ces derniers avaient été envoyés en colonie dans la Pentapole par Ptolémée Soter, et leur nombre s’y était depuis considérablement multiplié. Liée avec les Juifs par d’anciens traités qu’elle renouvelait à chaque pontificat, Rome favorisa leur accroissement dans toutes ses provinces, et particulièrement dans celle de Cyrène. Sa protection était surtout nécessaire aux Israélites éloignés de la Judée. Le mépris qu’ils témoignaient pour les autres nations, et leur intolérance sur les croyances religieuses, les rendaient odieux à tous ceux au milieu desquels ils vivaient ; mais, habiles à caresser le pouvoir suprême, ils en obtinrent à plusieurs époques des décrets favorables. César, reconnaissant des services qu’il en avait reçus dans sa guerre d’Égypte, les confirma dans les priviléges qu’ils avaient obtenus du sénat, et leur en accorda de nouveaux. Toutefois ce décret, paralysé par la mort de César, n’obtint force de loi que sous Antoine, et à cette époque même, les Juifs de Cyrène, soumise à l’influence du parti de Cassius et de Brutus, ne purent jouir des droits qu’ils venaient d’acquérir en vertu du sénatus-consulte ; ce ne fut qu’après la bataille de Philippes, qu’un nouveau rescrit d’Antoine leur en assura le libre exercice.
Les priviléges des Juifs, sanctionnés par les lois, statuaient des exceptions qui leur étaient tout-à-fait particulières : les assemblées et l’exportation d’argent, défendues pour les autres sujets, leur étaient permises ; ces faveurs avaient pour objet de faciliter leurs réunions religieuses, le libre transport des sommes qu’ils envoyaient annuellement à Jérusalem, et les capitations qu’ils payaient au trésor du temple. Contrariés à[xxvi] Cyrène dans l’exécution de ces droits, ils trouvèrent un puissant appui auprès d’Agrippa, qui ordonna expressément au préteur de Libye de les faire indemniser des pertes qu’ils avaient essuyées.
Les Juifs de la Cyrénaïque paraissent d’abord avoir joui sagement de la protection de Rome : on apprend par un monument que, vers l’an 33 avant notre ère[12], traités très-favorablement (dans la Pentapole), ils habitaient presque exclusivement la ville de Bérénice, et qu’ils y formaient un corps politique gouverné par des Archontes. Ensuite, abusant de cette protection, et enhardis par leur nombre, ils cherchèrent à leur tour à s’emparer du pouvoir. Ils causèrent, sous les règnes de Trajan et d’Adrien, des maux effroyables ; et, si l’on en croit les inductions de l’histoire, ils dévastèrent tellement cette province par leurs massacres, qu’Adrien fut obligé d’y envoyer des colonies pour la repeupler.
Mais depuis long-temps avant cette époque, une nouvelle religion avait pris naissance en Orient, et dans le cours d’un siècle elle s’était prodigieusement répandue, et avait pénétré dans les provinces les plus reculées de l’empire romain.
Néron et ses successeurs voulurent en vain étouffer l’essor du christianisme ; les moyens qu’ils employèrent, servirent au contraire à le propager ; plus les persécutions se renouvelèrent, plus l’héroïsme des premiers apôtres de l’Évangile s’accrut ; les martyrs succombaient en foule, et de nouveaux martyrs, vrais protées, reparaissaient de toutes parts.
Cette religion obtint enfin un triomphe éclatant sous Constantin-le-Grand ;[xxvii] en embrassant la foi de vérité, cet empereur voulut donner à ses états une nouvelle capitale qui n’eût pas pour témoins les dieux du paganisme, et ce fut de Byzance que partirent dès-lors les décrets qui allaient régler le sort des nations.
Le christianisme avait pénétré, dès les premiers siècles, dans la Cyrénaïque ; plus tard, sous les auspices du pieux Justinien, la croix fut élevée dans cette province sur les autels mêmes de l’idolâtrie et du culte des Hébreux. La ville de Borium, située à l’extrémité occidentale de la Pentapole, avait un temple dont les Juifs faisaient remonter l’origine au règne de Salomon. Ce temple fut changé en église chrétienne, et les sectateurs de l’ancienne loi se convertirent à celle que l’Homme-Dieu avait lui-même apportée sur la terre.
De plus, s’il faut en croire l’historien de Justinien, on vit, à cette époque, la lumière de l’Évangile traverser les sables de la Libye, et pénétrer jusque dans le temple mystérieux d’Ammon ; à son aspect, le corps sacré des Hiérodules abjura ses erreurs ; l’oracle, qui avait déifié le conquérant du monde, se tut ; et l’enceinte que la flatterie avait élevée au même héros fut consacrée à la mère du Sauveur, et ne retentit plus dès-lors que des louanges adressées au seul et vrai Dieu de l’univers.
Mais, quelque grands que fussent ces triomphes de la religion chrétienne, une foule d’opinions différentes s’élevèrent, peu de temps après sa naissance, au sujet de son interprétation. Indépendamment de plusieurs schismes qui divisèrent les chrétiens sous diverses croyances, il naquit en outre une foule de sectes qui, dans le but de perfectionner le christianisme, en dénaturèrent à tel point l’esprit, qu’ils en firent rétrograder l’application jusqu’aux plus grands abus du polythéisme. Parmi ces sectes, aussi multipliées qu’elles sont restées obscures, était celle des Carpocratiens, fondée par Carpocrates, qui vivait à Alexandrie sous le règne d’Adrien[13].
[xxviii]Un grand nombre de ses disciples se dispersèrent dans la Cyrénaïque ; et, chose étonnante, la Pentapole chrétienne vit répandre dans ses champs des mœurs plus désordonnées, des préceptes plus libres, que ceux qu’y avait propagés autrefois le voluptueux Aristippe. L’austère morale de l’Évangile fut changée en un code monstrueux qui établit en dogme, comme seule source de paix et de bonheur, la libre communauté des femmes et de toutes sortes de propriétés.
De pareils préceptes furent même consacrés par des monuments, dans l’un desquels le nom révéré du Christ se voit à côté de ceux de Thot, de Saturne, de Zoroastre, de Pythagore, d’Épicure et de Masdacès. Selon ces mêmes monuments, les Carpocratiens se maintinrent dans la Cyrénaïque jusqu’au sixième siècle ; les usages qu’ils avaient adoptés firent perdre le trône et la vie à Cobad, roi de Perse, qui avait voulu les introduire dans ses états, à l’instigation du même Masdacès, placé par les Carpocratiens au nombre de leurs prophètes. On aurait droit par conséquent d’être surpris que ces usages eussent acquis un libre et honteux exercice dans une société policée, si l’on ne savait qu’ils existèrent chez les Nabatæens, sans troubler leur tranquillité intérieure, et que ce peuple fut au contraire cité comme exemple de concorde et d’union[14].
C’est ainsi que l’histoire des sociétés humaines offre quelquefois des problèmes qui mettent en doute jusqu’à l’universalité des principes de leurs plus chères affections.
La Cyrénaïque marchait rapidement vers une décadence totale ; elle avait été divisée en deux provinces, en Libye supérieure et inférieure, commandées chacune par un préfet et un duc. Dans le cinquième siècle, sous l’empereur Arcadius, la capitale n’existait plus, ou ce n’était plus que son ombre. Un évêque, disciple de la célèbre Hypatia d’Alexandrie, rappelait alors la mémoire des anciens philosophes ; témoin des catastrophes[xxix] qui désolèrent cette province, Synésius éleva en vain sa figure imposante sur les ruines de Cyrène, pour implorer les secours du chef de l’empire ; que pouvait la voix d’un philosophe, dans ces temps où les descendants des Césars s’occupaient gravement de minuties religieuses, et où de pareilles querelles divisaient les nations ?
Les principaux fauteurs des malheurs de la Pentapole n’étaient cependant que des hordes barbares qu’il eût été facile de chasser dans l’intérieur des terres, puisque quarante Huns au service des Romains suffirent pour repousser une de leurs attaques, et les obligèrent à rentrer dans les déserts.
Telle fut néanmoins la négligence des empereurs romains envers la Pentapole, que dans le même siècle, nous apprend Synésius, des hordes de Libyens Ausuriens[15] l’infestèrent à tel point, « qu’il ne s’y trouva de montagne assez escarpée, de château assez fort qui pût opposer quelque obstacle à leurs courses dévastatrices. Tout devint leur proie : ils saccagèrent les villes, dépouillèrent les autels, et leur avidité ne respecta pas même l’asyle des tombeaux. Les femmes éplorées quittaient pendant la nuit leurs habitations ; elles se réfugiaient dans les forêts ; mais ni les ombres de la nuit, ni l’épaisseur des bois, ne pouvaient les[xxx] soustraire à leur fureur. Les plus grandes richesses consistaient alors en troupeaux et dans les biens de la terre encore ornée de riantes campagnes ; et ces campagnes devinrent la proie des flammes ; et les troupeaux périrent, les uns dans ces vastes incendies, et les autres furent entraînés dans les solitudes, avec les habitants de tout sexe réduits en esclavage. »
A ces déprédations des barbares succédèrent, sous Théodose II, les concussions des gouverneurs, qui se hâtèrent de recueillir les derniers produits de la Pentapole expirante ; lorsque enfin, quelque temps après, une nouvelle et dernière invasion changea à jamais les destinées de la Cyrénaïque, et acheva l’œuvre de destruction que les Libyens avaient commencée.
Les Musulmans, dont les rapides conquêtes s’expliquent aisément par l’incertitude des conseils et la faiblesse qui caractérisaient alors les souverains de Byzance, commencèrent par envahir les provinces les plus reculées de l’empire.
Amrou-Ben-el-As, favorisé par les Coptes, s’empara de l’Égypte l’an 640 de Jésus-Christ. La Cyrénaïque chercha d’abord à se soustraire au joug musulman ; elle y réussit à cette époque par un traité qu’elle stipula avec le conquérant arabe : Amrou respecta les engagements qu’il avait pris avec les habitants de la Pentapole, et les distingua expressément de ceux de l’Égypte, dont la vie et les biens, disait-il, dépendaient du caprice de sa volonté.
Mais ces avantages furent de courte durée : six ans après la conquête de l’Égypte par Amrou, les fils d’Ommiah, ralliés sous l’étendard de Mahomet, pénétrèrent dans la Cyrénaïque et s’en emparèrent. L’ancienne Barcé, destinée à être dans tous les temps le siége de peuplades barbares, fut occupée par les Ommiades. A cette dynastie succéda celle des Abassides, et celle des Fathimites à cette dernière. Les Chrétiens, soufferts dans cette contrée jusqu’au neuvième siècle, furent obligés de l’abandonner sous les Fathimites.[xxxi] La Pentapole était alors complétement ruinée ; Barcah elle-même n’était plus qu’une petite bourgade ; Adjedabia et Sort, situées sur les bords de la grande Syrte, réunissaient dans leur enceinte la plupart des habitants de cette province.
Les Fathimites avaient été expulsés par les Aïoubites, lorsque ces descendants de l’ancienne Colchide, ces esclaves qui entouraient le faste des sultans, voulurent à leur tour exercer le pouvoir dont ils n’avaient été jusqu’alors que les instruments. Le calife Moaddham tomba sous leurs coups, et cette victime assura aux Mamelouks le pouvoir suprême en Égypte, durant deux siècles et demi environ. En 1517, les Ottomans, conduits par Sélim I, s’emparèrent de cet état et de ses dépendances ; trente-trois ans après cet événement, Tripoli d’Afrique ayant été conquise par un des généraux de Soliman II, la Cyrénaïque fut jointe à cette ville, et forma avec elle un seul royaume gouverné par des pachas.
Telles furent les principales phases de la civilisation de la Grèce africaine, et des catastrophes qui l’anéantirent.
Livrée à des hordes barbares, Cyrène gît maintenant ignorée. Le temps, qui rassembla tour à tour plusieurs peuples dans son enceinte, en a confondu les traces ; il en a dispersé les ruines. Les monuments des arts ont disparu ; témoins et asyles souillés des races passées, quelques tombeaux épars dans la plaine indiquent seuls au voyageur le lieu où s’élevait jadis la ville au trône d’or.
Mais si les travaux des hommes sont anéantis, la nature est restée la même. Le soleil n’éclaire plus que le deuil de l’antique cité ; les pluies bienfaisantes ne tombent plus que sur des déserts : mais ce soleil émaille encore des prairies toujours vertes, ces pluies fécondent des champs toujours fertiles ; les forêts sont toujours ombreuses, les bocages toujours riants, et les myrtes et les lauriers croissent dans les vallons solitaires, sans amants pour les cueillir, sans héros pour les recevoir. Cette fontaine qui vit élever autour d’elle les murs de Cyrène, jaillit encore dans toute[xxxii] sa force, elle coule encore dans toute sa fraîcheur ; et son onde seule interromprait le calme de ces solitudes, si la voix rauque des pâtres, ou le bêlement des troupeaux errante parmi les ruines, ne se confondaient parfois avec son murmure.
[9]Les habitants de la ville de Cyrène prièrent une fois Platon de leur donner par écrit de bonnes lois, et de leur tracer le plan d’un gouvernement nouveau ; ce qu’il refusa de faire, disant « qu’il estoit bien malaisé de donner loix aux Cyreniens qui estoient si riches et si opulents : car il n’est rien si hault à la main, si farouche, ne si malaisé à domter et manier, qu’un personnage qui s’est persuadé d’estre heureux. » (Plutarq. Vie de Lucullus, trad. d’Amyot, t. V, p. 59.)
[10]Environ 27 millions. Diod. Sic. l. XVIII.
[11]Vaisseau à seize rames. (Pline, l. VIII.)
[12]Cette date est celle que Fréret a assignée à l’inscription des Juifs de Bérénice ; toutefois, pour en vérifier l’exactitude, il faut attendre que le savant M. Champollion-Figeac donne, dans une nouvelle édition de Fréret (qu’il fera bientôt paraître, ainsi qu’il a eu la bonté de m’en informer), la vraie leçon de cette inscription et de cette date, d’après le monument original qu’il a eu en son pouvoir.
[13]Matter, Mémoire sur les Gnostiques.
[14]Strabon, l. XVI, c. 3.
[15]Ces Ausuriens, dont Synésius seul, à ma connaissance, fait mention (epist. 78, in Catast. 299-301. Interp. Dion. Peta.), ne rappelleraient-ils pas, par l’analogie du nom et la proximité du lieu, les Libyens Auséens, qui habitaient, selon Hérodote (l. IV, 180), les environs du lac Tritonis ? Les mœurs belliqueuses de cette peuplade, qui rendait un culte particulier à Minerve, donneraient un nouveau degré de probabilité à ce rapprochement. Selon le même historien, dans une fête que les Auséens célébraient tous les ans en l’honneur de cette déesse, leurs filles, partagées en deux troupes, se livraient un combat violent à coups de pierres et de bâtons ; celle qui s’était le plus distinguée pendant l’action recevait, pour prix de sa valeur, une armure complète à la grecque. Hérodote, en terminant ce récit, ajoute que ces Libyens, avant que des colonies grecques se fussent établies auprès de leur territoire, devaient tenir leurs armures des Égyptiens ; cette remarque, étrangère à mon rapprochement, peut néanmoins ne pas être sans intérêt, et me paraît susceptible d’en provoquer d’autres.
[1]VOYAGE
DANS LA
MARMARIQUE ET LA CYRÉNAÏQUE.
Préparatifs du voyage. — Départ. — Abousir. — Vallée Maréotide. — Dresièh. — Maktaërai. — El Chammamèh. — Désert de Kourmah.
Les avis que l’on me donnait à Alexandrie sur mon voyage étaient peu encourageants ; les uns traitaient ma ferme résolution d’imprudence, et ma confiance d’aveuglement ; les autres m’engageaient à me rendre à Derne ou à Ben-Ghazi, par mer : il était à craindre, disaient-ils, que les Arabes limitrophes de la province de Barcah ne me prissent pour un espion de Mohammed-Aly, dont le caractère entreprenant et les vues ambitieuses portaient ombrage à tous ses voisins.
J’eusse volontiers cédé à ces objections, qui ne me paraissaient pas dénuées de fondement ; mais les différentes limites que les anciens géographes ont assignées à la Cyrénaïque rendaient intéressante, et même nécessaire, l’exploration de sa partie orientale : ce motif, qui fut peut-être celui du général Minutoli, me porta à donner à mon voyage toute l’étendue projetée par mon prédécesseur ; et pour obtenir un dénoûment plus heureux, je me fiai à mes habitudes des fatigues du désert, et à la connaissance que j’avais acquise des mœurs et du langage de ses habitants.
L’expérience a bien des fois prouvé qu’en Afrique une escorte est souvent plus nuisible qu’utile aux travaux du voyageur.
Dans les villes, les Arabes Bédouins, intimidés par la présence d’un pacha ou d’un bey, sont prodigues de promesses. Mais dès que ce frein imposé à l’avidité et à la mauvaise foi n’existe plus, dès que les Arabes[2] sont entrés dans les solitudes du désert, alors se trouvant dans leur domaine, ils parlent en maîtres. En vain le voyageur rappelle les accords faits et les ordres reçus ; les accords deviennent illusoires, et les ordres sont aisément éludés ; et dans l’isolement où il se trouve alors, heureux encore si les mêmes hommes qu’il a pris pour faciliter ses projets, ne nuisent pas au contraire à leur exécution.
D’un autre côté, s’il est une cause qui rende moins fructueuses et qui entrave quelquefois les opérations du voyageur européen, c’est sans contredit le fanatisme des habitants.
En vain il étudie leur langage, il adopte leurs costumes et se fait à leurs usages ; il est chrétien, et ce titre suffit pour bannir la confiance, pour inspirer la réserve et souvent même la haine.
Avec l’or, il franchira bien des obstacles, il satisfera sa curiosité ; mais il n’obtiendra jamais cet échange intime de relations, si nécessaire néanmoins pour bien connaître les peuples qu’il visite. Ce fanatisme ne se borne point à tenir le voyageur dans un continuel isolement, il va quelquefois jusqu’à compromettre son existence ; et, s’il n’autorise pas le crime, il sait du moins le pallier. Aussi celui qui entreprend de pénétrer dans les contrées de l’Afrique, immédiatement soumises à l’influence de l’islamisme, se voit en butte à l’alternative d’un choix également embarrassant : s’il prend une nombreuse escorte, il garantit son existence de perfides tentatives ; mais il devient, pour ainsi dire, le sujet de ses protecteurs ; si, au contraire, il se hasarde seul ou avec les siens dans ces contrées sauvages, il reste libre de ses actions, mais il est sans cesse entouré de dangers.
Lors même que mes faibles ressources pécuniaires ne m’auraient pas interdit le choix entre ces deux manières d’exécuter mon voyage, j’ose assurer que, par goût, j’aurais adopté cette dernière.
Je me bornai donc à prendre deux guides pour m’indiquer le gisement des puits et des monuments dans les lieux que j’allais parcourir : Hadji-Saleh, marchand de Derne, et Makhrou, de la tribu des Aoulâd-Aly, me furent désignés à cet effet par Mohammed-el-Gharbi, qui m’en garantit la moralité.
La caravane, y compris M. Müller et moi, était composée de neuf personnes ; douze chameaux et quatre dromadaires dont j’étais propriétaire,[3] d’après le système que j’avais adopté dans mes précédents voyages, étaient destinés, les premiers à transporter nos effets et à suivre toujours la route la plus courte, tandis que les seconds, plus sveltes, devaient servir à de rapides excursions toutes les fois que des ruines ou d’autres objets à examiner m’engageraient à m’écarter de la ligne suivie par ma caravane.
Telles étaient les forces et les ressources que je pouvais employer pour braver, durant plusieurs mois, les violentes intempéries de l’air dans un pays sans abri, et l’avidité plus redoutable encore de ses habitants.
Ayant enfin obtenu la lettre protectrice de Mohammed-Aly pour Iousouf, pacha de Tripoli, nous quittâmes Alexandrie le 3 novembre 1824. Les environs de cette ville sont tellement connus, qu’il me paraît superflu d’entrer dans de nouveaux détails sur les prétendus bains de Cléopâtre, sur les grottes de la Nécropolis, d’ailleurs peu remarquables, enfin sur la petite Chersonèse, que Strabon place à soixante-dix stades d’Alexandrie, et où nous arrivâmes, en effet, trois heures après notre départ.
Nous continuâmes ensuite à marcher entre le lac Maréotis et les bords de la mer ; la langue de terre qui les sépare n’a que trois quarts d’heure dans sa plus grande largeur. Une chaîne de collines peu élevées forme une digue au Maréotis, et se prolonge, ainsi que le lac, jusqu’à Abousir, située à onze heures au S. S. O. d’Alexandrie.
On rencontre fréquemment le long de cette colline d’anciennes carrières, quelquefois souterraines, et le plus souvent formant amphithéâtre ; elles contiennent ordinairement une végétation abondante : des touffes de figuiers sauvages sortent, pour ainsi dire, du sein des rochers, et remplissent une partie de ces excavations. Ces arbres, quoiqu’à demi cachés, délassent agréablement la vue dans ces lieux, où l’on n’aperçoit que çà et là quelques plantes marines.
Je remarquai aussi de petits bassins creusés dans la roche pour recueillir l’eau des pluies. Ils sont disposés sur des plans d’inégale hauteur, et de manière que l’inférieur seul est rempli par ceux qui se trouvent plus élevés.
Nous ne pûmes arriver à Abousir que le 6 vers le soir ; ce long retard fut occasionné par les fréquentes visites d’amis et de parents, que mes[4] guides reçurent à diverses reprises, et qui me forcèrent, par respect pour les usages, d’interrompre souvent notre marche.
Les adieux chez les Arabes sont graves, et ont quelque chose de solennel : on dirait que ces hommes renouvellent alors les liens qui les attachent à leur tribu ; ils se prodiguent des témoignages d’affection, mais avec un calme et un sang-froid qui contrastent avec leurs vœux et leurs serments. Enfin ils sont séparés ; bientôt ils se distinguent à peine ; et le ihram[16] agité en l’air, signale leur dernier adieu ; et la force de leurs organes transmet encore à travers l’espace un échange de souhaits et de protestations amicales, toujours accompagnés d’expressions religieuses. Plusieurs amis de mes guides les avaient accompagnés jusqu’à Abousir ; nous fûmes tous ensemble nous mettre à l’abri de la pluie dans de vastes carrières situées à l’extrémité occidentale des ruines de la ville.
Ces carrières passent pour avoir recélé le fruit des rapines des Bédouins ; c’est là que ces nomades se seront partagé les dépouilles des nombreux navires naufragés sur la côte du golfe des Arabes. Je vis encore sur ses bords des tronçons de mâts, et d’autres débris de navires à demi enfouis dans le sable. Il serait assez remarquable que ce fût dans le lieu même dont je viens de parler, où la colline offre réellement des flancs escarpés, que les habitants de Taposiris se fussent réunis à certaines époques de l’année pour se divertir et faire bonne chère[17].
Quoi qu’il en soit, avant le règne de Mohammed-Aly, il eût été dangereux pour un Européen de s’arrêter dans un pareil endroit ; mais le gouvernement rigoureux de ce pacha a su inspirer une crainte salutaire même aux habitants des déserts qui avoisinent la vallée du Nil.
Néanmoins je fis allumer de grands feux pendant la nuit ; leur clarté ne tarda pas d’attirer une foule d’Arabes des environs ; la plupart étaient de la connaissance de mon guide Makhrou. De légers cadeaux excitèrent leur bonne humeur, et après un repas somptueux pour le désert, tous mes convives passèrent plusieurs heures à des exercices gymnastiques, que nous avons presque tous faits dans notre adolescence, sans nous douter[5] que leur origine se perd dans la nuit des temps. J’avais vu ces jeux reproduits par des peintures dans les catacombes égyptiennes de Beny-Hassan, dans la Haute-Égypte ; et quoique leur objet fût d’une faible importance, ce ne fut pas sans surprise que je remarquai chez les Arabes la transmission fidèle de ces usages antiques.
J’employai la journée du lendemain, le 7, à visiter Abousir. Parmi les ruines de ses anciens monuments, les plus apparentes et les plus considérables sont celles d’un temple situé sur une élévation, à peu de distance des bords de la mer. Ses murs, disposés en talus, à la manière égyptienne, et construits en pierres de deux pieds de large sur dix pouces de hauteur, forment un carré dont chaque côté a quatre-vingts mètres. La partie supérieure manque ; mais au côté oriental du monument qui en était la façade, est un grand pylone quadrangulaire, engagé dans l’enceinte générale du temple dont il suit aussi le même degré d’inclinaison. Ce pylone contient intérieurement deux petites pièces latérales à la porte d’entrée, et sa face extérieure offre une analogie marquante avec les monuments de l’ancienne Égypte (Voy. pl. I.). On y voit en effet quatre rainures parfaitement semblables à celles qui sont devant la première cour du temple de Carnac, à Thèbes, et destinées sans doute ainsi que celles-là à contenir des mâts que l’on y plaçait lorsqu’on célébrait les grandes fêtes religieuses ou politiques. L’intérieur du temple est tellement détruit, qu’il me fut impossible de reconnaître les moindres traces de son ancienne distribution.
Parmi les amas de décombres, je ne pus distinguer que des tronçons de colonnes[18], un puits revêtu de belles assises situé au milieu du monument, et un souterrain presque totalement comblé qui conduisait au puits par un escalier.
D’après les observations que je viens de réunir, si l’inclinaison des murs, et principalement les détails architectoniques que l’on remarque sur la façade du pylone, donnent au temple d’Abousir une grande analogie avec les monuments de l’ancienne Égypte, la petite dimension des[6] pierres qui forment ses assises, l’absence de tout symbole hiéroglyphique et de tout ornement qui s’y rapporte, j’ajouterai encore, l’aspect général de ce monument, indiquent son origine grecque.
Quant à son époque, on peut avec vraisemblance, et je dirai même avec certitude, la faire remonter à ces temps où l’Égypte, soumise aux Ptolémées, conserva néanmoins le caractère originel de son architecture, et fut en cela souvent imitée par ses nouveaux maîtres, qu’elle n’imita jamais.
A peu de distance des ruines de ce temple, sont les restes d’un autre édifice, connu par les marins sous le nom de Tour des Arabes. Il figure effectivement une tour posée sur un grand socle quadrangulaire, et divisée en deux étages, dont l’inférieur est octogone, et le supérieur rond et plus rétréci (Voyez pl. II, 2). A la partie sud du rocher sur lequel elle est bâtie on voit une grotte funéraire, divisée en deux pièces, où l’on remarque trois niches larges et peu profondes ; le tout est d’un travail peu soigné. M. de Chabrol et plusieurs autres membres de la commission d’Égypte ont présumé que cette tour avait été élevée par les anciens Grecs, pour servir de phare ou d’amers aux vaisseaux qui s’approchaient de cette côte dangereuse[19]. Les indices d’un escalier que l’on remarque sur la partie octogone de la tour confirment l’exactitude des observations des ingénieurs français, de même que l’aspect du monument rend leurs conjectures très-probables.
Les ruines d’Abousir sont, en majeure partie, situées sur le revers méridional de la colline ; une digue, allant de l’est à l’ouest, fut construite au sud de la ville, peut-être pour préserver ce côté des inondations du Maréotis. Parmi des monceaux de pierres on distingue les fondements d’une construction, subdivisée en plusieurs pièces, et revêtue de ciment ; ces ruines rappellent les bains dont Justinien, au rapport de Procope[20], orna la ville de Taposiris.
La colline forme en plusieurs endroits des grottes naturelles qui ont dû servir de tombeaux ; les anciens ont aidé ces accidents en élargissant les entrées, ou bien en ménageant des descentes par des escaliers taillés dans le roc. Leurs façades sont quelquefois ornées de corniches d’un travail[7] grossier, mais ayant quelque analogie avec le style égyptien, sans être toutefois ornées du globe ailé, ni d’aucun hiéroglyphe. On voit aussi sur le penchant de cette colline plusieurs citernes avec des ouvertures échancrées pour recevoir des couvercles, et de petits bassins formant échelons ; ils étaient destinés à recueillir les eaux des pluies, qu’ils se transmettaient par des auges jusqu’à l’orifice des citernes.
Abousir me paraît être l’ancienne Taposiris, tant par l’analogie du nom que par sa situation à une journée de distance d’Alexandrie[21]. Strabon dit, il est vrai, que cette ville n’était point sur les bords de la mer, et il la distingue de Plinthine, que plusieurs géographes, anciens et modernes, placent en ce lieu. Cette contradiction s’explique facilement, si l’on considère que les ruines d’Abousir se trouvent, comme je l’ai dit, à une petite distance de la mer, et si l’on place Plinthine un peu plus à l’est, auprès d’un enfoncement insensible que forme la côte. Cette conjecture déja émise par le savant M. Champollion le jeune[22], me paraît aussi appuyée par le périple anonyme, qui seul nomme Posirion, ville sans port avec un temple d’Osiris, à sept stades de Plinthine[23].
Il faut sans doute ranger au nombre des traditions purement gratuites, celle que nous a transmise Procope[24] sur le prétendu tombeau d’Osiris, qui aurait été élevé à Taposiris, puisque, comme l’on sait, la mythologie égyptienne plaçait le tombeau de ce dieu à Philæ, et que les symboles de cette fable religieuse se trouvent encore de nos jours représentés sur les monuments de cette île.
Je dirai plus, j’ai vainement cherché parmi les ruines d’Abousir quelques vestiges des monuments de l’ancienne Égypte, je n’ai rien pu découvrir qui en eût le caractère propre, et tout-à-fait distinctif. Hors les ruines du temple, qui n’offrent que des rapprochements avec le style égyptien, et que l’on ne peut faire remonter, ainsi que je l’ai observé, au-delà des premiers Lagides, tout le reste est purement grec, romain ou arabe.
[8]Je soupçonnai alors, et je me convainquis par la suite, que les Égyptiens n’avaient ni élevé des monuments, ni fondé aucune ville dans la Marmarique avant d’être soumis aux Grecs, et que dans les temps antérieurs à cette époque, ce pays ne devait être habité que par des hordes errantes, et peut-être aussi par des Berbères et des Libyens-Phéniciens.
L’histoire nous apprend que la Libye fut parcourue par Sésostris, et deux fois occupée par les Perses. Mais le voyage, d’ailleurs fort incertain, du héros égyptien, ne prouve l’établissement d’aucune colonie ; quant aux expéditions de Cambyse et d’Aryandès, l’une dans l’intérieur des terres, et l’autre dans le littoral, l’on connaît la fin malheureuse de la première, et le stérile résultat de la seconde, qui se borna à assouvir la vengeance de Phérétime.
Si les Égyptiens antérieurs à la conquête d’Alexandre eussent établi des colonies et élevé des monuments sur ce littoral, on devrait en apercevoir des traces ; la solidité extraordinaire de leur architecture porte à le croire, et les emblèmes hiéroglyphiques dont ils l’ornaient se trouveraient au moins empreints sur quelques débris.
On ne peut objecter que ces monuments soient tout-à-fait disparus ; quels que soient les matériaux dont ils aient été formés, quel que soit l’endroit où ils furent élevés, au milieu des déserts comme dans les lieux habités, partout on en aperçoit au moins quelques traces ; et si de nouveaux édifices eussent dévoré ceux des Égyptiens, la même raison existe encore ; ici comme ailleurs les vestiges antiques s’apercevraient sur les monuments plus modernes. Ces idées relatives aux monuments de l’Égypte ancienne en inspirent d’autres qui ont rapport au caractère général des ruines d’Abousir, caractère qui se reproduira constamment dans les contrées que nous allons parcourir.
En Égypte, parmi les ruines d’anciens bourgs, si l’on aperçoit des pierres, elles sont le plus souvent colossales ; la raison en est qu’elles sont les débris de temples ou d’édifices publics ; mais ce qui reste des simples habitations consiste toujours en massifs de briques crues[25].
[9]A Abousir et dans toute la contrée qui suit à l’occident, les débris d’anciennes habitations, jusqu’à ceux du moindre hameau, sont toujours en pierres de taille, ordinairement de cinq à six décimètres d’épaisseur, et jamais en briques.
La différence des matériaux de ces ruines explique celle des contrées où elles se trouvent.
Les terres d’alluvion de la vallée du Nil, amollies annuellement par les débordements du fleuve, offraient aux habitants des matériaux peu coûteux et d’une exploitation bien facile pour élever leurs demeures. La nature dans cette heureuse contrée va au-devant des besoins de l’homme, lui prépare elle-même les choses les plus nécessaires à son existence, et ne lui laisse que la peine de les recueillir.
Le sol de la Marmarique, dépourvu de ces avantages, ne put offrir à ses habitants les mêmes facilités : ils durent extraire du flanc des collines ou du sein de la terre les matériaux nécessaires pour élever leurs habitations ; et en cela, comme en bien d’autres choses, l’industrie créa ce que le sol refusait. Aussi aurons-nous bientôt l’occasion de remarquer partout l’art empressé de seconder la nature ; nous verrons de nombreux canaux sillonner les plaines, suivre la pente des collines, et suppléer à l’absence des rivières en recueillant de tous côtés les eaux du ciel pour les diriger dans de vastes et nombreuses excavations souterraines.
Abousir fait partie de l’Ouadi-Mariout, ou vallée Maréotide, canton[10] réputé dans l’antiquité par ses vignobles[26], et dont le territoire, au temps de Macrizy, était couvert de jardins et de maisons qui se prolongeaient jusqu’à la province de Barkah.
Dans l’espoir de découvrir dans cette vallée quelques vestiges de son ancienne splendeur, le 8, tandis que ma caravane se dirigea sur Bourden, puits situé à six heures à l’ouest d’Abousir, je la quittai avec M. Müller pour aller faire une excursion dans l’intérieur des terres.
Après cinq heures de marche, au sud-est, nous traversâmes les ruines d’un ancien bourg, nommé Boumnah, où, parmi des tas de pierres, je remarquai une construction ayant au fond une pièce cintrée, ornée de deux colonnes. Ce monument, que je crois romain, offre les mêmes détails que les nombreux sirèh, que l’on trouve si souvent et mieux conservés dans la Pentapole, et sur la destination desquels j’exposerai par la suite mes idées.
Entre Abousir et Boumnah sont encore d’autres vestiges d’anciens villages, et les restes bien conservés d’un canal large d’un mètre, formé de deux seules rangées de pierres revêtues intérieurement d’un ciment rougeâtre.
De Boumnah nous nous dirigeâmes vers le sud ; le pays que nous parcourions est légèrement ondulé, et couvert de terres argileuses partout susceptibles de produit : néanmoins une petite partie seulement est cultivée en céréales par les Arabes Sénenèh, un des quatre corps ou bednat, de la grande tribu des Aoulâd-Aly.
Les traces d’anciens bourgs, que nous rencontrions fréquemment, indiquent, il est vrai, que ce canton a été jadis très-habité ; mais leurs squelettes épars gisent sur des plaines immenses où règne une silencieuse et triste nudité.
De ces bosquets, de ces jardins, mentionnés par l’historien arabe, il ne reste pas le moindre indice ; bien plus, aucun arbre, même sauvage, n’ombrage cette contrée ; la végétation y est généralement ligneuse, mais[11] jamais arborescente, même dans les enfoncements qui servent d’écoulement aux eaux des pluies.
Le Kassr-Ghettadjiah, situé à dix heures au sud de Boumnah, répond mal à la description pompeuse que les Arabes m’en avaient faite. C’est une petite mosquée isolée dans les sables, et construite avec les débris d’un ancien monument (Voy. pl. II, 1). Deux colonnes, l’une de porphyre bleu, l’autre de granit rose, sont renversées au milieu de son enceinte (Voy. pl. V, fig. 5). Au dehors on voit aussi d’autres tronçons de colonnes, mais calcaires ; et à quelque distance de la mosquée on aperçoit les traces d’un village arabe avec des restes de voûtes en ogive.
La situation de Ghettadjiah, au milieu des sables, prouve un empiétement du désert sur les terres cultivables. Cet empiétement provient sans doute de la nudité actuelle de ces lieux, jadis couverts d’arbres de toute espèce, et de l’absence de collines assez élevées pour opposer une barrière à l’invasion des sables. Il est probable qu’après quelques siècles encore, ces sables, poussés par les vents du midi, continuant leur envahissement, finiront par couvrir les terres de la vallée Maréotide pour aller s’unir aux flots de la mer[27].
Du Kassr-Ghettadjiah nous fûmes rejoindre la caravane à Bourden, où elle nous attendait ; en parcourant cette ligne, je vis encore d’autres ruines nommées Abdermaïn, et el Hammam, mais je n’y trouvai rien de remarquable.
Le 9, nous quittâmes Bourden, et allâmes camper dans la même journée à Lamaïd, château sarrasin, situé aux bords de la mer, à six heures de distance du lieu précédent.
J’ai été surpris, en lisant la relation du voyage de M. Scholz dans la Marmarique, d’y voir désigner Lamaïd sous le nom de Mosquée[28],[12] d’autant plus que le style, la distribution de ce monument, et l’inscription arabe qu’on y remarque, prouvent irrévocablement sa vraie destination.
En effet, le Kassr-Lamaïd est divisé en deux étages ; il forme un grand carré, dont chaque côté est flanqué d’une tour également à angles droits : celle du sud donne entrée au château par une porte dont les montants et le linteau sont en grosses masses de granit rose.
Ainsi que les châteaux forts du moyen âge, celui de Lamaïd avait une seconde porte de clôture, immense dalle qu’on soulevait par des chaînes en fer, à travers une coulisse pratiquée au-dessus de l’entrée du château. Sur la façade étaient deux lions en ronde bosse posés sur une corniche ornée d’arabesques ; on n’en voit plus que les restes défigurés (Voyez pl. III). Mais ce qui rend les ruines de Lamaïd intéressantes pour l’histoire, c’est l’inscription suivante, sculptée en relief sur une frise en forme d’ogive, et ornée d’arabesques d’un travail très-soigné[29] :
بسم اللّه الرحمن الرحيم امر بابتنا هذه القلعة السعيد الولي السلطان الاعظم الملك الظاهر ملك العرب مالك رقاب الامم ركن الدنيا والدين ابو الفتح بيبرس قسيم امير المؤمنين اعزّ اللّه اثاره بيد العبد الفقير.... الغفور به احمد الطاهر اليغموري.
« Au nom de Dieu clément et miséricordieux : la construction de ce château a été ordonnée par le fortuné seigneur[30] le sultan très-grand, le roi éminent, roi des Arabes[31], maître souverain des nations, colonne du monde et de la religion, père de la victoire, Bibars, partisan (ou allié) du prince des fidèles (que Dieu glorifie son ouvrage), et exécuté par le pauvre serviteur[32] sur qui soit la miséricorde divine, Ahmed (ou Mohammed) el Taher, el Iaghmouri[33]. »
Ainsi que toutes les inscriptions musulmanes, celle-ci commence par[13] le bismillah ; ce sont peut-être ces paroles religieuses qui auront induit M. Scholz en erreur.
Nous passâmes la journée du 10 auprès de Lamaïd. Le 11, après quatre heures et demie de marche au sud-ouest du château sarrasin, je trouvai les ruines d’un monument appelé Kassabah el Chammameh. J’y remarquai des détails architectoniques qui me firent vivement regretter sa grande destruction.
Cet édifice était carré, et pouvait avoir vingt mètres environ de longueur de chaque côté ; il paraît avoir été divisé en deux étages ; on voit encore dans l’intérieur, sous un amas de décombres, trois voûtes qui occupent toute la surface du monument, et s’élèvent à quatre ou cinq pieds au-dessus du niveau du sol. L’angle oriental de l’édifice est la seule partie encore debout ; sur une de ses faces extérieures le mur forme trois rentrées prises dans son épaisseur ; elles dessinent une porte, aux côtés de laquelle sont deux colonnes engagées, ornées de chapiteaux à fleur de lotus, imitation grossière du style égyptien (Voyez pl. V, fig. 4).
Ce monument était construit en grandes assises de grès, posées sans ciment, et l’épaisseur des murs était monolithe. Si à ces caractères, qui indiquent, ainsi que je l’exposerai plus tard, la date la plus reculée qu’ait eue l’architecture dans cette contrée, l’on joint les petites proportions de cette construction, les voûtes qu’elle renferme, et les détails architectoniques qu’elle offre, l’époque où elle fut élevée est certaine, et ces ruines pourront être classées au nombre des monuments Lagidéens, dont nous avons déja vu le plus remarquable à Abousir.
Selon les Arabes, on trouve à quelque distance plus à l’est d’autres ruines semblables à celles-ci ; ils les nomment aussi Chammameh. Les intempéries de la saison me forcèrent d’aller rejoindre ma caravane, et je ne pus les visiter ; mais s’il était permis de tirer des inductions d’un rapport fait par les Arabes, ces nouvelles ruines auraient des détails approchants de celles que j’ai décrites, puisque les unes et les autres, disent-ils, prennent leur nom de la ressemblance qu’offrent leurs petites colonnes engagées, avec des chandeliers, chammameh.
Je rejoignis ma caravane à Dresièh, ruines d’une ancienne ville située à peu de distance de la mer. Là, comme presque partout ailleurs sur ce[14] littoral, les débris des constructions arabes se voient confondus avec ceux des monuments antérieurs ; mais nul édifice ancien ou moderne n’est encore debout.
Je ne trouvai de remarquable parmi ces ruines que des souterrains voûtés en ogive, revêtus d’une couche de plâtre et subdivisés en plusieurs pièces, restes sans doute d’un château sarrasin. Ces caveaux servent d’asile aux voyageurs dans la saison rigoureuse, et les Arabes des environs y déposent pendant l’été une partie de leurs récoltes.
Auprès de Dresièh[34] est un lac d’eau salée, qui s’étend sur un espace de deux heures, en suivant les bords de la mer, dont il n’est séparé que par une digue de sables ; ses bords sont couverts de sel d’une belle qualité, objet de peu de valeur dans un pays qui en offre surabondamment.
Nous quittâmes Dresièh le 12 ; ce lieu sert de limites à l’Ouadi-Mariout. Le désert qui suit s’appelle Djebel-Kourmah.
Depuis notre départ d’Alexandrie, rien dans notre voyage ne s’était offert qui mérite d’être cité ; aucune rencontre fâcheuse n’avait opposé des obstacles à mes excursions ; couverts du manteau arabe, à peine attirions-nous la curiosité des nomades que nous rencontrions. Le bruit de mon expédition s’était encore peu répandu parmi eux ; et lorsque des dessins à prendre ou des points géographiques à déterminer ne me forçaient pas à séjourner auprès de leurs camps, ils nous faisaient quelquefois l’honneur de nous prendre pour des marchands mograbins, ou pour des pélerins de retour de leur pieuse visite au tombeau du Prophète.
Notre manière de vivre était aussi simple que celle des habitants des lieux que nous parcourions : nous campions ordinairement au coucher du soleil ; un bas-fond, le mieux fourni en végétaux, était vers cette heure[15] le principal objet de nos recherches ; une telle rencontre pouvait seule accélérer ou retarder le moment du repos journalier. Souvent nous faisions route, un ou plusieurs jours de suite, avec des Arabes de la contrée, qui allaient à la recherche d’une nouvelle demeure.
Je saisissais ces occasions avec empressement toutes les fois qu’elles se présentaient ; je descendais alors de mon dromadaire, je défendais à mes domestiques de me suivre, et, me confondant avec ces Arabes, je devançais avec eux nos chameaux pesamment chargés. Je cherchais à obtenir leur confiance par ma franchise et mes prévenances : bien des fois j’ai atteint mon but ; et ces hommes simples, oubliant alors ma religion et mes projets, me racontaient les affaires de leurs tribus, me parlaient de leurs récoltes, de leurs troupeaux ; mais le soir, lorsque nous nous arrêtions, la prière du moghreb les rappelait à leurs principes, à eux-mêmes. Ils posaient leur camp loin du mien : nous avions vécu ensemble pendant le jour, nous étions séparés pendant la nuit ; et si dans leur irréflexion et leur épanchement j’étais devenu quelques moments pasteur et nomade comme eux, je redevenais à leurs yeux chrétien et européen sous ma tente.
Ainsi, dans ces occasions et dans toutes les autres, si ces Arabes m’accordaient d’abord leur confiance comme hommes, ils la retiraient bientôt comme musulmans.
Ces voyages de compagnie avec les habitants de la contrée que je parcourais m’offraient un autre sujet d’observation moins affligeant. On ne saurait se faire une idée de l’inquiète sollicitude de l’Arabe voyageur, pour le chameau, cet animal patient qui seul peut l’aider à traverser le désert.
Reconnaissant des services qu’il lui doit, l’Arabe sacrifie ses goûts, et souvent même ses besoins, pour camper dans un lieu plus abondant en herbes ou en broussailles ; et si la nature du sol ne répond point à ses recherches, alors, ayant partagé les mêmes fatigues, il partage aussi avec le chameau la même nourriture : que de fois j’ai vu l’Arabe dans les déserts stériles se dépouiller le soir de son ihram, l’étendre devant le chameau accroupi, et répandre dessus quelques poignées de dattes, dont il avait soin d’ôter les pierres ou tout autre corps étranger !
Ce spectacle m’a toujours offert un nouvel intérêt ; et je n’ai jamais[16] été tenté d’attribuer à la seule conservation de la propriété, des soins qui me paraissaient inspirés par une juste reconnaissance.
En contournant dans la direction nord-ouest la côte occidentale du golfe des Arabes, nous parvînmes, après sept heures de marche, de Dresièh dans un lieu nommé Maktaërai.
Les habitants donnent ce nom à un plateau en grès, où l’on voit environ deux cents ouvertures pratiquées dans la roche, qui servent d’entrée à des grottes, et distantes entre elles de trois ou quatre pas. Sur leurs bords sont encore entassés des blocs de pierre bruts que l’on a extraits du sein du plateau pour former ces excavations ; leur aspect fruste me fit présumer qu’ils devaient être là depuis une époque très-reculée.
Je pénétrai dans plusieurs de ces grottes, et je n’y trouvai qu’une petite meule à moudre le blé, et des instruments aratoires déposés sans doute par les Arabes des environs. Elles sont taillées très-grossièrement et n’ont aucune forme régulière ; dans toutes celles que je visitai, leur encombrement m’empêcha de vérifier si elles avaient eu des communications entre elles. Aucun indice ne me permit de croire qu’elles eussent été destinées à un objet sépulcral ; elles ne me parurent pas non plus creusées pour servir de citernes, puisque les entassements de pierres qui ceignent leurs orifices auraient empêché d’y conduire les eaux des pluies, et qu’il eût été d’ailleurs superflu de multiplier en si grand nombre des ouvertures si rapprochées, si toutes ces grottes n’eussent été que des bassins.
L’histoire ne fait mention d’aucune peuplade de Troglodytes, habitant la Marmarique ; Hérodote et Pomponius Mela les placent dans l’intérieur des terres vers le sud-ouest dans le pays des Garamantes. Néanmoins je ne pouvais m’expliquer un si grand nombre d’excavations souterraines qu’en supposant qu’elles avaient servi d’habitations.
Le 13, à une demi-heure de Maktaërai, nous passâmes auprès de Benaïèh-Abou-Sélim[35], ruines d’une enceinte quadrangulaire située sur une hauteur et contenant un puits.
[17]A sept heures de distance de ce dernier lieu, nous franchîmes une chaîne de collines calcaires qui se prolonge par mamelons du nord au sud ; et de là nous arrivâmes par un chemin rocailleux au Kass-Djammernèh, autre mur d’enceinte couronnant également une élévation.
Des ruines semblables se trouvent fréquemment dans la Marmarique ; leur situation, l’épaisseur des murs, et les puits dont elles sont pourvues, m’ont fait supposer qu’elles pouvaient être les restes de postes militaires destinés, dans l’antiquité, à protéger les bourgs et la voie publique contre les incursions des anciens nomades. Ces conjectures acquerront plus de probabilité, si l’on se rappelle que les Romains furent souvent obligés de combattre les Marmarides, non point dans l’intention d’asservir ces peuplades, mais dans le seul objet d’assurer la libre communication entre l’Égypte et la Cyrénaïque[36].
Les citernes qui sont auprès de Djammernèh, et l’examen que j’en fis, m’offrent l’occasion d’entrer dans quelques détails sur la manière dont elles furent creusées.
Une d’entre elles présente un carré régulier dont chaque côté a vingt mètres de longueur ; et quoique en partie comblée de terre d’alluvion, déposée par les eaux qu’elle contenait autrefois, elle conserve encore quatre mètres de profondeur. La couche supérieure de la roche, épaisse de trois pieds, forme elle-même le plafond, auquel sont pratiquées trois ouvertures, et qui est soutenu intérieurement par deux piliers carrés, taillés aussi dans le roc. Un ciment rougeâtre composé de briques pilées, de cendres et de sable, sert de revêtement aux piliers et aux quatre côtés de la citerne, hors au plafond qui en est dépourvu.
Je remarquai qu’aux autres citernes voisines de celle-ci, l’épaisseur du plafond était inégale, et qu’elle était formée de deux et même trois couches de la roche ; cette différence dans l’épaisseur aura été nécessitée sans doute par celle de la solidité ou des accidents que le roc aura offerts dans les endroits où ces excavations furent faites.
A deux heures au nord de Djammernèh sont plusieurs puits, et des traces de fondations, non loin du cap qui forme l’extrémité occidentale[18] du Golfe des Arabes. Ce promontoire nommé el Heyf[37] par les habitants actuels, est encore distant de douze heures de la petite Akabah ; en parcourant cet espace, je ne vis plus rien d’intéressant sous le rapport d’antiquités. Plusieurs lieux, entre autres Asambak, Ghefeirah, dont on peut voir la position sur la carte, ne présentent que de continuelles répétitions des ruines déja décrites.
Mais quelque peu fertile que paraisse maintenant ce canton, il dut être autrefois très-habité, puisqu’on n’y fait pas une demi-heure de chemin, sans y trouver quelques vestiges d’anciens villages, des réservoirs pour recueillir les eaux du ciel, et des canaux pour les diriger. Combien ces traces d’une nombreuse population, et ces témoignages de son industrieuse activité, contrastent avec la négligente indolence du sectateur de Mahomet ! Il préfère errer tristement dans cette contrée, cherchant quelques bandes de terre à cultiver, ou de mesquins pâturages pour ses troupeaux, plutôt que de rendre à ces terres leur fertilité primitive, en imitant l’exemple qu’il a sous les yeux.
[16]Draperie de laine qui sert de vêtement aux Arabes du désert.
[17]Strab. t. V, l. XVII, p. 358. Trad. de M. Letronne.
[18]Je n’ai pu trouver aucun de leurs chapiteaux ni même de simples fragments ; MM. de Chabrol, Lancret, Faye et Lepère, qui ont visité, en 1801, les ruines d’Abousir, ont pu reconnaître à cette époque que ces colonnes étaient d’ordre dorique.
[19]Cour. d’Égy. 24 vent. an IX, n. 107.
[20]De Ædif. l. VI, 1.
[21]Procope, de Ædif. l. VI, 1.
[22]Voy. l’Égypte sous les Phar. t. 2, p. 267, 268.
[23]Iriarte, Bibl. Matri. vol. 1, p. 485.
[24]Procope, Ibid.
[25]Toutes les ruines des maisons particulières des anciens Égyptiens, situées dans la vallée du Nil ou isolées dans les sables, ne présentent que des massifs de brique crue, assis le plus souvent sur des monticules factices également en terre et couverts de débris de poteries. On ne pourrait guère admettre avec vraisemblance que ces massifs ne soient que la base des maisons, et que la partie supérieure fût en pierre ; cet usage serait trop opposé aux règles de l’architecture pour supposer qu’il eût été adopté chez un peuple qui les connaissait aussi bien.
Concluons donc de ceci que la nonchalance des Égyptiens fut la même dans tous les temps, et que la commodité des matériaux, dont le Nil était le principal ouvrier, les engageait autrefois, comme de nos jours, à préférer des habitations frêles et poudreuses à des constructions propres et solides, mais dont les matériaux eussent été d’une exploitation plus difficile. Cette idée n’est point incohérente avec les monuments gigantesques de l’ancienne Égypte ; elle prouve seulement que les Égyptiens faisaient comme peuple et réunis en masse, ce qu’ils négligeaient de faire comme particuliers et pour leur bien-être individuel.
[26]Strab. liv. XVII, 8, pag. 353 de la trad. franc. Virg. Géorg. liv. II, v. 91. Hor. Od. 37, v. 14.
[27]Cette remarque est aussi fondée sur l’aspect qu’offrent plusieurs endroits dans les Oasis. La plupart des ruines et des monuments que l’on y voit, et qui ne sont point abrités par des collines, sont isolés dans les sables. La raison en est que les chrétiens, et après eux les Arabes, ont, par esprit de religion, établi leurs demeures loin de celles des anciens habitants. Ces dernières se trouvant ainsi abandonnées, les arbres qui les entouraient ont péri faute de soins, et ce rempart détruit, le désert s’est avancé.
[28]Reise in die Gegend zwichen Alexandrien und Parætonium. Scholz, pag. 52.
[29]La traduction de cette inscription, et les notes qui s’y rapportent, sont de M. A. Jaubert.
[30]Mot à peu près illisible.
[31]Il manque ici un mot.
[32]Même observation.
[33]Ce dernier surnom indique une origine turque. Voyez, au surplus, sur la signification du mot قسيم, l’article inséré par M. de Sacy dans le Journal des Savants, cahier de septembre 1825, pag. 526 et 530.
[34]Le nom de Dresièh offre, il est vrai, une grande analogie avec celui de Deris, port et promontoire mentionné par plusieurs auteurs, qu’il faut chercher à l’ouest du golfe des Arabes. Mais la situation de Dresièh, enfoncée dans ce golfe, ne saurait, en aucune manière, convenir à un promontoire, et ce nom paraît être, comme plusieurs autres, une transposition que les Arabes ont faite dans la dénomination des lieux.
Quant à la roche noire ressemblant à une peau, que Strabon donne comme indice à Deris, je doute qu’avec le seul secours de ce signalement on pût reconnaître cet ancien promontoire, puisque tous les caps de cette partie du littoral sont garnis d’écueils qui, avec un peu d’imagination de la part du voyageur, peuvent acquérir cette ressemblance.
[35]Construit par Abou-Sélim. Ce nom indique que ces ruines auront été restaurées et habitées par quelque cheik arabe. Il rappelle aussi la fameuse tribu d’Abou-Selim, qui occupait autrefois, suivant Macrizy, les contrées de Barkah et d’Afrikiah, et qui avait un très-grand nombre de Berbères sous sa dépendance.
[36]Voy. Joseph. de Bello Jud. II, 16. Vopiscus, vit. Prob.
[37]Suivant Scylax, la situation d’el Heyf conviendrait à celle de Leuce-Acte que cet auteur place à un jour et une nuit de navigation de l’entrée du golfe de Plinthine, en ajoutant que de ce même point de départ, pour arriver à l’endroit le plus reculé du golfe, cet espace est double. Or, d’après ces distances, l’endroit le plus reculé du golfe ne peut être que l’ancien promontoire Hermæa, appelé actuellement Kanaïs, lieu dans lequel le Périple anonyme (Voy. Iriart., v. 1, p. 485) et plusieurs autres auteurs (Voy. Cellar. v. II, p. 66) font correspondre Leuce-Acte.
Je laisse aux profonds érudits le soin de concilier, s’il est possible, ce passage de Scylax avec les traditions de la plupart des anciens géographes. Je me bornerai à remarquer que, d’après ces derniers, le promontoire El-Heyf conviendrait à la situation de Deris ; quant à la Roche-Noire, que Strabon indique auprès de Deris, on pourrait au besoin, comme je l’ai déja observé, la retrouver dans les écueils qui entourent El-Heyf ; et les nombreux vestiges d’habitations que l’on voit à l’Ouest de ce cap, et à quelque distance de la mer, rappelleraient aussi les petits bourgs Antiphræ, mentionnés par le même auteur (l. XVII, § 8.)
Akabah-el-Soughaïer. — Kassaba-Zarghah. — Lettres et signes sur les monuments. — Parætonium. — Tombeaux arabes. — Apis. — Les Hedjadjs. — Pluies.
Ptolémée fait mention de deux Catabathmus dans la Marmarique[38] ; et ce nom qu’il donne à deux anciens bourgs désigne également, comme on sait, les vallées qu’ils dominaient.
Que les Arabes aient été guidés par cette tradition ou par le simple aspect des localités, il est toutefois remarquable qu’ils appellent aussi Akabah-el-Soughaïèr et Akabah-el-Kébir, c’est-à-dire la petite et la grande descente, les mêmes lieux nommés Catabathmus parvus et Catabathmus magnus par le géographe d’Alexandrie.
Les collines de l’Akabah-el-Soughaïer s’avancent dans la mer, où elles forment le cap Kanaïs[39], probablement l’Hermæa extrema du même auteur ; leur direction est du nord au sud, et selon les Arabes, elles se prolongent par mamelons jusqu’à l’Oasis de Gharah, en décrivant une légère inclinaison vers l’ouest.
Ces collines, qui ont environ cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer, sont pour ainsi dire le premier échelon des hauteurs qui s’élèvent progressivement jusqu’aux montagnes de la Pentapole ; nous les traversâmes le 14 à midi, et nous allâmes camper le soir auprès d’un torrent formé par les eaux des pluies.
Les deux rives du torrent étaient couvertes de camps d’Arabes ; la couleur foncée de leurs tentes contrastait avec le vert pâle d’une végétation naissante. La nature commençait à sortir de l’état de langueur auquel[20] elle est réduite dans ces cantons pendant neuf mois de l’année. Les pluies pénétraient dans les crevasses de la terre endurcie par les rayons brûlants du soleil d’Afrique ; ces pluies bienfaisantes étaient attendues avec impatience, et leur arrivée était célébrée avec des transports de joie par ces Arabes errants dans une contrée où ne coule aucune rivière, où ne jaillit aucun ruisseau.
Qu’il est intéressant le spectacle qu’offrent ces habitants à cette heureuse époque de l’année ! Toutes les familles dispersées sur la lisière de terres qui s’étend depuis Alexandrie jusqu’au golfe de Bomba, se mettent alors en mouvement ; on se demande quels sont les lieux les premiers favorisés par les soins de la Providence : tel endroit est-il désigné, on s’empresse de s’y rendre ; chameaux et juments sont indistinctement employés à la charrue ; la terre est bientôt sillonnée, et reçoit le grain qui doit avec le lait composer la principale subsistance de ces peuples, barbares il est vrai, mais dont les mœurs sont hospitalières et simples.
Les eaux du torrent avaient attiré ce grand nombre d’Arabes que nous trouvâmes sur ses bords. Il régnait un tel contentement parmi eux qu’il se manifestait même dans leurs travaux. Ici l’on préparait les instruments aratoires ; plus loin on mesurait le grain qu’on allait ensemencer ; et ces apprêts se faisaient avec une vivacité et une joie extraordinaires chez des hommes naturellement graves et silencieux.
Les troupeaux surtout paraissaient avoir pris une nouvelle vie : on voyait le menu bétail bondir autour du torrent, se grouper autour des arbustes, tandis que le patient chameau, qui sentait ses flancs rafraîchis, oubliant sa masse et ses habitudes, gambadait lourdement dans la plaine.
Et ce contentement des hommes, ce bien-être des animaux, étaient causés par un spectacle si commun dans nos contrées, par un peu de verdure naissante, par une nappe d’eau roulant dans ce canton aride !
La satisfaction, même chez les peuples les plus sauvages, dispose à la bienveillance ; aussi fûmes-nous accueillis favorablement par ces pasteurs. Mon titre de chrétien ne produisit aucun mauvais effet ; je leur dis que nous nous rendions à Derne pour des affaires de commerce, et ils parurent le croire. Le cheik du camp voulut même célébrer notre arrivée par un repas splendide ; selon l’usage antique et toujours pratiqué[21] par ces nomades, il fit immoler un mouton pour être servi en entier aux convives. Ibrahim, c’était le nom du cheik, me témoigna des égards et une franchise auxquels les Arabes ne m’avaient pas encore habitué. J’eus de nouveau l’occasion de remarquer que les idées de ces hommes gagnent souvent en justesse ce que l’éducation et la manière de vivre leur font perdre en étendue.
Les projets de Mohammed-Aly, et principalement son organisation des Nizam-el-djédid, étaient le sujet des entretiens de tous les habitants de la contrée. Ibrahim me faisait quelques remarques judicieuses sur les événements qui se passaient en Égypte, et sur les suites qu’ils pouvaient entraîner, lorsque des objets plus intéressants que les discours politiques du cheik attirèrent toute mon attention.
Tandis que les femmes plus âgées faisaient les préparatifs du repas hospitalier, et qu’elles étendaient les tapis dans la tente, les jeunes filles, après avoir relevé les plis ondoyants de leur draperie, se dispersèrent dans les environs pour recueillir des herbes sèches et des broussailles, seul combustible dans un pays dépourvu d’arbres. Je suivais les mouvements rapides de leur taille svelte, la gaucherie pleine de graces de leur démarche ou plutôt de leur course ; j’écoutais avec plaisir leurs chants, dont les fortes intonations contrastaient avec des voix virginales.
Selon l’usage constant, une d’entre elles récitait toute la chanson ; ses compagnes ne répétaient que le refrain ; et tandis que celle-ci racontait, sur un air simple et peu varié, l’amour infortuné d’un jeune guerrier pour Fatmèh, la plus belle des fleurs du désert, mais appartenant à une tribu ennemie ; tandis qu’elle représentait l’amant, solitaire dans sa tente, devenu insensible à la vengeance, infidèle à la loi du sang, et laissant sa jument errer, sans soins, dans la vallée, les autres interrompaient de temps en temps ce récit, en répétant toutes ensemble hia Alem ! hia Alem ! ô amour ! Les chants avaient cessé, et la nuit avait succédé au riant tableau qui s’était offert à mes yeux. La simplicité, je dirai même le bonheur de la vie arabe, ne m’avaient jamais autant frappé ; et j’étais absorbé dans une foule d’idées dont je ne ferai pas l’inutile confidence au lecteur. La voix d’Ibrahim vint enfin me distraire de mes réflexions, et le bismillah[22] nous invita à commencer le repas. Tous les notables du camp assistaient à ce festin ; et pendant qu’à la lueur des feux le cheik en faisait gravement les honneurs, les jeunes filles drapées comme des cariatides nous offraient le grand vase de lait, dans lequel nous buvions tous à la ronde... Mais il est temps que je termine ces détails, et que je reprenne le fil de mon récit.
Le 15, je quittai avec regret ces bons pasteurs qui nous avaient reçus avec tant de cordialité. Deux heures après notre départ, nous franchîmes une nouvelle chaîne de hauteurs, nommée Mendar-el-Medah, dont la direction est du N.-N.-O. au S.-S.-E. ; et de là je quittai avec M. Müller ma caravane, pour aller faire une excursion vers le sud dans la vallée Thaoun. Des ramifications de collines, les unes fertiles, les autres rocailleuses, occupent un espace de huit heures, depuis les bords de la mer jusqu’au Bir-Thaoun, situé à l’extrémité de la vallée qui porte le même nom.
Ce canton a dû être autrefois très-habité ; nous y aperçûmes fréquemment des traces de fondations ; mais aucun édifice n’est encore debout. De Bir-Thaoun, en suivant la direction N.-N.-O., nous arrivâmes, après sept heures de marche, auprès d’un monument remarquable, nommé Kassaba, Zarghah-el-Ghublièh ; il est situé sur une élévation qui le fait apercevoir de très-loin. Cet édifice forme un carré régulier, dont chaque côté a 7 mètres 4 déc. de long sur 4 mètres 1 décim. de haut. Ses murs ont à l’extérieur un soubassement massif, au-dessus duquel prennent naissance des colonnes engagées et des pilastres. Le côté sud offre un encadrement en relief, qui représente une porte. (Voy. pl. IV, 2.) Mais l’entrée n’est réellement pratiquée qu’au plafond par une ouverture carrée d’un mètre 4 décim. La partie supérieure manque ; elle devait être couronnée par des frises dont on aperçoit encore les fragments dispersés aux alentours. Intérieurement il est vide, et depuis le sommet jusqu’à la base les assises s’écartent successivement, et lui donnent une forme oblique. Ce petit édifice, dans lequel je trouvai des débris d’ossements, que le contact de l’air réduisait aussitôt en poussière, fut sans doute un tombeau élevé sous le règne des Ptolémées.
A deux heures, au nord de ces ruines, on trouve un autre monument dont les proportions sont plus élégantes, et les pierres des assises plus[23] petites que celles du précédent ; ses angles sont aussi ornés de pilastres, mais beaucoup moins massifs. Il est construit sur une espèce de grand piédestal, formé par quatre rangées d’assises disposées en escalier, et posées elles-mêmes sur un banc de roche qu’on a aplani à la surface, et taillé en guise de mur aux deux côtés de l’édifice. (Voy. pl. IV, 1.)
Ces ruines nommées également Kassaba-Zarghah[40], mais avec la désignation de Baharièh qu’elles prennent de leur situation au nord des premières, ont au premier coup-d’œil une grande analogie avec les tombeaux que l’on rencontre en si grand nombre dans la Cyrénaïque. Toutefois, l’intérieur voûté et revêtu d’une couche de plâtre, en diffère tout-à-fait, et je doute que ce monument ait eu la même destination. Aux environs, on aperçoit des fondations d’une belle époque, et une grotte sépulcrale contenant des niches cintrées. Tous ces indices attestent dans ce lieu l’emplacement d’une ancienne ville, peut-être celle de Gyzis[41], dont le port, actuellement appelé Mahadah, se trouverait à peu de distance vers l’est. Avant de quitter ces ruines, je ne dois pas omettre de faire mention des signes que l’on y remarque.
Selon le plan que j’ai adopté, je préfère réunir les faits qui ont une liaison entre eux, et les offrir en masse, plutôt que de les exposer en détail et dans l’ordre des lieux où ils se présentent successivement. Cette méthode ôte peut-être à la relation d’un voyage une partie de l’intérêt local, en ce qu’elle ne met pas le lecteur immédiatement en présence des objets décrits. Mais elle me paraît plus succincte, puisqu’elle évite des répétitions, et mieux convenir aux observations, puisqu’elle les réunit et qu’elle en offre le résultat.
Rien en effet ne me paraît plus susceptible d’augmenter l’utilité d’un voyage, dans une contrée peu connue, que de comparer entre eux les divers objets qu’elle renferme, de suivre la chaîne des rapports que l’on découvre quelquefois entre les choses les plus contraires ; et quoique cet examen suivi n’ait souvent pour résultat que le doute, ce doute peut au moins nous conduire à découvrir la vérité.
[24]C’est ainsi qu’en observant, pour la première fois, les signes que l’on voit sur plusieurs monuments de la Marmarique, je fus d’abord frappé de leur bizarrerie, sans être toutefois tenté, ainsi que l’a fait M. Scholz, d’y reconnaître les traces précieuses, quoique très-obscures, d’un langage inconnu. Dès que j’eus revu les mêmes signes sur de nouveaux monuments, et en dernier lieu sur les deux Kassaba-Zargah, non seulement je fus confirmé dans ma première opinion, mais je crus reconnaître leur vraie origine par les observations que je vais exposer :
Parmi ces signes, il faut d’abord distinguer les lettres grecques, avec lesquelles ils n’ont aucune liaison, et que l’on voit aussi quelquefois sur les mêmes monuments. Elles sont gravées régulièrement ou irrégulièrement, ou bien elles appartiennent à des époques plus reculées, telles que les suivantes :
Ces lettres, que j’ai réunies ici, sont éparses sur différents édifices ; elles ne sont point des restes d’inscriptions, puisque on n’en voit jamais plus de deux sur la même pierre de l’assise, et qu’elles sont isolées et placées quelquefois à une grande distance entre elles. Selon toutes les probabilités, elles auront servi de marques de repère aux architectes qui ont élevé ces monuments.
Quant aux signes bien plus importants que ces lettres parce qu’ils n’appartiennent à aucun alphabet connu, et qu’ils ont fait naître une haute question de philologie, voici ceux que j’ai recueillis dans la Marmarique[42] :
[25]Ce que j’ai dit sur la situation des lettres se rapporte également à celle des signes, en ajoutant que ceux-ci sont beaucoup plus multipliés sur les différents monuments, et disposés toujours irrégulièrement et très-souvent en désordre ; que les uns sont frustes, tandis que les autres paraissent très-récents ; enfin, que les mêmes signes que l’on voit sur les édifices se trouvent quelquefois aussi sur des rochers, ce qui n’a pas lieu pour les lettres grecques. Après ces observations, il est inutile d’ajouter que ces signes ne peuvent être les traces d’un ancien langage, puisque leur situation respective ne permet pas de croire qu’ils aient pu former des mots.
Néanmoins, si la question de philologie, posée par mon prédécesseur, perd de l’intérêt qu’elle a dû exciter dans le monde savant, la solution de l’objet qui l’a suggérée ne reste pas moins à donner ? Cette solution paraît d’abord se présenter naturellement, en donnant à ces signes la même destination qu’aux caractères ; mais, si je ne me trompe, ce serait détruire une erreur pour lui en substituer une autre.
Que les érudits prêtent un moment d’attention à quelques observations, qui ne sauraient être remplacées par le secours de la science.
Les Aoulâd-Aly, et généralement tous les Arabes du désert, ont l’habitude depuis un temps immémorial de distinguer leurs tribus par des marques. Leurs troupeaux et principalement les chameaux en portent l’empreinte ; elle sert à les reconnaître lorsqu’ils s’égarent, ou qu’ils se confondent avec ceux d’une tribu voisine. Chaque tribu d’Arabes et même chaque subdivision ou branche d’une grande tribu, depuis la Barbarie occidentale jusqu’aux confins de la Syrie, ayant sa marque particulière, on conçoit qu’il a fallu varier ces marques à l’infini, et les rendre souvent très-compliquées.
Ainsi, lorsque la tribu forme une peuplade considérable, on ajoute à la marque générale d’autres indices accessoires qui servent à distinguer les grandes familles qui la composent, et par conséquent leurs propriétés.
C’est par cette raison que dans les tribus que j’ai connues,
j’ai vu souvent la répétition du même signe distinctif, mais avec
de légères différences, qui n’échappent point à l’œil exercé du
Bédouin. Pour ne parler que des contrées qui nous occupent, ce
signe et
le suivant
, accompagnés d’un ou de plusieurs traits horizontaux
ou
perpendiculaires
[26] ou
penchés,
, se reproduisent d’une manière très-variée : le
premier, parmi les familles des Harâbi ; et le second
parmi celles des Aoulâd-Aly ; j’ai remarqué que
celui-ci
est particulier aux Sammalouss, cet autre
aux Arabes de la
Syrte[43].
Il faut ajouter à ces observations, que les Arabes ont l’habitude de tracer la marque distinctive de leurs tribus sur les monuments, et même sur les rochers qui présentent une surface unie[44]. Lorsqu’ils voyagent, ils choisissent de préférence les lieux les plus écartés dans les déserts, pour y déposer le témoignage de leur passage ; et imitent en cela certains Européens qui croient monumentaliser leurs noms, en les gravant profondément sur toutes les ruines qu’ils rencontrent.
Les édifices antiques et les rochers, que l’on trouve sur la route d’Audjelah et aux environs de Syouah, sont couverts de ces marques, qui sont positivement arabes, puisque la plupart appartiennent à des tribus modernes. Elles sont tracées, il est vrai, d’une manière généralement plus irrégulière, et moins profondément, que le plus grand nombre de celles que l’on voit dans la Marmarique et dans la Cyrénaïque ; mais on peut observer que, ne faisant que passer dans ces lieux sauvages, les Arabes ne peuvent donner à ce petit trait de vanité, le même soin que dans les cantons plus fertiles, où cette occupation peut les aider à tromper la durée du temps, pendant que leurs troupeaux paissent dans les environs.
En un mot, quoique parmi les signes de la Marmarique et de la Cyrénaïque, il n’en soit qu’un très-petit nombre que je puisse affirmer être réellement arabes, néanmoins ceux-ci ont avec les autres une analogie si frappante, tant par leur forme que par leur disposition, qu’ils me[27] paraissent avoir tous la même origine et la même cause. Les différences qui les distinguent, peuvent d’ailleurs être facilement expliquées, en supposant, avec vraisemblance, que plusieurs de ces signes aient été tracés par des Arabes étrangers, en traversant ces contrées, et que d’autres soient antérieurs aux habitants actuels, et appartiennent à des tribus maintenant éteintes. Cette dernière hypothèse est d’autant plus probable, que lorsque l’on connaît la scrupuleuse fidélité avec laquelle les Arabes modernes suivent les traditions de leurs ancêtres, on chercherait dans ces contrées les traces de ces anciens usages, si on ne les avait pas sous les yeux[45].
[28]Le 16, après six heures de marche au N.-O. de Kassaba-Zarghah, nous arrivâmes auprès d’un port, qui présente une position maritime[29] très-avantageuse. Sur ses bords de sable et couverts d’un lit d’algue, je vis les traces peu apparentes d’un ancien bourg, parmi lesquelles je ne distinguai qu’un grand mur d’enceinte, construit très-grossièrement, mais contenant des débris d’une belle époque.
Cet édifice fut élevé par les Arabes modernes, en partie avec les pierres d’anciens monuments ; et, selon mes guides, il servit long-temps de forteresse, alors que les Aoulâd-Aly régnaient en souverains dans cette contrée. De cette construction frêle, mais spacieuse, il ne reste plus que quelques pieds au-dessus du niveau du sol. Je dirai bientôt la cause et l’époque de sa destruction.
Ce lieu est le célèbre Parætonium[46], connu de tous les anciens géographes, et souvent mentionné dans l’histoire. Le nom de Baretoun que lui donne Aly-Ghaouy, n’est plus connu par les Arabes actuels ; ils lui ont substitué celui de Berek, qui n’offre qu’un léger rapprochement avec le nom ancien.
Plus d’un titre contribua à illustrer cette ancienne ville, soit qu’on la considère comme la capitale du nome Libyque[47], et ensuite comme[30] boulevard de l’empire romain en Égypte[48], soit qu’on se rappelle qu’elle servit d’asile à la fuite d’Antoine et de Cléopâtre[49], et surtout qu’elle fut le point de départ d’Alexandre pour se rendre au temple de Jupiter Ammon. Parætonium, autrement appelé Ammonia, entouré de collines rocailleuses et stériles, ne dut apparemment la célébrité dont il jouit dans l’antiquité, qu’à son port bien abrité par une ligne de gros rochers, et dont la circonférence, au rapport de Strabon[50], était de quarante stades. Les temps modernes viennent à l’appui de cette observation, puisque de tous les anciens ports de la Marmarique, celui de Berek, encore très-spacieux de nos jours quoique en partie envahi par les sables, était le seul qui attirât, naguère même, quelques djermes arabes, et occasionnât un peu d’activité et d’abondance, au milieu de la tristesse et de l’isolement qui l’entouraient.
Les Aoulâd-Aly en avaient fait l’entrepôt de leur commerce, et plusieurs de leurs cheiks s’y étaient établis. Ceux-ci habitaient cette grande masure dont j’ai fait mention, qu’ils appelaient orgueilleusement el Kala’h, la citadelle ; de même qu’ils donnaient le nom de jardins à quelques bouquets de palmiers entretenus à force de soins, et dont il ne reste plus que des rejetons. Les environs de Berek étaient alors couverts de camps nombreux, qui se renouvelaient pendant toute l’année. Les caravanes de Syouah et d’Audjelah y apportaient leurs dattes, et les habitants des points les plus éloignés de la Marmarique venaient échanger dans ce port leurs laines et leurs grains, contre les ihrams et les tarbouchs[51] de Derne et de Tripoli, ou contre les toiles, les armes et la poudre d’Alexandrie.
Mais les projets du Pacha d’Égypte ne s’accordaient point avec l’indépendance des Aoulâd-Aly ; il voulut la détruire : la ruse et la force furent tour-à-tour employées ; il attira les principaux Cheiks à sa cour ; les fortifications furent détruites ; en un mot, cédant au génie de cet homme extraordinaire, les Aoulâd-Aly se virent forcés d’échanger Berek[31] pour Damanhour et Alexandrie[52]. Dès-lors les vents du désert couvrirent de sables ces restes de culture et d’habitations qui seuls, dans tout ce littoral, n’étaient pas encore devenus leur proie.
Auprès des monuments de la Marmarique, et surtout auprès de ceux situés sur des élévations, il est rare de ne pas voir des tombeaux arabes. Cet usage est remarquable, en ce qu’il paraît tout-à-fait contraire aux idées religieuses des habitants.
Selon leurs fausses traditions, auxquelles néanmoins ils ajoutent la plus grande foi, tous les monuments anciens ont été construits par des chrétiens, toutes les villes maintenant en ruines ont été habitées par eux. Or, comment concilier l’aversion qu’ils portent au nom de chrétien, et le dédain qu’ils témoignent pour leurs travaux, avec cet usage constant d’ensevelir les restes de leurs parents et de leurs amis, auprès de ces mêmes monuments dont ils méprisent et les auteurs et l’objet ? Je laisse à d’autres le soin d’expliquer la cause d’un choix si contradictoire avec le fanatisme et le génie destructeur qui caractérisent généralement ce peuple. Le peu d’art que les Arabes mettent à construire leurs tombeaux, contraste singulièrement avec les anciens édifices auprès desquels ils les placent. Dès que le corps est couvert de terre, les honneurs tumulaires se bornent à l’entourer d’un petit mur, ou d’une simple rangée de pierres en forme elliptique. Un éclat de roche brut, ou taillé en guise de turban, indique par la place qu’il occupe, celle où se trouve la tête du défunt. (Voyez pl. IV, 2.) Leur attention à ne point couvrir de pierres le corps même, a un but qui n’est pas dénué d’intérêt : Que la terre lui soit légère ! Telle est la prière qu’ils adressent au prophète ; et c’est afin d’en suivre le sens littéral, qu’ils écartent soigneusement du corps tout objet qui pourrait être trop lourd.
On voit quelquefois, dans ces déserts, des tombeaux construits avec plus de soin ; ils ont toujours la même forme, mais ils sont plus élevés, et les pierres sont liées avec du ciment. Ces tombeaux renferment le corps des Cheiks ou Santons. Il est d’usage parmi les voyageurs, et surtout parmi[32] les Hadjis[53], de s’arrêter dans les lieux où ils sont situés, d’implorer la protection du Cheik défunt, et de réciter auprès de ses mânes quelques versets du Coran.
Je vis à Berek-Marsah un de ces tombeaux ; il est de grand renom parmi les habitants de la contrée. La vue des offrandes pieuses qui couronnaient la tombe révérée, m’offrit un spectacle curieux dans ce lieu solitaire : des lampions que les Arabes venaient allumer lors des grandes fêtes, et des étoffes de différentes couleurs, suspendus ensemble à des bâtons, s’agitaient dans l’air, et se confondaient souvent avec les tresses de cheveux que les femmes bédouines y avaient déposées ; des verreries, des œufs d’autruche, et d’autres offrandes encore plus bizarres que j’y remarquai, attestent la pauvreté de ces nomades et leur aveugle crédulité.
Le 17, en nous dirigeant toujours vers l’ouest, après trois heures et demie de marche dans un terrain rocailleux, nous arrivâmes à Boun-Adjoubah, vallée fertile, bornée du côté de la mer par une dune de sables, et par des collines peu élevées du côté opposé.
Nous retrouvâmes dans ce lieu des palmiers dans tout le développement de leur végétation ; hors quelques rejetons à Berek-Marsah, nous n’avions plus revu cet arbre depuis notre départ d’Alexandrie. Des bouquets de figuiers, groupés avec les dattiers, donnaient à cette vallée un aspect pittoresque, et surtout agréable pour nos yeux, habitués à la nudité du désert que nous avions parcouru.
Je comptai jusqu’à dix puits creusés à 20 mètres de profondeur, et contenant une eau très-douce ; deux piliers, construits par les Sarrasins, s’élèvent à leurs côtés ; un soliveau fixé entre eux sert encore à placer la corde pour puiser l’eau.
Les Arabes modernes ont entouré ces puits de murs, tant dans l’intention de les garantir de l’invasion des sables, qu’afin de clore de petits jardins maintenant abandonnés.
Sur la colline qui borde la vallée au sud, sont les vestiges de deux édifices, dont il ne reste plus que les fondations. Une de ces ruines s’appelle Kassr Bou-Souéty, du nom d’un cheik arabe du corps des[33] Acheibeât. Ce cheik a long-temps résidé dans ces lieux, où, par le secours des puits, il faisait cultiver des jardinages, et soignait les palmiers et les figuiers qu’on y voit en grand nombre.
J’ai dit plus haut que Berek-Marsah était habité lorsqu’il était l’entrepôt du commerce des Aoulâd-Aly. La fertilité de la vallée de Boun-Adjoubah, et sa proximité de Berek, attiraient auprès d’elle une grande partie des camps qui couvraient alors cette partie du littoral. Bou-Souéty s’était fortifié dans les ruines de ce dernier lieu, mais ces frêles fortifications furent détruites, et ses habitants éprouvèrent le même sort que ceux de Berek, lors de la catastrophe dont j’ai fait mention.
La position avantageuse de Boun-Adjoubah, ses puits nombreux, les traces d’anciennes habitations, et sa distance de Parætonium[54], autorisent à reconnaître dans la situation de ce lieu celle du bourg Apis, consacré à la religion des Égyptiens.
Suivant Scylax, Apis était la limite de l’Égypte ; il est remarquable que Boun-Adjoubah sert encore aujourd’hui de point de démarcation entre le gouvernement d’Égypte et celui de Tripoli. Il serait curieux de connaître la cause du choix que les modernes ont fait de ces limites : au premier abord, elle offre un nouveau témoignage aux nombreuses preuves que nous pouvons citer, sur le respect que les habitants conservent pour les anciennes traditions.
Nous quittâmes Boun-Adjoubah dans la même journée du 17 ; à trois heures de distance, à l’ouest, nous traversâmes un profond ravin nommé Arghoub-Souf, à l’embouchure duquel est un petit port (Marsah-Lebeïth).
Le pays que nous parcourions, depuis la petite Akabah, avait presque toujours le même aspect et le même caractère : des terres argileuses,[34] mêlées avec du sable qui leur donne une couleur jaunâtre, et plus ou moins rocailleuses, nous offraient à chaque instant des traces d’anciennes habitations, des citernes à sec ou dont le plafond était écroulé. En général, le sol de la petite Akabah est plus élevé, et sa surface est plus inégale que celui de la vallée Maréotide. Les terres labourables y sont plus souvent croisées par des élévations stériles et rocailleuses. Cette disposition du terrain continue à être la même durant seize heures de marche, depuis Marsah-Lebeïth jusqu’à Chammès, où nous arrivâmes dans la soirée du 18, sans avoir rien vu de remarquable en parcourant cette distance.
Dans ce dernier lieu est un château sarrasin, connu par Edrisi[55] sous le nom de la tour Alschemmas. Ses murs, construits très-grossièrement, conservent encore toute leur hauteur ; intérieurement, il est divisé en trois pièces ; deux canons de fer sont à demi enfouis parmi les décombres. Des puits très-profonds, et sans doute antérieurs au château, attirent auprès de Chammès tous ceux qui traversent cette contrée.
Parmi ces voyageurs, il en est une classe dont j’aurais déja dû faire mention, d’autant plus que leur fâcheuse rencontre m’avait plus d’une fois causé des inquiétudes qui se renouvelèrent plus vivement encore à Chammès. Ces voyageurs, nommés Hedjadjs, pélerins, viennent de divers points de la Barbarie, et se rendent à la Mecque pour y visiter le tombeau du Prophète, ou bien ils retournent de leur voyage, qui le plus souvent n’est rien moins que pieux.
Ce sont, la plupart, des gens de la dernière classe du peuple, et des paresseux qui préfèrent les hasards d’une vie errante et parasite aux soins de se procurer par le travail une existence dans les villes.
Réunis en nombre indéterminé, ordinairement de dix à quinze, n’ayant pour équipage que deux peaux destinées à contenir l’eau et la farine ; le corps drapé par un bernous (Voy. pl. IV, 2), ils se répandent dans les déserts, infestent les contrées qu’ils parcourent, ne suivent aucune direction dans leurs courses vagabondes, accostent tous ceux qu’ils rencontrent, et passent ordinairement la nuit dans les tentes des[35] Arabes, où ils reçoivent l’hospitalité, eu égard à leur prétendue destination.
Malheur au voyageur isolé, qu’un funeste hasard fait tomber au milieu de ces troupes de hedjadjs ! Ils lui demandent d’abord, au nom du Prophète, à partager ses provisions de bouche et quelquefois même ses vêtements. Si celui-ci refuse, et s’il oppose de la résistance, c’est pis encore : ils tirent de dessous leur draperie un couteau à deux tranchants dont ils sont toujours munis ; ils entourent de tous côtés l’infortuné voyageur, afin qu’il ne puisse s’enfuir ; et bien souvent, après l’avoir dépouillé totalement, ils ne lui font pas grace de l’existence.
Peu de jours s’étaient passés, dans le cours de notre voyage, sans que nous eussions rencontré des bandes de ces pélerins ; on m’avait mis en garde contre la perfidie de leurs intentions, et je devais employer la plus grande fermeté pour les faire éloigner de ma caravane. Il était plus difficile de s’en débarrasser lorsque nous étions campés ; il fallait alors les menacer de faire feu, et ce n’était qu’après nous avoir accablés d’invectives que notre bonne contenance les engageait à nous quitter.
On demandera pourquoi les Arabes permettent que ces vagabonds commettent avec impunité de pareils désordres ? On peut répondre que le fanatisme est le plus puissant des palliatifs, et que le voyage des hedjadjs étant considéré comme œuvre sainte, on devient moins rigoureux sur les moyens qu’ils emploient pour l’exécuter. D’ailleurs, lâches comme tous les malfaiteurs, ils n’attaquent jamais que des personnes isolées, ce qui aide à-la-fois la poltronnerie des coupables et les dérobe plus facilement aux investigations des habitants. Il faut aussi ajouter que dans le nombre de ces pélerins il en est, mais bien peu, dont les intentions sont réellement pieuses et qui ne commettent jamais de mauvaise action.
On ne doit pas confondre avec ces hedjadjs des pélerins d’une classe plus élevée, que l’on désigne par le même nom. Ceux-ci forment des caravanes quelquefois très-nombreuses, surtout celles qui viennent de Maroc et de Fez. Elles s’élèvent parfois à deux ou trois cents personnes, parmi lesquelles on compte souvent des femmes, et à trois ou quatre cents chameaux. Ce voyage leur offre un double but : le zèle religieux s’y[36] trouve concilié avec le gain, et en accomplissant un pieux devoir, ils ont l’avantage de vendre à haut prix leurs marchandises au Caire et dans les autres villes qu’ils rencontrent sur leur passage.
Depuis notre départ d’Alexandrie, nous avions souvent essuyé des pluies, mais de courte durée ; elles ne commencèrent à nous incommoder par leur continuité qu’à Chammès, et après avoir quitté ce château elles devinrent si violentes qu’elles interrompirent tout-à-fait notre voyage. Malheureusement, aucune élévation ne se trouvait ni aux environs, ni au lieu même où nous fûmes surpris par l’orage. Obligés à nous arrêter, il nous fallut poser les tentes dans une plaine argileuse, où nous ne pûmes pas même réunir assez de pierres pour dresser un tertre afin de nous garantir de l’inondation qui devint bientôt générale.
Ces contrariétés me prouvèrent dès-lors que presque tous les usages des Arabes sont le fruit d’une expérience réfléchie, et qu’un Européen doit bien se garder de juger de leur importance avant d’avoir pu apprécier leur utilité. Les Arabes nomment souvent leurs tentes biout, maisons : il m’était arrivé plus d’une fois de les plaisanter sur la dénomination qu’ils donnaient à quelques lambeaux de toile ; d’autant plus, leur disais-je, que loin d’offrir des pavillons élégants comme celles des Osmanlis, leurs tentes écrasées contre le sol, ressemblent de loin plutôt à des taches noirâtres qu’à des habitations humaines.
J’appris dans cette circonstance à mieux réfléchir sur la valeur des termes que ces hommes simples adaptent si bien à leurs usages ; et je dus avouer aux Arabes qui m’accompagnaient que, non seulement leurs tentes méritaient le nom de maisons, mais qu’elles leur étaient préférables pour des nomades, puisqu’elles ont tous les avantages de ces dernières, sans en avoir les inconvénients.
Spacieuses, mais très-basses, ces tentes résistent à la force du vent par leur forme aplatie ; de même que par leur tissu épais, de poil de chameau, elles assurent à la famille arabe et à son modeste mobilier un abri impénétrable aux pluies de longue durée.
Habitué par mes précédents voyages au climat sec et au ciel toujours serein du désert libyque, je me servais de tentes turques à choubak et à touslouk. Celles-ci ont un dôme exhaussé, qui favorise dans l’intérieur[37] la circulation de l’air, tandis que leur tissu de coton et d’une blancheur éclatante repousse les rayons du soleil. Ces qualités, précieuses dans les sables brûlants de l’intérieur de la Libye, devenaient funestes dans les cantons pluvieux de la Marmarique. Aussi, malgré nos précautions, nous fûmes souvent obligés de redresser nos tentes qui nous ensevelissaient sous leur volume humecté.
Les orages se succédèrent sans interruption pendant les journées des 19, 20, et 21. Ce mauvais temps prolongé fut la cause première de la longue maladie de mon compagnon de voyage, M. Müller. En vain nous cherchâmes à nous préserver de l’humidité avec des lits de broussailles ; nos draperies de laine étaient tellement trempées que nous ne pûmes parvenir à les sécher.
La saison dans laquelle nous voyagions présente encore un autre inconvénient pour parcourir ce pays ; c’est la nature argileuse des terres, qui deviennent, après de fortes pluies, très-glissantes et presque impraticables pour les chameaux chargés. La nature a créé cet utile animal afin d’aider l’homme à traverser les vastes solitudes occupées par les sables ; sa pate large, cartilagineuse, et dépourvue de sabot, foule sans fatigue les plaines sablonneuses, tandis qu’elle est mal assurée, et qu’elle glisse sur des terres humides, ou se blesse en heurtant les pierres d’un chemin rocailleux.
Ce même motif rendit la marche de la caravane lente et souvent interrompue, lorsque nous pûmes enfin quitter ce lieu, le 22. Heureusement, après avoir fait avec peine quelques lieues de chemin, le sol, à l’approche de la grande Akabah, devint plus sablonneux et nous permit de suivre notre marche ordinaire.
Le 23, nous passâmes auprès du Kassr-Ladjedabiah, situé à vingt-quatre heures de Chammès. Ce monument, un des plus considérables que j’aie vus dans la Marmarique, fut élevé par les Sarrasins. Ses murs conservent encore toute leur hauteur ; ils sont construits en belles assises, mais dépourvus de tout ornement d’architecture : deux tours carrées sont aux angles du côté ouest ; intérieurement est un puits, et l’on voit des escaliers pratiqués dans l’épaisseur des murs pour arriver au sommet.
Les grandes dimensions de cet édifice, qui fut probablement un[38] château fort, donnent une haute idée de l’ancienne puissance des princes arabes dans cette contrée ; et par sa situation à quatre heures des plus hautes montagnes de la Marmarique, et à une égale distance de la mer, il paraît avoir été destiné en même temps à défendre le littoral et à protéger l’intérieur des terres contre une invasion venant de l’Ouest.
Entre Ladjedabiah et l’Akabah est un puits qui appartient à la même époque que celle du château ; l’eau en est excellente : nous en fîmes une abondante provision, et allâmes camper à peu de distance dans une vallée non loin du mont Catabathmus.
[38]Cell. Géog. anti. t. II, p. 66. Polyb. Excerp. CXV.
[39]Depuis Abousir jusqu’à la grande Akabah le rivage est le plus souvent formé par une digue de sables blanchâtres ; je n’ai pu vérifier si les bords du cap Kanaïs offraient un endroit quelconque dont le sol fut tellement blanc, qu’il lui ait fait donner, dans l’antiquité, la dénomination spéciale de Leuce-Acte.
[40]Le mot kassaba signifie, en arabe, un bourg ou un village.
[41]Je lis Gyzis dans Cellarius ; d’Anville écrit le nom de ce lieu, Zygis ; l’anonyme Zygren, et il le place à sept stades de Leuce-Acte.
[42]M. Scholz a donné dans son ouvrage (Voyag. d’Alex. à Paræt. p. 56) la plupart de ces signes.
[43]Les Arabes placent ces marques sur les chameaux avec un fer chaud, et de manière qu’elles soient visibles, lors même qu’ils sont chargés. On les voit toujours sur la tête de l’animal ; mais lorsqu’elles sont compliquées, elles sont distribuées sur l’épaule, la mâchoire et le museau. C’est encore par la place que ces marques occupent sur ces différentes parties du corps du chameau, que les Arabes distinguent leurs tribus.
[44]Cette remarque, que j’avais déja faite en divers endroits, me frappa d’une manière plus évidente encore à Cyrène. Plusieurs fois, en traversant les ravins de la Pentapole, le guide Harâbi qui m’accompagnait s’est écrié, en me montrant de ces signes tracés sur les rochers : Allah inallou el-nicham dè ; hamdou-lillàh el Aoulâd-Aly khallou belednah. « Maudite soit cette marque ! grâces à Dieu, les Aoulâd-Aly ont quitté notre pays. »
[45]J’avais rédigé cette partie de ma relation, lorsque MM. Denham et Clapperton ont publié leur important voyage dans l’intérieur de l’Afrique, conjointement avec celui de feu M. Oudney. Les détails que contient cet ouvrage sur certaines lettres des Touariks, me paraissent avoir assez d’analogie avec les signes dont je viens de faire mention, pour m’engager à exposer quelques idées à ce sujet. Je me servirai de la traduction française de MM. Eyriès et de La Renaudière ; son exactitude est plus que suffisamment garantie par les noms des deux savants traducteurs.
Voici les lettres des Touariks, avec l’interprétation de leur son, telles que les voyageurs les ont publiées :
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Yet. |
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Yout. |
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Youf. |
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Yow. |
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Ê. |
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Yib. |
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Yes. |
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Yim. |
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Yiche. |
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Yiu. |
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Youz. |
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You. |
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Yid. |
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Yir. |
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Yei. |
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Yaï. |
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Yin. |
M. Oudney vit pour la première fois plusieurs de ces caractères sur un monument romain, à Germa, dans le Fezzan (t. I, p. 65), et dans la suite il en trouva un plus grand nombre tracés sur les rochers, dans tous les lieux fréquentés par les Touariks (id. p. 68 et 105). Il remarqua que quelques-uns de ces caractères avaient évidemment plusieurs siècles, et que d’autres étaient très-récents[a] (id. pag. 69) ; enfin il fit la rencontre d’une personne qui en connaissait plusieurs, mais il lui fut impossible de trouver quelqu’un qui les comprît tous (id. page 70), ni un seul livre écrit dans cette langue (id. p. 99). Cette découverte, ajoute-t-il, mit son esprit en repos sur ce sujet.
M. Oudney a négligé de nous apprendre si ces caractères formaient des inscriptions suivies : il dit, il est vrai, qu’ils sont écrits indifféremment de gauche à droite, ou de droite à gauche, ou horizontalement ; ce qui, loin de prouver aucune série réelle entre eux, semble indiquer, au contraire, dans la position de ces lettres, le même désordre que j’ai observé dans celle des signes. Des indigènes ont articulé devant les voyageurs le son de ces caractères, mais aucun ne les connaissait tous, et néanmoins M. Oudney a observé que plusieurs paraissaient tracés très-récemment. Or si personne parmi les Touariks ne connaissait toutes ces lettres, comment pouvaient-ils en faire usage ? et s’ils en faisaient usage, n’auraient-ils eu d’autres livres que des rochers ?
Remarquons maintenant que tout ce qui paraît invraisemblable comme lettres d’un alphabet, s’explique naturellement comme signes de tribus arabes.
Presque tous les Touariks sont nomades, assure M. Oudney (t. I, p. 71). J’ai dit que tous les nomades d’Afrique[b] et de plusieurs autres pays, ont l’habitude de distinguer leurs tribus par des marques qu’ils tracent très-souvent sur les monuments et sur les rochers ; il ne me paraîtrait donc point surprenant que les Touariks eussent multiplié les marques de leurs tribus sur des rochers, puisqu’ils préfèrent les lieux solitaires, et qu’ils ont souvent cherché un asile dans les montagnes (id. pag. 71).
On a trouvé ces lettres alphabétiques dans les déserts, chez des nomades, et non dans les villes chez des hommes sédentaires. Les indigènes n’en connaissaient qu’un certain nombre ; les unes paraissaient très-récentes, et les autres très-anciennes : rien de plus naturel, si l’on suppose que ces marques, comme celles que j’ai vues, appartiennent à des tribus de diverses époques.
Enfin, pour terminer ces comparaisons, M. Oudney n’a pu trouver aucun livre écrit en caractères touariks, de même que M. Scholz a cherché inutilement dans la Marmarique[c] une inscription entière en signes dont plusieurs sont positivement arabes.
Je n’ignore point qu’il est des personnes tellement idolâtres de tout ce qui appartient à une époque reculée, que récusant peut-être l’identité relative des faits que j’ai exposés, elles seront tentées de reconnaître dans ces marques ou caractères, tant du littoral que de l’intérieur de la Libye, une analogie vague, et par cela même précieuse, avec des langues actuellement éteintes. De ce que les Phéniciens se sont incorporés anciennement avec les Libyens de la côte, comme l’indique Hérodote ; de ce qu’il paraît qu’ils furent ensuite chassés avec ceux-ci dans l’intérieur des terres, soit par les armes des Romains, soit par l’invasion de l’islamisme, ces personnes pourront supposer qu’ils se soient réfugiés dans les montagnes des Garamantes, où ils eussent formé un peuple à part, qui aurait conservé jusqu’à nos jours des traces de leur ancien alphabet ; et ce peuple serait les Touariks.
J’avoue qu’une pareille origine donnée à ces signes, ou, si l’on veut, à ces caractères, flatte plus l’imagination que mes vulgaires rapprochements, et qu’il est plus beau d’élever un édifice que de le détruire.
Mais, à ce propos, je rappellerai un fait remarquable, et qui pourrait ne pas lui être absolument étranger. Le savant Gébelin avait cherché long-temps les emblèmes de mystères profonds dans les inscriptions et les figures d’animaux gravées sur les rochers du mont Liban, lorsque MM. Montaigu et Volney reconnurent que ces inscriptions et ces dessins avaient été tracés par les Grecs qui se rendent annuellement en pélerinage au couvent situé sur cette montagne.
[a]M. Scholz a fait la même remarque pour les signes de la Marmarique (Voyag. à Paræt. p. 50).
[b]Je sais que les Touariks, comme les autres nomades, mettent la marque de leurs tribus sur leurs chameaux.
[c]Voyage d’Alexandrie à Parætonium (en allemand), pag. 54.
[46]Il serait superflu d’insister sur l’identité de situation entre le Parætonium des anciens, le Baretoun d’Aly-Ghaouy, et le Berek-Marsah actuel. Mais il ne me paraît pas inutile de faire remarquer que les distances données par Strabon et Arrien, d’Alexandrie à Parætonium, correspondent exactement avec l’observation en longitude faite en ce dernier lieu par M. Gauthier, si l’on adopte pour le premier de ces auteurs des stades de six cents au degré, et que l’on suive la ligne la plus courte ; et si, pour le second, on contourne avec Alexandre les sinuosités de la côte, et que l’on compte les stades à sept cents au degré. (Voyez Strab. l. XVII, § 8 ; Arrian, l. III, c. 4, et ma carte générale.)
[47]Mannert, Géog. des Gr. et des Rom. t. X, part. II, p. 19.
[48]Procop. de Ædif. lib. VI, 2.
[49]Florus, lib. IV, 11.
[50]L. XVII, § 8.
[51]Bonnet de drap rouge que portent généralement tous les Orientaux.
[52]Ces évènements eurent lieu, suivant M. le général Minutoli, en 1819. (Voyage à l’Oas. d’Ammon, p. 64.)
[53]Pélerins qui se rendent à la Mecque.
[54]Strabon place Parætonium à cent stades d’Apis, et je n’ai mis que trois heures et demie (marche de caravane) pour me rendre des premières ruines aux secondes ; ce qui correspondrait tout au plus à quatre-vingts stades de six cents au degré ; néanmoins, comme les distances calculées par les heures de marche sont sujettes à des variations, et que Strabon a quelquefois employé des stades d’une plus grande étendue, je ne crois point que cette légère différence puisse empêcher de reconnaître l’emplacement d’Apis dans les ruines de Boun-Adjoubah.
[55]Troisième Cli. p. 93.
Akabah-el-Soloum. — Plateau de Za’rah. — Accueil des Harâbi. — Vallée de Daphnèh. — Canaux d’irrigation — Toubrouk. — Bombæa. — Platée. — Aziris. — Citernes.
Une vallée d’une heure de largeur côtoie l’Akabah-el-Kébir-el-Soloum, Catabathmus magnus des anciens. Les eaux qui s’écoulent en hiver de la montagne entretiennent dans cette vallée une végétation abondante ; aussi est-elle couverte dans toutes les saisons de nombreux camps d’Arabes.
Mais cette cause n’est point la seule qui rend ce lieu si habité ; le Catabathmus qui, selon plusieurs auteurs, séparait l’Égypte de la Cyrénaïque, et du temps des Romains, l’Afrique de l’Asie[56], forme encore aujourd’hui un canton qui sépare les états de Tripoli de ceux d’Égypte.
J’ai déja dit, il est vrai, que ces limites étaient fixées plus à l’Est à Boun-Adjoubah ; tels sont les renseignements que j’ai recueillis ; néanmoins selon M. Scholz, il faudrait les placer à la grande Akabah. Ces différences dans les rapports que nous ont faits les Arabes n’ont rien de bien surprenant, puisque la prétendue suzeraineté des deux Pachas dans ces déserts consiste beaucoup plus dans le titre que dans la réalité.
Quoi qu’il en soit de ces limites supposées, le canton de l’Akabah, par sa situation si éloignée de la véritable action des deux gouvernements d’Égypte et de Tripoli, sépare ces gouvernements par le fait, puisqu’elle assure à ses habitants une indépendance absolue.
« Voilà, me dit mon guide Hadji-Salèh, le principal motif qui attire dans cette vallée un si grand nombre d’Arabes. Il en est même qui choisissent cette retraite pour se soustraire à la vengeance de leurs ennemis ; d’autres viennent y jouir de l’impunité des crimes commis, ou[40] bien épier l’occasion d’en commettre de nouveaux ; enfin, ajouta-t-il, la plupart des habitants de l’Akabah, depuis un temps immémorial, sont des transfuges de diverses tribus, qui rendent ce passage redoutable pour toutes sortes de voyageurs. »
Ce fut là en effet que le général Minutoli vit échouer ses projets ; ces Arabes, sous le vain prétexte que lui et les siens étaient des espions du Pacha d’Égypte, les empêchèrent de poursuivre leur voyage. Cet exemple, bien plus que les propos de mon guide, était susceptible de m’inspirer de l’inquiétude. Nous n’étions qu’à une heure de distance de la montagne ; la nuit était obscure et pluvieuse ; et la lueur des feux que j’apercevais de temps en temps dans le lointain, attestait la présence des hommes qui allaient bientôt décider du sort de mon entreprise. Enfin la clarté du jour vint mettre un terme à mon impatience ; j’encourageai mes domestiques par de légers présents, et bien résolu à tout braver plutôt que de reculer, je m’avançai vers le passage si redouté.
Je n’introduirai point le lecteur au milieu des camps de ces Arabes, je ne le ferai point assister aux délibérations tumultueuses qui eurent lieu à mon sujet ; je ne lui rappellerai point mes angoisses en me voyant en butte à l’incrédulité du fanatisme et aux exigeantes spéculations de l’intérêt. De pareils détails, occasionnés par des circonstances bien rares dans ces déserts, sont étrangers aux mœurs habituelles de ses habitants ; dès-lors ils deviennent tout-à-fait personnels au voyageur, et par conséquent oiseux pour le public éclairé. Il me suffira de dire que la simplicité de mon costume, mon isolement, ma confiance, et peut-être même ma fermeté, obtinrent de ces hommes farouches ce qu’une escorte imposante et de grands titres n’avaient pu obtenir : on me permit de franchir l’Akabah.
Ma caravane avait déja traversé la vallée ; M. Müller, que sa maladie retenait sur le chameau, était dans une grande anxiété pendant mon absence ; dès que je fus de retour auprès de lui, ses yeux abattus se ranimèrent pour me témoigner le plaisir que mon succès lui faisait éprouver. Satisfait d’avoir été plus heureux que mes prédécesseurs, je formai des vœux pour le rétablissement de la santé de mon compagnon de voyage ; le ciel ne les exauça que bien tard ! et ce ne fut qu’après de longues souffrances,[41] après avoir été aux portes du tombeau, que M. Müller retourna miraculeusement à la vie, au milieu même des privations du désert !
Nous mîmes une heure à monter l’Akabah el Soloum, par un chemin formé dès la plus haute antiquité. Il est bordé, en grande partie, d’immenses rochers, dont le ciseau a quelquefois fait disparaître les angles trop saillants qui obstruaient le passage.
Cette montagne s’élève par ondulations d’une hauteur progressive, ou bien elle présente des flancs escarpés que le chameau gravit avec peine, quoiqu’on ait essayé d’en adoucir la pente. La roche est généralement de calcaire compacte et coquillier ; des masses de grès se trouvent isolées sur le calcaire, ou bien le calcaire est uni avec le grès. Des arbustes qui commençaient à se revêtir de leur feuillage couvraient les endroits terreux, et remplissaient les crevasses des rochers. Ce fut là que je vis, pour la première fois dans ce voyage, des bouquets de lentisques et de genêts.
Il n’était sorte de soins que je n’eusse employés jusqu’alors pour préserver de tout accident le seul baromètre que je possédasse ; malheureusement, dans le désordre qu’occasionna la chute d’un chameau, il fut brisé contre un rocher. Quoique ce baromètre fût très-mal construit, sa perte me causa d’autant plus de peine, qu’elle était irréparable, et qu’elle occasionna dans le résultat de mes observations ultérieures une lacune qui ne put être remplie par des calculs d’estime toujours hypothétiques.
La montagne de l’Akabah me parut avoir environ 900 pieds d’élévation ; elle commence immédiatement aux bords de la mer, d’où elle se dirige au S.-S.-E., pour aller joindre les hauteurs qui côtoient l’Oasis d’Ammon. Au sommet s’étend un plateau de treize heures d’étendue du S.-E. au N.-O. ; quoique les terres n’y diffèrent point par la végétation et la couleur de celles de la petite Akabah, elles sont néanmoins plus fertiles et plus généralement cultivées. C’est de là que vient le nom de Za’rah, champ, que les Arabes donnent à ce plateau. En le parcourant nous passâmes fréquemment auprès de grands campements de pasteurs ; les travaux agricoles mettaient tous ces Arabes en activité, et variaient un peu la monotonie du tableau que nous avions eu presque toujours sous les yeux.
S’il est une époque dans l’année susceptible de distraire ces hommes de leur sérieux habituel, c’est celle, comme nous l’avons observé, où le sol[42] ingrat qu’ils habitent reprend un peu de vie et de fraîcheur qui doivent être si passagères. Dans les climats plus favorisés du ciel, où chaque saison produit ses fruits, le moment des récoltes a dû être celui des réjouissances, puisque l’une succède à l’autre, et que l’on a toujours devant soi un nouvel espoir suivi de nouveaux biens.
Il n’en est pas de même dans la Marmarique : la terre, avare de ses dons, ne produit qu’une fois dans l’année, et pour des moments de courte durée. Dès qu’elle a accordé à l’homme ce faible secours, aussitôt elle se décolore ; tout dépérit : les troupeaux errants, cherchent dans quelques coins des vallées, le petit nombre de végétaux échappés à l’ardeur du soleil. Alors, tandis que nos vergers se couvrent de fruits, tandis que les vendangeurs parcourent nos coteaux, l’habitant de cette contrée ne voit autour de lui qu’une nature muette et frappée de mortalité ; il languit dans sa tente, et cherche à tromper ses ennuis par des récits fabuleux ou des lectures pieuses.
Ces Arabes profitent aussi des moments où la végétation se renouvelle pour célébrer leurs fêtes de famille. Durant une de mes excursions dans la grande plaine de Za’rah, je fus témoin d’une de ces fêtes qui m’intéressa par sa nouveauté : je vis une jeune épouse, montée sur une espèce de tréteau que l’on avait assujetti sur deux charrues traînées par des juments. Une mesquine couronne de seneçons, emblème de la stérilité du sol, fixait sur sa tête un grand mouchoir en soie bariolé de couleurs éclatantes, qui tombait en replis sur ses épaules. Une musique bruyante, produite par de gros coquillages de mer et des ghandours[57], précédait la nouvelle mariée, et parcourait avec elle en triomphe les tentes des familles alliées ou amies. Quelques cavaliers entouraient le cortége ; ils représentaient une petite guerre, en poussant à toute bride leurs juments les unes contre les autres, et faisant de fréquentes décharges de leurs armes à feu.
A part le plaisant effet que produisait le grotesque attirail du char triomphal, ces images de guerre autour d’une jeune épouse, cette joie tumultueuse sans gêne comme sans désordre, me donnèrent une juste idée des mœurs à-la-fois simples et belliqueuses de ces nomades.
[43]Tandis que nous continuions à parcourir la plaine de Za’rah en nous dirigeant vers le nord-ouest, j’aperçus dans le lointain, aux bords de la mer, un port spacieux que les Arabes nomment Marsah-Soloum, et qui me paraît être celui de Panormus, où Ptolémée fait terminer le nome Libyque[58], et qu’il place du côté occidental de la vallée du Catabathmus. Dès que nous fûmes arrivés à l’extrémité ouest de cette plaine, nous trouvâmes plusieurs puits creusés avec soin dans le roc à une très-grande profondeur. Ces puits, d’origine antique, sont garnis à leurs bords de petits bassins creusés également dans le roc, mais qui paraissent, à cause de la grossièreté du travail, appartenir à une époque plus moderne.
De Biar-Zemlèh, nous descendîmes le plateau de l’Akabah, beaucoup moins élevé du côté occidental et d’une pente plus douce. Dix minutes nous suffirent pour arriver du sommet à la base. Là, nous entrâmes dans la vallée de Daphnèh, formée d’un côté par la même chaîne des montagnes de l’Akabah, qui se prolonge par sinuosités dans l’ouest, et de l’autre par une ramification de petites collines décrivant une ligne parallèle à ces montagnes.
Au-delà de la plaine de Za’rah, on ne trouve plus les Aoulâd-Aly ; à Daphnèh commence la nombreuse tribu des Harâbi, les guerriers, qui habitent exclusivement toute la Pentapole Cyrénaïque. Dès que ma caravane eut pénétré dans la vallée, nous vîmes tout-à-coup, en détournant un de ses coudes, une si grande réunion de tentes, que nous eûmes lieu d’en être surpris. Serrées les unes contre les autres, elles tapissaient les flancs de la vallée, et formaient une haie, au milieu de laquelle nous étions forcés de passer. Une grande agitation paraissait y régner : me rappelant alors la mauvaise réputation des Harâbi, je fis placer mes Nubiens à côté des effets les plus précieux, et précédant ma caravane de quelques pas, je m’approchai non sans anxiété du défilé inévitable. J’aperçus bientôt plusieurs cheiks qui montèrent à cheval et se dirigèrent sur nous, suivis d’une foule d’autres Arabes à pied. Selon l’usage admis dans le désert, lorsqu’il y a sujet de méfiance[44] entre deux caravanes qui se rencontrent, elles s’arrêtent à une certaine distance entre elles, et des parlementaires s’avancent des deux côtés, pour s’informer de leurs intentions réciproques. C’est ce que nous fîmes : Hadji-Salèh, mon guide, et un des Harâbi, s’avancèrent dans l’espace qui nous séparait.
Durant cette entrevue, trop éloigné pour entendre leurs paroles, j’examinais attentivement leurs gestes : ils furent d’abord très-animés ; je vis ensuite les deux envoyés se rapprocher et remettre leurs fusils sur le dos ; ce fut pour moi le signal de la paix. Je m’empressai aussitôt d’aller joindre les cheiks, et j’appris qu’une guerre violente existait entre eux et une tribu voisine ; plusieurs meurtres avaient été commis, jusqu’alors ils en étaient les victimes, et ils s’étaient réunis en nombre considérable pour se venger d’une manière éclatante de leurs ennemis.
Ils me dirent que le bruit de mon voyage s’était répandu jusque chez eux ; ils s’étonnèrent de ce que j’osais pénétrer avec aussi peu de monde dans leur contrée ; ils accusèrent ma hardiesse d’imprudence, et me firent sentir que je dépendais totalement de leur volonté. « Mais dans ce moment, reprit le plus âgé d’entre eux, la vengeance seule nous a rassemblés, nous voulons le sang de ceux qui ont tué nos frères ; ainsi, poursuis ton chemin et que Dieu te protége ; » puis s’apercevant qu’il s’était trompé : « Si toutefois, ajouta-t-il, Dieu peut protéger un chrétien ! »
Je ne me permis pas la moindre observation sur ce compliment, et m’estimant heureux que leurs dispositions vengeresses ne s’étendissent pas jusques à nous, je les remerciai avec sang-froid de leur bon accueil, et nous nous empressâmes de les quitter. Cette rencontre me mit à même d’apprécier la différence de mœurs qui existait entre les Harâbi et les paisibles Aoulâd-Aly, et me fit dès-lors entrevoir tous les dangers qui allaient nous entourer.
Les terres de la vallée de Daphnèh sont d’une couleur plus obscure et paraissent plus fertiles que celles des cantons précédents. La végétation plus variée, est généralement herbacée dans la plaine, mais plus active et plus forte dans les ravins. Depuis que nous étions entrés dans la vallée, je cherchais à m’expliquer la cause de sa dénomination, lorsque j’aperçus[45] enfin quelques bouquets de nerium[59] parmi les fentes des rochers. Ce joli arbuste, quoique très-rare maintenant dans ces lieux, y paraît cependant indigène. Sans doute il y croissait autrefois en plus grande quantité ; les anciens habitants l’auront multiplié dans leurs champs, ils en auront embelli leurs demeures ; et ces habitants durent être très-nombreux, puisque les vestiges de ruines sont si multipliés dans cette vallée, qu’elle paraît avoir été couverte de villages et de hameaux.
C’est à Daphnèh surtout, et dans ses environs, que l’art a redoublé d’efforts pour aider la nature. Partout on y aperçoit des restes de canaux d’irrigation ; ils sillonnent la plaine en tous sens, ils serpentent sur les flancs des collines et de la montagne. Dans ces derniers endroits, on les voit se diriger, tantôt perpendiculairement, tantôt horizontalement, selon qu’ils furent destinés à conduire les eaux des pluies dans les citernes, ou des citernes dans les champs. J’ai vu de ces canaux disposés comme des rayons dont le centre commun est un bas-fond ; j’en ai vu suivre parallèlement les rives d’un petit vallon, pour aller, sans doute autrefois, arroser les champs plus éloignés d’un industrieux agriculteur. J’en ai vu d’autres se ramifier comme les rigoles de nos jardins, afin de détourner le cours de l’eau, de le prolonger ou de l’arrêter à volonté.
Quoique la vallée de Daphnèh paraisse avoir été anciennement très-habitée, je n’aperçus parmi les ruines qui la couvrent aucun reste de monument remarquable. Le Kassr-Djédid, à l’entrée de la vallée, n’est qu’une masure informe. Indépendamment de son aspect, son nom[60] indique qu’il appartient à une époque moderne ; mais les fragments antiques intercalés dans ses murs, et le puits qu’il renferme, prouvent que cet édifice fut élevé sur l’emplacement et avec les débris d’un autre plus ancien.
Je puis encore citer le Kassr-Coumbouss, situé sur le sommet de la montagne, à six heures à l’ouest du précédent. Sa destruction est telle que, non seulement on ne peut plus rien distinguer dans un amas de pierres, forme à laquelle le monument est réduit ; mais que des débris d’une origine bien différente y sont confondus pêle-mêle, de manière[46] qu’on voit les fragments d’un chapiteau grec ou romain à côté de ceux d’une arabesque, et le tout est surmonté d’un bloc de pierre taillé en guise de turban, indice certain d’un tombeau arabe.
De pareilles ruines plus que les autres provoquent involontairement la réflexion.
A voir ces débris de plusieurs édifices qui eurent une destination si différente, qui furent élevés par des peuples de mœurs et d’usages si opposés ; à voir ces témoins des âges antiques, ces produits de diverses civilisations, couverts ensemble de l’humble pierre des champs ; à les voir réunis en un seul monceau, réduits à un sort commun pour former la tombe d’un santon ! à voir un pareil tableau, on dirait que le temps en rassembla les contrastes pour manifester sa puissance et se jouer du sort des nations.
Quant à la cause historique de ce bizarre assemblage de ruines de diverses époques, elle s’explique naturellement. Sans détailler ici mal à propos la série des peuples qui se succédèrent dans cette contrée, à ne compter que de l’invasion des Musulmans, ceux-ci durent se servir des matériaux que leur offraient les monuments étrangers à leurs usages et surtout à leur culte religieux. Ainsi, les princes arabes auront fait démolir les temples et les autres édifices pour élever des mosquées et des châteaux ; après eux, les Nomades finirent par tout détruire sans rien bâtir, et les tentes ont remplacé les villes et les hameaux.
Après avoir marché, le 26 et le 27, durant neuf heures dans la vallée de Daphnèh, dont l’axe est à l’O.-N.-O., cette vallée s’élargit, et les deux chaînes d’élévations qui la forment prennent des directions différentes. Celle de l’Akabah se prolonge dans l’ouest, jusqu’aux montagnes cyrénéennes, et la colline qui lui est opposée se perd en ondulations vers le nord ; la partie du littoral où l’on entre alors s’appelle Dâr-Fayal.
Le 28, tandis que ma caravane poursuivait sa route à plusieurs heures de distance des bords de la mer, je la quittai pour aller visiter le port de Toubrouk. Je traversai d’abord un sol très-inégal, entrecoupé de ravins et de vallées, exhaussé de six cents pieds environ au-dessus du niveau de la mer. Ensuite je descendis le revers septentrional de ces[47] hauteurs par un chemin qui dut servir autrefois de communication entre les habitants de Toubrouk et ceux de l’intérieur des terres.
Ce chemin est taillé avec soin dans le roc vif, et bordé de deux canaux creusés aussi dans la roche, mais sur un plan plus élevé ; ses nombreux contours et les escaliers larges et bas que l’on y trouve par intervalles, en adoucissent tellement la pente, qu’on le descend très-commodément à cheval.
Les Arabes me dirent que l’on voyait plus à l’est sur le même revers de la montagne un autre chemin semblable à celui-ci. Si l’on pouvait se fier à l’exactitude de ce rapport, cet autre chemin aurait conduit probablement au port Ménélas, où aborda le prince grec dont il reçut le nom, et qui rappelle aussi le fameux Agésilas, qui y termina sa glorieuse carrière. Ce port, d’après les distances données dans les périples, et principalement suivant Strabon[61], devait être situé aux environs du cap Ardanaxès, nommé actuellement el-Mellah ; il était par conséquent plus rapproché de Daphnèh que ne l’est Toubrouk, non loin duquel je me trouvais. Cette proximité de Daphnèh et de Ménélas donne plus de vraisemblance au rapport des Arabes ; et leur témoignage, joint à celui que j’avais sous les yeux, s’accorderait avec les indices d’une nombreuse population que j’avais remarqués dans l’intérieur des terres. Il fallait en effet que les relations de ses habitants avec ceux des villes littorales fussent tellement actives dans l’antiquité, qu’elles eussent rendu nécessaires deux chemins taillés, à si peu de distance entre eux, dans le flanc de la montagne.
Entre ces hauteurs et les bords de la mer, est une bande de terre de quinze à vingt minutes de largeur, sablonneuse et couverte en majeure partie de soudes et d’euphorbes. Elle conserve à peu près cette distance depuis l’Akabah jusqu’à Toubrouk, et devient ensuite plus spacieuse de ce dernier point jusqu’au golfe de Bomba. Les puits qu’on y rencontre très-souvent engagent les voyageurs à préférer en été cette route à celle qui suit les hauteurs qui la dominent.
En contournant les bords d’un joli port, dont le fond est de sable blanchâtre couvert d’un lit d’algue, j’arrivai aux ruines de Toubrouk, situées[48] sur le prolongement rocailleux de la côte qui forme le port et le préserve de tous les vents, excepté de celui d’est. Parmi des entassements de pierres de taille et des débris de poteries, je ne pus distinguer que des arcs détachés d’anciennes voûtes et des puits comblés ; quelques tronçons de colonnes et des fragments de marbre et de granit me prouvèrent l’antiquité de ce lieu, qui, selon les distances données dans le périple de Scylax, correspondrait au bourg Antipyrgus. Ces ruines sont entourées d’un mur construit en belles assises et d’un état de conservation qui contraste avec la grande destruction de la ville : il forme un carré irrégulier dont la plus grande longueur est du S.-S.-E. au N.-N.-O. ; dans ce sens il a deux cent quarante-six mètres, sur cent quarante du S.-O. au N.-E. Sur les côtés intérieurs de ce mur, on voit des escaliers pris dans son épaisseur pour arriver au sommet ; ils sont dirigés en sens divers, de manière à décrire entre eux des lignes tantôt parallèles et tantôt divergentes (Voyez pl. V, fig. 6). Il me parut hors de doute que cette enceinte était postérieure aux ruines de l’ancienne ville, et qu’elle avait été élevée par les Sarrasins.
L’heureuse situation de Toubrouk auprès d’un port bien abrité, aura engagé quelque prince arabe à fortifier ce poste maritime. Si l’aspect des monuments ne m’induit en erreur, je trouve une grande analogie pour le genre de construction et le degré de conservation, entre l’enceinte de Toubrouk, le Kassr-Ladjedabiah et Lamaïd, trois édifices élevés pour protéger le littoral. L’inscription de Lamaïd atteste, comme je l’ai déja fait remarquer, que ce château fut construit par les ordres du fils du sultan Bibars. On sait que Bibars, en apprenant le débarquement de saint Louis à Tunis, fit fortifier ses frontières et mettre divers points de la côte libyque en état de défense[62]. Ce ne serait donc pas beaucoup hasarder que d’attribuer à une époque approchante les fortifications de Ladjedabiah et de Toubrouk, qui ont tant de rapports avec le château Lamaïd.
Dès que j’eus rejoint ma caravane, avant de descendre avec elle les hauteurs qui de Toubrouk s’écartent de la côte, je me rendis, en suivant[49] leur prolongement occidental, dans un lieu nommé Klekah, où, parmi les ruines d’un petit bourg, on voit quatre massifs en briques crues, conservant les restes d’un revêtement en pierres : ils sont rangés symétriquement, de manière à former les quatre angles d’un grand carré, dont le point central est occupé par un puits orné d’auges et creusé dans le roc d’un grès schisteux.
Le mieux conservé a vingt-un mètres de chaque côté ; l’intérieur est comblé de briques fondues par les pluies, et ne présente qu’une surface concave et unie. Auprès de chacun de ces massifs est un immense bloc de calcaire compacte, arrondi, percé au milieu et parfaitement semblable, par la forme et les dimensions, à une meule de moulin. Ces massifs sont indubitablement les restes de quatre tours, et peut-être que le petit bourg où ils se trouvent, comme celui du mont Catabathmus, aura pris dans l’antiquité le nom de Tetrapyrgia.
De Klekah je descendis de nouveau les hauteurs de Toubrouk, et je me trouvai dans une vallée spacieuse nommée Ouadi-el-Sedd.
De même que celle de Daphnèh, elle est côtoyée par deux collines de hauteur inégale ; l’une, celle de Toubrouk, est composée de couches de grès bariolées par les oxides, de différentes couleurs ; l’autre est en calcaire très-dur et d’une couleur obscure à sa surface. Cette dernière, moins élevée, suit les bords de la mer, et ne s’étend que sur un espace de onze heures jusqu’auprès d’une anse que l’on peut considérer comme le prolongement oriental du golfe de Bomba.
Deux heures avant que d’arriver dans ce lieu, on voit sur le côté méridional de la colline un grand nombre de catacombes, nommées par les Arabes Magharat-el-Heabès, grottes des prisons ; et sur le revers opposé plusieurs traces de belles fondations indiquent le gisement d’une ancienne ville, probablement celle de Petras-Parvus, distante, selon Scylax, d’une journée de navigation d’Antipyrgus. Ces grottes offrent des particularités remarquables à cause de leur style greco-égyptien. Devant leur entrée on voit ordinairement une cour découverte, ceinte d’un mur dont la base est taillée dans le roc, et la partie supérieure construite en assises. Intérieurement elles sont subdivisées en plusieurs pièces à angles droits (Voyez pl. V, fig. 1 et 2), mais avec une ou plusieurs[50] ouvertures pratiquées au plafond, ainsi qu’aux catacombes des Égyptiens.
Une de ces grottes, par sa belle conservation et ses détails architectoniques, mérite d’être décrite (Voy. pl. V, fig. 1) : après la cour découverte, qui a trente mètres de long sur dix-huit de large, est une espèce d’avenue ayant latéralement deux niches carrées destinées probablement à contenir des statues. Deux pilastres doriques ornent les côtés de l’entrée, devant laquelle croît un bel alizier (Cratægus mora)[63].
L’intérieur se compose de deux pièces : dans la première, la porte et le plafond sont à angles droits, tandis qu’ils sont voûtés dans la seconde. Celle-ci n’a que la moitié des dimensions de la précédente ; elle est taillée, en outre, sur un plan plus élevé de quatre-vingt-cinq centimètres. On y monte par quatre gradins. Cette seconde pièce contient au fond et à la moitié de sa hauteur cinq excavations oblongues, dont trois disposées horizontalement et deux au-dessus : leur forme et leurs dimensions ne permettent pas de douter qu’elles n’aient dû servir à contenir des sarcophages (Même pl., fig. 3). On voit sur les deux chaînes libyque et arabique de l’Égypte, des grottes sépulcrales offrant la même disposition.
Ces différents traits de rapprochement avec les catacombes égyptiennes, et surtout leur proximité de situation du golfe de Bomba, rappellent singulièrement ce qu’écrivait Synesius de Cyrène, sur le mont Bombæa : « Lieu sauvage, dit-il, fortifié par l’art et la nature, que quelques-uns comparaient aux hypogées des Égyptiens, et qui avait pendant long-temps caché la fuite de Jean dans ses cavernes sinueuses[64]. » Si l’on observe que, de toutes les grottes que l’on voit depuis Alexandrie jusqu’à la Syrte, celles-ci sont les seules qui puissent être comparées avec quelque exactitude aux souterrains des anciens Égyptiens ; si l’on ajoute à cette remarque, le nom et la description du lieu qu’on trouve dans le passage de Synesius, on conviendra que ces différents traits offrent des rapprochements qui vont jusqu’à l’évidence[65].
[51]La petite baie dont j’ai fait mention est environnée à son extrémité orientale de terres couvertes de lagunes et de plantes marines. Ces marécages sont le séjour, en été, d’une prodigieuse quantité de grenouilles, qui donnèrent dans l’antiquité leur nom au port Batrachus, situé d’ailleurs, de même que cette anse, à l’occident de Petras parvus.
Une belle source d’eau sulfureuse, nommée Ain-el-Gazal, forme un ruisseau à quelques pas de ce port, et confirme ainsi les autres détails que donne le périple anonyme sur ce lieu[66]. Mais ses eaux, et celles de la source même, ne sont potables que dans les temps calmes, après qu’elles ont été dégagées, par leur renouvellement, de l’amertume que viennent y déposer les flots de la mer lorsqu’elle est agitée.
Nous quittâmes Ain-el-Gazal le 30 ; nous eûmes beaucoup de peine à traverser les bords glissants de l’anse : après avoir franchi ce passage, nous marchâmes, en contournant au nord-ouest sur un sable uni, entre les bords de la mer et les collines de Toubrouk, qui à ce point s’en rapprochent tellement qu’elles les côtoient à une distance de quelques minutes. Dès que nous fûmes arrivés à la hauteur de l’anse, je vis une petite île plate peu éloignée de la côte ; et de ce même point j’aperçus au large dans le nord-ouest l’île rocailleuse et élevée de Bomba.
Selon le périple de Scylax, nul doute que je n’eusse devant moi l’île Aëdonia, et que je ne visse la fameuse Platée dans celle qui élevait plus loin ses flancs escarpés au-dessus des flots de la mer.
Hérodote, qui nous a laissé beaucoup de détails sur Platée, n’indique que vaguement la position géographique de cette île importante ; mais Scylax, plus précis, s’exprime de manière à ne nous laisser aucun doute sur sa situation. « Entre Petras parvus, dit-il, et la Chersonèse, distants d’une journée de navigation, sont les îles Aëdonia et Platæa, ayant chacune un port[67]. » On ne pourrait décrire avec plus de clarté et de[52] précision la partie du littoral qui nous occupe : je trouve, en effet, une journée de navigation ou douze lieues de distance entre les ruines situées auprès de Magharat-el-Heabès, qui correspondent, comme nous l’avons dit, à Petras parvus, et Ras-el-Tyn, l’ancienne Chersonèse. L’on voit également dans cet intervalle l’île d’Ain-el-Gazal et celle de Bomba, et cette dernière est peut-être la seule de la Marmarique qui offre encore de nos jours un bon mouillage[68].
A six heures de distance d’Ain-el-Gazal, les hauteurs de Toubrouk contournent brusquement vers le sud ; selon les Arabes, elles se prolongent jusqu’aux monts Cyrénéens, et forment, conjointement avec eux, la vallée de Temmimèh, qui va en s’élargissant vers les bords de la mer. Le milieu de la vallée est coupé par le sillonnement profond d’un torrent ; d’après le même témoignage, il est formé en hiver par le gonflement des ravins des montagnes de la Pentapole, et se jette, ainsi que j’ai pu le remarquer, dans le golfe de Bomba, à la hauteur de l’île du même nom.
Ce torrent est le même sans doute que la rivière Paliurus, qui, selon Ptolémée[69], prenait sa source dans un lac situé dans l’intérieur des terres. Ce n’est point ici le lieu d’expliquer la cause de la contradiction qui résulte des traditions anciennes comparées aux observations modernes : cette contradiction n’est qu’apparente, et j’en développerai plus tard les motifs.
Nous allâmes camper dans la même journée auprès du torrent encore à sec dans cette saison. Son lit, large de trente à quarante mètres, et[53] principalement ses bords très-exhaussés, sont couverts d’une forêt de tamarix atteignant quinze à vingt pieds de hauteur. Autour de ces arbres se groupent une foule de plantes et d’arbustes parmi lesquels je distinguai des soudes frutescentes, des éphèdra, et plusieurs sous-arbrisseaux presque tous propres aux terres salées.
C’est probablement du côté occidental de Temmimèh qu’il faudrait chercher les vestiges du temple d’Hercule cité par Strabon[70], et auprès de l’embouchure même de ce torrent, le bourg Paliurus, qui aurait partagé avec le port Ménélas, suivant Mannert[71], l’honneur d’être le chef-lieu d’un troisième nome libyque. Des pasteurs me dirent que l’on voyait sur cette partie de la côte quelques traces de ruines, mais sans monument encore debout. L’épuisement et les maladies de presque toutes les personnes qui m’accompagnaient, ne me permirent pas de les quitter pour vérifier ces indications et explorer ces lieux intéressants.
L’aspect de l’Ouadi-Temmimèh confirme la description que les anciens nous ont laissée d’Aziris, de ce canton où les colons grecs séjournèrent si long-temps, et où ils bâtirent une ville dans les temps mêmes que le mont Cyra était encore habité par des hordes nomades. Hérodote[72] nous apprend que ce lieu était situé vis-à-vis de Platée, entre une rivière et des collines toujours vertes ; on voit en effet la partie occidentale de Temmimèh bornée d’un côté par les premiers échelons boisés des monts cyrénéens, et de l’autre par le torrent que je viens de décrire. Ce torrent, par son lit spacieux, rappelle de même la rivière considérable[73] que le périple anonyme[74] place auprès de Nazaris, nom qui n’est évidemment qu’une corruption de celui d’Aziris. Enfin nous trouverons une nouvelle et importante preuve de concordance dans un renseignement de topographie végétale, transmis encore par le père[54] de l’histoire[75], et confirmé par Scylax[76]. Suivant ces auteurs, le sylphium ne commençait à croître qu’au-delà de l’île Platée. Hérodote détermine même les limites occidentales où cesse de croître cette plante ; j’aurai bientôt l’occasion de prouver la grande exactitude de cette autre indication. Je dois maintenant me borner à faire remarquer que, dans toute la Marmarique, je n’avais trouvé aucune plante qui offrît la moindre ressemblance avec la description que les anciens nous ont laissée du sylphium ; tandis que, dès que j’eus franchi les sommités qui dominent Ras-el-Tyn, la grande Chersonèse des anciens, je vis fréquemment une espèce d’ombellifère, laserpitium derias, dont l’identité avec le sylphium a déja été appréciée[77].
Quoique ce canton fût abondamment pourvu d’eau une grande partie de l’année, cependant, pour remédier à la sécheresse de l’été, les anciens habitants avaient creusé et revêtu de belles assises plusieurs citernes le long des bords du Temmimèh, afin de profiter, pour les remplir, des débordements annuels du torrent. Les Arabes, qui apparemment n’ont pas compris ce motif, ont laissé exhausser les bords du torrent, et combler par conséquent la plupart des anciennes citernes ; pour suppléer à cette perte, ils ont eu l’habileté de creuser dans son lit même, formé de terres salées, des fosses qui n’ont que le médiocre inconvénient de rendre l’eau[55] presque impotable, et qui se changent même tout-à-fait en salines à quelque distance des bords de la mer.
Nous voici arrivés aux limites de la Marmarique[78]. Les ressources que les citernes présentent à l’habitant actuel de cette région peu favorisée du ciel, et l’utilité bien plus grande qu’elles acquirent en des temps plus reculés et sous des hommes plus industrieux, m’engagent à réunir quelques observations sur la différente manière dont elles furent creusées ; cette différence nous offrira celle de leur origine.
Ces excavations, selon la nature du sol où elles ont été faites, sont ou creusées dans le roc vif, ou bien revêtues d’assises régulières, ou simplement étayées par des pierres brutes.
J’ai cru reconnaître celles qui appartiennent aux Grecs et aux Romains, tant à leurs grandes dimensions qu’à la perfection du travail. Celles-ci[56] sont toutes revêtues d’un ciment ordinairement plus dur que la roche même sur laquelle il est posé ; elles sont quelquefois divisées en plusieurs pièces, et le plus souvent soutenues par un ou plusieurs piliers de construction ou taillés dans le roc. Leurs ouvertures sont rondes, elliptiques ou carrées ; mais une de ces formes fut toujours tracée d’une manière régulière.
Celles qui m’ont paru appartenir aux Arabes anciens et modernes, à quelques exceptions près, sont rondes ou anguleuses et d’un travail d’autant plus grossier qu’il paraît être plus récent ; elles sont toutes à une seule pièce, dépourvues de ciment et de piliers de soutien, du moins celles que j’ai examinées. En un mot, ces dernières seront mieux désignées par le nom de puits, puisqu’elles sont plutôt creusées pour atteindre les eaux souterraines, que destinées, ainsi que les précédentes, à servir de vastes bassins pour recueillir les eaux des pluies.
D’après ces observations, je citerai comme citernes grecques et romaines celles d’Abousir, Benaïeh-Abou-Selim, Ghefeirah, Asambak, Zarghah, Zemlèh, Daphnèh, Klekah et Temmimèh.
Les Sarrasins, dont l’intention fut bien plus d’assurer les communications par le littoral et d’y établir des points de défense que de fertiliser les terres, ont ordinairement creusé leurs puits immédiatement sur les bords de la mer et surtout auprès des châteaux qu’ils y élevèrent : de ce nombre sont les puits que l’on voit à Lamaïd, Bourden, el-Heyf, Boun-Adjoubah, Chammès et Ladjedabiah ; ceux d’el-Hammam, d’Abdermaïn, de Thaoun, et autres, plus éloignés du rivage, paraissent aussi plus modernes.
[56]Pomp. Mela, l. I, c. 8. Sallust. de Bell. Jug. c. 19.
[57]Autrement dits tabls, espèces de tambourins.
[58]Cell. Géog. anti. t. II, p. 67.
[59]Nerium oleander.
[60]Djédid veut dire neuf, construit récemment.
[61]L. I et l. XVII, § 17.
[62]Voyez Michaud, Hist. des Crois. t. VII, p. 752.
[63]C’est le seul que j’aie vu dans toute la Marmarique.
[64]Synesii Epist. 104.
[65]M. Mannert (Géogr. des Grecs et des Rom. tom. X, part. 2, pag. 105), tout en observant que Synesius n’indique pas la position de Bombæa, place néanmoins ces souterrains dans la partie méridionale de la Pentapole. Je ferai remarquer plus tard à ce savant critique, qu’à quelques lieues de distance des hautes terrasses qui bordent cette région au nord, on ne trouve plus, en s’avançant dans l’intérieur des terres, d’autres excavations dans la roche que des citernes, qui ne sauraient en aucune manière convenir à la description que Synesius fait de Bombæa.
[66]Iriar. Bibli. Matrit. v. I, p. 486.
[67]Scyl. Cary. Perip. (édit. Voss. p. 45). Plusieurs géographes anciens, et parmi les modernes d’Anville, placent, il est vrai, l’île Aëdonia ou Aëdonis à celle connue actuellement sous le nom de Bomba, et ne font pas même mention de Platée, que je fais correspondre à cette dernière. Indépendamment des inductions topographiques et botaniques que je vais exposer sur le même sujet, il faut aussi considérer que l’île de Bomba est la seule à l’orient de Cyrène, qui paraisse susceptible d’avoir été long-temps habitée. Je trouve d’ailleurs un grand appui à ce rapprochement dans l’autorité du savant M. Mannert, qui place également Platée à l’île de Bomba. (Géogr. des Grecs et des Rom. tom. X, part. 2, pag. 39.)
[68]Les Arabes m’ont assuré qu’ils avaient vu souvent des navires abrités auprès de ces îles, particulièrement auprès de celle de Bomba. Les Maltais, avant de faire leur commerce de bestiaux avec les Arabes de Barcah, par Ben-Ghazi, le faisaient par le golfe de Bomba. J’ajouterai que, durant mon séjour à Cyrène, un corsaire grec fit une descente sur la côte du golfe, et enleva tous les troupeaux qu’il trouva dans les environs.
[69]Cellar. Geogr. ant. tom. II, p. 75.
[70]L. XVII, § 17.
[71]Géogr. des Grecs et des Rom. t. X, part. 2, p. 19.
[72]L. IV, 157.
[73]L’habitude qu’avaient les anciens de donner le nom de rivière à des torrents et même à de simples ruisseaux est suffisamment connue.
[74]Iriar. Bibli. Matrit. v. I, p. 486.
[75]L. IV, 169.
[76]Scylax, édit. Voss. p. 45.
[77]Voyez le rapport des commissaires de la Société de Géographie sur mon Voyage, dans les nouvelles Annales des Voyages, t. XXX, avril 1826, p. 103.
Un savant Italien qui a traduit ce rapport en y ajoutant des notes (Antologia, septembre 1826), appuie le doute que j’ai d’abord manifesté sur l’identité du sylphium des anciens avec mon laserpitium derias, doute que je ne me suis réservé qu’afin de ne point renverser de mon autorité privée les traditions de quelques écrivains de l’antiquité relativement à la situation qu’ils assignent à cette plante.
C’est au célèbre géographe dont nous déplorons la perte toute récente, c’est à feu M. Malte-Brun que j’ai laissé le soin de concilier l’invraisemblance que la nature du sol oppose aux récits de ces auteurs. Cette invraisemblance, il l’a expliquée avec la judicieuse et profonde critique qui accompagne tous ses écrits. Quant à moi, je suis porté à insister fortement sur cette identité ; j’en exposerai les raisons dans la seconde partie de cette relation, en développant tous les faits qui concernent cette plante, et que je n’ai indiqués que très-légèrement jusqu’ici.
[78]Les auteurs anciens sont peu d’accord sur les limites qu’ils donnent à la Marmarique et à la Cyrénaïque. Le nom de la première de ces contrées, inconnu au père de l’histoire, figure dans les écrivains postérieurs, d’abord comme donné collectivement aux peuplades qui l’habitaient, et ensuite chez d’autres comme désignant la contrée elle-même. Parmi les premiers, Scylax place les Marmarides entre le bourg Apis et les Hespérides ; Pline entre Parætonium et la grande Syrte, et Strabon leur fait occuper tout le pays compris entre la partie méridionale de Cyrène, l’Égypte et l’Oasis d’Ammon.
Parmi les seconds, Ptolémée donne le nom de Marmarique à la contrée située entre le nome libyque et la ville de Darnis ; Agathemère fait commencer également la Marmarique à la Pentapole et l’étend jusqu’à l’Égypte, sans en excepter le nome de Libye.
Les limites de la Cyrénaïque offrent plus d’indécision encore ; selon Strabon, Pomponius et Solin, elle occuperait tout l’espace compris entre le Catabathmus, les autels des Philænes et l’Oasis d’Ammon. Pline lui donne les mêmes limites que ces auteurs à l’orient, mais il prolonge son étendue vers l’occident jusqu’à la petite Syrte ; Éthicus, au contraire, adopte leurs limites occidentales, mais il prolonge celles de l’orient jusqu’à Parætonium. Enfin, Isidore de Séville lui donne pour confins la grande Syrte et le pays des Troglodytes à l’occident, l’Éthiopie au midi, et l’Égypte à l’orient, et il divise cette vaste région, de nom seulement, en Libye Cyrénaïque et en Pentapole. Sans me perdre dans le dédale qu’offrent des opinions si contradictoires, mais afin de mettre quelque ordre dans la description de ces contrées, j’ai adopté les limites que leur assigne Agathemère. Ainsi j’appellerai Marmarique la contrée située entre l’Égypte et les montagnes de la grande Chersonèse, le Ras-el-Tyn actuel ; et la Cyrénaïque suivra à l’ouest jusqu’au fond du golfe de la Syrte. J’ai cru ces limites préférables, en ce qu’elles paraissent être indiquées par la nature elle-même.
Coup-d’œil sur l’histoire naturelle de la Marmarique. — Dénombrement des différentes familles de la tribu des Aoulâd-Aly. — Leurs mœurs et leurs usages.
Avant de franchir les hautes montagnes de la Pentapole Cyrénaïque, et d’entrer dans une région nouvelle, où les monuments rivalisant avec la nature, nous offriront à chaque pas des effets pittoresques à décrire et d’intéressants souvenirs à rappeler ; arrêtons-nous aux limites posées par la nature entre deux contrées si différentes, et jetons un dernier coup-d’œil sur celle que nous venons de parcourir. Ce nouvel examen sera le résumé et le complément des observations éparses dans les chapitres précédents.
Histoire naturelle.
Tout le pays compris entre Alexandrie et le golfe de Bomba, occupe une étendue de cent cinquante-six lieues de l’est à l’ouest, c’est-à-dire, depuis le 27° 34′ 30″ jusqu’au 20° 49′ de longitude à l’orient du méridien de Paris.
La partie septentrionale de cette région forme une lisière de terres cultivables qui côtoie les bords de la mer et ne se prolonge que sur un espace de dix à quinze lieues au plus vers le sud.
En suivant cette direction jusqu’à l’Oasis d’Ammon, on ne trouve plus qu’un désert aride où l’on rencontre à peine de temps en temps quelques îlots de terres salées, dont l’image a été si ingénieusement rendue par le géographe philosophe de l’antiquité[79].
[58]Des collines dont la hauteur s’élève progressivement en s’éloignant des bords de la mer, croisent en tout sens cette lisière de terres, alternent avec des plaines, et donnent quelquefois passage à des torrents qui s’écoulent de leur sein en hiver et se rendent dans la mer.
D’Abousir à la petite Akabah, le rivage est généralement côtoyé par une digue de sables blanchâtres qui s’avance très-loin sous les eaux, et occasionne des bas-fonds dangereux pour l’abordage des navires. Cette digue est quelquefois interrompue et remplacée par les prolongements rocailleux des collines et de leurs contre-forts.
De la petite Akabah en suivant à l’ouest, la côte devient plus inégale, et présente en plusieurs endroits des flancs escarpés contre lesquels viennent se briser les flots de la mer. Dans cette partie du littoral plus encore que dans la précédente, on aperçoit de nombreux enfoncements qui ont dû servir, en des temps plus reculés, de ports ou de simples abris aux navires ; mais les sables dont ils sont comblés, et les envahissements de la mer, les ont privés en majeure partie de leur utilité, et ce n’est que dans les endroits rocailleux qu’ils ont pu conserver les vestiges de leur ancienne forme.
Le sol de la Marmarique atteste partout de grandes révolutions physiques, ainsi que son état de dévastation offre l’image des révolutions humaines. Les coquillages marins incrustés dans le roc, les madrépores épars sur les collines, les basaltes et les granits roulés sur des terrains secondaires, enfin l’assemblage de minerais de différente nature et le désordre de leur disposition, tel est le caractère général que présente cette contrée.
Le voyageur éprouve en la parcourant une impression pénible ; la continuelle nudité des lieux lui rend plus sensibles l’anéantissement des villes et la disparition de leurs habitants ; il ne voit devant lui que plaines grisâtres et collines arides ; il s’avance, et c’est toujours le même aspect ; et au milieu de ce vaste tableau sans vie comme sans couleur, à peine si la présence de l’homme lui est indiquée par le bêlement lointain des troupeaux et les taches noirâtres des tentes arabes.
Dans la vallée maréotide, le grès se voit plus souvent que le calcaire ; en poursuivant vers l’ouest jusqu’à l’Akabah-el-Soloum, le calcaire[59] domine et devient souvent coquillier, ou bien il est uni avec le grès. On rencontre, mais rarement, dans quelques ravins des couches de quartz, et du spath calcaire en lames.
Le terrain compris entre l’Akabah-el-Soloum et le golfe de Bomba, en partie plus élevé que le précédent, comme nous l’avons fait remarquer, en diffère néanmoins très-peu pour la nature du sol. Des masses de grès sont pour ainsi dire entées sur du calcaire, et quelquefois une vallée présente le contraste de deux collines rapprochées et de formation différente.
Les terres, généralement argileuses, ne sont point défavorables à l’agriculture : les lieux les plus fertiles sont les bas-fonds qui entretiennent plus long-temps l’eau des pluies, et les plateaux formés par des collines que leur élévation garantit de l’invasion des sables. Partout où les murs rocailleux et les contre-forts qui courent de l’est à l’ouest, laissent un passage par leur absence ou leur peu d’élévation, les sables poussés par les vents du sud viennent s’unir aux terres et prolongent quelquefois leur envahissement jusqu’aux bords de la mer.
L’uniformité du sol rend la végétation peu variée ; les mêmes espèces de plantes, à quelques-unes près, se retrouvent dans toute la Marmarique. Mais celles que l’on y voit en plus grand nombre, et qui caractérisent pour ainsi dire ce littoral par leur continuel aspect, sont, le long des bords de la mer, et auprès des lacs d’eau salée : l’ephedra, la nombreuse famille des soudes, parmi lesquelles on voit constamment la salsola vermiculata qui s’élève en arbrisseau. Une espèce ligneuse du genre arthémise, appelée chéah, s’étend depuis la petite Akabah jusqu’au golfe de la Syrte, et suit la partie méridionale des terres cultivables. Le scilla maritima parcourt la même distance, mais sur la partie la plus fertile, celle qui est entre les bords de la mer et les confins des terres. Sa hampe persistante et alongée hérisse généralement les plaines ; sèche, elle sert de combustible aux habitants, et verte, elle récrée la vue par ses fleurs blanches et disposées en grappe terminale.
On trouve fréquemment dans cette même partie des terres où croît le scilla, une espèce de rubia, dont la tige est peu rameuse, mais très-frutescente. Ces deux plantes rappellent singulièrement ce que nous[60] apprend Hérodote[80] sur les logements portatifs des Libyens, qui étaient faits en asphodèles entrelacés avec des joncs, et sur l’usage qu’avaient leurs femmes de teindre en rouge de garance les peaux de chèvre qui leur servaient de vêtements.
Classerons-nous parmi les divisions générales des végétaux de la Marmarique, les roccella, et surtout les lichen, parmi lesquels on rencontre souvent la pulmonaire de terre ? Ces cryptogames, qui, dès les premières pluies, couvrent partout le sol avec profusion, rapprochent le climat de la Marmarique de celui de l’Europe, et le distinguent aussi parfaitement de celui de l’Égypte.
Je n’ai jamais vu aucune espèce de ces plantes sur les terres d’alluvion de la vallée du Nil ; on y trouve des mousses et des hépatiques dans l’intérieur des puits, de même que des lichen et quelques autres cryptogames sur la crête arabique, mais non de ces espèces foliacées dont la végétation n’est alimentée que par des pluies abondantes. Je puis ajouter que l’utilité des lichen est peu connue en Égypte, et cependant très-appréciée en Nubie, où les caravanes l’apportent des contrées pluvieuses situées dans la partie méridionale des Tropiques.
Si de ces considérations générales nous passons à des aperçus de détail, nous verrons dans les bas-fonds des plaines, dans les enfoncements des vallées, et même dans les endroits sablonneux, une foule de graminées, telles que les agrostis, les poa, les festuca, les arundo, le bromus tenuiflorus, l’avena sterilis, et une très-petite espèce d’osurus, se rencontrer souvent avec des syngénèses, telles que les anthemis maritima et arabica, les senecio laxiflorus et glaucus, les gnaphalium stœchas et conglobatum, le crepis filiformis, et plusieurs aster ; avec des crucifères, telles que les cleome, les eruca, les clypeola ; enfin avec des boraginées, des ombellifères et des caryophillées, telles que l’anchusa bracteolata et le lithospermum callosum, dans les sables ; les buplevrum et les cuminum, dans les terres ; les silene linguata et pigmæa, les stellaria, etc.
Il faut faire mention encore de quelques plantes faisant partie d’autres familles, telles que le beau plomis samia, dont les grandes fleurs d’un[61] jaune éclatant, réunies en une grappe comprimée, contrastent avec la couleur terne du sol ; d’autres, au contraire, qui se confondent avec lui, telles que les plantains lagapoïdes et amplexicaulis ; enfin plusieurs euphorbes, entre autres la minima et l’heterophylla, et notamment les statice que l’on trouve également dans les sables et dans les terres.
Je pourrais augmenter cette nomenclature ; mais, comme dans la saison où je traversais la Marmarique, la plupart des plantes étaient encore défigurées par les chaleurs de l’été, j’ai été forcé à me borner le plus souvent à de simples indications de genre qui sont toujours très-vagues. Je fus plus heureux dans la Pentapole, et je pourrai donner, en traitant de cette autre région, plus de précision à cette branche de mes recherches, du moins pour le petit nombre de plantes qui m’ont paru offrir quelque intérêt par leur organisation, ou par leur utilité pour les habitants.
J’ai fait mention de quelques arbustes qui suivent les contre-forts des collines ou sortent des crevasses des rochers. Quant aux arbres, à l’exception des palmiers de Boun-Adjoubah et de Berek-Marsah, si l’on en trouve dans cette contrée, loin d’interrompre momentanément sa nudité, ils se dérobent, au contraire, à la vue. En effet, les terres d’alluvion que contiennent les citernes ruinées et les carrières donnent lieu à la végétation de figuiers sauvages (ficus carica) et de caroubiers. Ces arbres, dont la cime ne s’élève que très-peu au-dessus du niveau du sol, paraissent comme enfouis dans les entrailles de la terre, et, à moins qu’on n’en soit très-près, on les confond avec les petits végétaux qui les entourent.
La zoologie de la Marmarique est bornée à un petit nombre d’animaux : le lièvre est de tous les quadrupèdes celui que l’on y rencontre le plus fréquemment ; caché dans les broussailles, il part avec la rapidité de l’éclair dès qu’on s’en approche ; mais, quelque grande que soit son agilité, il a un ennemi plus svelte encore qui parvient à l’atteindre.
Le soulouk, espèce de lévrier originaire de la Barbarie occidentale, est dressé par les Arabes pour la chasse du lièvre ; il suffit que le chien puisse l’apercevoir à l’instant de son départ, aussitôt il s’élance après lui, souvent même il dépasse le timide animal ; mais rétrogradant soudain, il l’arrête, le cerne, et il est rare qu’il ne parvienne à l’immoler pour servir à la nourriture de son maître.
[62]Les troupeaux de gazelles suivent les sinuosités des vallées et s’avancent rarement jusqu’aux bords de la mer : quoique leurs mouvements soient moins prompts que ceux du lièvre, néanmoins l’élasticité de leur corps et l’inégalité de leurs bonds réitérés parviennent à lasser les meilleurs soulouks et à les dérober le plus souvent à leurs poursuites.
Ce joli animal, dont les formes gracieuses et la pétulante vivacité sont si souvent l’objet des comparaisons poétiques des Arabes, est tellement connu que je ne saurais rien ajouter aux portraits que l’on en a déja faits. Les sables reçoivent l’empreinte de ses pates bifurquées, et trahissent ainsi sa fuite et sa retraite ; mais dans les terres durcies ou rocailleuses de la Marmarique, qui n’offrent pas le même secours à l’Arabe chasseur dépourvu de soulouk, un autre indice, quoique moins certain, lui sert à reconnaître à peu près l’époque et le lieu du passage des gazelles. C’est l’odeur de musc qu’exhalent leurs crottes, et qui est plus ou moins forte selon qu’elles sont plus ou moins récentes. J’ai remarqué que toutes les plantes aromatiques du désert, et particulièrement le statice tubifora[81], nommé hachich-el-gazal par les Arabes, sont les plus recherchées par les gazelles.
Le loup d’une petite espèce, le chakal, l’hyène, le hérisson, le rat et la gerboise, connue sous le nom de dipode par les anciens[82], sont les autres quadrupèdes que l’on rencontre encore dans la Marmarique.
Parmi les reptiles, le plus inoffensif est sans contredit la tortue, que l’on trouve fréquemment dans les plaines sous des touffes de broussailles. Le céraste qu’échauffèrent dans leur sein les sables brûlants de la Libye, redoute, en hiver, les pluies de la Marmarique, et se réfugie dans les cavités des citernes ruinées, où il se trouve en société des scorpions, des lézards et d’autres espèces de cette hideuse famille dont je n’aimais guère à déranger le repos.
Dans la saison où je parcourais ce pays, il ne me parut pas très-riche en insectes ; des sauterelles, l’araignée, la fourmi, un grand nombre de scarabées, entre autres le scarabæus-sacer, sont les seuls[63] que j’aie vus. Sans doute l’œil exercé de l’entomologiste aurait trouvé dans ceux-là mêmes des caractères nouveaux ou intéressants, et en aurait distingué d’autres qui ont échappé à mes regards. Je ne rangerai point parmi ces derniers une quantité prodigieuse de petits limaçons blancs qui couvraient presque tous les végétaux, et leur donnaient l’aspect d’une floraison générale. Quelques Arabes les mangent, sans autre assaisonnement que de les jeter par poignées sur des broussailles allumées ; ils ont le soin, il est vrai, d’en relever quelquefois le goût avec des sauterelles d’une grosse espèce, et qui ne subissent pas d’autre préparation : mais ce ne sont que les plus pauvres d’entre eux qui recourent à ces mesquines ressources pour leur nourriture ; et s’ils ont conservé de pareils usages, c’est sans doute pour ne point faire du tort à la mémoire des Libyens leurs prédécesseurs[83].
Dans un pays totalement dépourvu de forêts, et où la vue d’un arbre est un phénomène, les plus jolies espèces d’oiseaux, celles surtout qui nous charment par leur mélodie, doivent être bien rares. Habituées à chercher sous des dômes de feuillage un abri contre les rayons du soleil, et un asile aérien pour y confier leur naissante postérité, elles détournent leur vol de cette contrée nue et inhospitalière, et le prolongent jusqu’aux riants bosquets de la Pentapole.
Aussi parmi les nombreux habitants de l’air, ceux qui fréquentent habituellement la Marmarique sont bien en rapport avec la tristesse de la contrée : leurs chants ne sont que des cris sinistres ; et s’ils se meuvent, c’est pour chercher une proie.
Je voyais fréquemment l’aigle, le milan, le vautour, planer sur les troupeaux ; des bandes de corbeaux se pressaient autour d’un cadavre isolé, tandis que des hiboux et des chouettes étaient tapis dans les crevasses des rochers ou sous les décombres des ruines, pour se dérober à la clarté du jour.
Les bords de la mer n’offraient pas un spectacle plus riant : l’alcyon, la cigogne, l’oubara et d’autres espèces d’oiseaux aquatiques, ressemblaient tantôt à des points immobiles au milieu de la surface des lagunes ; ou bien, rangés sur le rivage en ligne régulière, tranquilles, ils laissaient[64] les ondes se dérouler sur leurs pates exhaussées. Quelquefois à cette immobilité monotone succédait un vol précipité, et une grande confusion régnait entre eux, mais c’était pour m’annoncer l’approche d’un orage.
Toutefois, vers la fin de décembre, lorsque ce littoral se couvre d’un peu de verdure, l’on voit des alouettes, des cailles, des faisans, en un mot, un grand nombre d’oiseaux voyageurs qui viennent s’y reposer, et poursuivent ensuite leur périodique migration.
Habitants de la Marmarique.
Pour mieux distinguer les habitants de cette région, je la diviserai en deux parties : la première et la plus grande, celle qui est comprise entre Alexandrie et l’Akabah-el-Soloum, est exclusivement habitée par les Aoulâd-Aly ; le plateau de Za’rah, formé par cette montagne, est occupé à-la-fois par les Aoulâd-Aly et les Harâbi ; et depuis le revers occidental de ce plateau, le reste de la Marmarique est au pouvoir de ces derniers.
La nombreuse tribu des Aoulâd-Aly se subdivise en quatre corps ou Bednat, qui habitent, chacun, leurs cantons respectifs.
Le Baharièh, partie occidentale du lac Maréotis jusqu’à Damanhour, est occupé par les Aoulâd-Karouf, l’Ouadi-Mariout par les Senenèh, la petite Akabah par les Seneghrèh, et le plateau de l’Akabah-el-Soloum par les Aly-el-Akhmar.
Chacun de ces quatre corps se subdivise en plusieurs petites tribus ou familles, savoir :
[65]Outre ces Arabes, on en trouve encore d’autres dans la Marmarique qui appartiennent au grand corps des Mouraboutin, réparti dans toutes les tribus qui occupent les différents déserts, mais formant néanmoins une classe à part, qui se subdivise aussi en plusieurs familles ; celles qui habitent la contrée dont il s’agit sont connues sous les dénominations suivantes :
Au Bahirèh, les | ||
Shaëth | Aoulâd-Aly. | |
Djouâbis | ||
A l’Ouadi-Mariout, les | ||
Chtour | Aoulâd-Aly. | |
Sammalouss | ||
A la petite Akabah, les | ||
Srhêet | Aoulâd-Aly. | |
Sur le plateau de l’Akabah-el-Soloum, les | ||
Mouâlek | Harâbi. | |
Srhânèh | ||
Heit-Meirèh | ||
Echrousât | Aoulâd-Aly. | |
A la vallée de Daphnèh, les | ||
Habboun | Harâbi. | |
Chouaërh | ||
Ghettâan | ||
Au golfe de Bomba, les | ||
Meneflèh | Harâbi. | |
Ghereirèh |
Une plus grande réserve dans les mœurs, et une observation plus scrupuleuse des préceptes du Coran, sont les qualités qui distinguent généralement les Mouraboutin des autres Arabes du désert. Ils composent, pour ainsi dire, un ordre religieux qui, sans le secours de prosélytes, se renouvelle lui-même dans ses propres descendants. Quoique les Mouraboutin se livrent généralement aux mêmes travaux que les autres Arabes, cependant il y en a parmi eux qui se renferment dans de petites constructions élevées dans le voisinage des villes. Mais cet usage n’est adopté que rarement et par quelques vieillards dont le corps épuisé ne peut plus[66] ni guider les travaux de la charrue, ni supporter les fatigues des voyages.
S’il est difficile d’évaluer avec exactitude la population des villes de l’Orient, il est presque impossible de connaître celle des contrées occupées par des peuplades errantes. Dans le premier cas, on a du moins sous les yeux plusieurs points de comparaison, d’où l’on peut tirer des inductions très-approchantes ; dans le second, au contraire, tout est incertitude, puisque l’inconstance des Nomades dans le choix de leur demeure et la durée de leur séjour, trompe sans cesse les investigations du voyageur : au défaut de preuves, il faut alors se contenter de renseignements.
En contrôlant tous ceux que j’ai pu réunir sur le nombre des habitants de la Marmarique, je crois m’approcher de la vérité, si je suppose que chacune des tribus que je viens de nommer soit composée de trois cents tentes, et chaque tente de quatre habitants des deux sexes. Selon ce calcul, le plus étendu que je puisse admettre, la population de tout le pays compris entre Alexandrie et les montagnes de la Cyrénaïque, s’élèverait environ à 38,000 ames, dont la moitié seulement serait armée. Parmi ces 19,000 hommes armés, je ne crois point qu’il faille en compter plus du cinquième qui possède des chevaux, ce qui porterait le nombre des cavaliers à 4,000 au maximum.
Dans ce calcul de la population de la Marmarique, j’ai dû comprendre ceux des Harâbi qui habitent sa partie occidentale. Quoique les mêmes causes produisent chez ces différentes peuplades à peu près les mêmes effets, néanmoins, comme ces derniers font partie de la grande famille qui occupe la Pentapole, et qui sera le sujet d’un examen particulier, je ne les comprendrai point, pour plus d’exactitude, dans le tableau rapide que je vais tracer, spécialement consacré à la célèbre tribu des Aoulâd-Aly.
Depuis que Mohammed-Aly est parvenu à attirer dans les villes les chefs les plus remuants de la nombreuse tribu des Aoulâd-Aly[84], ces Arabes ont bien déchu de leur ancienne réputation. La bravoure et les exploits des Aoulâd-Aly, consignés encore dans des chansons populaires, les rendaient autrefois redoutables à tous leurs voisins. Ils profitaient du moindre trouble qui survenait dans les principales villes de l’Égypte, et[67] dont ils étaient quelquefois les fauteurs, pour fondre à l’improviste dans les bazars, et disparaître aussitôt dans les solitudes, alors inaccessibles, avec le riche butin qu’ils confiaient à la vélocité de leurs juments. Ils occupaient alors, en majeure partie, tout le pays qui s’étend depuis l’Égypte jusqu’à la grande Syrte ; et de leurs camps innombrables qui couvraient ce vaste littoral, se détachaient des corps de cavalerie qui se dispersaient dans les déserts du sud, allaient faire contribuer les Oasis, s’emparaient des caravanes d’esclaves, et poussaient leurs courses audacieuses jusqu’au fond de la Nubie. Mais, par un contraste singulier, ces hommes farouches et spoliateurs hors de leurs camps, devenaient humains et hospitaliers dès qu’ils y rentraient ; de plus, ces mœurs paraissent communes à tous les Arabes qui habitent les différents déserts ; un écrivain justement célèbre l’a observé long-temps avant moi.
Devenus plus paisibles, moins nombreux et plus resserrés dans les limites de leur domaine, les Aoulâd-Aly, tels que je les ai vus, composent une société dont il m’a paru difficile de déterminer le gouvernement. On pourrait le nommer aristocratique, mais il en aurait tout au plus la forme, sans en avoir l’effet. Leurs cheiks n’exercent qu’une autorité précaire, et qui est moins le résultat de la force que celui de la réputation et de l’estime dont ils jouissent dans la tribu. Depuis l’époque que je viens de rappeler, ils font confirmer leur titre, il est vrai, par le pacha d’Égypte ; mais de retour dans leurs camps, le bernous d’honneur qu’ils ont reçu du prince, loin d’être le signe du pouvoir et du ralliement, serait celui du mépris et de l’abandon, si les suffrages de la tribu n’avaient précédé ceux du pacha.
En effet, cette faveur du souverain d’Égypte, sans secours pour la faire valoir, deviendrait au moins illusoire ; le cheik ne diffère en rien des simples Arabes ; aucun signe du pouvoir ne l’entoure, aucune ressource pour l’établir n’est à sa disposition : ses trésors sont des troupeaux plus nombreux ; ses gardes sont ses proches et ses enfants. Aussi, ne pouvant exercer l’autorité par la violence, il l’obtient par la libéralité et la douceur.
Devant sa tente est un grand prolongement, espèce de caravanserail du désert, où sont accueillis tous les voyageurs, où l’on célèbre les grands repas, enfin où se réunissent les plus âgés de la tribu pour délibérer sur les affaires pressantes. J’ai été témoin de ces délibérations : elles[68] sont tumultueuses, bruyantes, le plus souvent tous parlent ou crient à-la-fois ; mais dès que le cheik, qui ordinairement est un vieillard, demande la parole, le tumulte s’apaise et le calme renaît.
Ces Arabes sont d’une taille médiocre, mais bien proportionnée ; leur figure basanée, maigre, est généralement régulière : l’œil noir et vif, le nez assez grand et jamais aquilin, le front large et souvent avancé, forment un caractère constant qui atteste leur antique origine, indique leur éloignement pour les mésalliances, et les distingue parfaitement des Arabes mograbins. Leur barbe peu fournie, courte et dégarnie latéralement, se termine en pointe au menton ; elle blanchit de bonne heure, ce qui occasionne la surprise qu’éprouve un Européen en voyant l’emblème de la caducité contraster avec des yeux pleins de feu, et avec toutes les apparences de la force et de l’agilité.
Le reste du corps est également peu velu ; faut-il en attribuer la cause aux fatigues et aux privations ? J’ai remarqué que ceux des Bédouins qui ont quitté le désert pour habiter la vallée du Nil, ont généralement avec plus d’embonpoint la barbe plus touffue. Ceux-ci sont méprisés par leurs anciens confrères, qui les nomment ironiquement Arab-el-Hêt, Bédouins casaniers ; et quelque soin qu’ils mettent à ne point se mésallier avec les autres agriculteurs, leur figure gagne en air de prospérité, mais elle perd insensiblement son caractère originel.
Non seulement les habitudes de la vie influent sur le moral de l’homme, mais elles parviennent à donner aux traits du visage, et même au maintien habituel du corps, un caractère qui leur est relatif. Que l’on déguise un Bédouin sous la chemise bleue des Fellahs[85], qu’il soit ainsi confondu parmi ces derniers, la fierté de ses regards, sa démarche, ses gestes, le feront bientôt reconnaître. Cette fierté est le type distinctif des Arabes du désert ; elle est imprimée sur leurs traits, et leur donne une énergie qui paraît susceptible d’inspirer les plus fermes résolutions.
La physionomie de ces Arabes donne lieu à une autre observation qui peut acquérir quelque intérêt aux yeux du philosophe. Leur figure, ordinairement sévère, sans être triste, n’offre jamais cet air d’étourderie et de[69] gaîté légère que l’on remarque souvent chez d’autres nations, et quelquefois même en des personnes d’un âge très-avancé. Mais si, par une suite de malheurs, il en est parmi ces Arabes qui tombent dans l’indigence, les traits de leur visage, loin d’être flétris par la honte et le découragement, n’en offrent pas moins la même noblesse ; et ces hommes, quoique couverts de haillons, conservent l’assurance du bien-être et la dignité de l’indépendance. Ce phénomène moral ne peut provenir uniquement de la pieuse résignation que le Coran inspire à ses sectateurs, puisque nulle part l’indigence n’est plus hideuse, nulle part elle ne dégrade plus la figure humaine que dans les villes de l’Orient, où le contraste qu’elle présente avec le luxe est encore augmenté par la terreur que répand le despotisme. La stoïque tranquillité de l’Arabe du désert dans l’infortune a sa principale source en ce que, dans tout ce qui l’entoure, rien ne peut le porter à faire un retour humiliant sur lui-même. En outre, ayant peu de besoins, il a peu de désirs ; ce qu’il a perdu, il espère l’acquérir de nouveau ; et tandis qu’il attend sans inquiétude un sort plus favorable, il trouve dans la fraternité qui règne dans sa tribu et dans les inviolables lois de l’hospitalité, un asile assuré pour les premiers besoins de la vie.
Cette existence facile et ces désirs bornés sont la cause, il est vrai, du peu d’activité et même de l’insouciance que l’on remarque en général chez ces Arabes. Je n’examinerai point si les brillants avantages produits par l’égoïsme des peuples policés rendraient ces hommes plus heureux ; ce sujet m’entraînerait trop loin, et je continue mon récit.
Le costume des Aoulâd-Aly est le même que celui des autres Arabes du désert libyque. Un bonnet de drap rouge (tarbouch) ou de feutre blanc (takièh) couvre leur tête ; les cheiks ornent quelquefois ce bonnet d’un schall, mais ils affectent de le coiffer différemment des Osmanlis. Les plus aisés chaussent des boulghas, souliers jaunes que l’on fabrique dans les villes de la Barbarie. Un ample caleçon de toile nommé lebas, noué à la ceinture, leur descend jusqu’aux jarrets ; ils revêtent ordinairement par-dessus une chemise bien plus ample encore, mais ils en sont quelquefois dépourvus, et le ihram la remplace.
Cette dernière partie du costume bédouin en est aussi la plus indispensable comme la plus distinctive. C’est tout simplement une pièce[70] d’étoffe de laine, formant un parallélogramme très-alongé, que l’on revêt sans couture ni incision préalable. Mais l’Arabe du désert possède l’art de la draper avec une noblesse et une simplicité que voudraient en vain imiter le Fellah et l’habitant des villes. Porté par ces derniers, le ihram n’est plus qu’une draperie lourde et sans grace, qui gêne leur démarche et embarrasse leurs gestes ; ils en sont plutôt affublés que drapés ; aussi, quoique parés de ce passe-port nécessaire dans les régions libyques, ces faux Bédouins sont bientôt trahis par leur allure composée ou par leur maintien gauche et timide. Que l’Arabe du désert, au contraire, revête le ihram immédiatement sur sa peau bronzée ou sur sa large chemise, il le dispose avec un art d’autant plus inimitable, qu’il est le fruit de l’habitude et non de la recherche.
Une des extrémités du ihram, repliée et nouée au quart de sa longueur, forme une ouverture qui donne un libre passage à la tête et au bras gauche ; la partie nouée descend en replis sous ce bras, soutenue par le nœud qui vient se poser sur l’épaule droite ; le reste de la draperie est jeté négligemment sur l’autre épaule, ou bien il fait auparavant un contour sur la tête pour la préserver des rayons du soleil.
Ce costume, qui a de l’analogie avec celui des temps héroïques, ne saurait être plus simple, et par cela même il est noble et martial.
L’instant où l’Arabe saisit d’une main la bride et le pommeau de la selle, et de l’autre jette le pan de sa draperie sur l’épaule et s’élance en même temps sur le cheval, cet instant, dis-je, présente des mouvements combinés avec une noblesse et une aisance particulières aux mœurs de ces hommes du désert. Mais l’usage du ihram ne se borne point à draper noblement le corps, il supplée à lui seul tout le mol attirail de nos lits européens. Sans autre secours que leur costume, ces Arabes trouvent leur lit partout ; qu’ils dorment en plein air ou sous les tentes, ils se blottissent dans leur draperie, et s’en couvrent de telle manière qu’une personne étrangère à leurs usages, en entrant la nuit dans un camp ou s’arrêtant près d’une caravane, chercherait en vain les habitants ou les conducteurs, si un allah, un hia akbar, un hia mastour, ou telle autre exclamation prononcée de temps à autre en accents étouffés, ne décelait des hommes sous des paquets de hardes.
[71]Les femmes portent aussi le ihram, mais elles le vêtent différemment. Une partie de la draperie contourne la tête en guise de capuchon, et le reste est assujetti autour du corps par une ceinture ordinairement en peau. Leurs cheveux, qu’elles laissent croître dès l’enfance, sont disposés en tresses autour du front ou tombent flottants sur les épaules. Elles les couvrent ordinairement du médaouârah, étoffe qui est quelquefois de soie et coton, bariolée de différentes couleurs, et plus souvent de laine noire.
Les Bédouines ont l’avantage de n’être point voilées par le bounah[86], imposé par la jalousie orientale à toutes les femmes indistinctement qui habitent les villes[87]. Les traits de leur visage sont réguliers, et s’ils n’étaient défigurés par des tatouages de khol et d’énormes anneaux en verre ou en argent qui leur pendent aux oreilles et souvent même au nez, ils ne seraient pas dépourvus d’agrément. Elles ne se bornent point à charger leur figure de ces lourds ornements, elles s’en garnissent aussi les jambes et les bras ; leur nombre augmente même en raison de leur coquetterie ; mais fort heureusement pour leurs maris que ce surcroît de luxe ne témoigne pas chez les modernes Libyennes les mêmes conséquences que chez les anciennes[88].
Pour les Bédouins limitrophes de la vallée du Nil, la loi sacrée de l’hospitalité n’est plus qu’un simple nom de tradition ; partager le pain et le sel, n’est plus qu’une vaine simagrée qui n’oblige à aucun devoir, et dont ils savent toutefois au besoin invoquer l’inviolabilité. Corrompus par le voisinage des villes, excités par les jouissances qu’elles procurent, ils n’ont d’autre loi que l’intérêt, d’autre désir que le gain. J’ai trouvé des différences bien notables chez les Arabes de la Marmarique[89].
Ceux-ci sont loin, il est vrai, d’avoir conservé toute la pureté de mœurs de la vie patriarcale ; leur amour pour l’argent est même assez vif, mais il est rare qu’il les porte à des excès coupables pour s’en procurer. De[72] plus, selon mon expérience et le témoignage des voyageurs indigènes, les Aoulâd-Aly respectent généralement le droit de propriété ; les Mograbins disent proverbialement que lorsqu’ils ont descendu la grande Akabah, leurs biens et leurs personnes sont en sûreté.
Il est une observation que m’ont inspirée, à quelques différences près, tous les habitants du désert que j’ai connus : quoique scrupuleux observateurs des préceptes du Coran, et par conséquent fanatiques par devoir, toutefois les Bédouins n’offrent point dans leur fanatisme ces formes repoussantes et cet esprit intolérant que l’on ne remarque que trop souvent chez les Musulmans des villes ; les idées sont les mêmes partout, mais leur effet est bien différent.
En parcourant la vallée du Nil, j’ai été plus d’une fois exposé, comme chrétien, aux gestes menaçants et aux imprécations farouches d’un stupide Santon ou d’un brutal Osmanli ; tandis qu’en traversant les camps des Bédouins, ou bien en pénétrant dans leurs tentes, mon oreille n’a jamais été frappée d’aucune insulte. Chez les Aoulâd-Aly, j’ai même reçu le plus souvent un accueil assez doux, et une hospitalité, sinon tout-à-fait désintéressée, du moins obligeante.
La première impression que je produisais sur eux m’était toujours favorable ; je m’apercevais alors qu’un sentiment indépendant de leurs idées religieuses les engageait à bien accueillir un être semblable à eux ; ils me voyaient souffrir les mêmes maux, ils étaient portés à les soulager. La froideur et la réserve succédaient quelquefois à ces élans de bonté naturelle ; elles étaient produites spontanément par leurs fréquentes et intempestives citations du Coran qui arrêtaient les progrès de notre naissante intimité, sans toutefois occasionner de propos injurieux.
Lorsqu’ils m’accompagnaient dans mes courses, ils souriaient de pitié en examinant mes différents travaux ; ils plaignaient mon aveuglement de surmonter tant de fatigues pour des choses qu’ils traitaient de futilités ; et souvent, après avoir adressé des prières au Prophète, afin qu’il éclairât les infidèles de sa lumière, ils s’entretenaient familièrement avec moi, et m’aidaient à la recherche des objets que je désirais connaître.
Je cite ces détails, parce qu’ils me paraissent prouver que ces hommes, dont le premier abord est si farouche, ont néanmoins un fonds de bonhomie[73] qui rendrait leur commerce assez doux, même pour un Européen, si leurs louables qualités n’étaient malheureusement altérées par le funeste esprit d’une religion exclusive.
Passons à leurs habitudes, nous les trouverons aussi simples et aussi peu variées que leurs idées.
Les femmes s’occupent seules des soins du ménage ; elles dressent les tentes, y entretiennent la propreté, préparent différents laitages et tous les aliments, et se dispersent, le soir, dans les environs de la demeure, pour recueillir des herbes sèches et quelques plantes ligneuses éparses dans les vallées.
Du reste, elles jouissent d’une grande liberté qui paraît d’abord peu s’accorder avec le caractère soupçonneux des Orientaux. Il n’est point rare de les voir causer familièrement, loin de leurs tentes, avec les autres Arabes de la tribu, sans que la jalousie de leurs maris en conçoive aucun ombrage.
L’orgueil est sans doute le principal motif de la confiance des Arabes du désert dans la vertu de leurs femmes ; cette confiance est même sans limites envers leurs filles ; mais si elles la trahissaient, et surtout par des liaisons étrangères au sang bédouin, les suites en seraient terribles[90].
Les filles et les jeunes gens des différentes familles passent ensemble des journées entières sans occasioner ni soupçon ni scandale. Leur développement précoce hâte l’époque des mariages, et souvent à l’âge de quinze ans ces Bédouines sont déja mères.
[74]Dans les déserts comme dans les villes, les filles sont vendues à leurs époux moyennant une somme d’argent plus ou moins forte, selon le degré de leur beauté : ici même elles sont plus communément échangées contre des troupeaux, et, pour le dire en passant, il est rare que la plus jolie de ces Bédouines soit évaluée au-delà de deux chameaux !
Mais si ces Arabes partagent, comme Musulmans, la plupart des vices inhérents au culte qu’ils professent, il est à remarquer, je le répète, que ces vices sont bien moins choquants chez eux que chez les habitants des villes. La pauvreté des Aoulâd-Aly est un garant de leur moralité ; il est rare qu’ils aient plus d’une femme. Faut-il encore attribuer à cette pauvreté la bonne intelligence qui paraît régner dans leurs ménages ? Ces outrageants divorces que le voluptueux Musulman des villes se plaît à renouveler si souvent sont très-rares chez eux ; et en général ces hommes sobres et austères, quoique sectateurs de Mahomet, paraissent plutôt considérer en leurs femmes des compagnes à leurs peines, que des meubles pour leurs plaisirs.
Ces observations m’ont paru d’autant plus remarquables que les Aoulâd-Aly mènent une vie très-oisive.
Dès que la terre a été sillonnée et que le grain lui a été confié, toutes leurs occupations se bornent à garder les troupeaux et à veiller à la sûreté de la famille. Quelques-uns font des voyages en Égypte, à Syouah et à Derne ; ils portent à Alexandrie et à Damanhour la laine de leurs troupeaux, et en rapportent des ihram, des toiles, des armes et de la poudre ; ils prennent à Syouah et à Audjelah des dattes qu’ils échangent contre du beurre et des bestiaux, et ne se rendent que très-rarement à Derne lorsqu’ils louent aux marchands leurs chameaux comme bêtes de somme.
Leur nourriture habituelle consiste en dattes sèches, en laitage et en farine d’orge et de blé, qui, pétrie et jetée sur des tisons ardents, compose leur pain qu’ils nomment foutah, et cuite dans un grand vase avec quelques assaisonnements, forme le hedjim ou le plat par excellence. Toutefois, aux grands jours de fête, et lorsqu’ils acquittent les devoirs de l’hospitalité, leurs repas sont plus somptueux, et la viande de mouton est un mets obligé. Chez les plus aisés, on voit même, dans ces circonstances,[75] figurer les bammièh et les melloukhièh[91] d’Égypte, et d’autres friandises encore plus recherchées.
De tous leurs ustensiles de ménage, le kassah, vaste soucoupe en bois, de deux à trois pieds de diamètre, est le plus utile. Après avoir servi, dans la journée, à abreuver les troupeaux et à d’autres usages domestiques, le kassah posé le soir sur la modeste natte, réunit la famille arabe qui s’accroupit circulairement auprès de l’universel ustensile. Dès que l’on a prononcé l’indispensable bismillah[92], chacun pétrit avec ses doigts les pâtes ou les légumes en boules, et forme peu à peu dans l’épaisseur de ce mets un creux devant lui, que le chef de la famille a soin de combler de temps en temps, en promenant sa main du centre à la circonférence du plat.
Tel est l’avantage de la civilisation, que de pareils usages adoptés par les chefs mêmes de ces peuplades, exciteraient les dédains du plus modeste bourgeois d’Europe. Toutefois je dois faire observer que, dans les moments où le cheik et même les simples Arabes de la tribu prennent aussi peu délicatement leur repas, s’il vient à passer un voyageur, pauvre ou riche, n’importe, le généreux bismillah l’invite indistinctement à partager la table hospitalière ; et l’étranger, comme l’indigène, chez ce peuple grossier, accepte sans honte ainsi qu’on lui donne sans orgueil des secours qu’il serait injurieux de payer, et cela comme chose toute naturelle et d’habitude.
Après ces détails il est peut-être superflu d’ajouter que ces Arabes ne sont point gourmands ; ils n’aiment en général que les mets très-substantiels, dont ils relèvent le goût avec du piment en poudre ; mais ils le prodiguent avec tant de profusion que j’ai souvent été surpris que leur palais pût y résister. Ils dévorent les aliments plutôt qu’ils ne les savourent ; selon leurs idées, l’instant consacré à la nourriture ne doit point être envahi par la conversation ; aussi leurs repas sont courts et silencieux. Le même usage est suivi dans les villes et même chez les grands ; s’il choque nos mœurs, il favorise et commande même la sobriété. Je me suis trouvé quelquefois[76] à la table des beys et d’autres seigneurs orientaux ; les mets sont servis avec profusion, mais le plus souvent tous à la fois, et ils sont enlevés avant d’être à moitié consommés : il est vrai que chez ces derniers, et dans les villes en général, le même service passe ensuite aux femmes, et des femmes aux domestiques ; ce qui n’a pas lieu chez les Arabes du désert, où nulle distinction servile ou orgueilleuse n’est admise.
Le peu d’occupations qu’ont ces Arabes, et non l’influence du climat, font pencher leur caractère vers l’indolence ; sérieux, comme tous les Orientaux, ils passent des journées entières accroupis sur leurs talons, et n’échangent que par intervalles quelques paroles entre eux.
Il est à remarquer que leurs propos sont toujours accompagnés d’exclamations ou de sentiments religieux ; le nom de Dieu, Allah, est répété à chaque phrase et presque à chaque mot ; s’ils parlent, il remplit leurs conversations ; s’ils se taisent, il interrompt leur silence. L’habitude sans doute plutôt que la réflexion les porte à cette continuelle répétition d’idées religieuses ; le plus grand avantage qu’ils paraissent en retirer, c’est la résignation, qualité distinctive des Musulmans, et qui prend quelquefois un caractère sublime dans les dangers et les grandes souffrances.
Cette pieuse résignation est bien plus touchante dans les déserts que dans les villes, et j’ai souvent été frappé de la majesté qu’elle imprime chez les Bédouins, même aux pratiques extérieures de leur culte. Depuis long-temps on a ridiculisé en Europe les nombreuses gesticulations qui accompagnent les prières des Musulmans. J’avoue que les danses inspirées et les tournoiements convulsifs des santons, et les exercices journaliers de la prière, exécutés par une partie de la population à la porte même des maisons et des boutiques, produisent sur un Européen une impression moins respectueuse que plaisante. Mais que l’on porte les regards dans l’intérieur du désert vers cet Arabe simplement vêtu d’une ondoyante draperie blanche, costume qui ajoute à la gravité de son maintien ; que l’on choisisse la prière du Moghreb[93], alors que le[77] sol brûlant de ces contrées est rafraîchi par la disparition du soleil ; alors que l’horizon se colore d’un rideau de pourpre qui se dégrade en teintes les plus douces ; dans ces heureux moments où tout ce qui respire dans ces lieux est rendu à l’activité et le cœur de l’homme à l’espérance ; que l’on voie alors cet Arabe lever les yeux et les mains au ciel ; qu’on l’entende s’écrier d’une voix pénétrée mais calme : Dieu est grand ! Dieu est miséricordieux ! et se prosterner devant l’Être invisible qu’il implore, humilier contre la terre son front sillonné par les privations ; que l’on examine son air de confiance dans la Divinité, confiance bien naturelle dans ces affreuses solitudes où l’homme ne paraît qu’un grain de sable ajouté aux mers de sables qui l’entourent ; que l’on se représente un pareil tableau, et ces mêmes paroles, ces mêmes gestes que nous avons trouvés ridicules au milieu d’une foule nombreuse, nous inspirent un respect involontaire lorsqu’ils n’ont d’autres témoins que l’Être-Suprême, et d’autre théâtre que l’immensité du désert.
Pourquoi faut-il que des hommes si rapprochés de la nature ne possèdent de qualités précieuses sans les porter à des excès qui en détruisent l’effet ? Si leur touchante résignation est louable, elle dégénère souvent en apathique impassibilité ; et si leurs idées simples les élèvent vers la religion, leur aveugle crédulité les abaisse vers des croyances absurdes. Mais j’ai tort de les accuser ; la superstition est le résultat de l’ignorance ; totalement livrés à la cause, ils doivent posséder au suprême degré son effet inévitable.
Aussi ajoutent-ils la plus grande confiance au pouvoir des sortiléges et à l’influence des talismans. Il est rare de ne pas voir sur leurs bonnets et autour de leurs bras de petits lisérés de papiers enveloppés dans des bandes de peau ; ils contiennent quelques versets du Coran ou des grimoires inintelligibles écrits par de rusés fripons, qui jouent les inspirés pour mettre à contribution la crédulité de leurs dupes. Ces talismans se retrouvent partout, enfants et vieillards en sont munis ; on les voit suspendus à l’entrée des tentes, aux cous des juments et des chameaux ; ils passent pour neutraliser l’effet des sortiléges, guérir toutes sortes de maladies, et préserver les hommes et les animaux de tout accident fâcheux.
[78]Rien ne prouve mieux la bizarre confusion des idées de ces Arabes que de les voir ajouter la même foi aux talismans écrits par des personnes d’une religion étrangère à l’islamisme ; il suffit d’être supposé magicien, pour posséder, selon eux, l’avantage de donner à ces colifichets leur inappréciable efficacité. En ma qualité de chrétien, et par conséquent de sorcier, on a souvent voulu profiter des rares vertus de ma science devineresse : il me répugnait de tromper aussi gratuitement leur confiance ; mais en vain je protestais contre le pouvoir surnaturel qu’ils me supposaient, mes raisons n’étaient pour eux que des prétextes ; et j’ai souvent été obligé, pour me débarrasser de leur importunité, à barbouiller des lambeaux de papier qu’ils enveloppaient bien soigneusement, en me témoignant une grande satisfaction.
Néanmoins, si cette excessive crédulité est ridicule, elle est accompagnée d’une grande simplicité qui les rend très-attachés aux anciennes traditions, et interdit chez eux toute espèce d’innovation. N’ayant que peu d’idées à eux, ils imitent religieusement ce qu’ont fait leurs pères, et répètent avec bonne foi ce qu’ils leur ont ouï dire. Si on leur demande l’origine de tel usage, la cause de telle dénomination, ils répondent avec bonhomie : Cela se fait ainsi ; cela s’appelle ainsi depuis long-temps. Ils paraissent même étonnés de ces questions, comme si ce qu’ils tiennent de leurs aïeux ne devait pas rendre tout examen superflu.
Quoique leurs traditions soient souvent bien défigurées, il en résulte néanmoins un avantage pour l’observateur, celui de découvrir dans les récits de ces Arabes, et principalement dans les noms qu’ils donnent aux localités, des traces précieuses qui remontent souvent jusqu’aux époques les plus reculées.
Les principales richesses des Aoulâd-Aly consistent en troupeaux ; les cheiks, et parmi les simples Bédouins les plus aisés seulement, possèdent des juments. Des ânes très-petits, grêles de formes, mais habitués à une sobriété qui approche de celle du chameau, servent à transporter les effets d’un camp à l’autre ; les plus pauvres parmi ces Bédouins les emploient même à de longs voyages, et ils ont soin alors de ne s’écarter jamais du littoral, où l’on rencontre plus fréquemment des puits. Dès qu’on a passé la vallée de Mariout, il est rare de voir des vaches ou des bœufs ; les[79] terres, en général, n’offrent pas d’assez gras pâturages pour ces bestiaux ; mais les troupeaux de menu bétail et les chameaux y sont très-nombreux.
Les moutons de la Marmarique ont la queue moins traînante, la laine moins touffue et le corps moins volumineux que ceux d’Égypte ; mais toutes ces proportions se trouvent généralement plus fortes que celles des moutons de la Barbarie.
Les chameaux présentent, d’un canton à l’autre, par leurs formes, par la disposition et la nature de leur laine, des nuances qui n’échappent point à un œil exercé, mais qui seraient difficiles à décrire. Ces nuances se changent même en différences marquantes, ou pour mieux dire en caractères opposés, si l’on franchit de plus grands espaces et que l’on compare les chameaux des contrées plus éloignées entre elles. J’aurai plus tard l’occasion d’établir ces comparaisons sur ce précieux animal : je me bornerai maintenant à faire remarquer que la nature, toujours prévoyante, pour mettre les chameaux de la partie septentrionale de l’Afrique à l’abri des intempéries de l’hiver, les a pourvus d’une laine touffue et d’une couleur obscure, tandis qu’elle a donné un vêtement plus léger et d’une teinte plus claire à ceux de l’intérieur de la Libye.
Le petit nombre de puits qui ne sont pas comblés ou détruits, et leur distance souvent très-grande des lieux habités, distance que la sécheresse de l’été augmente encore, ont obligé les Aoulâd-Aly à ne faire désaltérer leurs troupeaux que tous les deux ou trois jours. Pour empêcher qu’une tribu entière ne se trouve simultanément réunie auprès de l’aiguade, les différentes familles qui la composent alternent entre elles les époques, et ne se rendent au puits commun qu’à des jours convenus. Ces Arabes partent alors précédés de leurs différents bestiaux ; sur les chameaux ils déposent les cordes et les seaux en cuir qui servent à puiser l’eau, et les outres qu’ils doivent remplir pour les besoins du ménage. Dès qu’ils sont arrivés à une petite distance de l’aiguade, ils arrêtent leurs troupeaux ; tandis que les uns s’occupent à les retenir, les autres vont faire les préparatifs : ils consistent à réparer le creux fait précédemment dans la terre, et à tracer un sillon qui doit y conduire l’eau ; si les environs du puits sont rocailleux, le kassah tient lieu d’abreuvoir. Ils lâchent ensuite les bestiaux, mais seulement un petit nombre à-la-fois ; sans cette précaution,[80] chameaux, ânes et moutons se précipiteraient pêle-mêle sur l’eau, et ces derniers, sans doute, ne se désaltéreraient de long-temps.
Un Arabe suffit ordinairement à la garde d’un troupeau considérable ; placé sur une éminence, le fusil ou le nabout[94] à la main, et accroupi sur ses talons, il promène de temps en temps ses regards dans les solitudes qui l’environnent ; si nul objet ne provoque ses craintes, il cherche à tromper la durée du temps par des chants analogues aux sensations qu’il éprouve. Les fortes intonations de sa voix habituée à se faire entendre dans l’espace, sont souvent transmises fort loin jusqu’à d’autres Arabes, pasteurs comme lui ; alors ils répètent ou alternent entre eux les mêmes strophes du chant, après de courts intervalles qu’ils laissent de l’une à l’autre. Mais si par hasard le pâtre gardien aperçoit dans l’horizon une caravane nombreuse ou tout autre sujet d’alarme, il se hâte de rallier ses troupeaux, et par des signes convenus, il prévient les siens du danger qui les menace.
Les Aoulâd-Aly, et généralement tous les Arabes du désert, ne connaissent ni l’agriculture régulière, ni le jardinage. C’est aux céréales, et principalement à l’orge indispensable pour leur nourriture et celle de leurs juments, que se bornent tous leurs travaux agricoles. La terre n’est sillonnée qu’une fois et peu profondément par une charrue de petite dimension, souvent dépourvue de fer, et faite quelquefois de roseaux. Dès que le grain a été semé, on le recouvre d’une légère couche de terre ; trois mois après la récolte est prête, le chaume est coupé aux deux tiers de sa hauteur, et le champ même devient l’aire qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe.
Quoique la nature ait grand besoin dans cette contrée de soins industrieux pour lui faire varier ses productions, cette cause n’est point la seule de l’état d’abandon où elle languit. L’Arabe du désert croirait déroger à sa noblesse, et compromettre son orgueilleuse indépendance, s’il fixait son séjour dans un lieu quelconque, pour le rendre plus fécond par des soins agricoles. Ce serait imiter les mœurs du Fellah, qu’il méprise ; ce serait quitter la vie errante qu’il aime, pour la vie sédentaire qu’il redoute.
[81]Sa manière de vivre le rend étranger aux charmes qu’inspirent les souvenirs des localités ; ils naissent chez nous par de longues habitudes, et surtout par les impressions de l’enfance : une colline, un bosquet, ou le simple sentier du village qui nous a vus naître, viennent souvent occuper notre pensée ; leurs images sourient à notre imagination, en lui rappelant une foule de circonstances futiles, mais toujours chères. Ces impressions locales ne peuvent exercer aucun empire sur l’esprit du nomade ; habitué dès le bas âge à changer sans cesse de demeure, il n’en préfère aucune ; pour lui, sa patrie est le désert, et ses souvenirs sont les vastes solitudes.
Dès qu’il a moissonné sa récolte, dès que ses troupeaux ont épuisé les pâturages d’une vallée, aussitôt il lève sa tente ; des djérids[95], pliés en demi-cercle, assujettis à la selle des chameaux et couverts de longues toiles, servent à garantir les femmes et les jeunes enfants de la trop grande ardeur du soleil : bientôt tout se met en mouvement ; les troupeaux ouvrent la marche ; continuant à brouter çà et là, leur domicile n’a point changé : les chiens veillent alentour des troupeaux ; ils pressent les plus tardifs, et défendent aux voyageurs qu’ils rencontrent l’approche de la caravane : le gros bétail et les chameaux terminent la marche. Les ustensiles du ménage, les fruits de la récolte, en un mot, tous les objets de la bourgade errante, se voient bizarrement groupés autour des formes sauvages et pittoresques du chameau.
Après que la caravane est partie, si l’on jette un coup d’œil sur le camp abandonné, à peine si la terre foulée et les traces du foyer domestique indiquent la place des tentes. Les vents ou la pluie feront bientôt disparaître ces faibles indices d’habitations humaines, rendus à la solitude, jusqu’à ce que le hasard y amène de nouvelles familles.
[79]Strab. l. II, c. 4.
[80]L. IV, 189, 190.
[81]Statice pruinosa, Vivia. Flor. Liby. specim. p. 17.
[82]Hérod. l. IV, 192. Les anciens ont donné ce nom à la gerboise, à cause de l’extrême brièveté des jambes de devant et de la longueur de celles de derrière.
[83]Hérodote, l. IV, 162.
[85]Agriculteurs égyptiens.
[86]Nommé borgho en Égypte.
[87]Il faut en excepter les Almès et les Ghaou-Azis, danseuses publiques.
[88]Les femmes des Gidanes, peuplade nomade qui habitait la partie occidentale de la grande Syrte, se faisaient honneur de porter autour de la cheville du pied autant de bandes de peau qu’elles avaient fait de conquêtes. (Hérod. l. IV, 176.)
[89]J’ai déja dit que, dans ce coup d’œil sur les mœurs des habitants de la Marmarique, je ne comprenais point les Harâbi.
[90]Une jeune Bédouine, demeurant dans un camp d’Arabes voisin d’un village d’Égypte, avait des liaisons avec le fils d’un Fellah. Aveuglés par une passion mutuelle, les deux amants, sans réfléchir à la barrière insurmontable qui s’opposait à leur union, profitaient des ombres de la nuit pour se voir furtivement. Une indiscrétion trahit leur amour clandestin ; épiés, ils furent bientôt surpris : aussitôt les parents de la jeune Bédouine s’emparent du couple infortuné, et, ce que l’on ne peut dire sans horreur, excités par leur féroce orgueil, ils plongent indistinctement le poignard dans le sein des deux victimes ; ils mutilent leurs corps, et les membres palpitants, confondus par une union atroce, sont jetés dans le Nil !
Une pareille action peut donner une idée de l’excessif orgueil des Bédouins en général ; mais je dois faire remarquer qu’elle a été commise par des Arabes qui, ayant quitté le désert, croient racheter les antiques vertus qu’ils ont abandonnées avec lui, en se montrant plus fiers encore de leur origine.
[91]Plantes potagères dont les Égyptiens font un grand usage.
[92]Premier mot de la prière que font les Musulmans avant de se mettre à table ; de cet usage, le bismillah est devenu la formule habituelle pour inviter à partager le repas.
[93]Cette prière est ainsi nommée, parce qu’elle se fait immédiatement au coucher du soleil.
[94]Gros bâton ou plutôt espèce de massue, ordinairement ferrée à son extrémité.
[95]Branches de palmier.
Côté oriental des montagnes cyrénéennes. — Irasa et Thesté. — Arrivée à Derne. — Accueil des habitants.
Après avoir franchi une lagune que forme le golfe de Bomba, nous arrivâmes sur les premiers échelons des montagnes de l’ancienne Pentapole libyque. Les ravins qui en sillonnent les flancs, obligent les caravanes à faire de nombreux contours. Durant ce trajet, la sommité des monts qui reculait toujours devant nous, me paraissait un point mystérieux au-delà duquel je devais découvrir mille objets nouveaux ; mais le pas lent et mal assuré des chameaux sur ces terrains pierreux secondait mal mon impatience. Cependant, plus nous nous élevions, plus la nature changeait d’aspect : d’abord l’on n’aperçoit que des oliviers clair-semés et quelques arbustes étrangers à la Marmarique ; le sol, encore peu boisé, en rend le coup-d’œil assez triste. La force de la végétation suit la progression des hauteurs. Enfin, après quatre heures de marche, dès que nous en eûmes atteint le sommet, un spectacle nouveau s’offrit à nos regards. La terre, continuellement jaunâtre ou sablonneuse dans les cantons précédents, est colorée dans ces lieux d’un rouge ocreux ; des filets d’eau ruissellent de toutes parts, et entretiennent une belle végétation qui fend les roches moussues, tapisse les collines, s’étend en riches pelouses ou se développe en forêts de genévriers rembrunis, de verdoyants thuyas et de pâles oliviers.
Ce riant tableau d’une nature animée, tout-à-fait étranger aux Nubiens et Égyptiens qui m’accompagnaient, produisit sur eux une vive impression. Je jouissais de leur surprise : leurs yeux ne s’étaient jamais portés que sur les crêtes stériles des brûlantes collines qui bordent la vallée du Nil ; ils ne connaissaient point d’eau plus limpide que les flots épais du fleuve qui vient chaque an désaltérer leurs champs grisâtres et poudreux ; ils n’avaient aucune idée de ces roches humides bronzées de[84] mousse, de ces bocages qui ornent la pente d’un ravin, de ces irrégularités de sites, de ces disparates de couleurs, qui forment néanmoins ensemble un tout harmonieux. En un mot, nés dans une contrée où la partie habitée est triste par sa monotonie et où les déserts présentent une image affreuse, ils ne soupçonnaient pas même ces aimables caprices de la nature qui, dans les climats favorisés du ciel, rendent les solitudes mille fois plus attrayantes que les lieux habités.
Nous nous arrêtâmes auprès d’un bassin formé par une enceinte de rochers et couvert d’une jolie pelouse. Un ruisseau serpentait au milieu ; il jaillissait du sein d’une grotte ornée de festons de lierres rampants, et de bouquets de cytises dont les tiges légères étaient balancées par le bouillonnement des eaux. Cette fontaine s’appelle Ersen, ou Erasem ; elle est située immédiatement à l’extrémité de l’immense plaine qui s’étend sur ces montagnes et que nous nommerons Plateau cyrénéen. Un rideau de genévriers de Lycie borne l’horizon à l’ouest, et détache par sa teinte obscure les beaux arbrisseaux qui s’élèvent çà et là aux alentours. Tandis que mes compagnons de voyage se reposaient de leurs fatigues, et que les chameaux paissaient avec avidité les herbes touffues du bassin d’Erasem, cet endroit délicieux, si propre à éveiller des souvenirs historiques, m’en rappela, par sa situation et surtout par l’analogie de son nom, un des plus intéressants.
Suivant le père de l’histoire, les Libyens d’Aziris, probablement les Giligammes[96], jaloux de voir les Grecs séjourner si long-temps dans leur canton, les persuadèrent de le quitter, pour se rendre, sous leur conduite, dans l’ouest, leur promettant de leur faire connaître une terre beaucoup plus fertile. Ils leur firent traverser pendant la nuit le beau pays d’Irasa, et les conduisirent en effet dans un lieu dont la fécondité et les sources abondantes répondirent tellement à leurs promesses, que les Grecs y établirent définitivement le siége de la colonie[97].
Le même historien nous apprend que lorsque les Cyrénéens eurent,[85] par des envahissements sur les terres de leurs voisins, provoqué contre eux une expédition d’Apriès, ils furent à la rencontre de l’armée égyptienne et la défirent à Irasa, auprès de la fontaine de Thesté[98].
Frappé de la grande analogie du nom Erasem avec celui d’Irasa, il me parut aussi que ce lieu, par sa situation sur les confins du plateau cyrénéen, convenait parfaitement aux Grecs pour repousser avec avantage une armée venant de l’Orient. Cette situation, d’après laquelle Irasa se trouverait à côté même d’Aziris, me parut également susceptible d’expliquer les précautions que prirent les Libyens pour dérober à la connaissance des Grecs le pays d’Irasa, quoiqu’ils les conduisissent dans un canton plus fertile encore. Plusieurs savants, n’en connaissant point la nécessité, l’ont contestée ; cependant, ne paraîtrait-il point évident que les Libyens ne prirent le soin de conduire les Grecs au mont Cyra, qu’afin de rester libres possesseurs de l’un et l’autre lieu, soit pour être débarrassés d’un voisinage qu’ils redoutaient, soit parce que la belle fontaine de Thesté pouvait être autrefois, comme elle l’est de nos jours, le point de ralliement de tous les bergers du canton ? A ces raisons, plus ou moins vraisemblables, j’en ajouterai une autre qui ne laisserait plus aucun doute sur ce point de géographie ancienne, si elle pouvait être sanctionnée par l’approbation des savants.
Dans la neuvième pythique, Pindare fait mention d’une ville d’Anthée, située à Irasa[99] ; et, chose remarquable, Scylax donne au cap au-dessus duquel se trouve Erasem, le nom de Chersonèse Antide[100].[86] La légère différence qui existe entre ce nom et celui de ce géant de la fable, ne me paraît point présenter une grave difficulté ; d’autant plus que Lucain, dont les descriptions géographiques sont en général si fidèles, confirme évidemment ce rapprochement. Il place le royaume d’Anthée dans cette région de la Libye où l’on trouve de petites montagnes, et des rochers escarpés[101] : manière aussi ingénieuse que[87] fidèle de désigner les cantons septentrionaux de la Pentapole, dont les terrasses, taillées souvent à pic, ne forment néanmoins ensemble qu’un diminutif du plateau atlantique.
Après une heure de repos, nous quittâmes Erasem, nous dirigeant, ainsi que les colons grecs, vers la fontaine d’Apollon ; mais plus heureux qu’eux, nous traversâmes le riant pays d’Irasa, à la clarté d’un beau jour. La route que nous suivions avait été frayée par le feu, à travers une épaisse forêt d’arbres déja nommés. Leurs troncs décrépits, abattus par le temps, couvraient partout le sol, dans le plus grand désordre ; et des ravins, formant en hiver autant de petits torrents, contribuaient à varier l’aspect de ce lieu, image à la fois de vie et d’abandon, de jeunesse et de vétusté.
Nous marchâmes pendant deux heures dans la forêt ; chemin faisant, les guides m’avertirent de faire museler mes chameaux. Une ombellifère nommée Derias, qui, à cette époque, commençait à couvrir le sol de larges touffes de feuilles luisantes et multifides, était la cause de ces précautions. J’indique ici ce fait pour en prendre acte en son lieu ; j’en donnerai ailleurs l’explication.
Après cette forêt, le terrain continue d’être inégal, pierreux, mais très-fertile. Le voisinage de Derne rend ce nouveau canton très-habité. On peut attribuer à la même cause la rareté d’arbres que j’y remarquai. Les Arabes, ne connaissant d’autre agriculture que celle des céréales, ont apparemment dépouillé ces lieux des bois qui devaient les couvrir, pour multiplier les moissons. Au reste, la nature elle-même ne paraît point avoir jamais développé toute la force de la végétation dans la partie orientale du plateau cyrénéen. La forêt d’Erasem semble l’attester, puisque aucun arbre n’y atteint plus de dix à quinze pieds de hauteur. Il faut pénétrer plus avant dans la Pentapole, pour trouver ces lisières touffues de majestueux et lugubres cyprès qui attirent dans cette contrée les nues fécondantes, et ceignent l’infortunée Cyrène comme d’un long crêpe de deuil.
Dans toute la partie du plateau que je viens de décrire, je n’aperçus aucune ruine remarquable. Des débris amoncelés sur de petites hauteurs m’offrirent là, comme dans la Marmarique, les indices d’anciens postes fortifiés ; et des vestiges de grandes enceintes isolées que je rencontrai[88] dans les bas-fonds, me parurent avoir servi de campement aux anciens nomades. Ces lieux auraient dû être visités, il est vrai, avec plus de soins que je n’ai pu le faire : l’on conçoit qu’en se bornant à recueillir des renseignements, à suivre la même ligne, ou bien à faire tout au plus de courtes excursions à droite et à gauche, bien des choses intéressantes m’auront peut-être échappé ; mais toutes les personnes qui m’accompagnaient étaient tellement épuisées par les fatigues, qu’il eût été cruel de les retenir à quelque distance de la ville, pour aller à la recherche de quelques pierrailles antiques. Je fis diriger la caravane sur Derne.
A cet effet, nous contournâmes insensiblement vers le nord. C’était un jour de fête pour mes domestiques ; malgré leur état souffrant, chacun d’eux avait mis ses plus beaux habits. Ils allaient enfin arriver dans une ville, dans cette ville si souvent l’objet de leurs vœux. Aussi, dès le matin tous les regards se portaient vers l’horizon pour la découvrir. Celui qui l’apercevrait le premier devait recevoir une récompense de ses camarades ; telles étaient leurs conditions : mais cet aspect devait les frapper tous à la fois, et d’une manière inattendue.
Déja la plaine unie de la mer avait succédé aux aspérités rocailleuses qui bornaient auparavant notre vue, et cependant rien dans l’horizon n’offrait la moindre apparence d’une ville, lorsqu’un cri général s’éleva tout-à-coup dans la caravane : El beled ! el beled ! s’écria-t-on tous à la fois. C’était Derne en effet que nous voyions à très-peu de distance de nous, mais au-dessus de laquelle nous nous trouvions à mille pieds environ de hauteur. Cette situation nous expliqua les plaisanteries de nos guides qui se jouaient depuis long-temps de notre impatience. Nous étions sur l’extrémité septentrionale de cette partie du plateau cyrénéen. Une plaine, petite lisière de terre, sépare les escarpements du plateau des bords de la mer, et la ville est bâtie en partie sur cette plaine, et en partie sur la pente des collines qui forment les premières assises de la montagne. De ce point, les maisons des habitants et les dômes de leurs santons nous paraissaient comme des taches blanchâtres à travers des bouquets de palmiers, ou bien elles étaient éparses sur des tapis de verdure au milieu des jardins de la ville et des petits champs qui l’entourent.
[89]Après un mois d’une vie errante, et souvent très-pénible, dans une contrée sans abri, ce n’est point sans plaisir que l’on porte les yeux sur des habitations humaines. Quelque mesquines qu’elles soient, elles paraissent dans ces moments autant de palais, asyles du repos et séjour de l’aisance. Malgré la différence des religions et la réserve qu’elle entraîne pour un Européen, il espère du moins reprendre quelque force dans le sein d’une société à laquelle il ne demande qu’une hospitalité momentanée.
Ces idées occupaient agréablement mon esprit ; mais elles agissaient bien plus puissamment sur mes compagnons de voyage. Si mon corps, plus habitué aux fatigues et aux privations du désert, n’avait jamais cédé aux maladies qu’elles occasionnent, il n’en était pas de même de M. Müller et de mes domestiques. Une violente dyssenterie tourmentait le jeune orientaliste, et le rendait à peine capable de se soutenir sur le chameau, tandis que des fièvres ardentes consumaient et menaçaient les jours de mes fidèles Nubiens et des Égyptiens conducteurs des chameaux. De plus, un musulman trouve un frère partout où il trouve un autre musulman. Aussi, les visages de ceux-ci, enflés et livides, se ranimaient à l’aspect du lieu qu’ils envisageaient comme le terme de leurs souffrances ; et quoique j’en fusse la cause première, en adressant des prières au prophète, ils y joignaient des remercîments des soins que je leur avais donnés.
Dès la veille de cette journée, j’avais envoyé un Arabe à Derne, pour informer de notre arrivée le chargé de pouvoirs du consul des États-Barbaresques en Égypte. Cette démarche eut un succès complet.
Nous avions à peine descendu une partie de la montagne, que nous aperçûmes plusieurs cavaliers se dirigeant sur nous. J’appris bientôt que c’étaient des soldats du gouverneur de la province qui venaient à notre rencontre. Leur costume moresque me causa une surprise agréable : un gilet de drap rouge, sans manches, et enrichi d’or, s’apercevait sous les plis ondoyants du ihram ; des pistolets étaient assujettis au flanc des cavaliers par une ceinture en peau, ornée de tresses de soie entrelacées de fils d’or. Cette ceinture forme un des principaux caractères du costume des Maures militaires ; elle est soutenue par deux bretelles qui[90] servent à draper le ihram de différentes manières, de même que par l’éclat des couleurs elles en varient la simplicité. Le sabre, de forme perpendiculaire, pareil à ceux du temps de la chevalerie, était suspendu en bandoulière dans un fourreau en argent massif, présent que le souverain est tenu de faire aux sous-officiers, lorsqu’il les revêt de leurs fonctions. Pour donner une idée complète de leur équipement, je ferai encore mention de bottines de peau rouge, souples comme des bas et chaussées dans de larges pantoufles jaunes, et enfin d’un petit tromblon dont l’orifice est évasé en forme de trompette. Cette arme, lourde et gênante, remplaçait chez eux le fusil ; ils la tenaient appuyée sur le pommeau de la selle, et elle s’y trouvait attachée par un cordon de soie, de manière qu’elle pût y demeurer suspendue après avoir été déchargée.
Ces cavaliers, dont la mission était de nous escorter, nous engagèrent, dès que nous eûmes descendu la montagne, à nous reposer auprès d’un bouquet d’opuntia, pour attendre les principales autorités de Derne, qui voulaient, dirent-ils, nous introduire convenablement dans la ville. Bientôt arrivèrent en effet le lieutenant du bey, son chiaous, l’écrivain en chef, le chargé d’affaires d’Hammet-el-Gharbi, et les autres principaux habitants, que suivaient encore une infinité de personnes de tout âge, attirées par le spectacle, nouveau pour elles, de voir des Européens habillés à l’arabe, arrivant dans leur ville par le désert.
Nous nous mîmes aussitôt en marche, traversant de petites rues, ou, pour mieux dire, des sentiers bordés de jardins et de maisons distribués d’une manière irrégulière, mais agréable. Les portes et les fenêtres étaient, la plupart, ornées de treilles dont le verdoyant feuillage servait de voile aux jeunes femmes qui ne pouvaient, ainsi que les hommes, satisfaire librement leur curiosité pour nous voir passer. Dès que nous fûmes arrivés au centre de la ville, nous fûmes introduits dans le château qu’occupait autrefois Mohammed-bey, fils du pacha de Tripoli, et que l’on mit entièrement à ma disposition. Après cette bienveillante réception, les officiers qui nous avaient accompagnés se retirèrent successivement ; ils renvoyèrent au lendemain le soin de traiter, en grand divan, des affaires qui m’attiraient dans leur contrée. Toutefois, pour assurer[91] momentanément notre tranquillité, ils firent publier à haute voix, à la porte même du château, que la ville nous accordait l’hospitalité, et que chacun devait nous respecter comme des hôtes bien venus. Peu de temps après, des esclaves nous apportèrent toutes sortes de rafraîchissements. Je fis placer une natte sur la plus haute terrasse de notre nouveau domaine ; et, de ce point élevé, portant alternativement mes regards sur la cime des monts de la Pentapole, au pied desquels je me trouvais, et sur mes domestiques, qui, pleins de joie, se félicitaient mutuellement de leur heureuse arrivée ; me trouvant si près de l’objet de mes recherches, et jouissant à la fois du contentement de mes compagnons de voyage, je me livrai un instant à de douces rêveries.
Si je ne m’étais imposé le devoir de ne jamais entretenir long-temps le lecteur de ce qui m’est tout-à-fait personnel, je me plairais à insister sur les émotions que l’on éprouve dans le passage des fatigues au repos, des peines au plaisir. Ces émotions sont d’autant plus vives que la durée en est très-courte, et que souvent, après avoir essuyé de longues souffrances, on n’obtient pas toujours cette récompense fugitive qui les fait sitôt oublier. De fortes considérations me porteraient d’ailleurs à concentrer en moi-même de tels sentiments. Le public d’un livre de voyage, dans une contrée classique, n’est point en majeure partie celui d’un livre purement littéraire. Ce public, très-froid par sa nature, insensible à ce qu’il appelle de vains récits, s’il ouvre un pareil ouvrage, c’est pour y trouver des faits, et s’il s’intéresse au voyageur, ce n’est point dans l’oisiveté du repos, il ne lui tient compte que de son activité ; il le harcèle, afin qu’il explore sans cesse. Chaque page, chaque ligne, doit offrir des résultats ; et ces résultats sont de sèches énumérations de rocs et de rocailles, de plantes et de ruines. Que si l’infortuné auteur, fatigué de cette longue et pénible tâche, laisse apercevoir l’homme au milieu de ces froides descriptions, ou s’il substitue le portrait de la nature vivante à l’analyse de son squelette, alors son lecteur sévère tourne d’un air dédaigneux ces pages oiseuses, et, s’il les rencontre trop souvent, il laisse à jamais le livre, qui devient inutile pour lui, quand il pourrait devenir intéressant pour les autres. Quelque rigoureux que paraissent ces goûts, je ne prétends point les blâmer ; le sujet les justifie, peut-être même les rend-il nécessaires.[92] Toutefois, ne me sentant point la force de me traîner constamment sur ces landes de détails sans couleur et de descriptions sans vie, je quitterai quelquefois la livrée de la science pour me rapprocher de la nature. Me délasser de mes fatigues sera mon seul objet : il est donné à tout le monde de coudre des faits et de balbutier l’érudition ; mais il faut de vrais talents pour intéresser en suivant une autre route.
Cependant, tout était préparé dans le château, pour recevoir convenablement les autorités qui m’avaient prévenu de leur visite officielle. Dans les petites villes de l’Orient, les moindres événements occasionnent un grand appareil et des formes graves, auxquels un voyageur doit se conformer, s’il veut réussir dans ses entreprises. Autant l’Arabe du désert est simple dans ses mœurs, autant il fuit la pompe des représentations, autant l’habitant des villes les recherche, et paraît en être ébloui. Le premier, s’isolant dans les vastes solitudes, agrandit, pour ainsi dire, son être avec elles ; et, régnant en souverain dans sa tente, il accueillerait avec un sourire ironique l’Européen qui étalerait à ses yeux le luxe vaniteux du costume, ou qui établirait dans son camp la ridicule ostentation d’un divan. Le second, au contraire, enchaîné dans les liens d’une demi-civilisation, et habitué à humilier son front dans la servitude, se repaît du spectacle des richesses, et paraît toujours prêt à combler d’égards celui qui en porte les insignes. Ce fut en considération de ces raisons, que, réfléchissant à l’influence que pouvaient avoir, sur la réussite de mes projets, les résultats de la visite qu’on m’avait annoncée, j’essayai d’étaler autour de moi les dehors pompeux d’un étranger recommandé par le pacha d’Égypte. Le plus grand embarras était dans le petit nombre de mes domestiques, et surtout dans leurs occupations habituelles, peu propres à faire ressortir l’éclat d’un personnage de quelque importance. Fort heureusement qu’ils secondèrent de tout leur pouvoir mes intentions. Les deux Nubiens, armés de pied en cap, saisirent cette occasion pour jouer le rôle de chiaous. Le cuisinier, ou pour mieux dire le fac-totum de la caravane, Syrien d’un esprit très-borné, revêtit l’habit de mamelouk, et prit, autant qu’il en était capable, le maintien et le ton d’un drogman. Tandis que[93] les deux chameliers Fellahs, s’efforçant de dégrossir leurs manières rustiques, furent métamorphosés, l’un en seys, palefrenier, et l’autre en kafdji, porteur de café. Moi-même, quittant aussi mes habitudes du désert, je me parai d’un riche costume, réservé pour les grandes occasions ; et assis sur un divan, avec M. Müller, mon oukhil, lieutenant, nous attendîmes avec toute la gravité orientale les autorités de la ville.
Cette gênante représentation ne fut pas de longue durée. Le piétinement des chevaux ne tarda point à nous annoncer la visite solennellement attendue ; et, un instant après, les mêmes personnes qui nous avaient introduits à Derne, vinrent successivement occuper les places dues à leur rang. Hadji-Hamedèh, chargé de pouvoirs d’Hammet-el-Gharbi, prit aussitôt la parole, et s’adressant aux personnes qui nous entouraient, il leur raconta fort longuement que long-temps avant mon arrivée, des lettres d’Alexandrie l’avaient informé de mes projets et de l’intérêt qu’y prenait le pacha d’Égypte ; et que j’étais porteur d’une lettre de ce prince, par laquelle il recommandait mes entreprises et ma personne à la protection de leur souverain, Iousouf. Je confirmai, en peu de paroles, le prolixe, mais très-officieux discours d’Hadji-Hamedèh, et j’ajoutai que très-reconnaissant de l’hospitalité qu’on m’avait si généreusement accordée, je ne voulais point en abuser. Je me proposais, par conséquent, de me rendre sous peu de jours aux ruines de Grennah, principal objet de mon voyage. C’était là, comme je m’en doutais, le point le plus scabreux de la délibération, et je fus droit au but sans autres précautions oratoires. Il n’en fut pas de même des rusés diplomates qui m’entouraient : ils s’écrièrent tous à la fois, qu’ils ne pouvaient consentir à mon départ. Le désert, me dirent-ils, était si infesté de brigands, que je ne pouvais y pénétrer sans courir les plus grands dangers. Les lettres dont j’étais porteur leur imposaient l’obligation de veiller sur ma personne, et ils s’acquitteraient scrupuleusement de ce devoir, à moins qu’ils n’en fussent affranchis par des ordres spéciaux du pacha ou du bey. On m’assura, d’ailleurs, que je jouirais de la plus grande tranquillité dans la ville ; je pourrais même, si cela me convenait, en parcourir librement les environs, accompagné d’une garde de sûreté. En un mot, il eût été impossible d’employer de plus adroites circonlocutions pour m’intimer[94] leur intention formelle de ne point me laisser continuer mon voyage avant d’y être engagés par des ordres supérieurs.
Je m’attendais à ces difficultés ; Mohammed-el-Gharbi me les avait fait pressentir à Alexandrie. Aussi, loin d’essayer d’ébranler par de vaines paroles une décision prise entre eux d’avance et d’un commun accord, je m’empressai d’expédier un courrier à Tripoli, porteur de la lettre du pacha d’Égypte, et des recommandations de MM. Drovetti et Salt. Quarante mortels jours étaient cependant rigoureusement nécessaires pour recevoir une réponse. L’idée de voir mes recherches paralysées, durant ce long espace de temps, et celle plus affligeante d’être réduit à habiter l’enceinte d’une ville, étaient bien susceptibles d’alarmer mon imagination. Dans le trouble où me jeta la perspective de cette désespérante inactivité, je formai d’abord mille projets aussi peu sensés les uns que les autres ; et ce ne fut, comme il arrive souvent, qu’après avoir bien extravagué, que j’eus recours à l’expédient le plus simple. J’écrivis au bey de Ben-Ghazi, pour le prier de me laisser parcourir, jusqu’à l’arrivée du firman de Tripoli, une partie au moins des déserts soumis à son gouvernement. Rassuré par l’espoir de réussir dans cette démarche, je profitai du peu de liberté qui m’était accordée, pour faire de fréquentes promenades dans la ville et ses environs.
[96]Cette peuplade habitait la partie orientale de la Cyrénaïque, depuis l’île Aphrodisias jusqu’aux environs du Catabathmus (Hérod. l. IV, 169).
[97]Id. ibid. 158.
[98]Id. ibid. 159. D’après M. Raoul-Rochette (Hist. crit. des Colon. grecq., t. III, p. 263), Irasa serait le lieu même où s’éleva la ville de Cyrène, et l’opinion de ce savant archéologue paraît avoir entraîné celles de Gatterer, d’Herman et autres ; mais cette opinion, contraire au passage d’Hérodote que nous venons de citer, a d’ailleurs été suffisamment combattue par Thrige (Hist. Cyren. p. 74, n. 58). Il résulte aussi de ce passage d’Hérodote, qu’on ne peut séparer la position d’Irasa de celle de Thesté, et que cette fontaine ne doit point être confondue avec celle de Cyré, comme nous le reconnaîtrons encore plus tard par l’examen des lieux.
[99]Pyth. IX, v. 285.
[100]Edit. Gronovius, p. 111. Vers le commencement de ce chapitre (p. 107), Scylax nomme la Chersonesus magna de Ptolémée, Chersonesus Achitides. Puisque cette Chersonèse est infailliblement la même qu’il nomme Antidum, vers la fin du même chapitre, ainsi que l’a observé Vossius (Id. ibid.), il me semble qu’au lieu de corriger, comme Gronovius, Achitides par Azirites (In Scyl., pages 107, 108), on pourrait lire, Antides, leçon qui s’accorderait avec la dénomination donnée plus bas à la Chersonèse, et que ces deux commentateurs ont laissée subsister sans lui substituer nulle autre interprétation.
Le nom d’Anthée, ou d’Antide, rappelle aussi le lac Anthia, d’Étienne de Bysance (V. Anthia) ; et quoique ce lac paraisse d’abord désigner le Tritonis, auprès duquel, suivant le scholiaste de Pindare (à la pyth. IX, v. 185), aurait été située Irasa ; néanmoins, comme cette tradition est clairement réfutée par les passages cités d’Hérodote et de Lucain, on pourrait faire correspondre l’Anthia d’Étienne au Conchylium de Ptolémée, située au sud de la Chersonèse Antide. J’avoue cependant que tous ces frais d’érudition seraient au moins fort déplacés, et que mes raisonnements se réduiraient à autant de sophismes, si, sur le sujet qui m’occupe, on s’en rapportait exclusivement à Ptolémée et au Périple anonyme. Ils placent en effet, l’un Axilis, et l’autre Nazaris, à l’occident de la Chersonèse, tandis que j’ai placé Aziris à l’orient, autorisé par les descriptions comparées d’Hérodote et de Scylax. Plusieurs raisons m’ont porté à préférer, sur un fait qui remonte à une haute antiquité, le témoignage des écrivains les plus anciens, à celui des écrivains postérieurs. Puisqu’il est prouvé qu’Hérodote a voyagé dans la Cyrénaïque, il n’aura point donné de faux renseignements sur des lieux qu’il a dû visiter. Or, le fleuve que lui, Salluste, et l’anonyme lui-même, s’accordent à placer à Aziris, ne peut se retrouver que vis-à-vis de Platée, à l’orient de la Chersonèse, et non point sur le plateau même, où je n’ai rien vu qui pût en faire soupçonner l’ancienne existence. J’ajouterai encore que le port Azarium, de Synésius (Epist. 4), se retrouve plus aisément à l’orient de la Chersonèse, auprès du golfe de Bomba, qu’à l’occident, où la côte devient en général peu abordable. Je me résume, car il en est temps, par cette dernière observation : la position occidentale de l’Axilis, de Ptolémée, ne proviendrait-elle point d’une transposition de nom en des temps postérieurs à l’âge d’Hérodote ? Quant à la rivière considérable placée à Nazaris, indépendamment du Paliurus, par le Périple anonyme, les compilations, témoin celle d’Étienne de Bysance, ne nous offrent-elles point des preuves fréquentes de répétitions, et de la réunion confuse de descriptions anciennes avec d’autres plus modernes ?
Derne.
Cinq villages, séparés l’un de l’autre par de petites distances, et placés irrégulièrement, les uns sur les premières ondulations de la montagne, et les autres dans la plaine, forment collectivement la ville de Derne ; mais chacun d’eux est distingué par une dénomination spéciale qui en peint la situation propre ou relative. Le plus considérable, entouré d’une muraille d’enceinte, est nommé par ces raisons el-Medinèh, la capitale, ou bien Beled-el-Sour, la ville fortifiée. El-Magharah, le village de la grotte[102], est à l’ouest et un peu au-dessus du précédent. El-Djébeli, rapproché de la mer, doit son nom à son état d’abandon bien plus qu’à sa situation isolée. Enfin, Mansour-el-Fokhâni et Mansour-el-Tahatâni, sont séparés des trois que je viens de nommer par un vallon formant en hiver un torrent considérable. Le premier, au sud de Beled-el-Sour, est situé sur la sommité de la rive méridionale du vallon ; et le second, presque au niveau de la plaine, se trouve par conséquent au-dessous du précédent, mais dans une position plus orientale. C’est vis-à-vis de ce dernier village qu’est le port de Derne, mauvaise petite rade dont le fond, sillonné par des rescifs, et l’entrée très-ouverte, ne peuvent offrir qu’une station peu sûre aux navires, qui n’y viennent mouiller en effet que rarement et seulement en été.
Les nombreuses excavations sépulcrales que l’on voit auprès de Derne et dans ses environs, indiquent le gisement d’une ancienne ville, qui, si je ne me trompe, devait occuper la position centrale des villages actuels, et correspondre à Beled-el-Sour. Nul doute que cette ville ne fût Darnis, ou Dardanis, que Ptolémée place à l’extrémité orientale de la Cyrénaïque[103].[96] Elle ne fut probablement construite que dans une époque postérieure à l’Autonomie de la Pentapole, puisque aucun des auteurs de la haute antiquité, tels qu’Hérodote, Strabon, Scylax, ne l’a connue. Le Périple anonyme désigne Darnis sous le nom corrompu de Zarine[104]. Mannert observe, il est vrai, que ce nom n’était peut-être que celui de la plage[105] ; mais les fréquentes altérations que nous avons déja remarquées dans ce stadiasme[106], portent à croire que le nom de Zarine doit aussi bien convenir à Darnis, que ceux que nous avons cités convenaient aux lieux dont ils ne pouvaient désigner seulement le port ou la plage. Quoi qu’il en soit, Darnis se trouve chez la plupart des géographes postérieurs à Ptolémée. L’itinéraire d’Antonin[107], et Hiéroclès[108], en font mention ; Ammien-Marcellin la met au nombre des villes les plus considérables de la Cyrénaïque[109]. Nous voyons même Darnis devenir la capitale de la Libye inférieure[110] et conserver le rang de métropole dans les diverses notices de la Géographie sacrée[111]. Les annales de l’église chrétienne nous donnent le nom de ses évêques[112], de même que Synésius en fait mention comme d’une ville épiscopale du premier rang[113].
Cependant le caractère des tombeaux de Darnis, indice infaillible dans cette contrée du degré de splendeur de ses anciennes villes, prouve qu’elle n’atteignit point, il s’en faut de beaucoup, un haut degré de prospérité. Son importance fut relative à la décadence de la Pentapole ; elle ne s’exerça[97] que sur une contrée dévastée, et d’ailleurs en majeure partie peu fertile ; elle naquit avec la nouvelle foi qui s’était répandue en Orient. Et cette foi humble et modeste, comme l’Évangile son type ; obscure et divisée, comme toutes les religions à leur première phase, était loin encore d’orner à la fois et d’éclairer la terre. La vérité chassait les dieux des âges antiques, et avec eux s’enfuyaient les arts enfants de l’imagination et du poétique polythéisme.
Il est donc vraisemblable que si Darnis devint ville par sa population, elle resta bourgade par ses édifices. C’est là, on peut l’avancer, que l’Évangile, chassé à son tour de cette contrée par le Coran, lutta long-temps avec lui et y conserva même des sectateurs sous la domination des Musulmans. Un fait remarquable porte du moins à le croire : une tribu d’Arabes-Mourabouts qui habite depuis un temps immémorial la partie orientale des environs de Derne, est désignée encore par le nom d’Heit-Mariam, maison de Marie ; et de plus, ces Arabes passent, dans le pays, pour des descendants de Chrétiens.
Beled-el-Sour est, à proprement parler, aux villages qui l’entourent, ce qu’une petite ville en Europe est à ses faubourgs. C’est là que résident les autorités et tous les gens riches du canton ; c’est là que sont les bazars, que se tiennent les marchés, et où viennent se réfugier les caravanes de passage. On y voit deux châteaux, dont l’un, espèce de grande masure ceinte d’un mur élevé, est le séjour du bey lorsqu’il visite la ville, et l’autre, plus petit mais mieux construit, est celui qu’on nous donna pour demeure.
Sur une sommité qui domine la ville, on voit encore une forteresse construite par les Américains (Voy. pl. VI). Ce n’est point ici le lieu de parler de cette conquête éphémère qui eût changé les destinées de toute la contrée, si elle avait été conçue sur un plan plus vaste. En exposant ailleurs sa cause et sa durée, nous aurons l’occasion d’en faire connaître les infructueux résultats.
Il existe une légère différence entre les mœurs des habitants de Beled-el-Sour et des autres villages. Les premiers, livrés au commerce, sont généralement casaniers et sédentaires ; les seconds, plus farouches et plus pauvres, diffèrent peu des Bédouins : ils cultivent les champs des[98] environs, font fréquemment des voyages et osent même pénétrer dans les forêts de Barcah, pour vendre des marchandises à leurs hôtes récalcitrants. Mais tous sont indistinctement soumis à la loi du sang, et se font de village à village, comme dans le désert de tribu à tribu, des guerres d’autant plus durables que la cause s’en renouvelle sans cesse, mais que l’on peut toutefois comparer à des fièvres qui ont de courtes intermittences après de violents accès.
Les maisons de Derne sont toutes construites en pierre ; celui qui vient d’Égypte les trouve généralement bien bâties, et entretenues avec propreté. Leurs entrées semblent même offrir une trace sensible du goût des anciens habitants de la Pentapole. Elles sont presque toutes formées de deux pilastres à chapiteaux imitant grossièrement le style dorique ; la roche en est d’un calcaire très-blanc et très-friable ; ce qui en facilite le travail et les détache agréablement du reste de l’enceinte. Ces portes se trouvent souvent placées aux deux tiers de la hauteur de la maison : un escalier saillant y conduit ; il est ordinairement couvert de treilles qui, dans les chaleurs de l’été, permettent aux habitants de goûter, sans sortir de chez eux, leur suprême bonheur, celui de savourer le frais à l’ombre d’un bel arbuste, et d’en manger nonchalamment le fruit.
Dans le village central, presque toutes les maisons ont leur jardin clos de murs ou d’une haie de nopals. On y trouve encore la vigne, formant avec ses lianes flexibles et ses larges feuilles, d’agréables berceaux et de fraîches allées. Les pêches, les grenades, les figues, les pommes, les oranges, les olives, les mûres et les bananes ; et parmi les plantes herbacées, les melloukhièh et les bammièh d’Égypte ; les tomates, les pois, les fèves, les concombres et d’énormes citrouilles, croissent pêle-mêle dans ces jardins. Au milieu de ces productions, dont la plupart sont communes à la Provence, je me serais cru dans ma patrie, si le palmier du désert, élevant son dôme solitaire au-dessus des arbres de mon pays, ne m’eût aussitôt rappelé que j’étais en Libye.
Deux sources abondantes, que Della-Cella nomme si plaisamment des prunelles[114], jaillissent des flancs exhaussés du vallon de Derne, et,[99] chacune côtoyant une de ses rives, elles se trouvent partagées entre les différents villages dont elles arrosent en été les jardins. A ces avantages accordés par la nature, les habitants joignent une activité remarquable chez des Orientaux.
Les rives du vallon sont généralement abruptes et rocailleuses ; néanmoins, partout où l’on y trouve un peu de terre, elle est étayée par des murs ; ce qui forme autant de petits champs couverts d’arbres fruitiers, s’élevant les uns au-dessus des autres. De gros rochers s’avancent parfois des deux rives ; ces masses énormes se dérobent à l’industrie des agriculteurs ; mais s’ils interrompent la continuation de leurs champs, c’est pour les embellir : du sein de leurs anfractuosités humides, on voit sortir des touffes de figuiers sauvages, d’oliviers et de caroubiers, d’où s’élancent encore les tiges isolées de palmiers dont les cimes, semblables à de grands panaches, flottent sur ces bosquets aériens, et contrastent avec eux de forme, de couleur et de direction.
Au-dessous, le lit du torrent est en plusieurs endroits totalement couvert d’un épais taillis de nérium ; les belles et grandes corolles de cet arbuste se trouvent comme froissées au milieu des branches errantes des ronces épineuses. Des filets d’eau se détachent çà et là des ruisseaux qui longent les rives du vallon aux deux tiers de leur hauteur, et forment d’étage en étage, ou de rocher en rocher, de petites cascades qui joignent leur bruit harmonieux à l’aspect pittoresque du tableau.
Puisque ces lieux, ornés par la nature seule, sont attrayants ; de quelles graces ne seraient-ils point doués, quelles ressources ne présenteraient-ils point s’ils étaient au pouvoir d’Européens ? L’industrie des habitants actuels est louable sans doute ; mais c’est toujours de l’industrie musulmane. Les Américains, durant leur séjour à Derne, profitèrent des chutes d’eau dans ce vallon pour y établir un moulin. Il est peu de machines hydrauliques moins compliquées ; néanmoins le génie des habitants se borne à entretenir celle-ci en activité, sans chercher à l’imiter et à la multiplier dans le canton. Il en est de même d’un aqueduc construit récemment par les ordres d’Hammet-el-Gharbi, sur le ravin el-Brouès qui interrompait la circulation du ruisseau Bou-Mansour (Voy. pl. VIII). Les Dernois n’auraient[100] jamais été capables de créer cette merveille, et il a fallu même employer à son exécution des ouvriers étrangers.
La population de Derne est composée d’Alexandrins, de Barbaresques, et de quelques familles du Fezzan qui sont venues s’établir dans cette ville depuis la conquête de leur pays par le pacha de Tripoli. On y trouve aussi des Juifs, ce qui n’est point extraordinaire, puisqu’on en trouve partout ; mais, selon les villes qu’ils habitent en Orient, ils sont plus ou moins heureux, plus ou moins avilis. On n’est point surpris d’en voir un si grand nombre au Caire. Ils y ont un quartier séparé, fort obscur et fort sale, il faut l’avouer : mais ce quartier, très-étendu, forme du moins une peuplade à part ; ces dehors de misère cachent des maisons commodes où l’industrieux Saraf[115] quitte, le soir, ses vêtements de couleur obscure et revêt d’éclatants habits. Rentré au milieu des siens, il se retrouve dans Israël, et dans l’intimité de ses amis, dans les caresses de sa famille ; il se dédommage de la contrainte et du mépris qu’il a subis durant la journée. Mais comment des Juifs peuvent-ils habiter ces petites villes où ils sont d’autant plus maltraités, qu’ils sont plus isolés ; où ils endurent de plus grands affronts que les premiers, sans jouir du plus faible de leurs dédommagements ? On les insulte, et ils se taisent ; on leur crache au visage, et ils baissent les yeux ! J’en témoignai un jour vivement mon indignation à Hadji-Hamedèh, et je lui demandai ironiquement pourquoi des hommes traités plus inhumainement que des bêtes ne désertaient point ce pays ? « Ils y sont nés, me répondit-il froidement, et ils y restent. » Je conçois que l’amour du pays natal puisse rendre habitables les sables du désert ; l’homme s’y trouve soumis à toutes sortes de privations ; il lutte de patience et de sobriété avec le plus patient et le plus sobre des animaux ; mais il y jouit de l’indépendance. Ornée de ce don ineffable, sa hutte modeste, brûlée par le soleil et entourée de solitudes silencieuses, vaut bien un palais, des berceaux de verdure, et des ruisseaux limpides qu’entourerait aussi le silence, mais le silence de la crainte. Quelle est donc la puissance qui peut attacher des êtres dégradés auprès de leurs vils tyrans ? Quel charme peut leur faire aimer le sol où ils[101] sont nés, il est vrai, mais où ils traînent leur ignominie ? L’amour de l’or, me répondra cet autre : ils trompent ceux qui les méprisent ; ils sont couverts de haillons, mais ils cachent des trésors ; ils sont avilis, méprisés, mais ils sont riches. Étouffons, il le faut, la foule de réflexions affligeantes qui naissent d’un pareil sujet, et continuons notre récit.
Deux villages de Derne, El-Djébeli et Mansour-el-Fokhâni, sont construits auprès ou immédiatement au-dessus d’anciennes grottes sépulcrales. Cette contradiction dans les mœurs de Musulmans vient de la grande utilité que leur ont offerte dans cette contrée pluvieuse les excavations dans la roche. Ainsi, sans trop s’inquiéter si ces excavations contenaient autrefois des cadavres d’infidèles, ils en ont profité pour en faire les greniers de leurs maisons, ou les ateliers de leurs modestes manufactures. Cet usage provient aussi de ce que ces grottes ne leur ont point présenté de ces nombreuses subdivisions, ni de ces anfractuosités ténébreuses où ces hommes-enfants croient entendre des voix magiques et voir des spectres épouvantables qui leur en interdisent l’accès.
En effet, aucune de ces grottes n’est subdivisée en plus de trois pièces, et la plupart n’en forment qu’une seule. Elles reçoivent toutes la lumière par une entrée carrée placée horizontalement, qui en éclaire toutes les parties. Comme objets d’art, elles n’offrent rien de remarquable : à l’extérieur de même qu’à l’intérieur, elles sont dépourvues d’inscriptions et de toute espèce d’ornement. En général, elles sont même d’un travail grossier ; on remarque dans toutes, à leurs parois, des excavations cintrées destinées à servir de sarcophage.
Les habitants de Djébeli construisirent leurs maisons de manière que ces grottes se trouvassent dans l’enceinte. Ils y déposaient le fruit de leurs récoltes. Le ciel pluvieux de la contrée et le système d’architecture orientale donnaient à cet usage un effet inverse de celui que nous avons en Europe : chez eux la cave servait de grenier. Ce village est maintenant presque entièrement abandonné ; la peste qui s’y est une fois introduite, et les dissensions des habitants, en sont la cause. Les grottes de Mansour-el-Fokhâni sont creusées dans le flanc de la montagne, dont la roche est tantôt nue et tantôt couverte de tapis de verdure. Les plus grandes ont été converties en ateliers, composés d’un[102] ou de plusieurs métiers de tisserand parfaitement semblables à ceux des hameaux de la Provence. Leur situation, qui domine le vallon et les autres villages de Derne, en rend le coup-d’œil très-animé. J’y faisais de fréquentes promenades ; je me plaisais à m’arrêter devant ces ateliers ; j’y voyais les deux sexes s’occuper indistinctement à ourdir la laine ou le chanvre. Les jeunes gens étaient toujours assis les uns vis-à-vis des autres ; ils s’animaient mutuellement au travail par des chants ; je surprenais parfois leurs regards d’intelligence ; et tandis que la navette parcourait rapidement le tissu, les échos répétaient au loin leurs chants sauvages, mais agréables en tous lieux, lorsque dans les premiers âges de la vie ils peignent l’amour ou l’espérance.
On voit encore, aux environs de Derne, d’autres excavations à peu près semblables aux précédentes. De ce nombre il faut toutefois excepter celles que l’on trouve à dix minutes environ à l’est de la ville. Celles-ci, nommées Kennissièh (les églises), sont situées au sommet des rochers escarpés qui bordent cette partie du littoral, et contre lesquels viennent se briser les flots de la mer. Les anciens y avaient pratiqué des escaliers ; on les retrouve encore par intervalles ; mais l’eau qui suinte des fentes de la roche, la tapisse de longues bandes d’hépatique et de mousse qui en rendent l’accès glissant et même dangereux. Des touffes de plantes ligneuses aident toutefois à franchir ce passage, et l’on arrive sur une petite esplanade semi-circulaire autour de laquelle règne un banc peu élevé, destiné à servir de repos aux familles de Darnis, qui venaient acquitter dans ce lieu leurs devoirs funèbres. Ce long banc est interrompu par l’entrée des grottes (Voy. pl. VII) ; il ne contourne que l’intérieur de la plus grande, ancien sanctuaire changé par la suite en chapelle chrétienne. Quant aux autres, elles furent toutes des tombeaux ; l’irrégularité de leur situation et l’inégalité de la roche en rendent l’aspect pittoresque. On y voit des voûtes et des niches de toute forme et de toute dimension, depuis le plein cintre romain jusqu’à l’ogive parfaite du moyen âge. Là, comme dans le reste de la Pentapole, on voit les travaux du christianisme entés sur ceux de l’idolâtrie. Des lampes funéraires furent placées par des Chrétiens sur les tombeaux des Grecs et des Romains. Le même cercueil servit à plusieurs générations ; la même[103] enceinte retentit de langues diverses exprimant des religions différentes : et cependant les prières furent toujours les mêmes, les symboles seuls en étaient changés.
Mais ces voûtes, autrefois sombres et lugubres, maintenant crevassées par le temps, sont la plupart éclairées du soleil. Les hommes des divers âges ont disparu ; leurs ossements mêmes sont devenus la proie des vents. La nature a chassé de ces lieux toute image de deuil : elle a placé des guirlandes de vertes capillaires là où étaient suspendus les crêpes funèbres ; elle a tapissé de mousse la pierre usée par la prière ; elle a couvert les parois de la roche de belles grappes de plantes saxatiles sans cesse agitées par les brises marines. L’oiseau voyageur, fatigué de sa longue course, vient se reposer sur leurs rameaux fleuris, et salue la terre par ses chants d’allégresse. Ainsi, rien ne troublerait désormais cette aimable solitude, rien n’y rappellerait sa primitive destination, si le bruit sourd des vagues irritées et la clameur des orages, pénétrant parfois dans ces caveaux, ne leur rendaient les voix lamentables et les anciens gémissements.
[102]Ainsi nommé à cause d’un ancien puits qui se trouve au milieu du village.
[104]Iriart. v. 1, p. 486. L’anonyme place Zarine à deux cent cinquante stades de la Chersonèse ; cette distance, de beaucoup trop courte, porterait à récuser l’identité de situation entre Zarine et Darnis, si toutes les positions qui suivent à l’ouest dans ce stadiasme, ne correspondaient tant avec les documents anciens qu’avec les observations modernes.
[105]Géogra. des Grecs et des Romains, t. X, part. II, p. 78.
[106]Posirion pour Taposiris ; Nazaris pour Aziris, etc.
[107]Ed. Wesseling, p. 68.
[108]Id. ibid. p. 734.
[109]L. XII, 16.
[110]Wesseling, in Hierocl. pag. 734. Cependant, suivant Hiéroclès, cette métropole était Parætonium (Ibid.).
[111]Geogra. sacra, p. 56, 184.
[112]Oriens Christ. t. II, p. 631.
[113]Epist. 67.
[114]La cause de la méprise de ce voyageur vient de ce qu’en arabe le mot ain signifie également œil et source (Voyez Golius).
[115]Changeur.
Départ de Derne. — Hydrax et Palæbisca. — Vallon Betkaât. — Château de Maârah. — Massakhit. — Ville pétrifiée. — Zephirium. — Aphrodisias. — Temple de Vénus. — Bains.
Vingt jours s’étaient écoulés depuis que je languissais dans une inactivité forcée, lorsque enfin une lettre de Ben-Ghazi vint me rendre à la liberté. Grace aux pressantes démarches du vice-consul anglais M. Rossoni, le gouverneur Moukhni me permit de visiter la partie de la province comprise entre Derne et Grennah, m’enjoignant toutefois de ne point franchir ces limites avant l’arrivée d’un firman de Tripoli. Il m’envoya en même temps plusieurs lettres pour les principaux chefs des tribus arabes, et donna ordre à son premier écrivain, Hadji-Abd-el-Azis, de m’accompagner, afin de me garantir, autant qu’il serait possible, des dangers auxquels je voulais, disait-il, si aveuglément m’exposer.
La joie que me causa cette nouvelle fut néanmoins troublée par l’état peu rassurant de la santé de M. Müller. Sa maladie, au lieu de se calmer, avait empiré à un tel point qu’elle le rendait absolument incapable de supporter de nouvelles fatigues. Quelque peine qu’il m’en coûtât, je me vis forcé de le quitter. Hadji Hamedèh se chargea de veiller à son rétablissement ; le plus fidèle de mes Nubiens resta auprès de lui pour le soigner ; et je rentrai dans le désert.
Si la contrainte et les précautions auxquelles un Européen est soumis dans les petites villes de l’Orient, lui en rendent le séjour désagréable lorsqu’il est volontaire, que l’on juge de l’anxiété qu’elles doivent produire sur son esprit, lorsque ce séjour est forcé. Aussi, dès qu’il en est affranchi, dès qu’il a pu rentrer dans les solitudes, il se sent comme débarrassé de lourdes chaînes : il a quitté la gênante livrée des villes, et repris le manteau du désert ; monté sur la jument docile ou sur le fougueux dromadaire, il éprouve le besoin de se répandre dans l’espace ; il respire avec volupté cet[105] air du désert, cet air de liberté qui change en idée de sécurité et de plaisir la frayeur que sans lui son immensité ferait naître.
Cependant les lieux où je me trouvais n’étaient rien moins qu’effrayants, et leur aspect ne pouvait qu’ajouter au plaisir de recommencer mes promenades aventureuses. La partie du plateau qui s’étend au-dessus de Derne, quoique en général dépourvue de haute végétation, est agréablement ondulée de vallées vers le nord, et devient toutefois moins fertile vers le sud.
Les ruines que j’y aperçus sont peu remarquables par elles-mêmes ; mais les souvenirs qu’elles m’occasionnèrent ne sont point sans intérêt. Au sud, et à trois heures de Derne, je rencontrai d’abord une petite construction isolée ; cet édifice est moderne, il est la demeure d’un santon. Après avoir suivi encore cette direction pendant quatre heures, j’entrai dans un enfoncement peu sensible que décrit la plaine vers l’ouest sur un espace de deux heures et demie. A son extrémité, je vis un grand château, grossièrement construit avec des matériaux plus anciens, et à une heure plus au nord les vestiges d’un bourg antique. Quelques mesquins rejetons d’oliviers, épars çà et là aux environs du château, lui ont fait donner le nom de Zeitoun ; de même que des bouquets de figuiers ont fait donner celui de Kouroumous aux ruines du village.
Dans l’un et l’autre lieu, on trouve les restes défigurés de plusieurs tombeaux antiques (V. pl. IX, 1 et 2). Il serait superflu d’entrer à leur sujet dans une minutieuse description ; nous aurons plus d’une fois l’occasion de nous arrêter devant ces innombrables mausolées qui couvrent la Pentapole, et dont l’étonnante conservation nous présentera l’image du deuil survivant presque seule dans cette contrée aux témoignages de son ancienne splendeur. D’autres objets attirent maintenant notre attention.
A cinq heures plus vers l’ouest de ces lieux, sont les vestiges d’un autre village avec une tour antique, qui fut pendant long-temps la résidence d’un chef arabe, d’où elle a pris le nom de Bou-Hassan (V. pl. IX, 3). Ces nouvelles ruines n’ont rien de plus remarquable, et je n’en fais mention dans le moment, qu’à cause de leur position qui les rattache, selon mes conjectures, aux premières plus intéressantes.
Ces deux bourgs se trouvent sur les confins des terres réellement fertiles, puisqu’à quelque distance dans le sud on ne voit plus d’autre végétation[106] qu’une espèce d’arthémise ligneuse, et quelques arbustes clair-semés dans les bas-fonds. Cette situation rappelle celle d’Hydrax et de Palæbisca, villages placés par Synésius aux confins de la Libye aride[116] ; dans l’intérieur de la Cyrénaïque, suivant Ptolémée[117] ; et faisant partie de la Libye Pentapole, d’après la Géographie sacrée[118].
Cependant on ne pourrait émettre sur ce sujet que des conjectures très-vagues, si l’évêque de Ptolémaïs ne nous avait laissé des renseignements plus positifs. Il nous apprend que Palæbisca et Hydrax dépendaient de l’église d’Erythra[119], ville située aux bords de la mer, et dont nous parlerons dans la suite. Quoique la dépendance religieuse paraisse avoir entraîné, à cette époque, la possession des terrains environnants[120], néanmoins celle d’un lieu voisin d’Hydrax devint un grave sujet de contestation entre les évêques d’Erythra et de Darnis. Synésius, appelé pour juger ce différend, décrit le lieu qui en était l’objet, comme couvert de vignes et d’oliviers, et muni autrefois d’un fort château, abattu par un tremblement de terre, et dont on avait ensuite redressé une partie des murailles[121]. Ce château, ajoute-t-il, était situé dans un endroit spacieux, et il était plus rapproché de Darnis que d’Erythra[122] ; puisque cette proximité, évidemment reconnue, fut cause qu’il fut adjugé avec ses dépendances, à Dioscure, évêque de Darnis[123].
D’après cette description, transmise par un témoin irrécusable, description qui s’accorde parfaitement avec les ruines et les restes de culture que j’ai fait remarquer à Zeitoun, la position d’Hydrax ne saurait être aussi méridionale qu’elle l’est dans plusieurs cartes[124]. On chercherait[107] vainement, en pénétrant davantage dans l’intérieur des terres, des lieux propres à l’olivier, à moins que la même cause ne produisît les mêmes effets, ainsi qu’à Ammon. De plus, dans l’endroit que je viens de décrire, cet arbre avait besoin d’être entretenu par la culture. Il ne se trouve point là sur son véritable sol indigène ; abandonné à lui-même, il ne présente plus que des troncs sans feuillage et de frêles rejetons. Cette circonstance n’a point échappé à l’esprit simple et par cela même souvent observateur des Arabes : le nom qu’ils ont donné à ce lieu, indique leur surprise d’y trouver les restes d’une végétation qui lui est presque étrangère.
Les ruines de Bou-Hassan sont à l’entrée du vallon Harden, qui, d’abord spacieux, se rétrécit ensuite insensiblement, et forme enfin une gorge tellement étroite, qu’elle ressemble à un profond sillon creusé dans la montagne ; à ce point le vallon quitte sa première dénomination, et prend celle de Betkaât.
Le désir de connaître dans toutes ses parties la contrée que je visitais, m’engagea à pénétrer dans la gorge de Betkaât, malgré les vives instances d’Abd-el-Azis, qui s’efforçait de m’en détourner. Je commençai alors à soupçonner le caractère faible de ce vieillard, et, pour en prévenir les dangereuses conséquences, je persistai dans mon dessein. L’axe général de ce vallon est du nord au sud ; mais il décrit une infinité de contours qui en varient l’aspect et produisent les contrastes les plus inattendus. Ses rives très-exhaussées, tantôt resserrées et couvertes d’un bois épais, et tantôt s’élargissant de chaque côté en demi-cercle, forment tour-à-tour de sombres défilés impénétrables à la lumière, et de riants amphithéâtres couverts de riches prairies.
Notre marche fut souvent interrompue par des visites d’Arabes qui sortaient de leurs tentes cachées comme des tanières dans les réduits les plus obscurs. C’était là le motif de la prévoyante sollicitude d’Abd-el-Azis : il fallait à chaque instant décliner nos noms et nos projets ; et le craintif représentant du bey, loin de faire valoir ses titres avec hauteur, mettait au contraire dans ses réponses la politesse la plus affectueuse. Aussi, dès ce jour, il me répéta souvent qu’il aimait le grand air et les plaines, parce que les réduits cachés et les forêts nuisaient à sa santé.
[108]Nous commençons ici à entrevoir le système des Cyrénéens dans la défense de leur contrée : les deux rives de Betkaât étaient autrefois couvertes par intervalles de postes fortifiés, d’où l’on veillait au repos de ses habitants. La mieux conservée de ces ruines se trouve sur le point le plus élevé et aux deux tiers de l’étendue du vallon : elle consiste en deux bâtisses carrées, construites sur un rocher escarpé, où l’on gravit avec peine. Immédiatement au-dessous des ruines sont deux excavations dans le roc, entièrement comblées ; deux énormes dalles servaient à fermer hermétiquement chaque entrée, placée horizontalement. Ces excavations se trouvent fréquemment dans la Pentapole sous des ruines semblables à celles-ci, qu’elles soient sur des hauteurs ou dans la plaine ; mais cette différence dans leur situation en rendait aussi diverse la destination. Ces souterrains nous présenteront, en effet, tantôt de vastes magasins ou de profonds réservoirs, et tantôt d’étroites galeries pour faciliter les sorties des assiégés. D’autres fois ils formeront de petits sanctuaires : de grandes niches, et de larges entrées ornées de pilastres, en seront la preuve. D’autres fois encore, en les voyant disposés en galerie autour du château, nous y reconnaîtrons de petites nécropolis où l’on déposait peut-être les restes de ceux qui avaient défendu leur patrie contre les attaques des Barbares. Des indices certains nous guideront dans ces diverses destinations. Leur examen réfléchi pourra jeter quelque lumière sur les usages des anciens peuples de cette contrée. Nous étudierons moins la Pentapole en parcourant la surface du sol, qu’en nous enfonçant dans les entrailles de la terre : les Barbares qui ont détruit les édifices n’ont pu faire écrouler les montagnes ; les villes et les temples ont disparu, mais les souterrains existent encore.
Non loin des grottes de Betkaât, jaillit une belle source ; ses eaux sortent en bouillonnant du flanc du rocher, et, selon les obstacles qu’elles rencontrent dans leur course, elles se ramifient en plusieurs ruisseaux qui prennent des directions différentes, répandent partout la fertilité, et ajoutent beaucoup aux charmes que présente la sommité pittoresque de Betkaât. De ce point élevé, la vue s’étend fort loin, et l’on pouvait apercevoir de tout côté l’arrivée des hordes ennemies. Cette réflexion me suggéra à l’instant une foule de pensées. Un pâtre, placé à côté de moi, m’indiquait[109] les ruines que je désirais visiter : au nord je voyais, me disait-il, la belle vallée de la Coupole ; vers l’est, la colline des Souterrains ; un point noir dans l’horizon annonçait le temple des Fruits ; et plus loin encore était la ville des Statues. Mon esprit, tantôt attentif à ces récits et tantôt recueilli en lui-même, se porta involontairement à cette époque où les anciens possesseurs de la contrée veillaient, du lieu même où je me trouvais, à l’arrivée des hordes africaines, et les repoussaient ensuite dans les déserts. Combien les temps étaient changés ! Un descendant de ces peuplades, sauvage comme elles, m’indiquait maintenant en noms défigurés les vestiges des villes où régnèrent jadis les souverains de la Pentapole. Ces tours qui firent trembler ses ancêtres, maintenant écroulées, le Libyen les foulait avec dédain ; il en méconnaissait jusqu’à l’antique usage : et tandis que ses troupeaux paissaient l’herbe qui croît sur leurs débris ; tandis que ses tentes couvraient les plaines et les vallées ; assis sur ces murs autrefois redoutables, paisible, il chantait ses guerres sanglantes ou ses sauvages amours.
Préoccupé par ces idées, je descendis lentement le rocher de Betkaât, et m’enfonçai de nouveau dans les sinuosités du vallon. De mêmes objets ne produisirent plus sur moi de mêmes impressions : de nouvelles ruines, de nouveaux sites frappèrent mes regards sans les arrêter ; et nous quittâmes enfin ces sombres défilés, pour entrer dans la spacieuse vallée de Koubbèh.
Des vestiges de belles fondations me firent soupçonner que je m’approchais d’un canton des plus intéressants de l’ancienne Pentapole. Mais avant de pénétrer davantage dans l’ouest, entrons dans une nouvelle vallée qui fait suite à celle de Koubbèh, et contourne brusquement vers l’est jusqu’à Derne. L’ordre de mes récits me paraît préférable à celui de mon itinéraire.
Cette nouvelle vallée prend d’abord le nom de Tarakenet. Moins étroite que celle de Betkaât, mais plus boisée encore, elle est, pour ainsi dire, encombrée d’une végétation tellement active, qu’elle couvre entièrement la pente des collines, se presse dans le fond de la vallée, et ne permet de la traverser, qu’en se frayant un passage à travers un épais taillis d’arbres et d’arbustes. En la parcourant, on aperçoit sur une des[110] sommités qui la dominent un autre poste fortifié. De telles ruines sur de pareilles situations sont si fréquentes dans ces montagnes, que désormais il me suffira de les nommer en passant ; je n’entrerai dans quelques détails à leur sujet que lorsqu’elles me présenteront des caractères particuliers. De ce nombre est le château de Maârah, situé sur la rive septentrionale de la vallée de ce nom, prolongement oriental de celle de Tarakenet.
Ce château construit sur un rocher nu, auprès d’un ancien bourg, forme un grand carré ayant de chaque côté vingt mètres de longueur. Dans l’intérieur, on ne peut plus reconnaître que les fondations de quatre pièces qui communiquaient entre elles par de petites voûtes encore debout. Cet édifice, par la petite dimension des assises, et surtout par le ciment qui les joint, m’a paru appartenir aux Sarrasins ; mais un large fossé qui l’entoure de trois côtés, est incontestablement antérieur au château, et porterait à croire que la construction actuelle fut élevée sur l’emplacement d’un monument plus ancien. Le fossé de circonvallation est entièrement creusé dans le roc, et contient dans les parois opposées aux murs du château un grand nombre de grottes sépulcrales, formant une galerie souterraine. Les Arabes ont changé ces grottes en ateliers, si l’on peut toutefois donner ce nom à des pieux fixés dans les fentes des rochers, où sont attachés des fils de laine que l’on croise avec assez d’adresse pour en faire des ihrams.
C’est un spectacle curieux et riche en réflexions que celui des ateliers de Maârah ! Ce n’est point sans surprise que l’on voit à l’entrée de ces antiques sépultures, au lieu d’instruments de fossoyeurs, des fusils armés de baïonnettes ; que l’on entend dans ces cavernes, autrefois consacrées à la douleur et au silence, les bruyants éclats d’une gaîté sauvage. On n’est pas moins frappé de voir les Arabes poser leur nourriture journalière au fond même des sarcophages ; de voir de petits êtres à peine entrés dans la vie, des enfants à la mamelle, s’ébattre tout nus dans des cuves monolithes où l’on purifiait les cadavres avant qu’ils fussent placés dans les tombeaux. Mais on ne peut surtout se défendre d’une impression pénible à l’aspect d’ossements antiques qui, exhumés des cercueils[111] après plusieurs siècles de repos, servent aujourd’hui de navettes pour de grossiers tissus ! Ces rapprochements d’époques, ces bouleversements d’usages, produisent des contrastes bizarres qui arrêtent le voyageur pensif et disposent son ame à la rêverie.
En quittant Maârah, si l’on se dirige droit à l’ouest, on rencontre d’abord un nouveau château sarrasin, el-Harami[125] ; son nom indique assez à quelle sorte de gens il sert de repaire, et l’on n’est point tenté de s’y arrêter long-temps. Non loin de ce château, on trouve encore les vestiges d’un ancien village, Kasch-Moursek ; et enfin, après six heures de marche de Maârah, on arrive à Massakhit, ruines d’un bourg plus considérable. C’est là que je voulais d’abord conduire le lecteur avant notre rapide excursion au château des troglodytes.
La situation de Massakhit, la ville des statues, peut donner d’avance une légère idée de celle de la métropole, de l’antique Cyrène. La sommité septentrionale du plateau se trouve en cet endroit taillée à pic dans une profondeur de vingt à trente pieds, et forme une espèce de falaise creusée de toutes parts en tombeaux. Ce long mur sépulcral servait de soubassement à l’ancienne ville dont les débris sont épars çà et là, et n’offrent d’autre monument reconnaissable qu’un château appartenant à l’époque romaine. Cependant les fragments de marbre et de statues que l’on y trouve, et surtout le grand nombre d’anciens tombeaux, indiquent suffisamment que cette petite ville dut être florissante dans l’antiquité ; mais continuons maintenant l’examen des vestiges qu’elle nous offre dans sa destruction. Ici, comme ailleurs, les excavations dans le roc, par leur conservation, attirent d’abord notre attention. Celles de Massakhit sont remarquables par la prodigieuse quantité de niches que l’on voit sur leurs entrées, et même sur les masses brutes du rocher. Cette singularité frappera le lecteur, s’il jette les yeux sur la planche à laquelle je le renvoie (Voyez pl. XII). Il y verra une façade dorique bizarrement bariolée de niches grandes ou petites, elliptiques ou carrées, réunies ou isolées. Il en verra au sommet et à la base, dans les métopes et les entre-colonnements. Nul doute que ces singulières décorations,[112] ou pour mieux dire, ces dégradations barbares, n’appartiennent au moyen âge, à ces premiers Chrétiens qui multipliaient partout les symboles d’une religion naissante. Les plus spacieuses de ces grottes paraissent avoir été changées à cette époque en chapelles ; et les autres, offrant dans leurs détails plusieurs points d’analogie avec les catacombes égyptiennes, continuèrent de servir de tombeaux. Des statues et des lampes funéraires furent sans doute placées dans ces trous de diverse grandeur, creusés par la piété ou par les regrets des familles désolées. Par la suite, les images des saints et des saintes confondues dans les champs avec les restes mutilés des dieux du paganisme, contribuèrent ensemble à accréditer chez les Arabes et chez quelques Européens non moins crédules la singulière tradition d’une ville pétrifiée. Quoique ce soit anticiper sur les résultats d’observations ultérieures, néanmoins, puisqu’une erreur notoire ne saurait être assez tôt réfutée, je vais en développer la cause, sauf à indiquer dans la suite les autres lieux qui ont contribué à m’en fournir les moyens.
M. Lemaire n’est point le premier qui ait répandu en Europe la tradition d’une ville pétrifiée. Yakouti avait dit, dès le quinzième siècle de notre ère, qu’il existait à l’orient du Nil une grande ville ancienne, Ensana, dont les habitants avaient été changés en pierre, et conservaient les différentes attitudes dans lesquelles ils avaient été surpris lors de leur subite métamorphose[126]. D’autres historiens orientaux ont fait des contes pareils sur les environs de Cyrène ; et des savants, ne pouvant avec raison y ajouter foi, leur ont cherché une interprétation malheureusement peu vraisemblable[127]. Ils ont attribué la cause de ces récits aux stalactites et aux diverses pétrifications que l’on trouve, il est vrai, dans les excavations de Cyrène, et dans le reste de la Pentapole, mais dont le petit volume et la configuration toujours cylindrique ne pouvaient produire un effet aussi merveilleux sur l’imagination des Arabes, quelque facile qu’elle soit à céder aux illusions. Shaw paraît avoir copié littéralement le récit d’Yakouti ;[113] mais il place, d’après un ouï-dire, sans toutefois y croire, la prétendue ville pétrifiée à Ras-sem[128], station que l’on trouve au milieu des sables, entre Ben-Ghazi et Audjelah, et que j’ai visitée. Enfin le P. Godefroi et autres missionnaires prolongent la situation de cette ville à vingt journées au sud de Ben-Ghazi, et ajoutent que « toutes choses y avaient été converties en pierre par châtiment de Dieu[129]. »
Ce dernier renseignement, si ridicule au premier abord, devint cependant précieux pour moi, puisqu’il contribua à me donner la clef de cette bizarre tradition provenant, comme l’on voit, de lieux si différents, et accompagnée cependant des mêmes circonstances. Ce fut aussi avec des motifs semblables à ceux allégués par le P. Godefroi, que les Arabes me parlèrent des villes pétrifiées, car ils en connaissaient plusieurs. Massakhit était de ce nombre ; et l’on juge quel fut mon empressement à m’y rendre, pour connaître la cause du grand miracle. Cependant, comme je n’apercevais rien de surnaturel parmi les ruines que j’examinais, et que je témoignais mon désappointement à mes guides ; ils me firent alors jeter les yeux sur des fragments de statues épars dans les champs, et me dirent qu’autrefois il en existait un grand nombre d’intactes ; puis, ils ajoutèrent : « Voilà les hommes qui, par punition de Dieu, ont été changés en pierre. » A ces mots, je ne pus retenir, je l’avoue, un éclat de rire, en pensant combien les traditions populaires les plus absurdes font quelquefois rêver gratuitement de graves érudits.
Il est inutile que j’entre dans de plus longues explications ; celle-ci suffit pour résoudre le problème. Dans tous les lieux où ces hommes crédules ont vu un grand nombre de statues, ils ont fait de ces lieux autant de villes pétrifiées, et les ont appelés indistinctement Massakhit, pluriel de masskoutah, statue, configuration humaine. Ainsi, plusieurs ruines dans la Cyrénaïque portent le même nom par la même cause. Ainsi, le monument romain couvert de bas-reliefs, que l’on trouve à Ghirza[130], nommée aussi Massakhit par les Arabes de Barcah, explique la ville pétrifiée[114] à vingt jours de Ben-Ghazi du P. Godefroi. Ainsi, la capitale des Nabatæens, Petra, contenant encore, au rapport des savants voyageurs Burckardt et Bankes, un grand nombre de statues et de configurations sur la pierre, explique l’Ensana[131] d’Yakouti. Mais ce serait abuser du temps et de la patience du lecteur que de le retenir davantage sur un pareil sujet.
Indépendamment des niches dont j’ai fait mention, le séjour des Chrétiens à Massakhit est plus irrévocablement encore attesté par les sculptures de l’intérieur d’une grotte, située à l’extrémité occidentale de la ville. Deux colonnes à chapiteaux en volute, dont un ne fut point terminé, soutiennent les angles d’une frise intérieure, taillée, ainsi que les colonnes, dans le rocher. Cette frise est composée de trois faces, chacune sculptée d’une manière différente : sur celle qui est vis-à-vis de l’entrée, on voit un médaillon formé d’une couronne de laurier, au milieu duquel est une croix entourée de deux serpents ; latéralement au médaillon sont de grossières arabesques où la figure du cœur se trouve souvent répétée. Le symbole du christianisme était aussi sculpté sur les deux autres faces de la frise ; mais les coups de pioche dont il est mutilé offrent le témoignage de la haine des Musulmans, qui cherchèrent à faire disparaître de cette contrée les signes d’une religion proscrite. Cette intention est d’autant plus évidente que les autres ornements sont restés intacts : on y remarque une vigne avec ses grappes et ses feuilles, allusion naturelle à la vigne du Seigneur ; de même qu’on y retrouve le poisson, offrande habituelle des Chrétiens de la Cyrénaïque (Voyez pl. XIII). Ces indices prouvent que Massakhit fut un bourg de quelque importance dans la Pentapole chrétienne ; mais quel fut ce bourg ? Le défaut de renseignements me laisse dans une ignorance complète à ce sujet. J’ose à peine hasarder le nom d’Olbie, ville épiscopale, nommée par Synésius[132], et qui, d’après une liste très-peu géographique, il est vrai, de la Géographie sacrée, aurait été placée aux confins de la Libye Pentapole[133].
[115]Quittons donc ces restes mutilés des derniers âges de la civilisation de cette contrée ; peut-être, en remontant à des époques plus reculées, en foulant des débris plus défigurés encore, nous trouverons des notions moins incertaines et des souvenirs plus intéressants. Au sud, et en vue de Massakhit, on aperçoit un monticule couronné de ruines dont l’aspect même de loin est imposant. Je me hâte de m’y rendre, et un vaste édifice quadrangulaire se développe à mes regards : des blocs de grès, de six pieds d’épaisseur, forment ses assises, et sa longueur de chaque côté est de quarante-trois mètres. Cependant la main du temps est parvenue à abattre ces masses monolithes ; il n’en reste plus que quelques mètres au-dessus du sol. Dans l’intérieur, ses efforts destructeurs ont exercé plus de ravages encore : une corniche dorique, et quatre chapiteaux de marbre ornés de feuilles d’acanthe et de grappes de raisin, seuls ont échappé à une complète mutilation (Voyez pl. XXVII, fig. 3, 4). On les voit à demi enfouis dans la terre, au milieu de blocs écornés ; de fûts, les uns renversés, les autres debout, mais n’offrant plus que des tronçons placés de manière à ne donner aucune idée exacte de l’ancienne distribution de l’édifice (Voyez pl. XI, fig. 3). Cependant de tels débris et leur vénérable vétusté indiquent suffisamment que l’on se trouve auprès d’un temple d’une antiquité reculée. Que de regrets on éprouve en voyant sa grande destruction ! et que ces regrets augmentent encore si l’on invoque sur ces lieux les inductions de l’histoire ! Le cap Tourba, situé à peu de distance à l’est de Massakhit, et à cinq lieues et demie de Derne, est sans contredit le Zephirium de l’antiquité, port et promontoire placé par le Périple anonyme à cent cinquante stades de Zarine[134]. Suivant le même stadiasme, une autre station, Aphrodisias, se trouvait à soixante stades à l’occident de la précédente ; un temple de Vénus lui avait donné ce nom. Scylax[116] place dans ce même lieu l’île Aphrodisias[135]. Cette île est sans doute la même que celle nommée par Hérodote[136], et peut-être aussi que les deux îles du même nom d’Étienne de Byzance[137] ; ajoutons encore que la Læa de Ptolémée[138].
Des circonstances m’ont empêché de visiter cette partie de la côte, et je n’ai pu reconnaître l’île mentionnée par l’antiquité. Toutefois il résulte des traditions citées qu’un temple de Vénus existait dans ce canton. Les ruines imposantes de Tammer se trouvent vis-à-vis de la situation présumée de l’île ou du port d’Aphrodisias ; et quoique ces ruines soient sur le sommet des montagnes, je ne pus révoquer en doute qu’elles ne fussent celles du temple de Vénus. Cette situation d’un édifice appartenant aux premiers âges de la Pentapole, correspond d’ailleurs au système alors adopté par les Cyrénéens, de même qu’elle s’accorde avec celle d’un temple élevé en l’honneur de la déesse de la beauté. Aurait-on placé le sanctuaire des Graces dans une plage stérile, ou dans une île hérissée de rochers[139] ; tandis que les collines voisines offraient des tapis[117] de verdure, des bocages riants et de limpides ruisseaux ? Que cette idée serait contraire au goût des convenances locales porté à un si haut point par les Grecs ! Que la mienne, au contraire, lui devient favorable ! Du monticule de Tammer, on voit à ses pieds des bosquets touffus, et la vue s’étend au loin sur la vaste plaine de la mer. Ainsi, le temple de Vénus pouvait offrir aux jeunes amants un asile pour leurs feux dans les secrets ombrages, et l’image de leur durée dans l’infini de l’horizon. A peu de distance vers l’est, on trouve même encore dans un site agréable des myrtes d’une grande hauteur, et dont le tronc, crevassé par le temps, est néanmoins orné d’un vert feuillage. Ces beaux arbres ont vu sans doute plusieurs siècles s’écouler ; peut-être sont-ils du même âge que le temple, mais que leurs destins et leurs symboles sont changés ! Le temple est écroulé ; il n’offre plus que des pierres éparses, ses antiques emblèmes ont disparu ; tandis que le tronc crevassé des myrtes est encore orné des graces de la jeunesse : c’est toujours l’arbre de la beauté ; il a même embelli en vieillissant.
D’autres témoignages ajoutent encore à la vraisemblance de mon rapprochement ; ils prouvent du moins que ce canton fut un des plus florissants de la Pentapole : en s’avançant dans les terres, sur un espace de deux heures, chaque élévation est creusée en tombeaux, de même que le sol est partout couvert de ruines de bourgs et de villages. Asrak, Tadenet et Koubbèh paraissent de loin des collines percées circulairement, ou des rubans de roche tachetés de points noirs. Kaffram, Zatrah et Kraât hérissent encore la plaine des pierres angulaires de leurs édifices, et contiennent chacun un petit château. Mais au point le plus reculé de cette distance est un monument qui mérite d’attirer notre attention. Huit pilastres à chapiteaux unis forment une galerie couverte de longs blocs monolithes adossés contre la colline. Cette disposition ne justifie point le nom de Koubbèh, coupole, que lui donnent les Arabes ; remarquons cependant qu’elle a quelque chose d’égyptien. Dans l’intérieur de la galerie est une petite ouverture pratiquée dans le rocher, au niveau du sol ; un escalier aide à y pénétrer : dès que les yeux sont plus familiarisés avec l’obscurité, on se trouve dans une grotte dont le plafond, tapissé de capillaires, s’arrondit en voûte sur une source d’eau cristalline. Le murmure que l’on entend[118] indique que l’eau se précipite par un conduit souterrain. Elle passe en effet sous la galerie et jaillit avec force au dehors, d’où elle se répand au loin dans la vallée, et occasionne une si grande fertilité, qu’elle est passée en proverbe chez les habitants de Barcah. Cette eau n’est point thermale, comme je l’avais d’abord supposé[140], quoiqu’elle soit fortement sulfureuse par la saveur. Elle teint en noir les terres qu’elle arrose, tandis que celles des environs sont d’un rouge ocreux.
Selon les indices encore existants, nul doute que des bains ne se trouvassent autrefois dans ce lieu. Sur le devant de la galerie est une petite plate-forme où l’on voit les traces de plusieurs bassins enduits de ciment ; d’autres bassins, taillés aussi dans le roc, mais sur un plan inférieur aux premiers, étaient placés de manière à recevoir, de même que ceux-là, l’eau de la source par une rigole qui les séparait (V. même planche). Les fondements d’un mur de construction qui entourent ces ruines, font présumer qu’elles se trouvaient autrefois dans la même enceinte, et ne formaient avec la galerie actuelle qu’un seul et même édifice. Quoi qu’il en soit, ce qui en reste porte l’empreinte d’une haute antiquité, et paraît être du même âge que le temple de Vénus. Peut-être que ces thermes en dépendaient ? Leur voisinage du temple me rendit cette supposition vraisemblable, et cette vraisemblance était trop de mon goût pour ne point m’y arrêter. Peu à peu elle captiva totalement mes idées ; elle alluma mon imagination ; elle l’entraîna vers ces temps antiques où les jeunes Grecques venaient dans ce frais réduit soulager leurs membres délicats des feux brûlants du soleil de Libye. Un bois touffu devait sans doute l’entourer ? Ma pensée poursuivait ce rêve délicieux, et l’illusion séductrice la secondait. Elle reproduisait devant moi des sentiers ombragés de myrtes fleuris et de thyons odorants. Les nymphes à la taille légère, au doux sourire, parcouraient en folâtrant ce verdoyant domaine ; elles chantaient des hymnes à Vénus ; elles formaient des danses gracieuses ; enfin elles pénétraient dans l’asyle du mystère.[119] L’endroit où je me trouvais recevait en dépôt leurs douces draperies. Que mon rêve me devint cher ! Mais le poursuivre plus long-temps ce serait entrer en des récits trop étrangers à mon grave sujet. Quittons même, il en est temps, des lieux si séducteurs ; Vénus exercerait-elle encore au milieu de ces ruines une secrète influence ?
[116]Epist. 67, ed. Peta. p. 208.
[117]L. IV, c. IV. Le Père Le Quien pense que le Palæbisca de Synésius pourrait être l’Alibaca de Ptolémée (Orien. Christ, t. II, p. 627).
[118]Geog. sacra, p. 284.
[119]Epist. 67, id. p. 210.
[120]Id. ibid. p. 212.
[121]Id. ibid. p. 211, 214.
[123]Id. ibid. p. 212, 213.
[124]Voyez la table de l’intérieur de la Libye d’après Ptolémée, et la carte de l’empire romain de d’Anville, partie orientale.
[125]Le château des Voleurs.
[126]De Guignes, dans les Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. II, p. 425.
[127]Histoire de l’Académie des Inscriptions, t. VII, p. 224.
[128]Voyages de Shaw, t. II, p. 84.
[129]État du royaume de Tripoli, p. 46.
[130]Voyage dans l’Afrique centrale, par MM. Denham et Clapperton, traduction française ; Atlas, pl. VII, VIII.
[131]Mot qui correspond à peu près à celui de Massakhit, puisque Ensan, en arabe, signifie un homme (d’Herbelot, mot Ensan).
[132]Epist. 76.
[133]Geog. sacra, p. 284.
[134]Iriarte, Bibli. Matri. v. I, p. 486. Strabon (l. XVII, c. 2) fait mention de deux Zephirium, situés entre le port Naustathmus et la Chersonèse. L’un offrait, dit-il, un abri aux vaisseaux : c’est celui du Périple anonyme ; l’autre paraît être le cap de Derne. Ptolémée (l. IV, c. 4) place de même le promontoire Zephirium entre Darnis, et le village de Chersis situé à l’orient du Naustathmus. Enfin Pomponius (l. I, c. 8) ne connaît dans tout le littoral de la Libye que les promontoires Zephirium et Naustathmus.
[135]Ed. Gronov. p. 108. Gronovius (ibid.) interprète ce passage de Scylax différemment de Vossius et d’Hudson ; il pense qu’il faut ponctuer la phrase grecque de manière à lire : De la Chersonèse à l’île Aphrodisias stades cinq cent quarante. Cette opinion est d’autant plus vraisemblable, qu’en comptant les stades à sept cents au degré, cette distance de cinq cent quarante stades fait coïncider exactement la position de l’île Aphrodisias de Scylax avec la station du même nom du stadiasme.
[136]L. IV, 169.
[137]Mot Aphrodisias. Ptolémée place l’île de Vénus, Læa, sous la longitude d’Apollonie. Étienne de Byzance indique une île Aphrodisias auprès de Cyrène : c’est sans doute celle de Ptolémée ; et une seconde dans une autre partie du littoral de la Libye : elle me paraît être celle de Scylax. Cet auteur est le seul qui fasse mention de deux îles de Vénus dans la Cyrénaïque ; d’après d’autres répétitions analogues à celle-ci que l’on trouve dans sa compilation, on est porté à croire que ces deux îles sont probablement la même.
[138]L. IV, c. 4.
[139]En vain on me répondra que Plaute, dans le Rudens, place un temple de Vénus sur la plage aride du port de Cyrène ; je prouverai plus tard que la fidélité locale a été généralement violée dans cette comédie. En admettant d’ailleurs l’existence de ce temple auprès d’Apollonie, elle serait motivée par le voisinage d’une grande ville. On peut donner la même raison pour le temple de Vénus placé par Strabon au milieu du lac Tritonis, voisin, selon lui, de Bérénice.
[140]Le thermomètre hydraulique marquait, à deux heures après midi, à l’air libre, 9 degrés au-dessus de 0. Plongé dans la source, il est monté à 11 degrés. Cette augmentation ne provient sans doute que du lieu resserré où se trouvait le thermomètre.
Chenedirèh. — M. Müller. — Lameloudèh. — Carpocratiens. — Châteaux et souterrains.
Nous avançons dans la Pentapole en décrivant une ligne anguleuse ; et selon que nous nous trouvons sur les confins septentrionaux du plateau cyrénéen, ou que nous pénétrons dans les terres, nous rencontrons alternativement des ravins ou des plaines, des arbres ou des arbustes.
C’est cette dernière direction que nous prenons en quittant Massakhit. Aussi, le terrain devient plus uni ; les lentisques remplacent les cyprès, et couvrent à un tel point le sol de leurs demi-sphères de verdure, que les autres arbustes qu’on aperçoit parmi eux paraissent là comme des étrangers. Nous avons fait ainsi deux heures de chemin dans l’ouest, et nous rencontrons un nouveau bourg, Debek, et un autre château, Chenedirèh, dont l’état de conservation nous offre l’occasion d’entrer dans quelques détails sur ces anciens postes fortifiés. Cet édifice est revêtu d’un second mur en talus à angles arrondis. Sur trois de ses côtés, et au niveau du sol, se trouve une petite entrée cintrée qui ne permet à un homme d’y passer qu’en s’agenouillant (Voyez pl. XIV). Après avoir franchi l’enceinte générale, on en rencontre une autre séparée de la première par un corridor étroit ; des portes carrées et à hauteur d’homme y sont placées vis-à-vis des petites entrées extérieures. Malgré les décombres dont l’intérieur est rempli, on peut toutefois s’assurer que sa surface était divisée en sept pièces voûtées ayant des communications entre elles. Un second étage s’élevait sur celui-ci ; les indices qui en restent prouvent qu’il était également voûté, mais ne permettent point de connaître s’il avait la même distribution. Cet édifice présente en outre une disposition architectonique très-remarquable : au fond de l’étage inférieur, indépendamment des pièces mentionnées, on en voit une autre plus petite, semi-circulaire horizontalement, se terminant aussi en plein cintre au sommet,[121] et ornée au-devant de deux colonnes (V. pl. XI, fig. 4). Cette disposition, accompagnée des mêmes détails, est continuellement répétée dans tous les monuments du même genre et de la même époque. De plus, on la retrouve dans plusieurs ruines de temples chrétiens de la Cyrénaïque ; ajoutons encore, dans quelques châteaux sarrasins appartenant au premier âge de la conquête de l’Islamisme (Voy. pl. LXXXIX). Que les Musulmans, après s’être emparés de cette contrée, aient imité, en construisant leurs châteaux, une partie des formes et de la distribution de ceux qu’ils y ont trouvés, il n’y a rien là de surprenant : mais que des édifices qui ne sont évidemment que des postes militaires, offrent une telle analogie avec d’autres édifices qui sont aussi évidemment les restes de temples ; c’est ce qui paraîtrait fort étrange, si le philosophe de la Pentapole chrétienne n’avait pris le soin de nous en indiquer clairement la cause. J’ai déja fait mention, dans le précis de l’histoire de Cyrène, des incursions des Libyens dans les champs de la Pentapole déchue de son ancienne gloire. Ne pouvant arrêter ces torrents dévastateurs, les habitants se réfugiaient dans les châteaux ; « lieux publics, nous apprend Synésius, où l’on célébrait les saints mystères, et où la population alarmée allait prier lorsque les Barbares s’approchaient pour dévaster le canton[141]. »
Ces précieux renseignements me paraissent suffisamment expliquer l’analogie remarquée entre des monuments d’une destination si différente. Les petits sécos ornés de colonnes, que nous voyons dans les châteaux, durent servir de chapelles, auprès desquelles le peuple timide allait implorer du Très-Haut des secours qu’avec plus d’énergie il eût trouvés en lui-même.
Le même passage de Synésius indique aussi le motif de ce grand nombre d’édifices du même genre que nous avons déja rencontrés et que nous rencontrerons encore dans la Pentapole.
Nous ne serons plus surpris, de trouver auprès des vestiges du moindre hameau, les ruines du château qui était à la fois pour ses habitants un lieu de refuge et de piété.
Chenedirèh, de même que Maârah, est entouré d’un fossé où sont[122] pratiquées un grand nombre d’excavations sépulcrales. Les bassins circulaires que j’ai fait remarquer à Maârah se voient de même ici, et dans un état parfait de conservation. Ils sont placés immédiatement au-dessous des sarcophages taillés dans les parois des grottes à quelques pieds au-dessus du niveau du sol. Cette position, et le ciment rougeâtre dont ils sont aussi enduits, confirment mes premières conjectures et ne me laissent plus aucun doute sur ce sujet. Continuons à pénétrer dans l’ouest.
D’autres ruines, Mel-ar-Arch, viennent frapper mes regards ; j’y trouve encore l’indispensable petit château au milieu de quelques pierrailles éparses, restes d’un ancien village ; et rien de plus intéressant. En général, ces sortes de ruines se ressemblent tellement, qu’elles ne diffèrent entre elles que de nom et de situation : aussi, le voyageur jette un coup-d’œil sur ces tristes squelettes, et, poursuivant aussitôt sa route, il se hâte d’aller chercher ailleurs d’autres aliments à sa curiosité. Mais bientôt un nouveau caractère du sol de la Pentapole me dédommagea de la monotonie des monuments.
Un vaste rideau d’arbousiers couvre toute la plaine devant nous, et s’étend fort loin des deux côtés de notre horizon. Le beau feuillage de cet arbuste, la couleur purpurine de son tronc, la forme gracieuse de son port, plaisent à la vue. C’est un doux obstacle à franchir : les chameaux, trompés par l’apparence, hâtent le pas[142] ; ils s’enfoncent dans le feuillage ; leur tête laineuse dépasse seule les arbrisseaux ; ainsi caché, le sobre habitant des sables de Libye a l’air de nager dans une mer de verdure. A cet aspect inattendu, au frémissement des feuilles, au craquement des jeunes branches, cet immense bosquet, naguère si paisible, et que nous aurions cru inhabité, retentit tout-à-coup de mille cris d’alarme ; ses hôtes craintifs s’enfuient de tous côtés : les gazelles, toujours légères, se hâtent de regagner la plaine ; le lièvre passe presque inaperçu ; et, tandis que des nuages de pigeons blanchissent les airs, des bandes de grasses perdrix rasent lourdement le bosquet, et, s’y enfonçant de nouveau à une petite distance, elles retrouvent leur paix un instant troublée.
Un amateur de gibier, et surtout un chasseur, ne se serait point contenté comme moi d’examiner toutes ces belles choses ; il en aurait fait[123] son profit. L’empereur Adrien était certainement de ce nombre ; mais quelque zèle qu’il eût pour cet exercice, je ne pense point, comme M. Della-Cella, qu’il faille étendre jusqu’en Cyrénaïque les parties de chasse que cet empereur, au rapport d’Élien, faisait en Libye durant son séjour à Alexandrie. Les lièvres et les gazelles de la Marmarique devaient sans doute suffire à ses plaisirs, sans traverser un pays de cent cinquante lieues d’étendue, pour courir après les perdrix et les pigeons de la Pentapole.
Après que nous eûmes franchi ce vaste bosquet d’arboursiers, nous nous trouvâmes avec surprise vis-à-vis des ruines d’une ville assise sur le penchant d’une colline. Nous étions à cette heure du jour où le soleil, près de disparaître de l’horizon, ne jette plus sur la terre qu’une lumière inégale, occasionne ici d’épaisses ténèbres, et répand plus loin un mourant éclat. Dans ces moments on se livre en tous lieux plus aisément aux impressions. Cette lutte des ombres et de la lumière séduit les yeux par les émotions de l’ame, et change la perspective des objets en variant leurs formes. Mais c’est surtout en visitant une contrée peu connue, et illustrée de même que laissée par l’histoire dans le vague du mystère, que l’on cède facilement dans ces moments à ces illusions trompeuses. C’est alors que l’imagination crédule croit entrevoir de grands monuments, des merveilles antiques, là où il n’existe en réalité que des pans de murs et des pierres éparses, mais qu’enveloppent à demi les ombres de la nuit. Tel fut l’effet que produisirent sur moi, au premier aspect, les ruines de Lameloudèh. Cet effet toutefois serait peu susceptible d’en donner une idée fidèle. J’attendrai que la lumière du jour ait désenchanté ces lieux pour les décrire, et je profiterai de cet intervalle pour revenir sur mon compagnon de voyage que j’ai laissé malade à Derne.
Depuis mon départ de cette ville, M. Müller m’avait écrit plusieurs fois que sa santé s’était améliorée, et qu’il désirait me rejoindre.
Cependant les intempéries de la saison rendaient le désert de Barcah pénible à parcourir ; les pluies étaient continuelles, et les orages se succédaient presque chaque jour. La santé la plus robuste, soutenue par le mépris des souffrances, pouvait à peine résister à ces courses aventureuses ; comment une personne épuisée par une longue maladie aurait-elle pu les supporter ? Telles furent les raisons que j’exposai à M. Müller ; mais ses instances[124] devinrent si vives qu’il fallut céder, et déja nous étions réunis avant d’arriver à Lameloudèh. Ce que j’avais prévu ne tarda point à être confirmé : le désir de connaître les lieux que je visitais, augmenté par les récits merveilleux des habitants de Derne, avait porté mon jeune compagnon de voyage à écouter plutôt son inquiète curiosité, que les conseils de la prudence. Sa maladie, que le repos avait un peu calmée, se déclara de nouveau et avec des symptômes alarmants. Malheureusement, dans cet intervalle, la situation politique du pays était changée : le bey, rappelé par le pacha de Tripoli, avait quitté cette province ; dès-lors, livrés à nous-mêmes dans les montagnes de Barcah, sans autre égide que la Providence, il ne m’était plus permis de penser au retour de M. Müller à Derne. Une seule ressource me restait pour n’avoir point la douleur de le voir succomber à ses maux : je changeai le système de mon exploration.
Tel endroit offrait-il une grotte spacieuse, je m’y rendais avec toute la caravane ; le feu en chassait bientôt l’humidité, et M. Müller trouvait dans cet asile un abri assuré contre les intempéries, et plus de facilité pour faire préparer des aliments. Afin de prolonger cet état salutaire, je prolongeais la durée du séjour. La grotte devenait le lieu de résidence de la caravane, le point central d’où je partais à plusieurs reprises pour visiter le canton, de même que celui où je me repliais dans les circonstances difficiles.
Cet arrangement convenait en outre au craintif Abd-el-Azis, qui, depuis le départ du bey, ne se trouvait point à son aise au milieu des Arabes de Barcah. Malgré sa répugnance déclarée pour les réduits cachés, il se plaisait néanmoins dans ces grottes ; et, malgré leurs divisions ténébreuses, son imagination, rassurée par la présence d’autres personnes, n’en était pas épouvantée. Parfois même il s’avisait de jouer le rôle de protecteur ; mais c’était toujours à bon compte : quelque niais d’Arabe ou des troupes d’enfants s’approchaient-ils du lieu domiciliaire, il leur en défendait impérieusement l’entrée ; mais si des hordes de cavaliers ou des bandes de pélerins venaient à passer, il reprenait ses paroles religieuses et son ton doucereux. M. Müller, quoique souffrant, seul en imposait alors à l’insolence des Arabes et à la rapacité des bandits. Ainsi, le vrai courage a un maintien et une physionomie qui le caractérisent : son attitude n’est point altière ; il n’éclate point en vociférations ; on le lit dans les regards,[125] on le connaît dans le silence. En vain la douleur assiége le corps, ce courage est dans l’ame, et la douleur ne saurait l’abattre ; elle lui donne, au contraire, un ressort concentré, mais énergique, qui frappe d’autant plus les peuples pour lesquels la bravoure est la plus haute vertu.
Ce courage qui nous aide, je le répète, à supporter dans la vie les maux du corps comme les peines morales, pouvait seul soutenir les jours de mon compagnon de voyage. Une rigoureuse nécessité le forçait à charger, de même que nous tous, son corps exténué, du poids des armes inséparables. Mon absence était parfois très-longue ; aux souffrances de la maladie, il ajoutait alors l’inquiétude de l’amitié. Des récits trompeurs et prémédités venaient quelquefois l’alarmer ; il attendait avec impatience le signal de mon retour. Ce retour avait lieu souvent par des nuits orageuses : tel nombre de coups de fusil tirés par le Nubien qui m’accompagnait étaient aussitôt répétés dans la grotte domiciliaire, et m’indiquaient le point où je devais me diriger. Les accidents survenus, les dangers essuyés de part et d’autre rendaient nos entrevues plus agréables, et nos entretiens plus animés.
De pareils récits trouveront sans doute des improbateurs : parler de maladies, de souffrances et d’autres vétilles semblables, c’est, me dira-t-on, ralentir le cours d’un voyage, et diviser sans augmenter ses résultats. Cette raison est forte, et je m’avouerais condamné, si la différence de mes dettes ne devait point mettre quelque différence dans mes narrations. Je viens d’en payer une au dévouement ; elle n’était point la plus faible sans doute, et comme telle, je n’ai point été long ; je retourne aux ruines pour acquitter les autres[143].
Le retour de la lumière a dissipé les illusions du soir ; et Lameloudèh, à quelques détails près, ne nous offre rien de plus intéressant que son nom et sa situation. Elle rappelle en effet par son nom celui de Limniade, ville mentionnée par l’itinéraire d’Antonin[144] ; de même que par sa situation méditerranée, à neuf lieues environ de Derne, elle correspond presque[126] exactement avec les vingt-quatre milles indiqués dans cet itinéraire entre Darnis et Limniade, et avec la position que d’Anville a donnée à cette ancienne ville[145].
En outre, ces ruines, par leur caractère, paraissent appartenir à l’époque romaine ; aussi n’est-il point surprenant qu’aucun des anciens géographes, et notamment Ptolémée, n’ait fait mention de Limniade. Par la même raison elle est souvent citée parmi les villes de la Pentapole chrétienne, soit sous le nom de Lemandus, par la Géographie sacrée[146] ; soit sous celui de Lemnandi, par saint Paul[147] ; et peut-être aussi sous celui de Lamponia, par Synésius[148].
D’après le même itinéraire, les limites de la Marmarique, que nous avons vues d’abord fixées au Catabathmus, ensuite à Darnis, auraient été prolongées, sous les Romains, jusqu’à Limniade[149], quoique le canton d’Aziris séparât à cette époque l’Égypte de la Cyrénaïque[150]. Cette observation est remarquable en ce qu’il semble en résulter que la dénomination d’une contrée caractérisée par sa stérilité s’étendit successivement, et envahit l’ancienne Pentapole à mesure que cette infortunée province décroissait de sa splendeur. Passons à l’examen des ruines.
Vues de quelque distance, elles figurent un amphithéâtre dont les divers échelons de la colline formeraient les degrés. Des montants de portes, des angles d’édifices et des voûtes encore debout les couvrent de toutes parts, et forment un ensemble bizarre, non point d’une ville ruinée, mais d’une ville qu’on va bâtir. Après ce coup-d’œil général, si l’on se rapproche des ruines du côté du nord, ce qui frappe d’abord l’attention ce sont deux grands bassins quadrangulaires, ayant vingt mètres environ de chaque côté, et taillés avec soin dans la roche. Immédiatement au-dessus de ces réservoirs on en aperçoit deux autres ; le temps en a usé les parois, mais on peut toutefois distinguer encore leurs contours élégants (V. pl. XXV,[127] fig. 5). Ceux-ci furent ainsi placés pour transmettre l’eau des pluies qu’ils recevaient par la pente de la colline, dans ceux qui se trouvent sur un plan inférieur[151]. Ces derniers en sont encore entièrement remplis, et contiennent, en outre, une végétation abondante : les potamogéton forment à leur surface de larges réseaux, cédant parfois la place aux feuilles sphériques des nymphæa, ou bien à des touffes de scirpes et de roseaux.
Un naturaliste se serait sans doute empressé d’aller faire connaissance avec les descendants des reptiles qui depuis plusieurs siècles ont successivement habité ces bassins. L’antiquité de leur origine aurait ajouté aux charmes de leurs formes hideuses ; il eût peut-être fait quelque belle découverte. Pour moi, je me contentai d’y jeter des pierres : je vis aussitôt nager un peuple de grenouilles, et je ne sais quelle bête ayant la forme d’un serpent aplati ; j’avoue, à ma honte, que je ne fus pas du tout tenté de m’en saisir. Ainsi, à la place d’observations positives, j’émettrai sur ces bassins de vagues conjectures. Dans les temps où la mythologie animait de ses créations poétiques le sein des eaux comme celui des forêts, ces bassins, très-grands pour une petite ville, durent aussi avoir leurs nymphes. Serait-il impossible que leurs Limniades eussent donné le nom à la ville[152], d’autant plus qu’aucun lac ni étang ne se trouve dans les environs ?
A quelques pas de ces réservoirs est un souterrain ; il contribuera à nous expliquer par la suite un nouvel usage des Cyrénéens. On y pénètre par un escalier étroit qui conduit à deux pièces latérales. L’une contient au plafond une ouverture ronde, bouchée par un bloc de pierre ; cette ouverture correspond à l’intérieur d’une petite construction que l’on trouve au-dessus : l’autre est suivie d’un corridor qui se prolonge fort avant dans la colline. Les décombres qui le remplissent empêchent d’en connaître toute l’étendue (Voyez pl. XXV, fig. 4) ; mais, selon les Arabes, il communique avec un château que l’on voit sur la partie la plus élevée des ruines de la ville. Le souterrain prend en effet cette direction, et des faits analogues que j’observai dans la suite rendent cette tradition vraisemblable. Quant au château, plus grand et plus détruit que[128] celui de Chenedirèh, il offre exactement les mêmes détails. L’enceinte est aussi revêtue d’un mur en talus ; l’entrée est de même voûtée et fort petite, et des arcs, restes détachés d’anciennes voûtes, se voient également dans l’intérieur.
Les grottes sépulcrales de Lameloudèh se trouvent au nord et à quelque distance de la ville. Elles se distinguent de celles de Massakhit par les plafonds en plein cintre, indice de l’époque romaine, et n’offrent point d’ailleurs la même analogie égyptienne. On n’y remarque ni inscriptions, ni ornements architectoniques ; mais une d’entre elles m’a paru curieuse, soit par sa distribution, soit par les emblèmes qu’elle renferme. Cette grotte très-spacieuse est divisée en plusieurs pièces. Dans la plus reculée on voit un petit sécos orné au-devant de trois pilastres, et contenant dans le fond deux niches, au milieu desquelles est une croix grossièrement sculptée et entourée de deux lignes sinueuses imitant deux serpents entrelacés. J’ai déja fait remarquer à Massakhit le serpent accompagnant le symbole du christianisme ; je fus frappé de retrouver ici l’animal sacré dans une attitude différente, dans celle qui était révérée aux mystères de l’antiquité. Cette espèce d’union d’idées païennes avec la religion du Christ éveilla en moi le souvenir de cette secte de gnostiques, de ces Carpocratiens qui, d’après des inductions probables, auraient habité la Cyrénaïque.
On sait que cette secte emprunta aux Thésmophories des Grecs, et à l’antique culte d’Isis, plusieurs symboles où le serpent était figuré tantôt traînant un char, et tantôt se mordant la queue, image de l’immortalité[153]. On sait également, sur la foi des pères de l’Église et des historiens orientaux, que, par un mélange monstrueux des lois sévères de l’Évangile avec les préceptes mal interprétés de Zoroastre et de Pythagore[154], mais par une application littérale des principes de Masdacès, un de leurs prophètes[155], on sait, dis-je, que les Carpocratiens avaient adopté entre eux l’égal partage des biens et la commune jouissance des femmes. Autant le premier de ces[129] usages fait honneur à leur philosophie, autant le second la dégrade et paraît indigne d’une société policée. Que des peuplades sauvages telles que les Nasamons, les Massagètes, les Auséens[156] et les Garamantes[157] ; qu’une société mieux organisée telle que les Nabathéens[158] l’aient pratiqué sans honte et sans désordre, c’est ce que l’histoire confirme, quelque incroyable qu’il paraisse d’abord. Mais que des Chrétiens s’y soient livrés ouvertement au milieu d’autres Chrétiens, c’est ce qui paraît trop choquant pour ne point être invraisemblable. En admettant comme prouvé le séjour des Carpocratiens dans la Pentapole Cyrénaïque, ils durent infailliblement y former une caste à part ; ils durent chercher des retraites qui servissent de voile à leur culte impudique : et quel voile plus épais que le flanc des montagnes ? Quel asile plus sûr que les profondes excavations qu’on y trouve de toutes parts ? C’est là qu’une morale, fille des ténèbres, dut se réfugier ; c’est dans ces sombres caveaux qu’ils durent célébrer leurs licencieux mystères. Les statues de leurs prophètes occupaient peut-être les niches maintenant désertes ; des lampes éclairaient les entrailles de la terre : au signal de l’orgie, un reste de pudeur forçait sans doute à les éteindre, et les cendres des morts étaient troublées par des soupirs libidineux ! Telles étaient les réflexions que je faisais dans le caveau de Lameloudèh ; ses mystérieux symboles et sa bizarre distribution me les ont inspirées ; mais je suis loin d’en induire un fait historique. Dans ce rapprochement, ainsi que dans d’autres, je reproduis tout jusqu’à mes sensations ; et des sensations, en de pareils sujets, n’ont pas, je l’avoue, une bien grande valeur. Limniade fut construite, comme nous l’avons dit, sur une petite colline, mais cette colline se trouve isolée au milieu d’une plaine très-étendue. Cette situation exposait la ville aux irruptions des hordes barbares, et les habitants cherchèrent à leur opposer des barrières. Ils profitèrent de toutes les hauteurs qu’ils trouvèrent dans les environs pour y élever des châteaux, dont l’importance fut relative à l’élévation de ces hauteurs.
[130]Ainsi nous voyons les sommités d’Oum-el-Laham, el Harâchi, Ghelleb, Senniou, Reffah et Boumnah occupées par des forteresses[159] semblables à celles déja décrites, et appartenant à l’époque romaine, hors celle de Senniou, qui est d’un âge plus récent (V. pl. XV, 1). Auprès de ces châteaux on trouve, de même que dans les précédents, des souterrains ; deux d’entre eux offrent quelques nouveaux détails que nous allons essayer de faire connaître. On s’aperçoit qu’en raison de la stérilité du sol et de l’éloignement des vallées arrosées par des sources, les anciens ont redoublé de précautions pour assurer à leurs postes fortifiés une copieuse provision d’eau. Le château de Reffah, peu considérable par lui-même, mais situé sur une colline rocailleuse, en offre le témoignage. A quelques pas de l’édifice on voit en effet de vastes citernes divisées en plusieurs pièces que je trouvai totalement remplies d’eau. Un conduit couvert au niveau du sol de dalles monolithes de cinq pieds de longueur, servait de communication entre le fort et les bassins. Boumnah, situé à un quart de lieue du précédent, plus considérable par ses dimensions, présente dans ses souterrains des dispositions curieuses : leur entrée est au milieu même de l’édifice ; un escalier aide à y descendre, et l’on arrive dans une vaste pièce au milieu de laquelle est un grand pilier de soutien. Dans la paroi du fond, à quelques pieds au-dessus du niveau du sol, on voit un conduit de hauteur d’homme ; il est dirigé hors le monument, et paraît avoir été destiné à des sorties contre les assiégeants. A gauche de la même salle est une petite pièce oblongue qui en est séparée par une cloison où sont pratiquées trois arches également taillées dans le roc. On y trouve deux colonnes arrivant jusqu’au plafond, entre lesquelles est une ouverture conique bouchée par un bloc de pierre de même forme, ainsi que dans le souterrain de Lameloudèh. A côté des colonnes est un massif carré, légèrement creusé à sa surface ; sa hauteur d’environ quatre pieds, et une étroite plate-bande qui règne latéralement, font présumer qu’il a dû servir à quelque préparation domestique à l’usage des habitants du château (Voyez pl. XXV, fig. 5). Les parois de ces pièces ne sont point enduites de ciment ; ces précautions étaient réservées pour les citernes seules, et nous les font reconnaître au premier[131] aspect. Il en existe une auprès de cette salle souterraine, mais elle ne communique avec elle que par une ouverture pratiquée au-dessus du niveau du sol (Voyez même planche).
C’est ainsi que les châteaux, selon que nous les trouvons au milieu même des habitations, ou qu’ils en sont éloignés, nous présentent, tour à tour, des lieux de refuge pour la population alarmée, ou des boulevarts pour arrêter les incursions ennemies. Les souterrains, en confirmant nos premières conjectures, nous dévoilent aussi progressivement de nouveaux usages. Mais continuons de recueillir des faits, et nous pourrons ensuite, en les réunissant, faire jaillir de leur contact de nouvelles lumières.
Bien des personnes me trouveront sans doute minutieux ; elles m’accuseront de les faire languir dans de puérils détails : je n’oublie, me diront-elles, ni astragales, ni boulingrins. Cependant, ô lecteur ! que de fatigues je t’épargne, que de ravins je gravis, que de pierrailles je visite pour toi et dont néanmoins je te fais grace ! Lorsque je n’ai rien de nouveau à t’apprendre, je me tais ; et si le peu que je puis t’apprendre est d’un trop faible intérêt, la faute en est aux Barbares qui ont dévasté cette belle contrée. Il faut fureter dans les entrailles de la terre ; il faut remuer toutes les pierres éparses pour recueillir quelques notions échappées à leurs ravages ; et ces notions sont pour toi bien souvent de monotones astragales et d’insipides boulingrins.
[141]Synesii epist. 67 ; ed. Pet. p. 212.
[142]Les chameaux ne mangent point le feuillage de l’arbousier.
[143]En parlant de mes dettes, je ne saurais passer sous silence les services que m’a rendus M. Guyenet pour ce dispendieux voyage. Ces services ont tellement aidé à son exécution, qu’en offrant à cet habile et si estimable mécanicien un nouveau témoignage de ma reconnaissance, je crois remplir un véritable devoir.
[144]Ed. Wesseling, p. 68.
[145]Orb. Rom. pars orientalis.
[146]Geogr. sacra, p. 283.
[147]Orien. Christ. t. II, p. 630.
[148]Epist. 67, ed. Pet. p. 215.
[149]Ut supra, p. 70.
[150]Mannert, Géogr. des Grecs et des Rom. t. X, part. II, p. 78.
[151]Nous avons déja fait remarquer dans la Marmarique un essai informe des mêmes dispositions (Descr. de la Marma. p. 3).
[152]On sait que les Limniades étaient les nymphes des lacs.
[153]De Inscrip. in Cyrenaïcâ nuper reperta ; Hale, 1824. Matter, Mémoire sur les Gnostiques.
[154]Id. ibid.
[155]Pococke, in Specimen Hist. arab. ed. White, p. 21. D’Herbelot, Bibli. Orient. mot Masdak. Inscription grecque dans l’ouvrage cité.
[156]Hérodote, l. I, c. 216 ; l. IV, c. 172, 180.
[157]Pomponius, l. I, c. 7. Cet auteur, d’accord avec Hérodote, dit que les enfants qui naissaient de ces mariages fortuits étaient adoptés par les hommes qui leur trouvaient quelque ressemblance avec eux.
[158]Strabon, l. XVI, c. 3.
Région septentrionale de la Pentapole. — Sanctuaires. — Erythron. — Naustathmus. — Ghertapoulous. — Zaouani.
Fidèle à mon système, après avoir visité la partie méridionale de Lameloudèh, je m’avancerai dans le nord : des renseignements recueillis m’engageront cette fois à parcourir toute cette partie du littoral.
Jusqu’à présent nous avons vu dans la Pentapole des tableaux gracieux, mais non des images de grandeur ; nous avons vu des terres fertiles, d’agréables vallons, de limpides ruisseaux, et des bosquets plutôt que des forêts. Mais ces bruyantes cascades qui se précipitent du sommet des rochers ; ces épaisses lisières de hauts et majestueux cyprès qui couronnent les monts de leur teinte lugubre ; ces rocs caverneux qui s’entr’ouvrent pour découvrir à l’œil des tapis de verdure et de charmantes retraites ; ces épouvantables crevasses qui déchirent le sein de la terre, et la partagent en deux murs escarpés ; tous ces aspects imposants nous sont encore inconnus : tels sont néanmoins les magnifiques tableaux que va nous présenter la région septentrionale où nous allons pénétrer. Un site commode pour faire stationner ma caravane, me fut indiqué dans les gorges des montagnes au nord-ouest de Lameloudèh. A peine fûmes-nous éloignés de deux heures de ces ruines, que les vallées commencèrent à devenir plus profondes, les ravins plus escarpés, et que la végétation plus touffue se développa avec plus de force ; ensuite des gorges étroites succédèrent aux vallées, et nous arrivâmes au lieu désigné par les Arabes. Leurs rapports ne m’avaient point induit en erreur. La colline d’el-Hôch domine par son élévation les hauteurs qui l’entourent, et se trouve détachée des défilés qu’elles forment, par les ondulations plus unies du terrain. Cette situation fut appréciée par les anciens habitants. Ils bâtirent une forteresse sur le sommet de la colline, et immédiatement au-dessous ils creusèrent un bel hypogée, qui, en raison de ses grandes dimensions et de la régularité du[133] travail, est nommé par les Arabes el-Hôch (l’habitation)[160]. Cet hypogée ne contient ni de subdivisions, ni de ces anfractuosités humides et sombres qui décorent aux yeux d’un Européen ces excavations antiques, mais en éloignent les Arabes par l’effet qu’elles produisent sur leur pusillanime imagination. Il présente une belle salle quadrangulaire, contenant dans le fond deux grandes niches, et ornée autrefois sur le devant de trois pilastres dont il ne reste plus que la base. La nature a réparé toutefois ces outrages du temps : elle a remplacé les pilastres abattus par une double rangée de cyprès, dont le faîte pyramidal et le tronc bronzé de mousse forment un péristyle majestueux et pittoresque.
C’est là que vint s’établir ma caravane. Peu d’endroits jusqu’alors lui avaient offert un gîte si bien abrité ; elle put l’apprécier d’autant mieux que les orages se renouvelèrent bientôt avec plus de force ; mais déja je parcourais les environs.
Dans la partie septentrionale de la Pentapole le dromadaire devient une monture incommode et même dangereuse. Cet animal, si agile dans les plaines, est uniquement fait pour elles. Voyez-le partir, la tête haute, le nez au vent ; voyez le mouvement cadencé de son corps, les ondulations régulières de ses pates ; et vous diriez d’un navire dont le vent propice commence d’enfler les voiles : bientôt le vent redouble ; la proue enfonce dans l’onde qui jaillit écumeuse autour de lui ; il fend majestueusement la plaine liquide ; mais si le port apparaît, le nautonier prudent diminue de voiles, et l’impulsion reçue suffit pour le faire arriver. Ainsi, le dromadaire, d’abord lent dans sa marche, s’anime insensiblement : son cou, naguère relevé, rase déja la terre ; il franchit légèrement l’espace ; le sable vole autour de ses flancs échauffés ; il suit toujours une ligne directe ; et dans la fougue qui l’entraîne, si l’on veut terminer sa course, il faut la ralentir long-temps avant qu’on puisse l’arrêter.
On conçoit qu’avec de pareilles qualités, le dromadaire ne soit point fait[134] pour les régions montueuses. Ses longues pates et le volume de son corps le rendent aussi peu propre à gravir une montagne, qu’à la descendre ; à franchir un ravin, qu’à traverser un torrent. Aussi, cet animal, si apprécié dans l’Arabie et les vastes plaines de l’Afrique, est-il dédaigné par les habitants de Barcah. Ils n’estiment que les chevaux, et sans doute avec raison, puisque, quelque dégénérés que soient les leurs de la race antique célébrée par Pindare, ils ont peut-être gagné en utilité ce qu’ils ont perdu en grace et en légèreté. Monté sur son cheval, l’Arabe de Barcah parcourt tous les cantons de sa contrée ; il visite les lieux les plus escarpés, et côtoie sans crainte d’affreux précipices. On ne guide point le cheval, la bride tombe sur son cou ; il choisit lui-même ses pas : le sentier est presque perpendiculaire ; la pluie en rend la roche glissante ; mais l’adroit animal grimpe, saute, et ne s’abat jamais. Ce n’est point encore ici le lieu de traiter ce sujet ; j’y ai été entraîné malgré moi ; mon inexpérience en est la cause. Cette inexpérience me porta à conduire dans la Pentapole les mêmes dromadaires qui m’avaient servi dans les déserts des Oasis. Je ne présenterai point pour excuse mon affection pour ces anciens compagnons de voyage ; cette raison, peu goûtée de la plupart des lecteurs, entraînerait une digression fort inutile, après celle-ci qui ne l’est guère moins, et que je termine enfin par ce qui aurait dû la remplacer. Durant toutes mes courses dans la région septentrionale de la Pentapole, j’empruntais des chevaux de la tribu auprès de laquelle je me trouvais. Le propriétaire m’accompagnait et me servait aussi de guide. Ce fut ainsi que je quittai ma caravane pour me rendre dans le golfe Hal-al.
Désirant moins d’avancer rapidement dans ces cantons montueux, que d’en connaître les diverses parties, je me dirige vers le littoral, mais en rétrogradant de nouveau vers l’est. Cette direction, d’ailleurs motivée, prolonge mes plaisirs en variant à chaque pas les sites. Je croise les flancs inégaux et partout boisés des hautes terrasses qui longent le nord de la Pentapole. Ici point de plaines étendues, point de vallées légèrement ondulées : je me trouve alternativement, ou dans le fond d’un profond ravin, ou sur le sommet d’une haute colline : je parcours des sentiers ornés d’arbustes élégants, ou bien je traverse de noires forêts. Ajoutant la bizarrerie de mes goûts aux caprices de la nature, j’aime à franchir chaque obstacle,[135] à atteindre à chaque lieu escarpé. Par la seule raison que tel endroit paraît inaccessible, il attire ma curiosité. Je passe indifférent devant mille excavations où je puis pénétrer sans difficulté ; mais il suffit que j’aperçoive au sommet d’un rocher abrupt une anfractuosité ténébreuse, offrant quelque indice des temps antiques, aussitôt mon imagination s’irrite ; ce lieu en devient plus intéressant à mes yeux. En vain un torrent se précipite en bouillonnant à ses pieds, l’agile cheval de Barcah le franchit aisément ; j’escalade ensuite le rocher : des touffes de térébinthes et de lentisques, les troncs noueux des genévriers m’aident à grimper, et j’arrive enfin à la grotte. Si rien de nouveau ne récompense mes peines, j’en suis dédommagé par l’aspect toujours varié que me présente la nature : les douces émotions qu’elle me cause valent bien les découvertes de l’art.
Dans l’inextricable labyrinthe de vallons sinueux et de gouffres profonds que je traversai durant cette promenade, les méprises de ce genre furent nombreuses. Le plus souvent, après avoir franchi bien des pas dangereux, je ne trouvais que les ruines du temps, au lieu des traces du séjour des hommes ; c’étaient des rocs bouleversés ou des cavernes tortueuses qui se perdaient dans la montagne. A mon approche de ces lieux, il en sortait l’aigle ou le vautour effrayés de mon apparition dans leur asile aérien. Mais une fois ce fut une petite niche creusée isolément dans la paroi d’une roche. Le fond en était tapissé de lierres rampants qui détachaient par leur teinte rembrunie des bouquets de giroflée d’un jaune d’or, des cystes à grande fleur rose, et les corymbes arrondis de blancs alyssons. Ces plantes saxatiles croissaient ensemble au milieu de la niche, comme dans un vase que l’on aurait dit placé par une combinaison de l’art pour orner la nudité de la roche, si l’art toutefois pouvait jamais imiter les graces de la nature.
Cependant, ces courses, toujours agréables par elles-mêmes, furent aussi quelquefois fructueuses pour la connaissance des usages antiques. Tantôt je rencontrai de petites excavations sépulcrales creusées isolément çà et là dans le flanc des ravins. Ces paisibles retraites, destinées à ne contenir que les restes d’une seule personne, se trouvent comme suspendues sur un torrent mugissant, ou voilées à demi par des rideaux de cyprès. Ces localités, bien appréciées sans doute par les anciens habitants, produisent un effet mélancolique et moral : elles présentent l’image du repos dominant[136] les agitations de la vie ; et la froideur de la mort, sa morne insensibilité, que ne peuvent plus émouvoir les bruits ineffables des arbres des forêts, ni les secousses violentes des vents qui les agitent.
D’autres fois, je me suis trouvé tout-à-coup vis-à-vis d’un petit sanctuaire, placé de diverses manières, mais toujours taillé dans la montagne, et n’offrant point dans le voisinage des traces d’anciennes habitations. J’en ai vu s’élevant sur des terrasses de verdure qui les rendent accessibles de toutes parts, les exposent aux rayons du soleil, et les font contraster, par leurs teintes claires, avec leurs sombres environs. D’autres sont placés dans l’endroit le plus reculé d’un profond enfoncement : des rochers en désordre, de noires crevasses, et les lianes rampantes des ronces épineuses en forment le sauvage ornement.
Aucun de ces petits sanctuaires ne fut décoré par l’art ; on n’y voit ni colonnes, ni frises, ni le moindre détail d’une élégante architecture. Ce sont de petites salles carrées, de différentes grandeurs, où l’on arrive par deux ou trois degrés. Dans l’intérieur, un banc de roche règne tout autour ; au fond est un autel quadrangulaire au-dessus duquel est la niche réservée à la divinité qui présidait autrefois à ce lieu.
La simplicité de ces autels champêtres convenait parfaitement à leur situation : le paysage en faisait tout l’ornement ; et l’art, au lieu d’ajouter à ses charmes, les aurait sans doute déparés. Ses efforts ne peuvent plaire que dans le sein même des villes ; c’est là son séjour, c’est là qu’il triomphe. Mais qu’on l’isole au milieu des plus aimables sites que forme la nature, loin d’aider à leur effet, il en détruit l’harmonie.
Ce sentiment exquis des convenances locales me parait avoir été parfaitement connu des habitants de la Pentapole. En plaçant ces autels agrestes en des lieux isolés, ils choisirent des sites relativement convenables à leur objet ; ils eurent le dessein de fixer l’attention par les attributs d’un symbole, et ils en abandonnèrent l’effet au paysage. Cet effet inexprimable, cet heureux accord de teintes et d’aspect, d’ombres et de lumière, parlait bien plus à l’ame, la provoquait bien plus au recueillement, que les dehors pompeux d’une orgueilleuse architecture. Et maintenant même que ces lieux sont abandonnés, maintenant que l’autel antique n’offre plus qu’un roc équarri au milieu des rocs qui l’entourent ; maintenant que la divinité[137] protectrice du lieu gît peut-être enfouie dans les champs, les environs du sanctuaire sont encore ornés de leurs dons primitifs, et, selon l’aspect qu’ils offrent, ils peuvent de même offrir l’idée de son antique destination. Serait-ce sans un choix déterminé, sans une intention réfléchie, que l’on aurait creusé ces grottes pieuses, les unes, dans un site gracieux, au milieu de bocages riants, de tapis de verdure et de sentiers fleuris ; et les autres, sur des rochers escarpés, remplis d’anfractuosités ténébreuses et exposés à la fureur des orages ? Des sites si différents auraient-ils eu une égale destination, auraient-ils inspiré les mêmes idées ? Les jeunes Grecques auraient-elles escaladé ces rocs en désordre pour déposer dans leurs noires cavernes de timides offrandes, et invoquer Aphrodite ou les nymphes des bois ? Les bergers, effrayés de la clameur des orages, auraient-ils été conjurer les dieux dans ce paisible vallon, où l’on ne voit que myrtes et cytises, où tout présente des images de paix et de repos ? Il suffit d’indiquer ces contrastes pour en prouver l’inconvenance, et rendre mes conjectures plus vraisemblables. Cependant, comme des conjectures ne sont point l’objet spécial de mes écrits, je quitte, quoiqu’à regret, les lieux pittoresques qui m’ont inspiré celles-ci, et j’arrive à des faits moins douteux.
Durant les promenades toujours irrégulières, et souvent rétrogrades, que je fis dans cette région montueuse de la Pentapole, je n’aperçus aucune ruine d’un bourg de quelque importance. Cependant, si l’inégalité du terrain rendit ce canton peu propre à y construire des villes, elle présenta du moins des boulevarts naturels pour la défense de la contrée ; les anciens habitants en connurent l’importance.
Deux grands châteaux, Lemschidi et Lemlez, se trouvent, à une heure de distance entre eux, situés à l’extrémité d’une terrasse escarpée qui longe le flanc de cette partie des montagnes. Leurs murailles ayant environ quarante mètres de chaque côté, sont formées d’énormes assises posées à sec. De même que ceux déja décrits, ils avaient deux étages ; l’intérieur en était également voûté, sans offrir toutefois la même distribution : on n’y remarque point la petite pièce cintrée ornée de deux colonnes, indice de l’époque chrétienne, et dont nous connaissons l’usage. Ces châteaux sont tous les deux construits en vue de la mer ; et il paraît certain que, n’importe dans quel temps, leur destination fut de prévenir ou d’arrêter des[138] invasions maritimes, de même que ceux situés sur le sommet du plateau arrêtaient les invasions méridionales.
Je rencontrai encore plusieurs ruines de tours et de villages, entre autres Kssariaden, Tegheigh, Agthas et Tebelbèh. Aucune de ces ruines ne contient rien de remarquable, si ce n’est la dernière, peu distante d’el-Hôch. Sur une colline isolée on voit un grand nombre de sarcophages en pierre calcaire ; ils sont placés sur les côtés d’un chemin en spirale encore profondément sillonné par les chariots grecs ou romains qui servirent à transporter ces masses monolithes. La tour de Tebelbèh domine ce lieu ; elle conserve un pan de mur orné au sommet d’une frise en triglyphes : cette particularité non encore rencontrée auprès d’édifices pareils à celui-ci, prouverait qu’ils ne furent point dépourvus d’élégance. De plus, au pied du rocher sur lequel fut bâtie la tour, on voit un souterrain avec des dispositions nouvelles pour nous. Deux rangs de pilastres bien équarris sortent du sein d’une source, et se terminent en voûtes qui se prolongent fort avant dans la montagne. La transparence de la source invite à y pénétrer, malgré l’obscurité qui règne dans le fond. On enfonce d’abord dans l’eau jusqu’à la ceinture, et lorsqu’on est parvenu à une certaine distance de l’entrée, la profondeur devient plus considérable ; mais on aperçoit alors au plafond une large ouverture cylindrique faite avec le ciseau, et correspondant en ligne droite à la tour qui se trouve à cent pieds environ au-dessus de la source. Cette découverte suffit à l’observateur. Il sort du souterrain en réfléchissant sur les grands travaux qu’entreprirent les anciens habitants pour établir des communications entre leurs postes fortifiés et les bassins naturels ou artificiels, et sur les précautions qu’ils eurent d’assurer aux sources une libre circulation. Cependant, comme ces soins et ces travaux peuvent provenir de diverses époques, attendons, pour les déterminer, le résultat d’observations ultérieures.
Nous voici arrivés sur la sommité des immenses contre-forts qui forment le soubassement du grand plateau cyrénéen. Nulle autre part dans la Pentapole je n’ai vu ces contre-forts si abrupts que dans cette partie du littoral. Il faut avoir une entière confiance dans les chevaux de Barcah pour parcourir sans crainte les sentiers étroits et rocailleux qui longent la cime de ces crêtes aiguës. Latéralement sont de profonds précipices dont les talus,[139] quoique escarpés, sont couverts de toutes parts d’une végétation aussi belle que variée. La sauge, le romarin, diverses espèces de cystes, le serpolet et une foule d’autres plantes aromatiques croissent, dans une agréable confusion, au milieu de forêts d’arbres et d’arbustes communs à toute la Pentapole septentrionale, et d’autres que je n’ai trouvés qu’ici, tels que le pin blanc et le cyprès toujours vert.
S’il est difficile de parcourir la sommité de ces contre-forts, il n’est pas plus aisé de les descendre. Lorsque nous fûmes enfin arrivés à leur base, nous nous trouvâmes sur une étroite lisière de terre qui sépare les montagnes des bords de la mer. Les ruines d’une ville nommée Natroun étaient devant nous.
Les Arabes, ainsi que les enfants, envisagent rarement les objets sous leur aspect réel : ordinairement ils les confondent, le plus souvent ils les grossissent, et aperçoivent mille formes capricieuses dans les plus simples accidents de la nature. De là dérivent leurs rapports exagérés et tous les contes bleus qu’ils font aux voyageurs. Cependant par la même raison qu’il ne les faut jamais croire sur parole, il est toujours utile de vérifier leurs assertions. D’après leur fantasque imagination, ils m’avaient fait des descriptions bizarres de la ville dans la mer, car c’est ainsi qu’ils désignent les ruines de Natroun. La cause de cette dénomination, comme je m’y attendais, est fort simple. Cette ancienne ville fut bâtie sur une couche de terre de douze à quinze pieds d’épaisseur, au-dessous de laquelle se trouve une roche, tantôt de grès friable, et tantôt de brèche mal liée. Des fondements aussi peu solides n’ont pu résister aux efforts des vagues. Aussi ont-elles occasionné de tous côtés de grands éboulements : elles se sont avancées dans les ruines mêmes de la ville ; elles en ont fait crouler une partie dans leur sein ; ont divisé l’autre en petits îlots ; et formé enfin de ce qui tenait encore au continent un promontoire dont les molles falaises, sans cesse battues par les flots, ne tarderont pas à devenir leur proie. Ce petit promontoire est totalement couvert de débris amoncelés dans le plus grand désordre. Des pans de murailles, des arcs détachés d’anciennes voûtes, des angles d’édifices, sortent çà et là du sein de la couche de terre que la mer a fait ébouler tout autour, et forment ensemble un aspect étrange, cause des récits merveilleux des Arabes.
[140]Telles sont les ruines de la ville ; ses environs, quoique sans édifices remarquables, sont plus intéressants. Les nombreux ravins qui avoisinent les bords de la mer sont remplis de grottes petites et sans ornements d’architecture, mais agréablement situées. Un chemin sillonné par les roues des chars antiques, et un aqueduc, suivent ensemble les contours de la montagne. L’eau qui coulait autrefois dans l’aqueduc n’est point tarie ; mais de même que les anciens habitants ont abandonné ces lieux, elle a abandonné le lit qu’ils lui avaient tracé. On la voit se précipiter en cascade du sommet des rochers dans le fond d’un vallon voisin : elle y serpente dans toutes les saisons ; s’y ramifie en plusieurs ruisseaux ; et y entretient des prairies resserrées, mais herbeuses, séjour, depuis un temps immémorial, d’une famille arabe, Bou-Chafèh, qui a donné son nom à ce vallon.
La beauté sauvage de ce lieu, et surtout l’abondance d’eau, cause de sa fraîcheur continuelle, attirèrent l’attention des Cyrénéens. De vieux ceps de vigne, des troncs de mûriers et de grenadiers, restes d’anciennes cultures qu’on remarque à Bou-Chafèh, indiquent qu’il fut de tout temps habité. Il est même vraisemblable qu’il le fut avant qu’on eût élevé la ville dont nous avons vu les ruines ; les inductions suivantes portent du moins à le croire. Cette ville est l’ancienne Erythron, placée par le Périple anonyme à soixante-seize stades de Zephirium[161]. Cette distance est peut-être un peu courte, mais, jointe à l’analogie du nom et à la proximité de Natroun du cap Erythra[162] qui s’avance dans l’est, elle ne nous laisse aucun doute sur ce sujet. Remarquons maintenant en faveur de l’opinion émise, qu’Erythron, du temps de Ptolémée, n’était encore qu’un simple lieu dans le littoral de la Cyrénaïque[163], tandis qu’il en est fait mention comme ville chez les écrivains postérieurs. C’est sous ce titre qu’Étienne de Byzance[164], la Géographie sacrée[165] et Synésius en parlent ; de plus, suivant ce dernier, Erythra était, comme nous l’avons déja dit,[141] métropole d’Hydrax et de Palæbisca. Il faut ajouter que ce philosophe chrétien, dont les écrits sont une mine féconde en précieux renseignements sur la Pentapole, a eu le soin de nous faire l’éloge de la source dont je viens de parler. La limpidité de ses eaux, et leur saveur plus douce que le lait, étaient tellement appréciées à son époque, que dans un voyage maritime il aborda exprès à Erythra, pour en approvisionner le navire[166].
Le Stadiasme anonyme et Ptolémée s’accordent à placer à peu de distance[167], et à l’est d’Erythra, Chersis, que ce dernier auteur appelle un village[168]. Il me paraît surprenant que, malgré les renseignements pris à Natroun même, les Arabes ne m’aient rien indiqué dans cette partie du littoral. Toutefois, comme je ne l’ai point visitée, je laisse à des voyageurs plus scrupuleux le soin de vérifier ce point de géographie ancienne ; d’autres plus intéressants réclament mon attention.
De Natroun on aperçoit à l’ouest le cap Hal-al, banc de terre peu élevé qui s’avance dans la mer, et forme à son côté oriental un golfe spacieux et très-ouvert. Je me dirigeai vers ce cap en côtoyant le rivage, qui continue d’être séparé des montagnes par une petite plaine étroite et unie. Cette plaine devient plus spacieuse vers le centre du golfe ; là on rencontre les ruines d’un village et de petites flaques d’eau dans le sable. Ces choses sont peu remarquables par elles-mêmes, mais elles servent à prouver la grande fidélité des détails transmis par le Périple anonyme, fidélité que nous nous plaisons à constater si souvent[169].
J’arrivai à Ras-el-Hal-al après trois heures et demie de marche de Natroun. D’après cette distance, qui coïncide avec celle donnée par le même[142] Périple[170], et mieux encore d’après sa position relativement à Apollonie, ce lieu est incontestablement l’ancien Naustathmus, cité par les uns comme un promontoire[171] ; comme un port par les autres[172] ; et enfin par Strabon comme un lieu des plus renommés du littoral de la Cyrénaïque[173].
La belle situation du cap, et surtout la jolie baie qu’il forme, dont le fond est de sable couvert d’algue sans écueils du moins apparents, durent offrir dans l’antiquité une bonne station navale, de même que la côte, par son étendue, me parut avoir été favorable à l’établissement d’une ville. Cependant, hors le village dont j’ai fait mention, je n’aperçus d’autres traces d’habitations que celles d’un château situé à l’extrémité du cap. Encore appartient-il à l’époque romaine ; son architecture, et sa distribution intérieure, sont les mêmes que celles de Chenedirèh ; et les débris d’une frise ornée de triglyphes et de gouttières se trouvent parmi ses ruines, ainsi qu’à Tebelbèh.
Quoique l’aspect de ces lieux s’accordât avec le silence de l’histoire, il me semblait néanmoins peu probable qu’un tel canton fût resté presque abandonné des Cyrénéens. Fondé sur l’autorité de plusieurs exemples analogues, je soupçonnai que c’était sur les montagnes voisines, et non immédiatement sur le rivage, qu’il fallait chercher les vestiges d’une ville antique. Des indications m’étaient cependant indispensables pour entreprendre cette recherche. Je questionnai d’abord inutilement tous les pâtres que je rencontrai, je n’en obtenais que de vagues renseignements ; lorsque enfin un vieillard me fit comprendre qu’il en savait plus que les autres. Une récompense devait être le prix de ses révélations ; ce prix lui fut donné d’avance, et ma confiance provoqua la sienne. De grandes ruines, de superbes édifices se trouvaient, me dit-il, sur les premières terrasses de la montagne, vis-à-vis du cap ; il ne pouvait m’y conduire lui-même, à cause des guerres violentes qui existaient dans ce moment de tribu à tribu,[143] et lui interdisaient l’accès de ce canton. La sincérité se lit sur la physionomie ; le mensonge ne saurait en prendre les traits. J’ajoutai une foi entière aux paroles du vieillard, et combinant avec mon guide les renseignements obtenus, nous allâmes à la recherche des ruines, d’autant plus intéressantes pour moi, qu’elles paraissaient peu connues même par les habitants.
La montagne que nous avons vue former à Natroun d’immenses contre-forts escarpés, est ici d’une disposition différente. Elle présente d’abord une montée rapide, à laquelle succède une plaine vaste et inégale, tantôt boisée, tantôt nue ; croisée par de petites hauteurs, sillonnée par de profondes vallées ; ici rocailleuse, plus loin fertile ; et se terminant enfin à une seconde chaîne de collines qui se dégradent en petites terrasses au-dessus desquelles s’étend le vaste plateau Cyrénéen. Cette disposition géologique continue d’être à peu près la même jusqu’au Phycus ; en descendant de nouveau ces montagnes nous aurons lieu de nous en convaincre.
Selon les indications du pasteur, la ville antique devait se trouver au sud-ouest du cap, après avoir franchi la grande montée : une partie des ruines était cachée dans un bois, et l’autre s’étendait au loin dans la plaine. Ces renseignements, quoique positifs, faillirent cependant nous être insuffisants. Dès le matin nous étions arrivés sur la montagne. Nous errions çà et là, visitant toutes les hauteurs pour découvrir quelques apparences de ruines ; et tantôt dépassant le lieu indiqué, tantôt rétrogradant vers ce lieu, la journée s’écoula ainsi sans avoir rien aperçu. Le lendemain, fatigué des courses infructueuses de la veille, et rebuté plus encore par les divisions des Arabes qui les rendaient inhospitaliers par crainte et soupçonneux par nécessité, je décidai d’abandonner cette recherche, si une nouvelle tentative devenait également infructueuse. Nous voilà donc de nouveau en campagne.
Des taches bleuâtres ayant de loin l’apparence de rochers isolés au milieu d’un bosquet touffu provoquèrent vaguement ma curiosité. Je me dirigeai vers ce côté, bien plus pour la satisfaire au moins en quelque chose, que dans l’espoir d’y trouver l’objet de mes recherches. Aucun sentier n’y conduisait : il fallut s’en frayer un à travers une épaisse forêt d’arbousiers, de manière que je ne pus être rendu auprès des prétendus[144] rochers qu’en les voyant tout-à-coup métamorphosés en édifices dont l’étonnante conservation, l’élégance des formes, et les détails d’architecture s’accordaient pour les faire paraître au milieu de la forêt d’arbustes comme par enchantement. Il est des sensations que les voyages seuls peuvent procurer : l’aspect de belles ruines restées inconnues durant plusieurs siècles n’en est pas une des plus faibles. Essayer de la reproduire, ce serait une tentative inutile. La contrée, le site, les circonstances, ajoutent à ces découvertes mille impressions différentes que l’on sent vivement, et que l’on ne saurait rendre. Je n’avais vu jusqu’alors rien de semblable dans les champs désolés de la Pentapole, et je n’y vis par la suite rien de plus beau que ces petits monuments. Les Arabes les nomment Zaouani, et le lieu où ils sont situés Menakhiet. Ce lieu correspond parfaitement à l’indication du pasteur du cap ; mais la variété des sites, qui fait le charme de cette contrée, en rend les localités difficiles à trouver, lorsqu’on n’y est point conduit par un habitant du canton : encore faut-il que cet habitant y ait résidé depuis le bas âge ; sinon, l’on s’expose à perdre beaucoup de temps dans les courses, et à barbouiller beaucoup de papier dans le récit, comme je viens de le faire, ce dont je demande toutefois excuse en faveur de l’utilité de l’avis.
Cependant, l’agréable effet que produisent, au premier aspect, ces édifices placés dans une riante solitude, change bientôt de nature. A peine a-t-on jeté un coup-d’œil dans l’intérieur que le prestige disparaît : ces jolis monuments sont encore des tombeaux.
Le plus considérable contient une cloison longitudinale qui le divise en deux pièces, séparées elles-mêmes dans leur hauteur par trois rangées de dalles, formant autant de caveaux funéraires de toute la longueur du monument. Une belle frise dorique en contourne le sommet ; et de riches sculptures ornent les côtés de la double entrée. De grands blocs monolithes le couvrent ; ils décrivent un triangle aplati, style gracieux que nous verrons très-souvent reproduit dans les tombeaux de la métropole. Tout le corps de l’édifice est élevé sur quatre rangées de larges assises disposées en escalier quadrilatère. Enfin, un antique olivier est placé au devant, et il en ombrage le faîte d’une manière aussi religieuse que pittoresque (Voyez pl. XVI et XIX, fig. 1 et ses détails).
[145]A quelques pas de ce magnifique mausolée on en voit un second moins grand, mais mieux conservé, et n’ayant qu’une seule pièce (Voyez pl. XVII et XIX, fig. 2 et ses détails). Deux autres se trouvent à une portée de fusil de ceux-ci : l’un, semblable au dernier, est enfoui dans le bosquet ; l’autre diffère tout-à-fait des précédents. A ses petites dimensions, à sa forme de carré parfait, et surtout à sa surface plane, on dirait d’un autel antique élevé dans ces lieux en l’honneur de quelque divinité champêtre (Voyez pl. XVII et XIX, fig. 3). Aucune entrée n’y fut ménagée ; après quelques efforts, ayant réussi à extraire une pierre de ses assises, je le trouvai divisé en trois cloisons, et totalement rempli de têtes d’enfant.
Des monuments construits avec tant de soins, et un grand nombre de grottes sépulcrales ornées aussi de façades doriques que l’on voit auprès d’eux, indiquaient le voisinage d’une ancienne ville. J’en cherchai les vestiges dans les environs. Des traces de chars, dans la partie de la plaine où la roche est dépouillée de terre, frappèrent mes regards ; j’en suivis la direction, et elle me conduisit, non sans interruptions, durant un quart d’heure de marche dans l’est, auprès d’une forêt d’oliviers, où je trouvai enfin les ruines de la ville antique. Les incidents de cette excursion devaient m’offrir chacun des résultats nouveaux. Par leur singulière localité, ces ruines sont à la fois les mieux conservées et les plus bouleversées de toutes celles dont j’ai parlé jusqu’ici. Un mur d’enceinte les entoure de toutes parts ; selon les irrégularités du sol, il atteint trente pieds environ de hauteur, ou cinq à six seulement. Une grande porte cintrée est à son côté occidental. Dès qu’on l’a franchie, on se trouve dans un immense labyrinthe de pans de murs encore debout, de fûts de colonnes renversés, et de blocs de pierre entassés pêle-mêle, et entourant ensemble les troncs énormes d’un bois épais d’oliviers. Les divers étages que forme le feuillage de ces arbres majestueux ne laissent échapper çà et là que des rayons inégaux de lumière, et répandent un demi-jour vénérable sur ce vaste tableau d’un poétique désordre.
Cependant je m’aperçus que le plan général des ruines décrivait une pente insensible vers l’est. Je me rendis de ce côté, où un nouveau spectacle m’attendait. J’étais loin en effet de me croire sur la sommité d’un profond vallon dont les rives abruptes sont pittoresquement bariolées de[146] rubans de roche de diverses couleurs. Sur une pelouse voisine se trouvait un enfant gardien d’un troupeau de chèvres. Ce jeune pâtre m’apprit que ces ruines se nomment Ghertapoulous, et que le vallon que nous avions sous les yeux porte le même nom ; un ruisseau, ajouta-t-il, y coule dans toutes les saisons, et se rend dans le port[174].
En résumant les observations que ces lieux nous ont offertes, il paraîtra surprenant que les anciens géographes n’aient point fait mention de cette ville dans le voisinage du Naustathmus, d’autant plus que ses ruines attestent qu’elle dut être très-florissante dans l’antiquité. L’épithète de très-renommé, donnée par Strabon au Naustathmus, est un indice, il est vrai, de son ancienne splendeur ; ces ruines la justifient complètement, mais elles n’en sont point l’objet ni l’induction directs. Toutefois, au défaut de renseignements précis, une tradition arabe n’est point à dédaigner. Le nom d’Hiarah[175], que les habitants donnent à un groupe de collines, au sud de Zaouani, ne porterait-il point à croire que ces lieux intéressants auraient formé dans l’antiquité le canton Hieræa, qui, suivant Étienne de Byzance, était compris dans le pays de Cyrène[176] ?
Plus irrégulier encore dans le récit de cette excursion qu’elle ne le fut par elle-même, je n’ai point craint d’interrompre la série locale des endroits observés pour les réunir en groupes analogues, et les présenter séparément.
Cette méthode est sans doute très-peu géographique ; mais je l’ai préférée pour d’autres sujets, et je la préfère encore pour ceux-ci. Une carte d’ailleurs peut suppléer à ce qu’elle a de défectueux ; et j’aime mieux y renvoyer mon lecteur, plutôt que de m’asservir à ne point faire un seul pas sans indiquer dans quel rhumb de vent.
[160]Golius interprète ce mot bien différemment : suivant cet auteur, il signifierait terre inculte, région habitée par des démons (Voyez son Dictionnaire, mot Hôch). Néanmoins dans la province de Barcah, et dans tout le désert libyque, on ne s’en sert jamais, du moins actuellement, dans une pareille signification. Les Arabes donnent même quelquefois par analogie ce nom à leurs tentes.
[161]Iriarte, Bibli. Matrit. v. I, p. 486.
[162]Artémidore, Geogr. l. VII, fait mention d’un promontoire Erythra en Libye.
[163]Ptolémée, l. IV, c. 4.
[164]Voce Erythra.
[165]Geogr. sacra, p. 284.
[166]Synes. Epist. 51. Je lis dans cette épître, le golfe d’Erythra, au lieu du détroit de la mer Rouge, comme traduit le P. Pétau. Synésius part au point du jour du port Phycus, et arrive le soir à Erythra ; rien de plus vraisemblable. Mais le faire arriver, dans une journée de navigation, du Phycus au détroit de la mer Rouge, c’est commettre une faute de bon sens inexplicable.
[167]Six stades, d’après ce Périple (Iriarte, p. 486).
[168]Ptolémée, l. IV, c. 4.
[169]Entre Erythron et Naustathmus est un village, dit le Stadiasme ; le golfe est très-ouvert ; on y trouve de l’eau dans le sable (Iriarte, ibid).
[170]Soixante-dix stades d’Erythron (Iriarte, Bibli. Matrit. v. I, p. 486).
[171]Pomp. Mela, l. I, c. 8.
[172]Ptolémée, l. IV, c. 4. Scylax, ed. Gronov. p. 109.
[173]Cellarius interprète ce passage de Strabon (l. XVII, c. 2) par nobilioribus locis Cyreneorum (Geog. ant. t. II, p. 71) ; et M. Letronne, par un des plus renommés parmi les ports, les mouillages, les lieux habités, etc. (trad. franç. p. 487, 488).
[174]Ce ruisseau est apparemment le même qui forme sur les bords du golfe les flaques d’eau que le Stadiasme paraît avoir connues.
[175]M. Smith a indiqué le nom de ce lieu dans sa carte, mais il le place trop à l’orient.
[176]Voce Hieræa.
Guerres entre les Arabes. — Vallée des Figuiers.
Cependant de grands désordres troublaient la paix des solitudes de Barcah. Le départ du bey Moukhni avait délivré les Arabes du faible respect qu’ils accordent au gouvernement de Tripoli, bien plus par l’effet de l’habitude que par celui du pouvoir. Libre de toute contrainte, la haine héréditaire qui divise les différentes tribus s’était éveillée plus cruelle et plus sanglante que jamais.
Les travaux agricoles étaient partout suspendus ou négligés ; les uns n’osaient franchir les limites de leur territoire ; les autres, plus hardis, allaient épier d’aventureuses et nocturnes vengeances ; et la plupart, se réunissant en petits corps de cavalerie, faisaient d’audacieuses incursions, attaquaient leurs ennemis jusque dans les camps, ou bien en étaient attaqués à leur tour. Sur un sol dévasté par la Barbarie, la Barbarie cette fois se détruisait elle-même : chaque jour une mère ou une épouse pleuraient un fils ou un époux ; leurs cris plaintifs retentissaient dans les vallées, ils étaient répétés par les échos des montagnes ; et les mêmes échos répétaient à la fois des chants de guerre, signal de nouvelles douleurs, objet de veuvages nouveaux. Aux vengeances transmises par le temps, aux cruels effets de la loi du sang, se joignaient d’autres meurtres encore : les bandits chassés des tribus, et exilés dans les cantons méridionaux de Barcah, reparaissaient ici de toutes parts. Les forêts étaient leur séjour, l’endroit où ils épiaient leurs victimes ; les cavernes en étouffaient les cris et servaient à cacher ces forfaits.
Vous demanderez peut-être, ô lecteur ! comment un Européen, parcourant isolé ce théâtre de haineuses passions, pouvait en éviter le choc, et se livrer à des travaux qui exigent la paix et la sécurité ? En satisfaisant à[148] cette curiosité, je parviendrais peut-être à vous apitoyer sur mon sort. Mais, sur un pareil sujet, la vérité la plus naïve peut prendre aux yeux d’autrui le masque du mensonge : tel se défie à bon droit des récits dont le narrateur est le héros ; tel autre, plus rusé, feignant de les croire, paie ces véridiques mais ridicules aveux d’une épithète oiseuse : il a l’air de distribuer l’avoine à un coursier haletant.
Je renonce donc volontiers à de semblables épisodes. Je détournerai même pour le moment les yeux du spectacle affligeant qu’offraient presque en tous lieux les montagnes de Barcah, pour les porter vers une scène bien différente. Essayer de la retracer, c’est à la fois me livrer à un agréable délassement, et rendre un service à l’humanité.
Les hommes sont méchants, mais l’homme est bon, a dit le philosophe de Genève. Ce mot peut convenir à ces peuplades sauvages, ainsi qu’il convient aux peuples policés. Lorsque l’homme se replie sur lui-même, il retrouve plus facilement ses vertus primitives, qu’use insensiblement le frottement des sociétés ; et ces vertus paraissent d’autant plus aimables alors, qu’elles contrastent avec les vices de ceux qui l’entourent. C’est ainsi que parmi ces hordes altérées de sang et de pillage, on rencontre des familles amies de l’ordre et du repos, vivant retirées en des lieux solitaires, et jouissant en paix des précieux avantages que procure cette fertile contrée.
Des incidents nous avaient forcés de quitter précipitamment Zaouani. Vers le soir, une grotte nous offrit un asile qu’il n’était ni prudent ni facile d’obtenir dans les camps tumultueux des Arabes. Là nous entendîmes toute la nuit le tonnerre gronder, et la pluie tomber par torrents. La violence du vent était telle, que, pénétrant par les fentes de la roche, elle nous permettait à peine d’entretenir le feu de broussailles auprès duquel nous cherchions en vain à sécher nos vêtements. Les premiers rayons du jour vinrent enfin éclairer notre retraite, et nous firent apercevoir à peu de distance un enfoncement qui paraissait entouré d’une ceinture de gros rochers. Ce lieu, nous dit le guide, s’appelle la Vallée des Figuiers ; c’est le séjour du cheik Azis, connu dans toute la contrée par la simplicité de ses mœurs et la douceur de son caractère ; il faut y aller, et nous y trouverons l’hospitalité.
[149]Nous nous mîmes aussitôt en route, et nous arrivâmes auprès de la vallée, lorsque les feux de l’aurore coloraient la sommité des montagnes, et commençaient à se répandre en longs rayons dorés sur les vertes pelouses qui tapissaient le penchant des coteaux. Le spectacle qui s’offrit en cet instant à mes yeux était ravissant : la Vallée des Figuiers est bornée au nord par un long mur de rochers taillés à pic, mais sillonnés en tous sens de profondes crevasses d’où sortent des touffes épaisses de figuiers sauvages, parmi lesquelles on entrevoit des coronilles flexibles, des genêts épineux, et une foule d’arbustes et de plantes saxatiles. Du côté opposé, un bois de caroubiers s’élève sur une molle pelouse, et décrit une pente insensible qui atteint le sommet de la vallée couronnée de toutes parts d’un rideau de cyprès. La tempête avait cessé sur la terre, mais elle régnait encore sur la mer : les échos des rochers répétaient le bruit rauque des vagues irritées que j’apercevais au loin. Cette rumeur confuse, et cet aspect, ajoutaient à l’air de sécurité que présentait le fond de la vallée. On y voyait serpenter un ruisseau dont le faible murmure ne pouvait s’entendre que par intervalles ; on y voyait le blanc ornithogale et la mauve fleurie relever leurs débiles corolles échappées aux coups de l’orage qui avaient abattu de grands arbres dans les environs.
Déja nous avions pénétré assez avant dans cet agréable séjour, lorsque le guide nous fit signe de nous arrêter. J’aperçus alors dans un enfoncement du bosquet une tente devant laquelle était un vieillard qui faisait la prière du matin. L’air calme du solitaire durant son pieux exercice annonçait sa confiance dans la divinité ; et cette confiance, de quelque manière qu’elle se manifeste, quel que soit le langage qui l’exprime, prouve du moins dans l’homme cette précieuse bonne foi, don ineffable des ames simples et vraies. Ce vieillard était le cheik Azis. Dès qu’il eut achevé sa prière, il vint aussitôt à nous ; et, contre l’usage admis dans le désert, avant de nous demander qui nous étions et où nous allions, il nous proposa de nous arrêter un instant dans sa tente. Je fus surpris en y entrant de la propreté et de l’ordre qui y régnaient ; cet ordre était tel, qu’en jetant les yeux dans la pièce réservée aux femmes, on aurait dit qu’elle était préparée pour les recevoir, mais non encore habitée. Cependant, dès que le cheik eut étendu le tapis sur la natte journalière, et qu’il nous eut installés commodément[150] dans la tente, il fit quelques pas dehors, et se mit à crier d’une voix que l’âge n’avait point encore affaiblie. Ce cri d’appel, et quelquefois d’alarme, ce cri qui avait plus d’une fois troublé notre repos, n’avait rien d’hostile dans ce moment ; les échos le répétèrent au loin, et bientôt les mêmes échos rendirent celui d’une voix argentine. « Saïdah va arriver, nous dit le cheik en rentrant ; l’hospitalité embellit le désert ; c’est une fleur que l’on cueille sur son chemin : comme elle, son parfum est aussi agréable à celui qui l’accepte, qu’à celui qui la donne. Étrangers, qui que vous soyez, vous resterez quelques instants avec nous. »
Peu après nous vîmes à travers le bosquet une jeune fille, portant d’une main une faucille, et de l’autre soutenant sur la tête un gros fagot de broussailles. A la délicatesse des formes et aux mouvements délicieux de la taille, on l’eût prise pour une nymphe accourant dans la forêt à la voix de Diane ; mais à la rapidité de la course et au volume du fardeau, on eût cru voir un jeune homme couvert des habits d’une fille. Enfin elle arrive à l’entrée de la tente, y dépose ses broussailles, nous aperçoit, et soudain disparaissant, elle revient un instant après, conduisant ou plutôt traînant une chèvre, qu’elle se met aussitôt à traire. En un clin d’œil le feu est allumé ; et tandis que la flamme pétille, Saïdah, toujours vive, toujours légère, dispose tout, arrange tout, avec une grace d’autant plus piquante, qu’elle naît de sa gaucherie même ; et elle plaît d’autant plus, que son aimable ingénuité donne un air d’abandon à la brusque volubilité de ses manières. En effet, à voir cette jeune fille, se confiant dans la présence de son père, ne mettre aucun soin à cacher ses charmes naissants ; à la voir à demi couverte d’une draperie qui semble n’en voiler une partie que pour mieux séduire la pensée ; à voir ses regards assurés sans effronterie, ses poses voluptueuses sans impudeur, ses gestes libres mais innocents ; ne dirait-on point de cette plante qui, forte de sa faiblesse, croît à l’abri de l’arbre de la forêt : elle abandonne au gré d’une sève capricieuse ses rameaux errants au hasard ; et irrégulière dans ses détails, mais harmonieuse dans son ensemble, elle plaît d’autant plus qu’elle paraît plus sauvage ?
Cependant le repas était prêt, et nous nous assîmes à l’entrée de la tente autour de la table hospitalière. Du point où nous étions placés, nos regards portaient sur toute l’étendue de la vallée. La matinée était belle comme[151] le lendemain d’un orage ; et cette retraite nous paraissait plus paisible en songeant aux dangers de la veille. Le bon vieillard se prit alors à nous parler de son domaine. Cette vallée, dit-il, avait été habitée par ses pères ; lui-même y était né, et n’en était que rarement sorti. Jamais ses courses ne s’étaient prolongées jusqu’à Derne ou à Ben-Ghazi ; il ne connaissait d’autres habitations que les tentes, et d’autres jardins que les champs. Ensuite il nous indiqua les arbres où il recueillait le miel, la grotte où il renfermait la paille, le lieu qui servait d’aire pour ses blés ; et nommant ainsi tous les endroits de la vallée, il assignait à chacun ses productions ou son utilité. Puis il ajouta : « Ne soyez pas surpris de cette rangée de sacs qui nous entourent ; des richesses n’y sont point enfouies, ils ne contiennent que les présents de la terre, de l’orge et du blé ; une petite partie suffit à moi et à ma fille, et le reste est pour les passants. Ces ihrams sont le travail de Saïdah pendant l’été ; ils servent à vêtir les pauvres dans la saison rigoureuse. Nous faisons tout le bien qui dépend de nous, aussi les hommes ne nous font point de mal. Notre vie, exempte de craintes et de soucis, est paisible comme cette vallée, elle s’écoule doucement comme ce ruisseau, à l’abri des tourments que donnent les désirs, hors de l’atteinte des méchants qui se déchirent loin de nous. Étrangers, croyez-en mon expérience, faites le bien si vous voulez être heureux ! Cette sérénité de mon ame, ce charme de ma vie, je les dois à la bien-faisance. De même que la brise légère ranime les forces défaillantes du voyageur errant dans le Saharah[177], de même la bienfaisance arrive au cœur de l’homme pour le soulager : elle rend le bienfaiteur plus heureux que celui qui reçoit le bienfait ; elle fut le secret de ma vie, elle en a fait la félicité. »
Durant ce discours j’examinais la physionomie de ce philanthrope du désert : l’expression en était, comme ses paroles, pleine de candeur et de simplicité ; et ses regards, à la fois animés et tranquilles, semblaient dire que de douces émotions agitaient momentanément une ame toujours paisible. Mais les instants donnés au plaisir s’écoulent rapidement : l’heure avancée[152] de la journée m’avertit qu’il était temps d’aller rejoindre ma caravane. Ce ne fut point sans regrets, comme on n’en peut douter, que je quittai de pareils hôtes ; et long-temps après cette heureuse rencontre, j’eus souvent présents à la pensée le bon vieillard et la jeune fille de la Vallée des Figuiers.
[177]Grand désert de l’intérieur de l’Afrique.
Djaus. — Téreth. — Djoubrah. — Diounis. — Station et départ de ma caravane. — Ghernès. — Apollonie.
La description d’une contrée quelconque d’Afrique présente un inconvénient inévitable. Cet inconvénient résulte de la barbarie des dénominations locales dont chaque page doit offrir, au moins, un ou deux échantillons. Passe encore pour la plupart des régions de l’intérieur : leurs noms rauques et secs y prennent une couleur locale ; semblables aux rocs pelés qui hérissent ces plaines arides, ils en hérissent de même harmonieusement la description. Mais n’est-il point choquant de devoir semer dans la narration des termes également durs et sauvages, soit que l’on parcoure d’affreux déserts, soit que l’on se promène au milieu des sites les plus agréablement ornés par la nature ? Ces réflexions, que mon lecteur aura déja faites, me furent particulièrement inspirées en arrivant dans un lieu des plus agréables de la Pentapole. Ce lieu est à l’ouest, et à une heure d’el-Hôch. Que l’on se représente une colline couronnée d’un bois de caroubiers, au milieu duquel sont les ruines d’un bourg antique et des grottes pittoresquement situées. Au devant du bois s’étend en amphithéâtre une belle prairie émaillée de lamiums à fleur rose, de stéchas pourprés, de seneçons et de renoncules dorés, de mauves et de géraniums rampants, parmi lesquels s’élèvent çà et là les grandes ombelles du sauvage derias, emblème aujourd’hui de la fertilité du sol, comme il l’était autrefois de sa richesse. Sous les touffes épaisses de cette riche végétation serpente un ruisseau, dont le murmure accroît, et produit des sons divers, en raison de la pente, et des accidents de la colline. Pareil au gazouillement d’un oiseau caché sous la feuillée, son bruit frappe agréablement l’oreille sans que l’on puisse en apercevoir la cause. Pour achever ce tableau, une lisière de noirs cyprès ceint la partie méridionale de la prairie ; elle en[154] détache les teintes claires et brillantes, par ses masses d’ombre et la couleur lugubre de son feuillage. Ce contraste est souvent répété dans cette contrée, mais il ne cesse point de plaire ; il a l’air d’ajouter une idée mélancolique aux sites les plus riants de la nature.
Je reviens à mon idée. Est-il une personne d’un esprit assez sec, d’une imagination assez froide, qui n’éprouve une impression désagréable en entendant désigner un site si aimable par le nom barbare de Djaus ? Cette sèche dénomination ne semble-t-elle point désenchanter le paysage ? Si du moins elle offrait quelque légère tradition des temps antiques, on pourrait, avec ce secours, restituer à ce lieu le nom harmonieux qu’il dut avoir autrefois, d’autant plus que de belles ruines attestent qu’il fut de quelque importance dans les phases les plus brillantes de la Pentapole. A l’extrémité occidentale du bourg on voit en effet les ruines d’un grand édifice, dont il n’existe plus qu’une seule pièce construite en grandes assises, et couverte à la manière égyptienne (Voyez pl. XX) ; dans les environs sont dispersés de grands blocs de marbre, restes défigurés de statues, parmi lesquels on ne peut distinguer que le torse gracieux d’une femme.
De plus, de tels monuments, auprès d’un si petit bourg, annoncent le voisinage d’une ville de quelque importance, ou du moins d’un canton anciennement très-habité. A peine s’est-on avancé de quelques minutes dans le sud, que l’une et l’autre conjecture se réalisent.
D’après la formation géologique de cette contrée, dont nous avons déja une idée, nous voyons la plaine succéder de nouveau aux escarpements des montagnes et aux profondes vallées. Cette plaine, que nous avons nommée plateau cyrénéen, présente ici à peu près le même aspect que dans les autres parties visitées, mais avec des témoignages d’une plus nombreuse population. Les ruines d’une ville, nommée actuellement Téreth, s’y trouvent entourées de traces de bourgs et de villages, dont le plus septentrional, situé à une heure de distance, est celui que nous venons de décrire. Sept pilastres, soutenant un entablement uni, restes d’un grand édifice ; deux châteaux et plusieurs bassins ; ajoutons, quelques pans de murs et des voûtes ; le tout construit ou creusé sur une petite élévation en forme de plateau : et l’on aura une idée des tristes débris de cette ville, à peu près semblables, comme on voit, à ceux de Lameloudèh.
[155]Cependant un bas-fond qui s’étend à l’ouest de la ville offre un aspect plus remarquable. On y voit un grand nombre de sarcophages monolithes sans chaussée, les uns debout, les autres renversés, et la plupart à demi enfouis dans la terre : spectacle assez étrange dans une contrée où les tombeaux furent placés, ou isolément sur des élévations, ou alignés avec soin aux bords des chemins, ou bien ensevelis dans les entrailles de la terre. Il n’est point vraisemblable que des masses aussi lourdes, formées de roche grossière et sans aucune espèce d’ornement, aient été extraites des souterrains lors de l’envahissement de la Pentapole par des hordes barbares. Il me parut plus naturel de croire que cette prodigieuse quantité de sarcophages, épars maintenant sur la terre, bordaient autrefois les avenues de la ville ; cet usage antique nous est déja connu, et des exemples plus frappants le confirmeront. Attribuons, si l’on veut, cet étonnant désordre à des efforts dévastateurs ; mais ces efforts auront seulement interrompu la série des tombeaux ; le temps, auxiliaire puissant, les aura secondés ; et ces deux causes auront successivement changé en un champ bouleversé, ces pieux et réguliers sentiers qui familiarisaient les anciens avec l’aspect hideux de la mort.
Les ruines de Téreth ont un caractère plus antique que celles de Lameloudèh. Cette raison, et une légère analogie de nom, me firent soupçonner qu’elles pouvaient correspondre à Thintis, lieu placé par Ptolémée dans l’intérieur de la Cyrénaïque[178] ; cité comme ville, et sous une double dénomination, par Étienne de Byzance[179] ; et mieux connu enfin comme évêché de la Pentapole chrétienne sous le nom de Disthis[180]. Cependant, quelque vraisemblance que puissent acquérir de tels rapprochements, comme ils ne reposent que sur des renseignements très-vagues, il me suffit de les indiquer en passant sans trop m’y arrêter ; d’autres plus hardis pourront les développer.
Au nord, et à demi-heure de Téreth, sont d’autres ruines nommées Djaborah. Ici nous trouvons encore des tombeaux à côté des vestiges[156] d’un petit bourg ; mais ces tombeaux, quoique sans riches détails architectoniques, imitent par leur forme et par leur disposition les élégants mausolées de Zaouani. Comme eux, ils sont placés sur un grand piédestal à gradins, et couverts de grands blocs triangulaires. Il est remarquable que presque tous ces tombeaux sont taillés entièrement dans la roche, de telle manière, que la place qu’ils occupent, et les intervalles qui les séparent, devaient former auparavant une colline dans laquelle on a creusé pour ménager çà et là des masses isolées que l’on a façonnées ensuite en tombeaux (Voyez pl. XXII). A côté de ces monuments on voit un grand édifice, dont il ne reste, malheureusement, qu’un angle de conservé. Dans l’intérieur, à quelques pieds au-dessus du sol, règne une frise saillante dont la surface présente, à des distances inégales, de petits creux elliptiques placés vis-à-vis de niches peu profondes, et taillées dans la paroi du mur (Voyez même planche). Au milieu de l’édifice se trouvent deux pilastres doriques, et plusieurs bassins circulaires semblables à ceux que j’ai fait remarquer dans les excavations sépulcrales. Ces indices me portèrent à croire que ce monument était consacré à des usages funèbres. Les creux, faits évidemment à diverses époques dans la frise, peuvent avoir servi à y placer une série d’urnes qui auraient contenu les cendres de quelque illustre famille, ou d’une caste privilégiée : l’orgueil humain ne voulut-il point dans tous les temps, durant la vie comme après la mort, être distingué de la foule des hommes ?
Au sud, et à une heure de ces ruines, il en existe d’autres qui attirent par leur nom notre attention. Nous y trouvons un grand château grossièrement construit, et nommé par les Arabes Ghabou-Diounis (Voyez pl. XXI). Cette tradition est remarquable en ce qu’elle rappelle d’une manière frappante ce que nous apprend Synésius sur la tyrannie qu’exercèrent dans cette contrée Agathocle et Dionysius[181].
On voit encore, dans les environs de ce lieu, un beau tombeau circulaire situé sur un monticule ; les vestiges de deux villages, Bou-Ébeilah et Ghaouafel ; et enfin, en s’avançant davantage dans les terres, on rencontre un immense château, entouré de larges fossés creusés dans la roche. Thaoughat est le nom que lui donnent les habitants. Éloigné d’une demi-heure,[157] au sud-est, de Téreth, il occupe la position la plus méridionale de ce groupe de ruines. Cette position relativement semblable à celle de Boumnah, confirme les conjectures que nous avons émises sur le système de défense des Cyrénéens contre les incursions des hordes indigènes. Leur intention n’est-elle point positivement démontrée en voyant ces deux grands postes fortifiés placés à peu près sur la même ligne, isolés chacun dans l’intérieur des terres, et servir ainsi de boulevarts à leurs cantons respectifs ?
Je retourne à Djaus, lieu où j’ai laissé ma caravane abritée dans de petites mais fort belles cavernes. Nous allons repartir ensemble, et, nous avançant dans l’ouest, nous irons à la recherche d’une nouvelle habitation, mes compagnons de voyage pour y séjourner, et moi pour fureter dans tous les lieux qui l’avoisinent.
Ces déplacements ne plaisent pas beaucoup à mes domestiques : enveloppés dans leurs sayes, ils se blottissent dans les grottes autour d’un bon feu ; là ils se consolent, en humant la douce fumée du tabac, de la folie du chrétien qui les a conduits dans un pays si froid. Tandis que la pluie ruisselle devant l’entrée de la grotte, et que la grêle en frappe les parois extérieures, ils rient, peut-être avec raison, de le voir sans cesse courir par monts et par vallées, et revenir ensuite auprès d’eux, le plus souvent trempé jusqu’aux os. L’indolent Abd-el-Azis, fatigué parfois de lire le Coran, et de répéter la litanie des innombrables épithètes si gratuitement accordées au prophète, déroge à sa dignité d’osmanli : il vient s’unir au conciliabule des domestiques, et ne manque pas d’ajouter quelques sarcasmes aux réflexions de la société. Pendant ce temps-là M. Müller, tourmenté par les souffrances, jette néanmoins du fond de son asile des regards inquiets sur la belle contrée qu’il ne peut parcourir ; son impatience augmente son mal.
Aussi choisissons-nous pour ces déplacements une belle journée ; mais les préparatifs sont si longs, et nulle part je n’ai trouvé le climat aussi inconstant que dans la Pentapole. La partie la plus précieuse de mes bagages est ma bibliothèque : la traduction de Strabon de M. Letronne, les Lagides de M. Champollion, Hérodote, Pline, Diodore, Solin, Synésius, et divers Périples, la composent. Ces ouvrages ne sont point la plupart d’un format[158] très-portatif ; mais les précieux documents qu’ils renferment sur cette contrée, me les rendent indispensables. Des pieux en fer pour remuer de gros blocs de pierre, des bêches pour faire des fouilles, de longues cordes pour descendre dans les puits, des caisses, des tentes et des tapis, composent le reste de mon équipage. Ces objets doivent passer, pièce à pièce, du fond des grottes sur le dos des chameaux. Quelquefois la charge est à peine à demi faite, qu’une forte pluie survient ; on se hâte de replacer le tout dans la caverne, et l’on attend le beau temps. D’autres fois on est en marche ; l’orage survient encore, mais alors on doit l’essuyer. Je me moque un peu à mon tour des grimaces de mes domestiques ; il faut entendre leurs exclamations ; il faut voir le brave Abd-el-Azis se taire, et n’en penser pas moins. Mais terminons ces frivoles récits, et arrivons, par la pluie ou par le beau temps, il n’importe, à Saffnèh, situé à une heure et demie à l’ouest de Djaus.
Un édifice élevé a attiré de loin mon attention ; je m’en approche, et je trouve encore les restes d’une tour antique ; les ruines du village ne m’offrent non plus rien que je n’aie déja vu ; toutefois des excavations d’une disposition nouvelle me dédommagent en partie de ces tristes et continuelles répétitions. J’ai déja fait remarquer autre part de petits monticules percés horizontalement ; ils m’ont paru former de cette manière des mausolées populaires, humbles mais indestructibles et derniers asiles pour la classe la moins aisée des Cyrénéens. Je retrouve ici, dans un sens inverse, au lieu de ces monticules qui s’aperçoivent de loin, des creux irréguliers faits dans la plaine à quinze ou vingt pieds de profondeur. De petits tombeaux sont taillés dans leurs parois circulaires ; au milieu est un tapis de verdure, et des degrés ménagés çà et là aident à y descendre.
Au-dessus de ces excavations sont d’autres emplacements sépulcraux destinés à des funérailles plus somptueuses. On y voit, tantôt un sarcophage placé isolément dans une enceinte découverte ; et tantôt, avec les mêmes détails, on y remarque des voûtes qui, malgré leur forme en ogive, n’ont cependant nullement le caractère sarrasin (Voyez pl. XV, 2).
L’examen de ces restes d’antiquité ne nous retient pas long-temps à Saffnèh, et nous poursuivons notre route dans l’ouest, nous détournant toutefois de quelques degrés vers le sud. Des renseignements nous ont[159] engagés à prendre cette direction, qui doit nous conduire auprès de ruines plus importantes. La plaine que nous parcourons est partout dépouillée de forêts ; les lentisques et les térébinthes sont les plus grands arbustes que nous y rencontrons ; le derias bisannuel continue d’élever çà et là, au milieu de ses larges feuilles luisantes et découpées, de longues tiges où brillent des capsules argentées, dont nous détournons toujours attentivement nos chameaux étrangers à ce sol.
Après une heure et demie de marche nous arrivons au lieu indiqué, à Ghernès, petite ville antique dont le grand nombre d’édifices encore debout frappent notre vue habituée à ne rencontrer le plus souvent à leur place que des pierres éparses.
On aperçoit d’abord sur une colline deux élégants mausolées construits immédiatement au-dessus d’une grotte sépulcrale (Voyez pl. XXIV et XXV, fig. 2 et ses détails). Plus loin, auprès des traces d’un grand monument, est une porte, dont l’architrave est ornée d’un vase en relief (Voyez pl. XXV, fig. 3). Plus loin encore, dans un bas-fond, on voit un château entouré d’un large fossé ; et, à quelques pas de distance, les ruines assez bien conservées d’anciens bains. Ces bains sont remarquables par des voûtes semi-sphériques qui terminent, tant horizontalement qu’au sommet, de petites pièces carrées enduites de ciment à citerne intérieurement, et de plâtre extérieurement. Cette disposition et ces détails, et surtout de petits soupiraux pratiqués dans la partie supérieure des voûtes, offrent une ressemblance frappante avec les bains que l’on voit dans l’Orient (Voyez pl. XXIII et XXV, fig. 1), et portent à croire que ces ruines appartiennent à la période arabe, d’autant plus que celles de la ville même ont des caractères qui sont relatifs à la même période. Les maisons bâties en belles assises ont conservé presque toute leur hauteur, et ne sont distantes entre elles que de deux ou trois mètres. De cette proximité des domiciles, et de leur élévation très-grande en raison de leur peu de superficie, il résulte qu’ils ne peuvent remonter à une époque bien reculée. L’usage des chars, anciennement répandu dans toute la contrée, aurait empêché les Cyrénéens de construire leurs villes dans le système oriental actuel. Ce système ne peut donc avoir été introduit dans la Cyrénaïque que par les Sarrasins.[160] Ces peuples, tant anciens que modernes, n’ayant d’autre monture que les chevaux, et habitant un sol brûlant en été, adoptèrent dans la construction de leurs villes un usage qui s’est perpétué jusqu’à nos jours : ils ne laissèrent entre les maisons que des sentiers étroits, et en élevèrent le faîte, pour augmenter les masses d’ombre et faciliter les courants d’air. Ces précautions durent être nécessaires chez les Sarrasins de la Cyrénaïque, bien plus pour les villes bâties un peu avant dans le plateau, que pour celles situées aux bords de la mer, ou sur les terrasses boisées, sans cesse rafraîchies par les brises marines.
Après avoir erré si long-temps parmi de tristes squelettes de bourgs et de villages, il serait temps d’arriver à la capitale, à l’illustre Cyrène, dont nous ne sommes plus éloignés que de quelques lieues. La renommée de ses merveilles, grossie par une imagination de feu, mais confuse et fantasque, traverse les sables du Saharah ; elle fournit aux entretiens des nègres du Soudan, et des paisibles habitants de la poudreuse Tombouctou. Cette renommée, accréditée en Europe sous d’autres couleurs, doit irriter la curiosité de mon lecteur ; et, fatigué sans doute de mes prolixes digressions, il me demande avec raison à la satisfaire. Mon désir ne serait pas moins vif que le sien. Mais en raison même de cette grande célébrité, et des découvertes qu’elle nous promet, je craindrais de négliger les petits objets, dont la connaissance est quelquefois très-utile, après avoir vu les grands qui quelquefois aussi le sont moins. Peu de ruines restent d’ailleurs à voir dans la Pentapole ; je préfère continuer l’exploration de quelques faits isolés, et conduire ensuite mon lecteur dans la capitale, plutôt que de recommencer cette exploration qui lui paraîtrait, en sortant de Cyrène, plus minutieuse, et tout-à-fait sans intérêt.
Ainsi, je quitte Ghernès avec la caravane, prenant la direction nord-ouest ; elle doit nous conduire, à travers les montagnes, auprès d’un port célèbre encore chez les habitants actuels. Contre mon espérance, dans les diverses parties des terrasses que je parcours, je ne trouve aucune ruine remarquable, ni la moindre trace d’un ancien chemin. La ligne que je suis est même peu fréquentée par les Arabes ; à chaque instant il faut s’arrêter pour abattre les branches des arbres, et se frayer, par ce moyen, un passage à travers les épaisses forêts de cyprès et de genévriers.[161] Ces fréquents obstacles rendent notre marche lente et irrégulière, et son estime inexacte ; nous sommes partis dès le lever du soleil de Ghernès, et nous n’arrivons au port de Sousa qu’à deux heures après midi.
Ici, comme auprès du Naustathmus, une petite plaine sépare les bords de la mer, des escarpements abrupts de la montagne ; mais à peine s’est-on approché du rivage, que la vue est aussitôt frappée des nombreux restes d’antiquité qu’on y aperçoit. Un banc de roche, formé en majeure partie d’une espèce de brèche encore mal liée, suit parallèlement les bords de la mer, et sert de base aux ruines d’une ancienne ville. Cette ville était entourée d’un mur construit en grandes assises sur le même massif de roche ; il n’en reste plus que le côté méridional flanqué par intervalles de petites tours carrées. Du côté opposé, les flots de la mer, frappant immédiatement ces bases peu solides, sont parvenus à y faire, de même qu’à Erythron, de nombreuses échancrures, et ont formé çà et là de petits promontoires couronnés de débris.
Dans le vaste amas de pierres qui couvre l’emplacement de cette ancienne ville, je ne pus distinguer que les ruines de deux temples, contenant l’un dix, et l’autre six colonnes de marbre blanc, bariolé de longues veines bleuâtres, connu, je crois, sous le nom de pentélique.
Ces deux temples étaient chrétiens ; indépendamment du style des chapiteaux, indice certain du moyen âge (Voyez pl. XXVII, fig. 1, 2), on remarque sur les fûts des croix taillées en relief, et surmontées d’un globe pouvant représenter l’anse égyptienne, qui, dans d’autres cantons de l’Afrique septentrionale, accompagne toujours le symbole du christianisme (Voyez même planche, fig. 2)[182]. Cette particularité porterait à croire que les premiers chrétiens de la Pentapole[183] usèrent des mêmes précautions que ceux des Oasis. Il est certain, d’après les monuments encore existants, que ces derniers adoptèrent la croix ansée des anciens Égyptiens, dans l’intention peut-être de déguiser par ce symbole antique[162] de la régénération physique[184], une régénération morale, foi naissante qu’on n’osait alors professer ouvertement.
On voit aussi, dans le fond de ces deux temples, une grande pièce cintrée semblable à celles que j’ai fait remarquer dans les tours et les châteaux romains ; j’ai indiqué la cause de cette analogie de dispositions architectoniques entre des édifices d’une destination si différente.
L’intérieur des ruines de la ville n’offre rien autre de reconnaissable. Hors de l’enceinte, et à son extrémité orientale, on voit un quai magnifique composé de trente à quarante degrés, et disposé en amphithéâtre (Voyez pl. XXVIII). Du côté opposé sont les traces d’anciens bains taillés dans le roc, et se trouvant maintenant dans les eaux. Le port, plus intéressant, et objet spécial de cette excursion, malgré les envahissements de la mer, peut néanmoins donner encore une idée de son ancien état. Deux gros rochers, peu écartés l’un de l’autre, et couronnés de ruines, paraissent en avoir formé l’entrée. Plusieurs écueils font suite à ces rochers dans l’ouest, et l’abritent parfaitement, de ce côté, des efforts des vagues, dont l’impétuosité n’aurait point été suffisamment ralentie par un promontoire rocailleux qui s’avance à quelque distance dans l’occident. Ce port, quoique infailliblement changé, par les éboulements, de son ancienne forme, semble susceptible d’offrir encore une bonne station aux navires, et confirme ce qu’ont dit les anciens auteurs, et particulièrement Scylax, de sa situation, qui le rendait sûr et accessible par tous les temps[185].
Nous ne pouvons douter en effet que les ruines que nous venons de décrire ne soient, d’après leur position relativement au Naustathmus[186], celles d’Apollonie, et que ce port n’ait été, par conséquent, celui de Cyrène dans les premiers âges de la colonisation grecque.
Strabon, comme l’a fait observer M. Letronne[187], est le seul auteur qui nous ait conservé le nom du port de Cyrène, qu’il nomme Apollonie.[163] Les autres géographes font en effet mention, les uns de ce port sans lui donner aucun nom, et les autres d’Apollonie sans la citer comme port de Cyrène.
Ceci peut s’expliquer, en admettant que ce port n’eut pas de nom particulier, jusqu’à ce que les habitants de Cyrène y eussent fondé une ville qu’ils nommèrent Apollonie[188] en l’honneur du dieu protecteur de la contrée. Cette ville resta long-temps dépendante de Cyrène, et ne servit d’abord, pour ainsi dire, que d’entrepôt pour son commerce[189] ; on pourrait peut-être attribuer à cette dépendance la tradition d’Étienne de Byzance, qui seul nous apprend qu’Apollonie se nommait aussi Cyrène[190]. Quoi qu’il en soit, elle devint autonome sous les Ptolémées ; ces rois la placèrent au nombre des cinq principales villes formant la Pentapole libyque[191]. C’est probablement dès cette dernière époque que le Phycus, quoique plus éloigné de la métropole, et dans une position peu favorable pour elle, succéda néanmoins à Apollonie comme port de Cyrène[192] ; ce qui arriva incontestablement par la suite, au rapport de Synésius[193].
Cependant, par une de ces chances subversives attachées aux destinées des villes et des empires, l’ancienne vassale de Cyrène devint à son tour, sous le nom de Sozysa, conservé jusqu’à nos jours, la capitale de la Pentapole, alors nommée Libye supérieure[194] ; tandis que la superbe Cyrène tombait en ruines, et ne jouait plus qu’un rôle secondaire dans cette contrée qu’elle avait illustrée.
J’ai déja dit que les bords de la mer, auprès d’Apollonie, sont en majeure partie formés de bancs de roche, prolongements aplatis des monts Cyrénéens. Dans les intervalles d’un banc à l’autre, on remarque du sable rougeâtre, couleur occasionnée par des productions marines, sur lesquelles[164] M. Della-Cella a donné des renseignements curieux. On doit regretter que cet habile voyageur n’ait pas parcouru d’autres cantons littoraux de la Pentapole, particulièrement ceux du Naustathmus et d’Erythron. La science se serait enrichie de ses judicieuses observations, et les cabinets des collections que l’on peut faire sur ces rivages, où les débris de divers genres de zoophytes se trouvent confondus avec ceux de coquillages, et peuvent donner lieu à de singulières méprises aux yeux d’une personne peu exercée dans ces connaissances. Quant à moi, qui leur suis totalement étranger, au lieu de m’exposer à me charger indifféremment de reliques ou de sachets de sable, j’ai borné mon attention à des choses plus futiles, mais qui m’offraient du moins un certain intérêt. De ce nombre est l’observation que m’inspira la situation du port de Cyrène, et l’aridité de sa plage, dépourvue de toutes parts d’arbres et de sources. Les anciens habitants, pour suppléer à la sécheresse du sol, construisirent un aqueduc qui traversait la plaine, depuis la région boisée ou le pied des montagnes, jusqu’aux bords de la mer. Quelques restes de cet aqueduc existent encore : ils sont formés de grands blocs monolithes placés sur une chaussée dont l’élévation diffère selon l’inégalité du terrain ; on y voit des fragments d’inscriptions romaines, mais tellement frustes que je ne pus les déchiffrer.
En outre, les Apolloniens profitèrent des endroits où la roche est à nu, pour y attirer les eaux des pluies, et creusèrent de toutes parts de vastes citernes. Ces dernières précautions étaient de nature à durer plus que la première ; aussi leur utilité se fait-elle sentir encore de nos jours, puisque seules elles fournissent aux besoins des Scénites qui occupent cette plage déserte. D’après cette description, il est peu de personnes qui ne se rappellent aussitôt une des plus jolies scènes de la comédie antique, et qui ne soient portées à admirer la fidélité des peintures locales de l’auteur. L’aridité de la plage du port de Cyrène, la difficulté d’y trouver de l’eau, la peine qu’il faut prendre pour y creuser des puits, se trouvent en effet parfaitement peintes dans le Rudens de Plaute, où une cruche d’eau devient le prix des plus douces expressions, des plus aimables faveurs d’Ampelisque, même à l’égard d’un valet[195].
[165]Cependant, si je reconnais avec plaisir que la fidélité locale a été bien observée dans cette scène de la comédie du poète romain, je dois de même signaler les erreurs qu’il a commises dans les autres, non point en décrivant le rivage, mais d’après sa situation relative à celle de Cyrène. Nous ne connaissons encore la place qu’occupait cette ville que par les notions de l’antiquité. Pline la met à onze milles des bords de la mer[196] ; Scylax et Strabon à quatre-vingts stades ; et ce dernier ajoute qu’elle se trouvait sur le sommet des montagnes, situation qui devait encore en augmenter la distance par la difficulté d’y arriver.
Comment concilier cet éloignement de Cyrène des bords de la mer, avec les voyages fréquents que Plaute fait faire à ses personnages d’un de ces deux lieux à l’autre, dans un intervalle de huit ou neuf heures[197] ? De plus, Apollonie n’est pas une seule fois nommée par Plaute, et cependant cette ville pourrait seule convenir à la disposition de l’action du Rudens. Étienne de Byzance, comme nous l’avons fait remarquer, dit qu’Apollonie se nommait aussi Cyrène ; mais cette raison, qui aurait tout l’air d’une excuse d’érudition, ne peut d’ailleurs être alléguée en faveur de Plaute, puisque, de même qu’Hérodote et Synésius, il fait mention du sénat de Cyrène.
Dans la crainte que ces remarques ne dégénèrent en prétentieux commentaire, je les terminerai par cette simple observation. En général, les anciens poètes, au lieu d’être infidèles à l’exactitude géographique, aident au contraire à l’expliquer, et parfois même à l’établir. Que si nous trouvons ici Plaute contraire à ce principe, il me paraît vraisemblable qu’ayant pris le sujet de sa pièce d’un auteur grec, Diphile, comme il l’indique dans le prologue, il aura, par une nouvelle disposition de scènes, altéré celle d’un lieu que nous trouverions sans doute fidèle dans l’original s’il était parvenu jusqu’à nous.
[178]Ptolem. Geogr. l. IV, c. 4.
[179]Voc. Thestis, Thyne.
[180]Oriens Christ. t. II, p. 630.
[181]Synes. epist. 6.
[182]La croix ansée des anciens Égyptiens fut adoptée par les chrétiens de l’Oasis de Thèbes. Dans les tombeaux de Ghabaouet, elle se trouve ainsi figurée à côté des scènes les plus connues de l’ancien Testament.
[183]L’Évangile fut prêché à Cyrène dès son apparition (Oriens Christ, t. II, p. 622).
[184]Jablonski, Pantheon ægypt. l. II, c. 7.
[185]Scylax, ed. Gronov. p. 109.
[186]Scylax et Strabon mettent cent stades du Naustathmus au port de Cyrène, et le Périple anonyme cent vingt. Cette différence, et d’autres analogues, autorisent à croire que les stades sont calculés, dans ce stadiasme, à sept cents au degré.
[187]Strabon, trad. franç. t. V, p. 485, note 6.
[188]Schol. de Pindare.
[189]Diodor. l. XVIII.
[190]Voce Apollonia. Dans le même paragraphe, Étienne de Byzance nomme deux Apollonies qu’il place dans la Libye. Où pouvait être la seconde ? c’est ce qu’aucun autre auteur ne nous aide à expliquer.
[191]Pline, l. IV, c. 5.
[192]Wesseling, in Itin. Roman. p. 732.
[193]Epist. 51, 100.
[194]Hierocles, ed. Wesseling, p. 732 ; Geogr. sacra, p. 56. Néanmoins, suivant d’autres, cette métropole était Ptolémaïs (ib. 283). Voyez le rôle que Sozysa a joué dans la Pentapole chrétienne, et les noms de ses évêques dans Le Quien (Oriens Christ. t. II, p. 618).
[195]Rudens, acte II, sc. 4.
[196]L. IV, c. 5.
[197]Le lieu de la scène est auprès du temple de Vénus, situé dans le voisinage du port de Cyrène. Des pêcheurs qui sont sortis le matin de cette ville, commencent le second acte. Dans le troisième, à la sixième scène, Pleusidippe traîne le marchand d’esclaves à Cyrène devant les juges. Dans le quatrième, Trachalion, valet de Pleusidippe, va le chercher, et est de retour avec lui de Cyrène à la scène première du cinquième acte.
Camp d’Arabes.
J’ai déja parlé des guerres violentes qui divisaient les Arabes de Barcah ; j’ai esquissé le tableau d’un vieillard ami du bien, et de plus bienfaisant, vivant retiré dans une paisible vallée. Historien scrupuleux, non de mes personnelles et fort oiseuses aventures, mais de tous les faits qui peuvent servir à caractériser ces peuplades, je vais essayer d’en retracer un nouveau. Dans celui-ci, comme dans le précédent, la fidélité du récit suppléera peut-être au talent du narrateur.
J’étais parti dès le matin d’Apollonie, pour chercher dans les environs quelques vestiges de l’ancien chemin de Cyrène. Soit faute de renseignements suffisants, soit que ces vestiges aient tout-à-fait disparu, mes recherches furent infructueuses. Cependant elles m’avaient conduit fort loin de ma caravane, et, de ravin en ravin, j’étais arrivé sur les premières terrasses de la montagne. Un Arabe m’accompagnait dans cette recherche ; plusieurs fois il m’avait conseillé de retourner à Sousa, et je ne reconnus l’utilité de ses avis que lorsqu’il n’était plus temps d’en profiter. Le ciel, très-pur le matin, s’était insensiblement couvert de nuages. Les orages sont de courte durée dans la Pentapole, mais ils s’élèvent et éclatent subitement. La pluie, fouettée par le vent, nous obligea de nous réfugier dans le plus épais de la forêt. Cependant la nuit était survenue, et, contre notre attente, l’orage ne se calma un instant que pour recommencer avec plus de violence ; il fallut alors nous déterminer à chercher un gîte. Nous voilà donc marchant à travers la forêt, tantôt enfoncés dans les buissons, et tantôt heurtant contre les branches des cyprès, dont la teinte sombre augmentait l’épaisseur des ténèbres. Mais j’oublie que ce n’est point de moi-même que j’ai promis d’entretenir le lecteur ; je lui fais donc grace des accidents de cette malencontreuse[167] promenade, et je le conduis de suite au milieu d’un camp que je trouvai, malgré le mauvais temps, dans la plus grande agitation. Mon guide était parent du cheik ; et cette parenté, sur laquelle il avait compté, me permit de prendre place dans la tente principale, sans attirer, comme à l’ordinaire, l’attention générale : de puissants intérêts occupaient les esprits.
Tandis que tout était en rumeur dans le camp, le plus grand calme régnait dans la tente où je me trouvais ; mais ce calme était plus terrible que l’agitation, il ressemblait à la fureur concentrée. La tête penchée sur la poitrine, une main posée sur la barbe et l’autre appuyée sur des armes, le cheik avait l’air d’être profondément affecté ; l’immobilité de son corps laissait apercevoir le moindre mouvement de ses yeux : l’expression en était si variée, elle en était si rapide, que le désespoir et la résignation, la colère et l’attendrissement, paraissaient lutter ensemble à la fois, et cependant être vainqueurs ou vaincus tour-à-tour.
Les principaux de la tribu étaient rangés en demi-cercle auprès de lui. Malgré la différence de leurs attitudes, on voyait qu’une même idée absorbait leurs pensées : chacun d’eux fixait tristement ses regards sur le sol, et les portait de temps en temps sur des draperies entassées au milieu de l’assemblée. Des flambeaux de bois résineux étaient placés à quelques pas de l’entrée de la tente ; selon que le vent s’apaisait ou qu’il redoublait, leur éclat pénétrait dans l’intérieur, faisait jaillir le poli des armes, et détachait des masses d’ombres les traits fortement prononcés des assistants ; ou bien leur pâle lueur ne répandait sur cette scène silencieuse qu’un demi-jour sépulcral plus pénible que l’obscurité parfaite.
N’osant interroger personne, j’attendais que quelqu’un prît la parole, pour connaître la cause de ce qui se passait dans le camp, lorsque j’aperçus dans la forêt voisine une troupe d’Arabes portant des torches allumées. Deux femmes les devancent ; elles se dirigent à la hâte vers nous ; enfin elles entrent ou plutôt se précipitent dans la tente. Aussitôt le cheik se lève, les traits de son visage se contractent, ses gestes paraissent convulsifs ; il porte la main sur le tas de draperies, en écarte une partie, et prononce ces paroles : « Zahrah, voilà ton fils ! Zelimèh, voilà ton époux ! » C’était le cadavre ensanglanté d’un jeune homme !... A cet aspect inattendu, je ne pus me défendre d’un sentiment d’horreur ; mais la scène avait tout-à-fait[168] changé autour de moi. A la longue contrainte du cheik, avaient succédé des torrents de larmes ; au silence et à l’immobilité de l’assemblée, avaient succédé les imprécations de la fureur et l’impétuosité de ses mouvements. Et, malgré le grand tumulte qui régnait, malgré les éclats tonnants des rauques vociférations, les cris de désespoir de la mère retentissaient dans tout le camp ; sa voix couvrait toutes les voix, comme si les angoisses d’une mère avaient une force surnaturelle, comme si sa douleur devait surpasser toutes les douleurs.
Cette scène, déchirante par son objet, terrible par son expression, et accompagnée de l’obscurité de la nuit et des accès violents de l’orage, produisait un effet profond. La nature paraissait se prêter au désordre des passions humaines : le mugissement des vents dans la forêt se confondait avec la rumeur confuse du camp ; et de longs éclairs, en pénétrant dans la tente, répandaient leur éclat livide sur l’aspect hideux du tableau.
Cependant peu à peu l’orage se calma, et ce calme de la nature ne fit qu’accroître la fureur des hommes. Plus de vague courroux, plus de cris tumultueux ; mais les mots sang et vengeance étaient répétés de toutes parts. De toutes parts on sellait les juments, on entendait le cliquetis des armes. Les femmes seules exhalaient encore des plaintes : elles parcouraient ensemble le camp ; leurs cheveux dénoués flottaient sur leurs visages ; elles portaient leurs jeunes enfants, les pressaient contre leur sein, les montraient aux spectateurs ; et, poussant de longs gémissements que répétaient les échos des montagnes, elles provoquaient ainsi tous les guerriers au combat.
Déja un grand nombre d’Arabes étaient partis ; le cheik était à leur tête ; moi-même j’avais quitté sa tente, objet de deuil et d’horreur. Un groupe d’arbres voisin m’avait offert un gîte ; et là, quoique long-temps troublé par la rumeur expirante des voix, quoique mon esprit fût vivement frappé de tant d’objets affreux, je parvins enfin à goûter quelques moments de repos.
Promontoire Phycus. — Ville de Baâl. — Jardin des Hespérides. — Barcé. — Ptolémaïs.
Je quitte Apollonie, et laissant Cyrène à ma gauche, je continue mes excursions vers l’ouest. Je franchis de nouveau les hautes terrasses des montagnes qui, décrivant ici un grand coude vers le nord, vont former le promontoire brumeux du Phycus. Deux fois, dans mes traversées maritimes, je me suis approché de ses falaises ; et dans ces occasions, comme dans celle-ci, je n’ai pu les visiter. Cependant, au défaut de mes témoignages sur ce sujet, j’en puiserai dans l’antiquité. Strabon nous apprend que ce promontoire, le plus septentrional de la côte libyque, contenait une petite ville[198] ; Ptolémée, qu’il étoit défendu par un château[199] ; et Synésius, qu’il était dangereux à habiter à cause des eaux stagnantes, et des exhalaisons fétides qu’elles produisaient : un port, ajoute-t-il, se trouvait à son extrémité occidentale, ce qui est confirmé par le Périple anonyme, et les environs en étaient rocailleux, puisqu’un endroit seul y offrait de ces lits de sable, où, pour me servir des expressions de notre auteur, l’on trouve à reposer si agréablement[200]. Ce port qui devint celui de Cyrène lors de la décadence de la Pentapole, paraît avoir été fréquenté dès la plus haute antiquité, et particulièrement par les Phéniciens, d’où il prit même son nom[201]. D’après cette observation, on serait tenté de reconnaître les traces d’une colonie de ce peuple commerçant aux ruines considérables de Bénéghdem, que l’on rencontre sur le sommet de la montagne, à quelque distance du Phycus. Selon mes calculs, j’ai été porté à estimer la position de ces ruines à douze lieues à l’ouest de Cyrène ; mais cette estime, on ne peut pas plus incertaine à cause de l’irrégularité des lignes décrites dans ma marche sinueuse, ne[170] m’empêche pas de faire correspondre Bénéghdem à l’ancienne Balacris, située sur la route qui conduisait à Ptolémaïs, à quinze milles de Cyrène selon Ptolémée, et à douze selon Peutinger : ce dernier auteur dit que cette ville contenait un temple d’Esculape. Mais ce rapprochement serait peu important, s’il n’en provoquait un autre sur lequel se fondent principalement mes conjectures. Le nom de Balacris rappelle, en effet, celui de Balis, ville de Libye, dont nous connaissons plusieurs homonymes en Judée, et qui, d’après Étienne de Bysance, était située auprès de Cyrène, et ainsi nommée à cause du dieu Baleus qui y avait un temple. Or, ce Baleus est évidemment le même que Baâl, divinité des Assyriens et des Phéniciens ; et le savant commentateur d’Étienne, à qui cette analogie n’a point échappé, en induit que Balis n’eut point d’autre origine[202]. On sait d’ailleurs que les Phéniciens bâtirent plusieurs villes sur le littoral d’Afrique, et leur donnèrent leurs noms, chose si connue dans l’histoire, qu’elle n’a pas besoin d’être appuyée d’aucune autre citation.
Si nous rapprochons ces diverses observations, nous serons portés à nous croire dans un lieu des plus intéressants de la Cyrénaïque, et dont les ruines appartiendraient originairement à une époque antérieure à la colonisation grecque. Toutefois, examinons ces ruines, et voyons si leur état actuel peut aider en quelque chose à ces suppositions.
Le site où elles se trouvent est un des plus âpres et des plus sauvages de la contrée de Barcah : de toutes parts on voit des vallées sinueuses et des gorges étroites. Vers le nord, la montagne s’incline graduellement jusqu’aux bords de la mer ; vers le sud, apparaissent plusieurs élévations sur les crêtes desquelles sont des restes d’anciens postes fortifiés. Quant aux ruines mêmes de Bénéghdem, elles sont éparses en partie au fond d’un vallon, et en partie sur des rochers abrupts. Là, comme ailleurs, on trouve de nombreuses excavations dans le roc ; mais leur aspect est tel qu’on ne saurait affirmer si elles servirent d’habitations ou de tombeaux. Point d’entrée régulière, point de voûte unie, point de salle rectangle : ce sont des cavernes la plupart naturelles, où l’on aperçoit[171] toutefois çà et là quelques marques grossières du ciseau, et dont les seuls ornements consistent en touffes d’arum et de fétides aristoloches. Ainsi, quoique les ruines de Bénéghdem frappent l’imagination par je ne sais quoi d’antique et de mystérieux, elles ne donnent néanmoins aucun renseignement sur mes précédentes hypothèses : que les Phéniciens aient habité ou non ce canton, aucun témoignage ne le prouve, ni ne le contredit. Je ne prendrai point pour tels des signes bizarres gravés irrégulièrement sur les parois des grottes ; j’en ai donné ailleurs l’explication : je les trouve, il est vrai ici, dans un lieu que les Phéniciens probablement ont habité, mais les voilà de même sur un château sarrasin. Passons donc à un autre sujet.
Avant de nous éloigner davantage du promontoire Phycus, il convient d’examiner une question qui, selon mes conjectures, s’y rattache ; je veux parler du célèbre jardin des Hespérides.
Je suis porté à douter au moins de l’opinion des savants Mannert, Thrige et Malte-Brun, lesquels, embarrassés de la confusion qui règne dans les notions de l’antiquité sur le jardin des Hespérides, trouvent plus simple de placer ce jardin plutôt dans les idées populaires que dans la réalité ; et dans la fable bien plus que dans la géographie. Les idées mythologiques se trouvent, il est vrai, dans l’antiquité, le plus souvent unies à l’histoire, et tellement confondues avec elle, qu’il devient difficile de les distinguer, mais non invraisemblable ni impossible. De ce que nous voyons ce fameux jardin placé successivement, par des traditions diverses, d’abord dans une île de l’Océan, ensuite à l’extrémité occidentale de l’Afrique, et enfin dans la Cyrénaïque, il ne résulte point que ce jardin soit le même : cette conformité de dénomination me paraît représenter une même idée, mais non une même localité ; et rien n’empêche de croire qu’il ait existé différents jardins des Hespérides, qui auront successivement pris ce nom de leur position occidentale à différentes régions. Mais mon objet n’est point ici de traiter des jardins, ou plutôt des localités diverses connues sous le même nom ; je dois me borner exclusivement à celui que l’antiquité place dans la Cyrénaïque. Son existence dans cette contrée est prouvée par les témoignages de Scylax, Hérodote, Strabon, Théophraste, et autres.
[172]Le premier de ces auteurs en a laissé une description si détaillée, qu’elle seule suffirait pour prouver que cette tradition avait pour base fondamentale la géographie, puisqu’elle s’accorde exactement avec l’aspect et les productions du lieu qu’elle désigne. Un témoin oculaire, le judicieux Della-Cella, a déja fait cette observation, mais il ne lui a pas donné assez de développement ; je vais chercher à suppléer, par quelques détails, à ses omissions, et je commencerai, comme lui, par citer le passage de Scylax.
« Le golfe formé par le promontoire Phycus est inabordable... C’est là que se trouve le jardin des Hespérides. C’est un lieu de dix-huit orgyes, ceint de toutes parts de précipices si escarpés, qu’ils ne sont accessibles d’aucun côté. Il a deux stades d’étendue en tous sens, sa longueur étant égale à sa largeur. Ce jardin est rempli d’arbres serrés les uns contre les autres, et dont les branches s’entrelacent. Ce sont des lotus, des pommiers de toutes les espèces, des grenadiers, poiriers, arbousiers, mûriers, myrtes, lauriers, lierres, oliviers domestiques et sauvages, amandiers et noyers[203]. »
Est-il nécessaire de dire qu’une description si détaillée n’est point le fruit d’une tradition fabuleuse ? N’est-ce pas là de la topographie proprement dite, qui n’a rien de commun, on l’avouera, avec l’imagination et la fable ? Ajoutons que, si l’on en excepte les noyers et les pommiers, tous les arbres nommés par Scylax se retrouvent encore de nos jours dans la région boisée de la Cyrénaïque. En admettant donc, ce qui me paraît prouvé, que cette description est locale et non pas fabuleuse, cherchons à reconnaître le lieu qui, dans cette contrée, peut le mieux lui convenir.
L’opinion générale des savants place ce jardin auprès de l’ancienne Bérénice, par la raison que cette ville appelée d’abord Hespéris donna ce nom au jardin des Hespérides, ou bien qu’elle l’en reçut. L’aspect et les productions des lieux comparés au témoignage de Scylax sont tout-à-fait contraires à cette opinion. Bérénice, actuellement Ben-Ghazi, située à l’extrémité occidentale de la Pentapole, se trouve séparée, par une[173] plaine de six lieues environ, de la région boisée, c’est-à-dire des terrasses au-dessus desquelles s’étend le plateau cyrénéen. Une plage nue, aride, sablonneuse, généralement rocailleuse, mais plate, et parsemée seulement çà et là de quelques tiges de palmiers, tels sont le lieu même et les environs de l’ancienne Bérénice, surnommée avec raison la Brûlante par l’exact Lucain[204].
On conviendra que cette situation est on ne peut pas plus contraire à un lieu ceint de précipices et de toutes parts inabordable ; à un lieu qui offrait une si belle végétation, que sa description exacte a passé pour fabuleuse ; enfin à l’idée que les anciens ont donnée du jardin des Hespérides, et de la grande fertilité de son territoire qui passait pour le meilleur de la Cyrénaïque[205].
Je n’ignore point que des personnes, par respect pour des opinions accréditées, n’ont pas craint, naguère encore, d’être infidèles aux convenances locales, et qu’elles se sont obstinées à placer ce jardin auprès de Bérénice. Des figuiers sauvages et des caroubiers clair-semés dans un peu de terre d’alluvion, non loin de cette ancienne ville, leur ont paru convenir parfaitement aux descriptions des anciens. Quant à moi, dont l’opinion sur des sujets d’érudition est, sans doute, d’un bien faible poids, et qui par cette raison même ne crains pas de combattre ces sortes d’opinions lorsque je ne les trouve point d’accord avec les lieux que j’ai visités, je ne perdrai pas mon temps à réfuter plus longuement celle que je viens de rappeler. Au défaut d’un grand savoir, je me servirai de mes yeux et de mon bon sens, et je chercherai à reconnaître la vraie place du jardin des Hespérides de la Cyrénaïque.
Pourvu de ce modeste secours, je serai porté à persister dans mon idée ; je détournerai la vue de l’aride Bérénice, et grimpant au promontoire Phycus, me reposant près du port des Phéniciens, j’aurai la bonhomie de voir dans ce port celui où abordèrent les Argonautes, lorsque du cap Malée ils furent poussés en Libye par le vent du nord. Je mesurerai des yeux les hautes terrasses du promontoire ; je parcourrai[174] les épaisses forêts, les bosquets dont elles sont couvertes ; je dénombrerai les espèces d’arbres et d’arbustes que j’y rencontrerai ; et me trouvant dans un lieu ceint de toutes parts de précipices, de toutes parts inabordable ; reconnaissant les mêmes plantes nommées par Scylax, je céderai à mon goût pour l’illusion, je me croirai dans l’ancien jardin des Hespérides. Je ferai plus, j’essaierai d’expliquer des allégories par des allégories : le terrible dragon qui gardait le jardin mystérieux déroulera sa croupe rocailleuse à ma vue ; il le ceindra de ses sinueuses aspérités, et en défendra encore l’accès de nos jours à nos Argonautes de Gênes ou de Provence, mais en ceci mon imagination fera peu de frais. Pline me suggérera littéralement mon allusion, puisqu’il l’a déja faite lui-même pour cet autre dragon de Lixos, qui, auprès des colonnes d’Hercule, comme le mien vis-à-vis de l’ancien Péloponèse, brave encore les efforts des tempêtes, et attend les interprétations des savants. La forme en promontoire de cet autre jardin des Hespérides, à-peu-prés semblable à celle du Phycus, les rochers dont il est hérissé, ou si l’on préfère, le bras de mer qui l’investit comme ferait une zône, ont suggéré aux Grecs, dit cet ancien naturaliste, de feindre qu’il était gardé par un dragon[206]. Cependant, quoiqu’il soit parfois utile que chacun cède à ses goûts, je m’arrêterai dans ce débordement d’hypothèses, et leur souhaitant un bon accueil chez les sévères critiques, je continuerai mes promenades, prêt à recommencer à rêver, si l’occasion s’en présente.
Ainsi je quitte Bénéghdem, et me dirigeant droit à l’ouest, à travers des vallées et des forêts qui offrent la plus piquante variété, j’arrive à l’extrémité de cette partie du plateau : j’en descends quelques marches et je me trouve auprès des ruines d’une ville distante de trois à quatre lieues de la mer, et située au milieu d’un groupe de collines dans une petite plaine très-fertile, nommée par les habitants Merdjèh, prairie. Des puits très-profonds, des tombeaux, et quelques pans de murailles, restes des temps antiques, peu intéressants par eux-mêmes, acquièrent néanmoins une grande importance, puisqu’ils servent à constater dans[175] ce lieu l’ancienne existence d’une ville qui joua un rôle important dans l’histoire de la Cyrénaïque ; je veux parler de Barcé.
Il serait superflu d’exposer ici la méprise que plusieurs auteurs anciens et modernes ont faite en confondant cette ville avec Ptolémaïs, située vis-à-vis et aux bords de la mer. Mannert, Thrige et autres savants ont prouvé longuement cette erreur qu’il n’est plus permis de mettre en problème, après le témoignage oculaire de Della-Cella, et dont mon propre examen m’a tout-à-fait convaincu. Ainsi, nous récuserons les traditions de Strabon, Pline, Suidas, Servius, et même d’Étienne qui, pour trancher à sa manière les difficultés géographiques, donne à la première ville l’un et l’autre nom[207] ; et nous nous en rapporterons exclusivement aux renseignements donnés par Ptolémée[208], et antérieurement par Scylax qui distingue positivement ces deux villes, place l’une dans l’intérieur des terres à cent stades de la mer, et l’autre sur le littoral[209], ce qui est parfaitement conforme à la disposition géologique des lieux, et aux ruines que l’on y trouve. Ce point admis, jetons un coup d’œil sur les annales de cette ville célèbre dont l’histoire a conservé des traits intéressants.
Il me paraît permis de penser contre l’assertion positive d’Hérodote, mais par induction de ce qu’il avance dans plusieurs passages, que Barcé serait peut-être antérieure à l’établissement des Grecs en Libye, ou que du moins elle serait originairement indépendante de leur colonisation. Cet historien dit que cette ville fut bâtie par les frères d’Arcésilas, quatrième roi de Cyrène[210] ; et Étienne de Byzance, qu’elle fut construite en briques, et que ses fondateurs furent Persée, Zacynthe, Aristomédon et Lycus[211]. Ces deux traditions ne sont contradictoires qu’en apparence, puisque les fondateurs nommés par Étienne pourraient être les frères d’Arcésilas qu’Hérodote n’a point nommés : aussi n’est-ce pas de là que je tirerai mes inductions.
[176]S. Jérôme affirme que Barcé était l’ancienne capitale d’une peuplade libyenne[212], et nous trouvons dans Hérodote plusieurs passages qui me paraissent favorables à cette opinion. Sous le troisième roi de Cyrène, à une époque par conséquent antérieure à la fondation présumée de Barcé, il est question d’Adicran, roi des Libyens, qui, outré des incursions que les Cyrénéens faisaient dans son territoire, implora le secours des Égyptiens pour les en chasser[213]. Plus tard nous voyons un Arcésilas s’allier avec Alazir, roi des Barcéens, et se réfugier ensuite auprès de ce prince[214]. Or, les noms de ces rois de Libye ne sont point grecs, comme l’a fait remarquer Mannert ; et cette succession de souverains indigènes traitant avec une grande puissance telle que l’Égypte, et s’alliant avec la famille royale de Cyrène, suppose nécessairement chez eux une filiation de pouvoir, et un point central de résidence, d’autant plus que les Barcéens étaient assez avancés en état social, pour que les traditions aient rapporté que Minerve leur avait enseigné à conduire les chars, et Neptune à dompter les chevaux[215].
Il paraît donc probable que Barcé ne fut pas fondée par les Grecs et à l’époque rapportée par Hérodote, mais seulement agrandie et reconstruite par eux à cette époque, et qu’elle dut être antérieurement en grand, ce que les bourgades méridionales de la Pentapole furent de tout temps en petit, c’est-à-dire, une enceinte spacieuse pour renfermer les troupeaux, et des tours élevées pour les défendre. Il résulte en outre des récits d’Hérodote, qu’après même que les Barcéens se furent mêlés dans leur ville avec les Grecs, ils continuèrent à être gouvernés par leurs propres rois. La vengeance qu’ils exercèrent sur Arcésilas, vengeance qui s’étendit à leur souverain Alazir, occasionna un événement assez connu, pour qu’il soit superflu de le répéter. Tout le monde se rappelle aussi l’expédition d’Ariandès, le stratagême d’Amasis, la prise de Barcé et la perfide cruauté de Phérétime. Cette catastrophe porta une atteinte irréparable à la ville de Barcé : la majeure partie de ses habitants, réduits[177] en esclavage, furent envoyés en Égypte, et de là dans la Bactriane où ils fondèrent une bourgade qui porta le nom de leur ville natale. Aussi l’histoire se tait long-temps sur cette ville, et ne recommence à éclairer ses annales que pour indiquer un nouvel événement qui, quoique moins funeste que le premier, porta néanmoins un coup plus terrible encore à l’existence politique de Barcé. Les Ptolémées furent à peine maîtres de la Pentapole, qu’ils fondèrent une ville sur le littoral dans le lieu même qui avait servi jusqu’alors de port à Barcé, et de même que nous avons vu Apollonie succéder en puissance à Cyrène, de même, à mesure que la ville nouvelle s’agrandit, elle attira dans ses murs les habitants grecs de l’ancienne, et la fit peu-à-peu oublier à un tel point, que la plupart des géographes l’ont confondue avec elle. Néanmoins, l’ancienne Barcé continua d’être habitée par les Libyens, mais comme ville libyenne, et non comme ville grecque. Ses habitants reprirent leurs anciennes habitudes ; ils recommencèrent leurs excursions, et acquirent un si grand renom par leurs brigandages, que toutes les peuplades de la Libye cyrénaïque se réunirent à eux, et ils furent collectivement désignés par le nom de Barcéens.
En résumant les faits et les conjectures que je viens d’exposer sur la ville de Barcé, il ne faut point s’étonner des ténèbres dont elle est restée entourée dans l’histoire, et qu’Eutrope, Ammien, Synésius, Antonin, Hiéroclès et Procope ne l’aient pas même nommée. Toutefois il me paraît certain que cette ville, habitée avant la colonisation grecque, survécut à tous ses désastres ; qu’après avoir été occupée d’abord par des Libyens seuls, et ensuite par des Libyens conjointement avec des Grecs et des Romains, elle joua encore un rôle important à l’époque chrétienne, et eut des pontifes de cette religion ; que même dans ces derniers temps elle fut distinguée et indépendante de Ptolémaïs[216] ; enfin que, tombée au pouvoir des Musulmans, elle fut rendue, pour ainsi dire, à ses destinées primitives. Elle vit alors la barbarie reconstruire ses murs, relever ses tours antiques, répandre de leur sommet l’épouvante et la[178] terreur, l’entourer comme autrefois de déserts ; enfin, pour comble de similitude, elle donna son nom à toute la contrée, de même que les Barcéens avaient donné le leur à toutes les peuplades qui les entouraient.
Rendons-nous maintenant à Ptolémaïs, dont j’ai déja indiqué la position. A peine avons-nous descendu les derniers contre-forts de la montagne, que nous nous trouvons en effet, comme le dit Scylax, à cent stades de Barcé et sur les bords de la mer, les ruines de la ville des Ptolémées, dont les habitants actuels ont conservé, aussi fidèlement que leur langage le permettait, l’ancien nom dans celui de Tolometa. De même que les autres ruines des villes littorales que nous avons visitées, celles de Ptolémaïs sont en grande partie envahies par la mer ; mais des débris précieux, tels que des colonnes, des blocs de marbre et de porphyre, se trouvent ici en si grand nombre, qu’on peut les distinguer fort loin à travers la transparence des eaux. D’après cette description, il serait difficile de juger de l’ancienne disposition du port de la ville. Si l’on s’en rapporte à l’aspect qu’il offre dans son état actuel, il ne parait pas avoir jamais été aussi sûr que celui d’Apollonie. Quoi qu’il en soit, un gros rocher isolé couronné de pans de murs que l’on voit au nord-est, et à un quart de lieue du port, est sans contredit le même que l’île fortifiée appelée Ilos par le Périple anonyme[217], Myrmex par Ptolémée[218] et Synésius, et offrant suivant ce dernier un phare aux navigateurs[219].
Quant aux monuments de Ptolémaïs, les seuls qui aient résisté aux outrages du temps se trouvent à quelque distance des bords de la mer, et sur les dernières ondulations de la montagne. Un des plus importants est une caserne romaine entourée d’un large fossé, et d’une double enceinte[220]. Dans l’intérieur, on trouve encore dans un état parfait de conservation les fourneaux qui servaient aux usages domestiques des soldats. Sur la façade de l’édifice on voit trois immenses blocs de grès intercalés dans ses assises, sur lesquels est une inscription grecque très-longue, mais tellement fruste, qu’un de nos plus célèbres philologues,[179] M. Letronne, affirme que sa restitution complète est, sinon impossible, du moins très-difficile. Le peu qu’il nous en apprend augmente encore nos regrets, puisqu’elle contient un rescrit d’Anastase premier, relatif à divers sujets d’administration publique, et notamment au service militaire[221]. Non loin de cette caserne, et à-peu-près au centre de la ville, sont les ruines d’un pronaos avec trois colonnes debout, seuls restes d’un temple romain au-dessous duquel règne un grand souterrain, divisé en neuf corridors enduits de ciment, et destiné infailliblement à servir de réservoir. Enfin à l’extrémité occidentale des ruines, on voit deux grandes constructions massives, espèce de pylône à inclinaison égyptienne qui paraît avoir formé l’entrée de la ville[222].
Les autres monuments reconnaissables sont la plupart des grottes sépulcrales creusées dans les parois circulaires de cinq à six bassins qui bordent le rivage. Ces grottes intérieurement n’ont rien de remarquable ; et quant à l’extérieur elles ne sauraient, quoi qu’en ait dit Della-Cella, être comparées à celles de Cyrène dont elles diffèrent autant par l’aspect général que par les détails particuliers. En effet, au lieu de ces façades doriques, si variées par leurs styles, si élégantes par leurs proportions, qui décorent la nécropolis de la capitale, nous ne voyons dans celles de Ptolémaïs que de petites entrées grossièrement taillées dans le roc, mais couvertes d’inscriptions gravées irrégulièrement et à diverses époques[223]. Ces inscriptions se trouvent placées dans des encadrements qui figurent tantôt de simples carrés en relief ou en creux, tantôt des carrés oblongs[180] surmontés d’un demi-cercle ou d’un triangle plus ou moins aigu, et tantôt une porte à deux colonnes couronnée d’une rosace. Quelle que soit la forme de ces encadrements, ils sont toujours accompagnés de deux espèces de tenons, comme s’ils étaient suspendus à la paroi de la grotte. Ces petits tableaux, sculptés çà et là sur la roche brute, offrent un attrait particulier : ils semblent témoigner qu’une pensée tumulaire fut le seul ornement dont les familles des défunts voulurent décorer ces asiles de deuil.
Cependant d’autres monuments funéraires présentent encore à Ptolémaïs un autre genre d’intérêt. Le système d’architecture que nous avons aperçu en petit auprès du village de Djaborah se retrouve ici avec plus de développement. Une colline, située à l’occident des ruines, fut profondément taillée pour ménager, à certains intervalles, des masses carrées de rocher creusées en tombeaux. Toutefois ce système ne put s’étendre jusqu’au plus considérable d’entre eux, dont la base seule est en massif de roche, et le reste en belles assises couronnées d’une frise en triglyphes. Ce mausolée contient deux étages : l’inférieur est divisé superficiellement en dix caveaux, et horizontalement en cinq cellules de chaque côté ; l’entrée en est triangulaire, et formée par l’avancement successif des assises qui finissent par se joindre. Cette dernière disposition est remarquable en ce qu’elle ne se trouve pas autre part dans la Cyrénaïque, et qu’elle est parfaitement conforme à l’entrée de la pyramide de Chéops, et à l’intérieur d’un des monuments lagidéens de la Marmarique[224]. D’après ces analogies égyptiennes, on est porté à attribuer cet édifice aux Ptolémées, et à adopter l’opinion de Della-Cella qui lui donne pour fondateur Ptolémée Physcon. On sait que ce prince obtint, en vertu d’un décret du sénat de Rome, le gouvernement de la Libye orientale et de la Cyrénaïque, et vint y résider pour terminer les dissensions qu’il avait avec son frère Philométor. Il est donc probable, dit Della-Cella, que ce mausolée n’a pas été élevé avant cette époque ; et il l’est bien moins qu’il l’ait été postérieurement ; car, d’après la jalousie connue des Égyptiens pour les honneurs de leur sépulture, on ne peut supposer que le premier roi[181] égyptien de la Cyrénaïque n’ait pas cherché, dans la ville qu’il avait probablement fondée, à distinguer son tombeau de ceux de ses sujets.
Je cite d’autant plus volontiers cette opinion très-vraisemblable de Della-Cella, que je me vois obligé de le combattre sur une autre qu’il a émise au sujet des ruines de Ptolémaïs, et de laquelle il résulte que tout ce qui reste de cette ville est pur égyptien, et de ce style qui, bien que grossier, a quelque chose de grand qui frappe l’imagination et imprime le respect. Assurément Della-Cella n’a pu fonder un pareil jugement que sur les croquis informes de Paul-Lucas, Norden et Pococke ; car, s’il eût visité les monuments gigantesques de l’ancienne Égypte, il est hors de doute que cet habile voyageur, si judicieux sur tant d’autres points d’antiquité, n’aurait pas commis une erreur que j’aurais volontiers passée sous silence, selon mon habitude, mais dont la réfutation m’a paru trop importante pour l’histoire archéologique de la Cyrénaïque.
Les ruines de Ptolémaïs occupent environ quatre milles de circonférence. Cette grande étendue, et les beaux monuments que je viens d’indiquer, justifient les épithètes de très-remarquable et de très-grande ville que Ptolémée et le Périple anonyme donnent à cette ville, et même les expressions de Procope qui loue son ancienne splendeur et sa grande population[225]. Cependant hors le grand réservoir souterrain du temple, on ne trouve ni citerne ni source parmi ces ruines. Je fais cette observation, quoiqu’elle doive paraître d’une faible conséquence après la description d’Apollonie ; mais j’en prends acte parce qu’elle prouve l’exactitude rigoureuse des renseignements transmis à ce sujet par l’antiquité. A Ptolémaïs comme à Apollonie, on trouve les vestiges d’un aqueduc qui conduisait les eaux de pluie du pied de la montagne dans l’intérieur de la ville ; et l’on peut avancer que cet aqueduc fut la seule cause de sa prospérité et de sa décadence alternatives. En effet, par la négligence des préteurs romains, il tomba en ruines à une époque antérieure au règne de Justinien, ce qui occasionna parmi les habitants une telle pénurie d’eau, qu’ils se virent la plupart forcés de déserter la ville. Cependant, graces aux soins de cet empereur, l’aqueduc fut reconstruit ; et Ptolémaïs ne tarda pas à[182] se repeupler et à reprendre son ancienne splendeur[226] ; mais il paraît que ce ne fut pas pour long-temps. Dans le cinquième siècle de notre ère, l’aqueduc était de nouveau détruit, ce que les incursions des Barbares expliquent suffisamment à cette époque, et l’infortuné évêque de Ptolémaïs, après avoir assuré qu’on ne trouvait point d’eau dans ses murs, dit qu’il fallait conquérir par les armes la faculté d’aller chercher aux puits et ruisseaux des environs, l’eau nécessaire aux besoins des habitants[227].
[198]Strab. l. XVII, c. 3.
[199]Ptolém. l. IV, c. 4.
[200]Synes. Epist. 113.
[201]Le Périple anonyme nomme le Phycus, Phœnicus (Iriarte, p. 486).
[202]Pinède, dans Étienne, mot Balis, n. 28.
[203]Scylax, ed. Gronov. p. 110.
[204]Bell. civil. l. IX, v. 524.
[205]Hérod. l. IV, 198.
[206]Pline, l. V.
[207]Mot Barce.
[208]L. IV, c. 4.
[209]Scylax, ed. Gronov. p. 109.
[210]Hérod. l. IV, 160.
[211]Loc. cit.
[212]Epist. ad Dardan.
[213]Hérod. l. IV, 159.
[214]Id., ibid. 164.
[215]Étienne, au mot Barce.
[216]Geogr. sacra, p. 283, 284. Le Quien (Orien. Christ, t. II, p. 626), nomme trois évêques de Barcé, indépendamment de ceux de Ptolémaïs.
[217]Iriarte, p. 486.
[218]L. IV, c. 4.
[219]Epist. 4.
[221]Journ. des Savants, mars 1826, p. 168.
[223]J’ai annoncé dans l’Avant-propos que cette Relation contiendrait la traduction des inscriptions par M. Letronne, travail que mon peu de connaissance de la langue grecque ne m’a pas permis, il s’en faut de beaucoup, d’entreprendre. Cependant, quoique depuis que j’ai écrit cet Avant-propos j’aie eu la patience, ou plutôt la faiblesse, de passer deux années de veilles sur un sujet aussi obscur que la Cyrénaïque, je crains néanmoins que leur résultat ne soit resté bien faible, et peut-être un peu hasardé. D’après cette raison, je me suis décidé à ne point intercaler dans ce livre la traduction et les savantes explications de ces inscriptions, dont j’aurais pu disposer, graces à l’obligeance du profond philologue que j’ai nommé, mais qui auraient inévitablement contrasté avec mon érudition avanturée et mes phrases descriptives. Quelques blocs de marbre posés çà et là au milieu d’un frêle édifice auraient-ils pu le rendre plus solide ?
[225]De Ædific. l. VI, c. 2.
[226]De Ædific. l. VI, c. 2.
[227]Synes., Epist. 131.
Teuchira. — Fleuve Ecceus. — Adrianopolis.
A l’occident de Ptolémaïs la côte devient plus unie, et la plaine qui la sépare des escarpements de la montagne, d’une fertilité qui ne le cède guère à la région boisée. Si l’on traverse cette plaine dans la saison du printemps, la vue est éblouie d’une prodigieuse quantité de pavots, dont la couleur pourprée, mariée avec le jaune éclatant de l’anémone orientale, étincelle aux rayons ardents du soleil de Libye. En outre, de nombreuses plantes aromatiques couvrent les parties de la plaine qui n’ont pas été converties en moissons ; les brises marines en agitent mollement les touffes fleuries, et se jouant ensuite dans les airs y répandent, avec leur voluptueuse fraîcheur, de suaves parfums. De quelque côté que l’on porte la vue, on éprouve des sensations agréables : d’une part, les collines, toujours variées de teintes et d’aspect, se dessinent en mille formes ; de l’autre, la mer présente sa vaste étendue, et déroule lentement ses flots sur la plage tranquille. Quelques ruines défigurées, éparses çà et là, offrent, il est vrai, au milieu de ce tableau plein de vie, l’image de la destruction ; mais elles ne produisent pas un effet pénible sur la pensée : l’aspect riant de la nature rend le souvenir des temps historiques moins affligeant.
C’est par un chemin aussi agréable, et après neuf heures de marche de Ptolémaïs, que nous arrivons aux ruines de Tokrah, situées sur une légère élévation aux bords de la mer. Ici, comme à Tolometa, on est frappé d’abord de la similitude du nom moderne avec le nom ancien ; car les ruines considérables auprès desquelles nous nous trouvons ne peuvent être que celles de Teuchira, une des cinq villes qui composaient la Pentapole lybique. Sa position, indiquée un peu vaguement par Strabon et Ptolémée entre Bérénice et Ptolémaïs[228], est mieux déterminée[184] par Hérodote qui la place dans le territoire de Barcé, qu’on aperçoit encore de ce lieu sur les montagnes[229], et se trouve enfin irrévocablement fixée par le Périple anonyme, dont les deux cent cinquante stades entre Ptolémaïs et Teuchira[230] correspondent exactement avec la distance que nous avons mentionnée.
Les ruines de cette ville sont entourées d’une muraille d’enceinte formant un carré irrégulier de deux milles environ de circonférence. Cette muraille d’une belle conservation, et flanquée de tours à ses angles, a été redressée avec des matériaux d’édifices plus anciens. Les nombreuses inscriptions coupées, renversées, ou placées en tous sens, qu’on y aperçoit, en sont la preuve évidente. Procope nous apprend que Justinien fit fortifier cette ville[231] ; et quoiqu’il ne dise pas quel fut le genre de fortification qu’il employa, ce ne serait pas beaucoup hasarder que d’attribuer au même empereur qui fit relever les murs de Bérénice, Parætonium et autres, la réédification de la belle enceinte de Teuchira. Quoi qu’il en soit, autant cette muraille est bien conservée, autant l’intérieur de la ville est bouleversé, et ne présente que de confuses agglomérations de débris. Della-Cella qui a visité ces ruines, a fait mention des deux seuls monuments tant soit peu reconnaissables. L’un est couvert, sur chacune des pierres de ses assises, d’une inscription entourée d’une guirlande de laurier, et contenant des noms et des dates ; l’autre fut évidemment un temple dédié à Bacchus, si l’on en juge par les fragments de plusieurs chapiteaux ornés de feuilles de vignes et de grappes de raisin. Un pilastre en marbre qui paraît avoir formé l’entrée de l’édifice est encore debout ; il est couvert de sculptures figurant des palmes et des rosaces élégantes[232].
Les tombeaux de Teuchira sont aussi nombreux que ceux de Ptolémaïs ; ils ont la même disposition, le même genre d’architecture, et sont couverts également d’inscriptions encadrées. Ceci contredit encore la comparaison que Della-Cella fait de ces tombeaux avec les belles grottes[185] doriques de Cyrène, et le témoignage d’Hérodote qu’il cite à ce sujet, d’après lequel Teuchira aurait été soumise aux mêmes lois que Cyrène, opinion qui, bien que vraisemblable par le fait, ne se trouve néanmoins rapportée nulle part, que je sache, par le père de l’histoire[233].
Il est toutefois certain que Teuchira fut fondée par Cyrène[234] ; que ce fut une ville des plus importantes comme des plus anciennes de l’Autonomie ; et qu’elle fut faite colonie romaine dans le commencement du second siècle de notre ère[235]. Sous les Ptolémées, elle reçut le nom d’Arsinoe au lieu de celui de Teuchira, qu’elle avait encore lorsqu’elle fut prise par Thimbron. Cependant elle ne conserva pas toujours sa nouvelle dénomination ; elle reprit la première à une époque qui n’est pas fixée par l’histoire, et que l’on ne peut qu’entrevoir parmi les traditions successives des auteurs.
Les plus anciens, tels que Scylax, Hérodote et quelques poètes, la nomment en effet Teuchira ; Strabon lui donne l’un et l’autre nom ; Pomponius, postérieur de peu d’années à ce géographe, ne lui donne que celui d’Arsinoe ; Pline, en la nommant ainsi, dit cependant qu’elle était vulgairement appelée Teuchira ; Ptolémée lui donne encore l’un et l’autre nom ; des auteurs du troisième et quatrième siècle, Eutrope et Ammien Marcellin, n’en font jamais mention que sous le nom de Teuchira : à ceux-ci on peut joindre Synésius ; et, ce qui est surprenant, peu d’années après ce dernier, Étienne de Byzance atteste que Teuchira s’appelait de son temps Arsinoe, quoique Procope la nomme ensuite exclusivement Teuchira, et qu’elle soit définitivement désignée sous ce dernier nom par tous les écrivains postérieurs, et notamment dans les ouvrages qui traitent de la Pentapole chrétienne.
Il résulte de ces traditions contradictoires qu’on ne saurait dire pendant combien de temps cette ville porta le nom d’Arsinoe, mais qu’on[186] peut statuer qu’elle porta exclusivement celui de Teuchira dans les premiers et derniers siècles de la civilisation de la Cyrénaïque : c’est donc ce dernier nom qu’il convient de lui donner. La nommer en passant est aussi tout ce qu’il m’est permis de faire, puisque le silence de l’histoire ne m’a offert d’autres ressources que l’aride exposition des phases diverses d’un nom. Allons donc chercher ailleurs, s’il est possible, des notions moins vagues et des faits moins insignifiants.
La plaine qui règne à l’occident de la Pentapole, entre les bords de la mer et la région montueuse, s’élargit progressivement à mesure qu’elle s’étend vers le sud-ouest. Large seulement de quelques minutes à Ptolémaïs, elle l’est d’un quart de lieue environ à Teuchira, et atteint cinq à six lieues auprès de Bérénice, distante elle-même de quinze lieues des ruines précédentes. En s’avançant davantage vers le sud, la largeur de cette plaine continue d’augmenter ; mais je dois borner maintenant mon attention à la seule partie comprise entre Teuchira et Bérénice. Si on la parcourt du côté des montagnes, on marche continuellement sur un terrain couvert de prairies et de moissons, tandis que du côté opposé on trouve alternativement de petites lagunes marines, et des terres couvertes d’une croûte salée, formant ensemble un long bassin qui fut probablement autrefois entièrement occupé par les eaux. Cette observation n’est pas sans intérêt, en ce qu’elle peut servir à expliquer une question géographique qui se rattache à cette partie de la Cyrénaïque.
Si l’on examine attentivement la disposition géologique de cette contrée, on cherchera en vain à s’expliquer ce fameux Ecceus[236], Tritonis[237] ou Lathôn[238], fleuve que l’antiquité place à l’orient de Bérénice, et qui avait son embouchure au port de cette ville. J’ai déja fait remarquer, auprès des autres villes littorales, situées presque au pied des collines, que les anciens avaient été obligés de construire des aqueducs pour conduire dans leurs murs les eaux de la région boisée. Or, comment ces eaux qui se perdent ordinairement à très-peu de distance de leur point de départ, auraient-elles pu, dans l’antiquité, traverser une plaine de six[187] lieues de largeur, et former une masse d’eau assez considérable pour prendre le nom de fleuve. Il est presque superflu que j’affirme qu’on ne trouve pas le moindre indice, dans cette plaine, non seulement d’un fleuve, mais d’un simple ruisseau ; c’est ce que Della-Cella nous avait déja appris, tout en témoignant son étonnement de la tradition contraire transmise à ce sujet par l’antiquité, et dont, si je ne me trompe, voici la cause.
J’ai dit que tout le littoral compris entre Teuchira et Bérénice, est occupé par un bassin formé alternativement de petites lagunes et de terres salées, et séparé seulement des bords de la mer par une digue d’atterrissement plus ou moins forte. Nul doute, d’après l’aspect actuel du sol, que ces lagunes ne se joignissent autrefois entre elles, et ne formassent, par conséquent, une espèce de fleuve stagnant qui se prolongeait jusqu’au port de Bérénice. Serait-ce donc émettre une conjecture trop hasardée, si l’on supposait que ce long bassin d’eau salée ne fût autre chose que le fleuve cité par la plupart des anciens géographes ? Cette conjecture n’acquiert-elle pas un nouveau degré de vraisemblance, en remarquant que divers lits à sec, et d’autres formant encore de petites flaques d’eau, entourent la ville de Ben-Ghazi, de même que le fleuve Ecceus entourait, selon Scylax, la ville des Hespérides[239] ? Que si l’on voulait m’objecter les interruptions qui existent entre les lagunes actuelles, qui auraient formé, selon moi, le fleuve stagnant, cette objection serait on ne peut pas plus spécieuse, puisqu’on retrouve de fréquents exemples du desséchement successif de lacs et de fleuves salés dans l’intérieur même de la Libye. Je dirai plus : ce desséchement d’une partie de l’Ecceus sert au contraire à expliquer un autre point de géographie ancienne qui se rattache au même sujet.
Strabon distingue le lac Tritonis du fleuve Lathôn qui venait s’y joindre ; et Ptolémée, de même que Scylax, ne fait mention que du fleuve. Quoi qu’il en soit de cette différence de traditions, elle est peu importante, puisqu’on peut avoir donné le nom de lac à un grand élargissement du fleuve auprès de Bérénice, situation que Strabon[188] assigne au Tritonis, et où nous trouvons, en effet de nos jours, le plus considérable des étangs salés. Mais ce qui est d’un bien autre intérêt pour nous, c’est que, d’après le même géographe, ce lac contenait une île avec un temple de Vénus. L’habile observateur Della-Cella n’a pu se défendre de reconnaître le Palus-Tritonis dans l’étang que je viens d’indiquer, en paraissant toutefois fort surpris de n’y retrouver ni l’île ni le temple. Cette surprise n’existera pas long-temps, j’en suis certain, dans l’esprit de mon lecteur : il se rappellera le desséchement de l’Ecceus que je lui ai signalé ; de ce desséchement il induira celui d’une partie du lac, et de cette dernière cause la disparition de l’île. En effet, d’après l’étendue des terres couvertes d’une cristallisation saline qui environnent l’étang où correspond le Tritonis de Strabon, l’ancien lac semble réduit au tiers de ses dimensions primitives. On ne s’étonnera donc pas de la disparition de l’île qu’il contenait, puisqu’elle doit faire partie des terres qui environnent l’étang. Il resterait néanmoins à retrouver les ruines du temple ; des fouilles vers la partie orientale de l’ancien lac en offriraient peut-être quelques débris. Je donne cette indication pour provoquer l’attention des voyageurs, n’osant toutefois trop les encourager dans une recherche dont l’objet, mentionné seulement par un des plus anciens géographes, n’existait probablement plus du temps de Ptolémée, et fut certainement inconnu des scrupuleux compilateurs du Périple anonyme.
Entre Teuchira et Bérénice, on rencontre un grand nombre de puits et quelques ruines de hameaux, appartenant les uns et les autres à l’époque sarrasine. Le plus considérable de ces hameaux, nommé El-Berss, fut le point central de ces habitations maures ; ceux qui l’entourent, et même les lagunes qui l’avoisinent, en prennent encore le nom. Quant aux ruines d’une antiquité plus reculée, hormis celles d’un bourg dont je vais parler, on n’en aperçoit pas ailleurs les moindres vestiges. Il paraît, en effet, d’après le silence des anciens géographes, que cette partie du littoral fut peu habitée ; les terres salées dont elle est couverte, et qui auraient été autrefois totalement inondées, selon mes précédentes conjectures, peuvent en offrir une explication satisfaisante.
Cependant il est certain, d’après l’itinéraire d’Antonin, Hiéroclès et[189] Peutinger, que dans le deuxième siècle de notre ère une ville fut élevée, dans cette partie du littoral, à vingt-huit milles de Bérénice, et à dix-huit de Teuchira, et que cette ville porta le nom de l’empereur Adrien[240]. L’histoire indique vaguement le voyage de cet empereur en Libye ; mais elle atteste qu’il y envoya des colonies pour la repeupler, et afin qu’elle pût se rétablir des dévastations des Barbares, et des divisions intestines dont elle avait beaucoup souffert[241]. C’est infailliblement en mémoire de ces bienfaits, que l’on frappa cette médaille parvenue jusqu’à nous, sur laquelle Adrien est représenté comme le bienfaiteur et l’appui de la Libye[242].
Cependant, si l’on en juge par les ruines mentionnées, et situées à peu près à la distance indiquée par les auteurs cités, la ville d’Adrien méritait tout au plus le nom de village. On y voit les débris d’un château romain, et une tour dont la base est en belles assises, et le sommet, redressé par les Arabes, en pierres brutes ; du reste, aucun indice de monument remarquable, ni aucun de ces beaux fragments d’architecture, que l’on trouve parmi les pierres éparses des bourgs les plus détruits de la Cyrénaïque. Mais cette observation est d’une moindre importance que les suivantes. Je suis bien plus surpris que Ptolémée, qui nous a conservé la liste si détaillée des moindres villages de la Cyrénaïque littoraux ou situés dans l’intérieur des terres, quoique postérieur à cet empereur, et qui a même vécu sous Marc-Aurèle, n’ait pas fait mention de la ville d’Adrien. A ce silence il faut ajouter celui moins concluant de Synésius, mais celui bien plus remarquable d’Étienne de Bysance, en ce que parmi toutes les villes d’Adrien dont il parle, il n’en place aucune en Libye. On serait donc porté à douter de l’ancienne existence de cette ville, qui semble avoir été inconnue à des époques si différentes, d’un géographe scrupuleux, du philosophe de la[190] Pentapole chrétienne et d’un minutieux compilateur, si, outre l’accord de position qui règne entre les autorités citées et mes observations locales, nous ne voyions l’existence d’Adrianopolis irrévocablement fixée par des traditions ultérieures aux époques mêmes où vivaient Synésius et Étienne, et placée comme évêché parmi les six principales villes de la Pentapole libyque[243] !
Que conclure de ces contradictions ? si ce n’est que les documents qui nous restent sur la Cyrénaïque sont tellement obscurs et remplis de lacunes, que très-souvent ce que nous y trouvons de plus positif est ce qui paraît, sous d’autres rapports, entouré de plus de doutes.
[228]Strab. l. XVII, c. 3. Ptolém. l. IV, c. 4.
[229]Hérod. l. IV, 171.
[230]Iriarte, p. 486-487.
[231]De Ædif. l. VI, c. 3.
[233]Si je ne me trompe, Della-Cella a confondu la peuplade des Cabales qui occupait, au rapport d’Hérodote, les environs de Teuchira, avec les habitants de cette ville. Les Cabales, dit cet historien, suivaient les mêmes usages que les Asbytes qui demeuraient au-dessus de Cyrène (l. IV, 171).
[234]Pindare, Pyth. IV.
[235]Eusèbe, Chronique.
[236]Scylax, ed. Gronov. p. 111.
[237]Strabon, l. XVII, c. 3.
[238]Ptolémée, l. IV, c. 4.
[239]Scyl. loc. cit.
[240]Anton. August. Itiner. ed. Wessel. p. 67. Hierocl. Synecd. p. 633. Peuting. Tab.
[241]Eusèbe, Chronique.
[242]Une médaille publiée par Pellerin, représente Adrien, en toge, tenant de la main gauche un rouleau, et relevant de la main droite une femme à genoux, symbole de la Libye, avec cette inscription : Restitutori Aug. Libyæ. S. C. (Pelle. Rec. t. I, p. 207).
[243]Geogr. sacra, p. 56.
Magasins souterrains. — Nécropolis de Cyrène.
Ce serait faire languir mal à propos mon lecteur que de le retenir pour le moment à Bérénice. La ville ancienne a totalement disparu, et s’il en existe encore quelques débris, ils sont ensevelis sous la ville arabe où nous viendrons nous reposer avant de traverser les plaines de sable, et d’aller visiter les Oasis. Hâtons-nous donc de rétrograder vers l’objet principal de ce voyage, vers l’illustre Cyrène ; nous en connaissons à présent tous les environs, il est temps de la connaître elle-même.
Nous voici de retour au port d’Apollonie ; nous nous empressons de traverser la plaine qui la sépare des escarpements de la montagne, et nous pénétrons dans un ravin par où l’on se rend habituellement à la plaine de Grennah, nom moderne de l’ancienne métropole de la Cyrénaïque. J’ai tant de fois parlé de la disposition géologique de ces montagnes, des masses lugubres de leur haute végétation, de l’agréable variété des bosquets groupés sur les collines, ou enfouis dans les vallées, qu’il deviendrait insipide d’en faire de nouvelles descriptions, d’autant plus que dans ces moments j’y prêtais peu d’attention. Égyptiens, Nubiens et Européens, chacun de nous ne songeait qu’à Grennah, et ne parlait que de ses ruines mystérieuses. Ce fut dans cette préoccupation que nous franchîmes les premières terrasses de la montagne, et que nous nous trouvâmes à Magharenat, endroit richement boisé, et ainsi nommé à cause des grottes vastes et profondes qu’on y trouve.
Ces immenses excavations, situées à moitié chemin d’Apollonie et de Cyrène, surprennent au premier aspect : leurs entrées béantes s’aperçoivent de loin, quoique à demi-cachées par des touffes d’arbres, et présentent autant de gouffres ténébreux, qui saisissent un instant l’imagination remplie des récits merveilleux des Arabes. Mais ce premier effet dissipé, l’observation succède, et l’esprit n’en est que plus satisfait.
[192]On peut entrer à cheval dans tous ces hypogées taillés dans la montagne, et l’on se trouve dans des pièces ayant trente à quarante mètres de chaque côté, soutenues, comme on doit le supposer, par plusieurs rangs de pilastres placés régulièrement ou irrégulièrement, selon la solidité que la roche a offerte. Dans aucun on ne reconnaît le moindre indice de destination sépulcrale. Plusieurs sont ornés au-devant d’une espèce de portique monolithe et d’une salle découverte ; d’autres ont une avenue droite ou sinueuse ; et un d’entre eux se distingue par un bel et large escalier pratiqué également dans la colline, et couvert dans toute sa longueur d’une voûte de construction. Cette voûte fut infailliblement destinée à mettre à l’abri des intempéries de l’air les habitants de Cyrène, qui venaient dans ce lieu visiter les marchandises envoyées d’Apollonie ; car, n’en doutons point, ces vastes hypogées furent des magasins. J’ai dit, d’après Diodore, qu’Apollonie fut pendant long-temps l’entrepôt du commerce de Cyrène. Or, quelque soin que les habitants aient mis à adoucir la pente de la voie publique qui conduisait du port à la capitale, cette voie ne dut jamais être d’un accès facile aux charriots qui transportaient les marchandises. Outre la montée très-escarpée voisine d’Apollonie, il fallait, après les magasins où nous nous trouvons, en franchir une seconde pour arriver à Cyrène ; et l’intervalle qui sépare ces deux grands escarpements est lui-même hérissé de petites terrasses, et partout croisé de vallées et de ravins. Un entrepôt, au milieu de cette voie, dut donc être indispensable pour les objets de gros volume, tels que les marbres, métaux, et autres matériaux étrangers au sol de la Cyrénaïque, et qui y étaient apportés de la Grèce et de l’Asie mineure. La destination et la situation de ces hypogées me paraissent, par conséquent, suffisamment motivées ; de même que le soin que les anciens ont mis à les creuser, et surtout leurs étonnantes dimensions, appuient les notions que nous a laissées l’antiquité sur le commerce considérable que la Grèce africaine faisait avec les principaux ports de la Méditerranée.
Ces appartements souterrains, situés loin de la route que suivent les caravanes de la Mecque et même du chemin qui conduit de Derne à Ben-Ghazi, offrent, depuis bien des années, des habitations commodes aux[193] Arabes de Barcah. Des tribus entières en ont successivement fait leur domicile, et des ateliers de divers genres y ont été tour-à-tour établis. Cependant des hordes de bandits ont parfois envahi ces paisibles retraites ; elles en ont chassé leurs possesseurs, et en ont fait le repaire de leurs déprédations ; mais leur séjour n’y a jamais été de longue durée. Les tribus voisines se sont réunies ; les bandits ont été dispersés, et les propriétaires légitimes sont rentrés en pouvoir de leur bourgade troglodyte.
C’est peut-être à ces usurpations momentanées, ou pour mieux dire, à ces farouches usurpateurs, funeste assemblage de ce que les déserts recèlent de plus fainéant et de plus vicieux, qu’il faut attribuer une tradition, vrai pendant de la ville pétrifiée, tradition également transmise par des voyageurs, et aussi légèrement accueillie par des savants ; je veux parler de la peuplade libyenne, parlant un langage inconnu, et habitant les montagnes entre Cyrène et Apollonie. Je croirais barbouiller trop inutilement du papier que de donner sur ce sujet d’autres explications. De même que les voyageurs des temps antiques s’arrêtaient probablement à la station du chemin de Cyrène, nous nous y sommes reposés un instant, et nous poursuivons ensuite notre route.
Peu de sites, même dans les plus beaux cantons de l’Italie, présentent un aspect aussi pittoresque que les sentiers que nous parcourons. Il faut ajouter qu’ils sont presque partout parsemés de précieux débris qui, quoique à peine reconnaissables, doivent nécessairement produire dans ces lieux un tout autre effet que ceux que l’on rencontre dans les champs tant de fois visités de la Grèce européenne. Ce n’est point sans éprouver une surprise agréable que l’on aperçoit tantôt un pilastre de marbre posé par le temps, comme pour inviter à la méditation, sous les branches horizontales d’un énorme cyprès ; et tantôt le torse gracieux d’une statue de quelque nymphe adorée à Cyrène, autour duquel les myrtes et les lentisques entrelacent leurs faibles rameaux, et semblent vouloir le défendre contre la main des Barbares. Mais je n’en finirais pas, si je voulais reproduire cette foule de détails, source de mille sensations que le moindre accident faisait naître, et qu’un autre accident effaçait. Je m’étais recueilli, je jouissais de tout ce qui m’entourait, et j’avançais en silence ; je ferai de même maintenant : cela vaut mieux que mes oiseuses paroles.
[194]Après une heure et demie de marche des magasins souterrains, distants eux-mêmes de deux heures d’Apollonie, nous arrivons au pied de la seconde montée. Un large sentier taillé dans le roc est devant nous ; les roues des chars antiques le sillonnent ; nous y pénétrons, et nous suivons avec lui transversalement les échelons de la montagne. Mais à peine avons-nous fait quelques pas sur ce chemin, que nous commençons à y rencontrer latéralement d’élégants tombeaux ; nous avançons, et les tombeaux se multiplient, pour ainsi dire, devant nous ; enfin nous avons atteint le point le plus élevé du chemin, et un spectacle imposant se développe alors à nos yeux. Tout le flanc de la montagne, autant que la vue peut en embrasser l’étendue, se présente couvert de façades de grottes, de sarcophages et de débris de toute espèce. Ces ruines s’étendent fort loin dans la plaine qui se déroule à nos pieds, et couronnent aussi les hauteurs qui nous dominent : nous voilà donc dans la vaste Nécropolis de Cyrène.
Cependant cette réunion immense de débris de plusieurs âges et leur poétique désordre frappent tellement la vue, qu’ils n’y apportent que confusion, et l’on a besoin de se recueillir pour pouvoir distinguer tant d’objets d’entre eux. A cet effet, nous nous hâtons de chercher une retraite parmi ce grand nombre de grottes. Nous en trouvons une immense au centre même de la Nécropolis ; elle contient plusieurs salles spacieuses, la caravane entière peut y pénétrer, les logements sont distribués, et nous sommes enfin installés auprès des ruines si désirées.
On conçoit toutefois que ce n’est pas sans pourparler, et sans de certaines conditions, qu’un Européen prend ainsi possession d’une caverne fort commode au milieu même des habitants scénites qui occupent le canton. Dès l’arrivée de la petite caravane étrangère, un grand divan est convoqué, et tous les cheiks des environs sont aussitôt accourus. Le cérémonial simple mais imposant du désert, des figures sauvages garnies de barbes noires et touffues, des yeux sévères et pétillants de feu qu’on aperçoit à demi cachés sous de larges draperies, des fusils, des poignards et des chevaux, ornent, composent, entourent la grave assemblée. L’Européen en occupe le centre : on lui demande d’abord à connaître le motif de sa visite inattendue ; il communique l’autorisation du Bey : résidant dans sa province, on n’en ferait aucun cas ; absent, on en rit ; il faut[195] donc qu’il songe à d’autres expédients. Il s’explique avec franchise ; il promet de se tenir à l’écart des terres ensemencées, de ne parcourir que les rocailles, de ne vivre que parmi les ruines ; puis il fait de petits cadeaux : c’est de la poudre et des armes, objets séduisants pour ces hôtes du désert. Leurs farouches regards à cet aspect se radoucissent, ils parcourent ensuite l’attirail de l’Européen : point de luxe ; des chameaux qui ruminent dans un coin, pour équipage ; des draperies grossières et des armes pour costume : cela n’excite pas beaucoup l’avidité, et sent même un peu la fraternité. Les cheiks hésitent d’abord, puis ils se laissent persuader. On se touche de part et d’autre dans la main, on se fait l’accolade, on partage le pain et le sel : le séjour légal en devient irrévocablement assuré ; enfin l’assemblée se dissout, et l’exploration commence. Les premiers jours furent destinés, comme on doit le supposer, à une inspection générale des lieux, à dresser, pour ainsi dire, le plan des recherches. Jusqu’à présent, dans toutes les ruines de la Pentapole, les excavations dans le roc ont préalablement attiré notre attention ; et cette habitude, contractée dans la visite du plus petit bourg, devient une espèce de nécessité dans la capitale. Malgré son immense étendue, on ne peut retrouver quelque idée de son ancienne architecture, que dans le nombre et la magnificence de ses tombeaux ; et chose singulière ! ce qu’elle contenait autrefois de plus lugubre est le seul témoignage qu’elle offre maintenant de sa splendeur passée.
Le vaste cimetière de Cyrène était, comme je l’ai déja bien des fois appelé, une vraie Nécropolis ; c’était une ville des morts séparée de la ville des vivants. Entièrement creusée dans le flanc de la montagne, elle en suit les diverses sinuosités : elle pénètre dans ses ravines, s’avance avec ses contreforts ; et cette situation irrégulière, donnée par la nature, présente néanmoins une certaine régularité donnée par les hommes. En effet, malgré les angles profonds que décrit cette Nécropolis, malgré les amas confus de débris de toute espèce dont elle est couverte, on peut toutefois y distinguer huit ou neuf petites terrasses qui s’élèvent en échelons les unes au-dessus des autres, longent horizontalement la montagne, et sont divisées en deux parties par un ancien chemin sillonné profondément par les roues des chars, et contenant en plusieurs endroits des[196] marches peu élevées. Chacune de ces terrasses présente une série rarement interrompue de façades de grottes sépulcrales, dont l’élégance et la variété du style, et surtout la conservation très-souvent intacte, forment un grand contraste avec les amas de débris qui les environnent. Des sarcophages monolithes, la plupart taillés dans la colline même, sont placés au-devant des terrasses, et bordent la série des façades. Ces sarcophages de roche grossière sans aucune espèce d’ornement, comparés aux pompeuses sépultures dont ils relèvent l’éclat, ressemblent plutôt à des blocs massifs de pierre qu’à des tombeaux. Ils furent infailliblement destinés à la classe pauvre des Cyrénéens ; c’était ici le peuple, là étaient les grands : même distinction, même sort après la mort que durant la vie. Mais laissons là les tombes grossières des pauvres, elles n’apprennent rien en faveur de l’art ; et c’est de l’art que j’ai promis de m’occuper.
On peut établir comme règle générale, que partout où les localités permirent aux Cyrénéens de tailler leurs monuments funéraires dans la roche, au lieu de les bâtir, ils en profitèrent soigneusement ; c’est ce que j’ai fait plusieurs fois remarquer en parcourant les ruines de la Pentapole, et ce qui se reproduit d’une manière plus frappante dans la Nécropolis de Cyrène. Ceci soit dit toutefois pour les personnes peu initiées dans la connaissance de l’architecture ancienne, car on est loin généralement d’ignorer que les tombeaux grecs et romains de l’Asie mineure et de la célèbre Petra présentent la même observation. En partant de ce principe, on ne sera donc pas surpris que, parmi toutes les élégantes façades qui ornent cette Nécropolis, il y en ait peu qui ne soient au moins en partie taillées dans la roche : des accidents locaux seuls ont empêché quelquefois qu’elles ne le fussent entièrement. Dans ce dernier cas, on a équarri, parfois horizontalement, parfois perpendiculairement, la roche formant la base, la moitié ou les trois quarts de la façade ; on a posé ensuite au-dessus, à côté ou au milieu de la roche équarrie, des assises qui en ont rempli les lacunes, ou complété la hauteur et la largeur de la façade. Ces espèces de rapiécetages sont loin de déplaire à la vue, parce qu’ils sont faits avec beaucoup d’art, et que la partie de la façade taillée dans la colline même est sillonnée de lignes qui représentent des assises simulées, et succèdent avec régularité aux assises véritables. La[197] solidité et la durée des monuments, tel fut sans doute le but de tant de soins ; et ce but n’a pas été trompé.
Parmi ce grand nombre de tombeaux, le style dorique domine continuellement. On le trouve quelquefois pur avec ses colonnes cannelées, ses triglyphes et ses gouttières ; quelquefois il est modifié par des détails égyptiens, tels que des corniches et des encadrements ; et d’autres fois il forme un style à part, qui, tout en conservant son type originel, paraît néanmoins appartenir en propre à l’architecture de Cyrène. Les traits distinctifs de ce style sont des consoles en place de colonnes, et des angles obtus, dans les moindres moulures, au lieu d’angles droits. Non seulement ce style caractérise un grand nombre de monuments de la Pentapole, mais on le trouve exactement reproduit sur les édifices grecs ou romains de l’Oasis d’Ammon. Si l’histoire ne nous apprenait pas que la colonie des Ammoniens fut successivement alliée et dépendante de Cyrène autonome et soumise aux Romains, cette identité de formes architectoniques le ferait présumer ; elle sert du moins à constater les témoignages de l’antiquité.
Cependant toutes les grottes de cette Nécropolis ne sont pas ornées de façades à ordres d’architecture ; on y en trouve quelques-unes pareilles à celles décrites dans d’autres cantons de la Cyrénaïque, et dont l’entrée n’est qu’un simple carré pratiqué dans la roche. Celles-ci sont-elles antérieures ou postérieures aux précédentes ? c’est ce que je ne saurais affirmer, malgré que par plusieurs raisons je sois porté à pencher vers la première hypothèse. Quoi qu’il en soit, ces dernières grottes méritent seules d’être appelées Hypogées, puisque seules elles contiennent de vastes appartements souterrains, qui s’avancent quelquefois très-loin dans la montagne. Les autres seront mieux désignées en les nommant Mausolées-excavés ; car, loin de contenir de grandes salles sépulcrales, elles ne sont composées au contraire que de deux à six caisses funéraires, séparées par des cloisons taillées avec un soin infini dans le roc, et se terminant à la façade en pilastres ou en colonnes. Ces caisses, toujours égales en largeur, quelquefois inégales en hauteur et profondeur, sont elles-mêmes divisées par d’autres cloisons horizontales posées sur des étais, ou taillées aussi dans le roc. Les mausolées des[198] environs du Naustathmus nous ont déja offert en construction la même disposition que ceux-ci nous offrent en excavation. Dans les uns comme dans les autres, nous voyons une, deux et quelquefois trois caisses creusées au-dessous du niveau de la façade ; nous les voyons aussi ne dépasser jamais en largeur la ligne perpendiculaire des caisses supérieures, en former parfois l’exacte continuation, et le plus souvent se rétrécir progressivement, de manière que la plus inférieure de ces caisses n’est plus qu’une excavation parallélogramme, dont la largeur est disproportionnée avec la longueur[244].
Telles sont en général les grottes sépulcrales à façades de Cyrène. Il me reste à parler, sinon d’un nouvel ordre, du moins d’un nouveau genre d’architecture employé dans la Nécropolis. Celui-ci participe des deux précédents, en réunit l’étendue et l’élégance, et par cette combinaison présente plus de grandiose : je nommerai les grottes qui le composent Hypogées à portique.
Le plus considérable d’entre eux, creusé presque au sommet de la montagne, domine toute la Nécropolis, et déploie par cette situation à une très-grande distance sa longue et magnifique galerie ; on croirait s’approcher des ruines imposantes de l’Égypte. On arrive auprès du monument ; et l’on trouve une colline entière divisée intérieurement en appartements funéraires, et décorée au-dehors de vingt-six colonnes et pilastres massifs, disposés sur une seule ligne, et ayant pour entablement la couche supérieure de la colline couverte de champs et d’arbustes. Ce sont bien là les efforts prodigieux de l’art égyptien ; mais voici la grace élégante du ciseau grec, jointe aux faveurs du ciel de l’Attique.
Lors même que la grande étendue de cet hypogée ne porterait pas à croire qu’il est le résultat de travaux entrepris à diverses époques, on en demeurerait convaincu par la diversité des styles dont il est composé, et qui en forment autant de monuments distincts quoique réunis sur une même ligne. Une élégante façade, contenant deux colonnes cannelées à chapiteaux en volutes qui soutiennent une architrave ornée[199] de frises légères, frappe d’abord l’attention. Pour découvrir les riches détails d’architecture délicatement sculptés sur le roc, il faut en écarter de larges bandes d’hypnum, de lichens foliacés, et de petites graminées, ornements posés par la nature sur ces ornements de l’art, pour les protéger contre les outrages du temps. Les autres parties du portique, ou pour mieux dire les autres portiques attenants à celui-ci, n’offrent pas, il s’en faut de beaucoup, la même élégance de travail. Les uns ont des colonnes élargies à la base et rétrécies au sommet, les autres des pilastres à chapiteaux en volutes, et d’autres encore présentent à-peu-près la même disposition ; mais on s’aperçoit qu’ils sont restés inachevés. Ces derniers forment l’extrémité orientale de ce grand hypogée ; ils constatent l’observation faite précédemment, puisqu’il est hors de doute qu’ils appartiennent à une époque postérieure aux autres[245]. Il faut aussi ne pas passer sous silence que, conformément à un usage que j’ai signalé plusieurs fois dans le courant de cette Relation, on trouve, dans l’intérieur de ce portique, de longs bancs destinés à servir de repos aux personnes qui venaient visiter ces lieux funèbres ; et ici, comme ailleurs, des noms gravés négligemment çà et là sur le roc indiquent leur passage et leurs pieuses intentions.
Rendons-nous maintenant à l’extrémité occidentale du cimetière de Cyrène ; nous y verrons le même genre d’architecture modifié par les localités, et par le même motif offrir un aspect plus sauvage et plus varié. Cette partie de la Nécropolis est séparée de la précédente par un profond ravin où coule un ruisseau dans toutes les saisons ; et tout le penchant de la montagne où les tombeaux sont creusés, se trouve couvert d’arbres et d’arbustes de diverses espèces. A ces caractères qui distinguent le côté occidental de la Nécropolis du côté oriental, il faut ajouter que la montagne y est partout abrupte et entrecoupée de gros rochers, cause du petit nombre de ses excavations sépulcrales, et de leur situation par laquelle elles ne peuvent occuper qu’une seule ligne.
C’est par ces raisons aussi, que l’on voit ici une longue suite d’hypogées à-peu-près du même style que ceux que je viens de décrire, mais[200] dépourvus du portique qui existe dans les précédents. Des pilastres de même forme, surmontés de mêmes chapiteaux, se succèdent également les uns aux autres ; mais au lieu d’être séparés de l’entrée des grottes, ils sont simplement sculptés aux parois extérieures et latéralement à ces entrées. Le peu d’espace laissé aux architectes par la forme abrupte de la montagne est infailliblement la seule cause de cette différence.
Cette économie forcée du sol se fait mieux sentir encore dans trois hypogées situés auprès de ces derniers. Un gros rocher qui s’avance en saillie n’a pu, malgré ses angles et ses massives irrégularités, se dérober aux efforts industrieux des Cyrénéens : deux grottes sépulcrales y sont creusées l’une au-dessus de l’autre, mais de manière qu’elles décrivent entre elles, tant horizontalement que perpendiculairement, un angle très-aigu. On conçoit que les sinuosités primitives de la roche ont pu seules occasionner cette irrégularité des lignes de perspective. Au reste, la variété et la richesse de la végétation qui décore ces hypogées, paraissent être en harmonie avec cette bizarrerie de l’art et du site. Des genévriers de Lycie, au tronc noueux, aux branches errantes, couronnent le rocher et en ombragent la pittoresque façade ; à ses côtés s’élèvent des cyprès orientaux, qui par leur forme pyramidale servent, pour ainsi dire, de cadre au tableau ; et au-devant, parmi des bouquets de myrtes et de lauriers-roses, coule un ruisseau qui de cascade en cascade va se précipiter, à quelques pas de ce lieu, dans le fond du ravin. A ces massifs de végétation, que l’on oppose les teintes ocreuses du rocher et quelques croûtes bleuâtres peintes par le temps ; que l’on place dans les crevasses du roc, sur les corniches des tombeaux, mille plantes saxatiles de teintes diverses et d’une floraison éclatante, telles que des renoncules, des seneçons, des giroflées, des sauges, des alyssons, des géraniums, et tant d’autres ; que l’on entremêle ces belles plantes du peuple innombrable des petites graminées, et l’on n’aura qu’une faible idée des contrastes de formes, de couleur et d’aspect, que présentent ces hypogées, et que je donne comme type, pour ne pas me répéter sans cesse, des sites sauvages mais charmants de toute la partie occidentale de la Nécropolis[246].
[201]Après cette esquisse rapide, de ce que les hypogées de Cyrène offrent de plus remarquable en perspective, il convient de pénétrer dans l’intérieur pour connaître ce qu’ils renferment. Sans quitter la partie de la Nécropolis où nous nous trouvons, mais en longeant vers le sud, le sentier étroit qui borde la série d’hypogées dont je viens de faire mention, nous apercevons cinq ou six grottes, dont les entrées encombrées de rocailles et de buissons épineux, ne semblent annoncer que d’informes cavernes. Cependant, comme les réduits les plus cachés, et les sites les plus bizarres sont ceux qui piquent davantage notre capricieuse imagination, loin de passer dédaigneux devant ces antres obscurs, nous mettons au contraire tout en œuvre pour pouvoir y pénétrer. Pioches et bâtons sont tour à tour employés ; serpents et hibous délogent à la hâte ; enfin, après quelques égratignures et de petites contusions, nous voilà dans l’antre, et nous sommes obligés d’avouer que les travers d’esprit aident quelquefois aux découvertes de l’art. A peine nos yeux sont familiarisés avec l’obscurité, que nous nous trouvons en face d’un magnifique sarcophage en marbre blanc d’une parfaite conservation, et orné sur trois côtés d’élégants bas-reliefs. Des caryatides, à la pose gracieuse, à la draperie légère, et de jeunes garçons dont la ceinture n’est voilée que par un tablier, soutiennent des guirlandes de fleurs et de feuillage où pendent des grappes de raisin. Des têtes, emblêmes de deuil, ou des rosaces, occupent le centre des médaillons formés par les ondulations des guirlandes. Le couvercle très-massif est sculpté en feuilles imbriquées ; les Arabes sont parvenus à le détourner de son plan vertical, pour enlever ce que le tombeau contenait : il n’est aucun monument de ce genre dans toute la Cyrénaïque, qui n’ait subi la même violation. En outre, l’hypogée est divisé en trois pièces, dont chacune contenait un sarcophage. Si l’on en juge par leurs débris, ils étaient tous d’un travail non moins achevé que celui qui est resté intact. Sur l’un était sculptée une chasse, et sur l’autre des griffons ; la perte de ce dernier ne cause pas de grands regrets, puisque nous allons en trouver un semblable, pour les emblêmes, dans un autre hypogée.
Quant à celui-ci, il ne faut pas la même peine pour le découvrir : le voilà dans la plus vaste grotte de la Nécropolis, dans celle même que[202] nous avons choisie pour notre demeure ; il est exposé aux regards de tout venant. Cette belle situation lui a valu d’être brisé en plusieurs morceaux ; cependant, comme nous sommes dans l’impuissance de charrier en Europe les monuments de la Cyrénaïque, il nous suffit de pouvoir réunir les fragments de celui-ci ; et de cette restauration momentanée il résulte un ensemble moins orné que chez le précédent, mais qui plaît dans sa simplicité. Deux griffons ailés, d’un dessin assez pur, sont appuyés sur un candélabre funéraire, et des têtes de bouc et des guirlandes de fleurs ornent les deux autres côtés du sarcophage[247]. Cependant ces emblêmes et ces détails, souvent reproduits par l’antiquité sur de pareils monuments, ne nous apprennent rien de bien neuf ; aussi, sans nous arrêter davantage auprès de celui-ci, nous allons continuer nos visites souterraines.
Combien cette malheureuse Cyrénaïque n’a-t-elle pas été dévastée ! Que les édifices exposés à la vue et au contact de l’air, aient péri sous les coups persévérants de cette rage destructive, on le conçoit d’autant plus facilement, qu’il faut attribuer une bonne part de ces ravages au temps, et au climat pluvieux de cette contrée. Mais que les réduits les plus cachés, que les excavations faites si profondément dans les entrailles de la terre, n’aient pu servir d’asile aux restes de l’art antique, déposés près de la mort, et respectés dans d’autres contrées, où ils remontent à des époques infiniment plus reculées ; c’est ce qui surprend tellement, qu’on se demande s’il n’a pas fallu autant d’efforts pour causer de si grands bouleversements que pour en préparer la cause. Que l’on choisisse indifféremment parmi les innombrables hypogées de Cyrène, on en trouvera peu qui ne présentent pas le tableau du plus épouvantable désordre, et que l’on puisse visiter sans éprouver de grandes difficultés. Après bien des peines, en a-t-on débarrassé l’entrée ? on rencontre aussitôt de nouveaux obstacles : ce sont des pilastres et des sarcophages renversés, ou bien des blocs de rocher détachés à coups de pieux des parois de la grotte ; il faut employer pour avancer les mêmes moyens qui ont servi à obstruer le passage. Y est-on parvenu ? on doit ensuite se traîner sur des agglomérations de terre, prendre mille précautions pour conserver[203] allumée la bougie exploratrice, se croiser dans sa marche rampante avec des nuées de chauve-souris qui s’enfuient effrayées : en vain on détourne la tête, il faut supporter leurs hideux attouchements. Enfin est-on arrivé au fond de la caverne ? trop heureux alors si, après tant de fatigues, quelques fragments de peintures ou d’inscriptions, dignes récompenses de ces folies de jeunesse, viennent frapper les regards de l’Européen, et faire palpiter de plaisir son cœur inexpérient. Mais ces récompenses sont rares : le plus souvent il doit se contenter du plan stérile, dernière ressource de sa laborieuse investigation. D’après ce tableau, on croira sans peine que le résultat de ces visites souterraines, comparé aux obstacles qu’elles présentent, ne doit pas être d’une bien grande importance. Voici toutefois ce que j’ai pu observer.
Une petite grotte, taillée dans le flanc d’un ravin de la Nécropolis, offre plus de richesses monumentales à elle seule, que toutes les autres ensemble. Cette grotte, sans niches ni sarcophages, contient au milieu un puits sépulcral, et ses quatre parois sont couvertes de peintures qui paraissent représenter des jeux funéraires. La mieux conservée comme la plus remarquable de ces peintures, occupe toute la longueur d’une paroi : elle est composée d’une série de figures dont les unes, revêtues de riches costumes, exécutent une marche solennelle ; et les autres, divisées en plusieurs groupes et couvertes d’une simple draperie, donnent l’idée du peuple de Cyrène qui assiste à la cérémonie, et s’attroupe auprès des principaux personnages. En tête du tableau est une espèce de meuble, auprès duquel des jeunes gens sont occupés à préparer des mets, emblême sans doute des repas qui suivaient dans l’antiquité les fêtes populaires ; une table couverte de couronnes et de palmes le termine. Là se trouvent trois personnages mitrés, debout chacun sur un piédestal. L’un d’entre eux est appuyé sur une massue, l’autre parait consacrer les palmes et les couronnes ; et le troisième, dans l’attitude d’orateur, semble attirer l’attention du peuple groupé auprès de lui[248].
Tel est l’effet, qu’indépendamment de toute induction scientifique produit, au premier coup d’œil, cette peinture intéressante. Quant aux remarques[204] qu’elle peut suggérer, je les bornerai à une seule. Cette peinture est romaine, du moins telle est l’induction positive d’une assertion émise par un juge compétent en pareille matière, relativement à un autre sujet peint dans la même grotte, et qui appartient évidemment à la même époque[249]. Cependant le costume des trois personnages, archontes ou pontifes n’importe, n’appartient pas assurément aux usages ni à la mythologie des Grecs et des Romains. La mitre, les grandes robes chamarrées de fleurs, les ceintures en bandelettes, rappellent au contraire, ce me semble, le costume des anciens peuples de l’Orient. Salluste dit que les Mèdes et les Arméniens s’établirent dès la plus haute antiquité en Libye, et qu’ils y contractèrent des alliances avec les habitants[250] ; et cette tradition de l’historien de la Numidie se trouve reproduite, quoique d’une manière plus vague, dans une chronique où il est dit, que les peuples qui habitaient les environs de Cyrène jusqu’à la Cœlésyrie, étaient des colonies des Mèdes et des Perses[251]. On pourrait donc induire de ces traditions appuyées de la peinture trouvée à Cyrène, que les usages des Mèdes ou des Arméniens, se seraient répandus dans une contrée où régnèrent tant d’usages et de cultes différents ; ce qui paraîtrait d’autant plus croyable, qu’il est rare qu’un peuple étranger se soit établi, ou n’ait fait même que passer dans une contrée quelconque, sans qu’il ait laissé chez les habitants des traces de son séjour ou de son passage. Cependant quelque attrayante que soit cette explication, par la filiation qu’elle établit entre des traditions d’une haute antiquité et un monument assez moderne, j’avoue que les renseignements sur lesquels elle repose me paraissent trop vagues pour me porter à l’adopter. S’il m’était permis d’avoir une opinion sur ce sujet, j’aimerais mieux, dans mon antipathie pour tout ce qui tient au merveilleux dans les faits historiques, croire que ce monument appartient aux Israélites. L’influence qu’ils exercèrent sur la Pentapole romaine est suffisamment connue. J’ai dit qu’ils eurent des archontes à Bérénice, que profitant de la faveur des Césars, leur nombre s’accrut tellement dans la Cyrénaïque, qu’ils y régnèrent presque[205] en souverains. Y aurait-il donc de l’invraisemblance à supposer que ces sectaires, dans une des phases de leur puissance, eussent fait exécuter cette peinture, où l’on ne voit rien qui choque la législation et les usages établis par Salomon ; où le costume rappelle au contraire celui des pontifes hébreux ? Toutefois, quelque probable que puisse être cette hypothèse, je la livre, selon mon habitude, à la sanction des érudits ; et, sans m’y arrêter davantage, je continue la visite de l’hypogée.
Je suis vis-à-vis de la paroi du fond ; à l’une de ses extrémités je remarque une scène représentant la lutte et le pugilat. Certes voilà des formes athlétiques bien prononcées, et exposées dans tout leur jour : pas même une simple feuille de vigne ! D’une part les efforts, et de l’autre l’aplomb sont assez bien indiqués. Le sang coule des blessures et rougit le sol ; une des malheureuses victimes gît étendue sur l’arène ; du moins c’est là l’intention de l’artiste ; car malgré que l’athléte soit peint au-dessus du tableau comme s’il nageait dans les airs, il est censé être placé sur le plan horizontal ; mais cette inexpérience de perspective est assez connue dans les peintures antiques, pour que nous soyons surpris de la retrouver ici. La même réflexion s’applique à la position aérienne de deux vases contenant l’huile et les pinceaux qui servaient à oindre le corps : ces détails n’offrent aussi rien que de très-connu. Il n’en est pas de même d’un scorpion suspendu à une main isolée, et ainsi représenté à côté du tableau[252]. J’ignore si ce reptile dépourvu de venin peut devenir, comme tant d’autres, l’antidote du mal ; mais il est remarquable que les habitants actuels de la Cyrénaïque se servent, disent-ils, du scorpion pour arrêter la putréfaction des blessures. Que cet usage réponde ou non à l’effet indiqué, c’est ce que je n’ai pu vérifier ; il n’en résulte pas moins qu’il pourrait être le fruit d’une tradition antique, dont cette peinture semble offrir le témoignage. Le reste de la même paroi contenait la représentation d’une course de chars ; elle se trouve tellement détériorée, qu’on ne peut plus distinguer que les indices de quatre quadriges, dont un toutefois est assez bien conservé : le char a la même forme que sur les médailles ; le conducteur, le corps légèrement drapé et très-incliné vers[206] les chevaux, en tient d’une main les rênes. Le terme de la course est un pavillon carré à-peu-près semblable à une tente.
Mêmes regrets pour la paroi suivante ; elle était entièrement occupée par un combat de gladiateurs dont il ne reste malheureusement qu’un fragment. Les combattants, couverts de cuirasses, ont la figure garantie par un masque, et la tête ornée de grands panaches de diverses couleurs[253]. Cette dernière particularité est remarquable en ce qu’elle n’existe pas, que je sache, dans aucun des sujets antiques analogues à celui-ci ; ce qui permet de croire que cet usage était local. La chasse des autruches, dans les déserts voisins de la Pentapole, était une des principales occupations des Cyrénéens en temps de paix[254] ; et il est probable que les plumes ondoyantes de ce géant des oiseaux, durent inspirer aux Cyrénéens l’idée de ces ornements militaires, destinés dans les âges suivants à briller sur le front des guerriers européens. Quant aux détails de cette peinture relatifs aux diverses parties de l’armure des gladiateurs, ils n’offrent rien qui ne soit connu par d’autres monuments funéraires de l’antiquité, et notamment par les sculptures du tombeau de Scaurus, découvert aux ruines de Pompéi. Il ne me reste donc plus qu’à parler de deux autres peintures parfaitement conservées, que l’on trouve encore dans ce même hypogée : elles représentent un cirque et une chasse. La première est fort bizarre, en ce qu’on y voit confondus des animaux féroces, tels que le lion et le léopard s’élançant sur un taureau, avec un bouc, des gazelles, et des chiens levriers, que l’on reconnaît de suite pour les souloucs indigènes de l’Afrique septentrionale[255]. La seconde ne surprend pas moins au premier aspect, à cause du cerf qui en forme le principal sujet, et contre lequel un chasseur anime le soulouc qu’il retient d’une main par un lien, et de l’autre agite un fouet pour stimuler son ardeur[256]. Or, le cerf, comme Hérodote a pris soin de l’affirmer[257], et malgré l’erreur[207] commise par les Maronites dans la Géographie nubienne[258], ne se trouve nulle part en Afrique. Il fut donc apporté par les Grecs dans la Pentapole libyque ; cette peinture semble l’attester, de même que la cause de la naturalisation dans cette contrée peut être expliquée par d’autres monuments. Il faut sans contredit l’attribuer au culte de Diane, une des principales divinités des Cyrénéens, comme je l’exposerai plus tard, me bornant maintenant à faire remarquer que l’animal qui lui était consacré est quelquefois représenté sur leurs médailles.
Les notes que j’ai prises dans le cours de mes visites souterraines, m’engagent à me rendre dans une grotte chrétienne, peu éloignée de celle que je viens de décrire.
Lors même que les peintures qui en couvrent les parois, n’offriraient pas le témoignage certain de cette époque religieuse, une inscription cursive précédée de la croix la prouverait irrécusablement. Mais il convient de donner auparavant, une idée de l’architecture et de la distribution de ce nouvel hypogée. Le fond a un aspect vraiment monumental : un sarcophage s’y trouve creusé avec un art infini dans la paroi ; il est orné de guirlandes et de têtes de bouc, et couronné d’une petite voûte en plein cintre sculptée en coquille : latéralement au sarcophage sont deux niches décorées chacune d’un vase d’une forme très-élégante[259]. Les autres côtés de l’hypogée qui forment angle droit avec celui du fond, contiennent aussi des sarcophages et des cintres, dont les uns sont couverts de peintures, et les autres offrent les mêmes détails que le précédent[260]. Ces irrégularités qui choquent dans la description, ne déplaisent pas à la vue du monument, puisqu’elles en varient l’aspect, et qu’elles correspondent[208] d’ailleurs symétriquement entre elles. Quant aux peintures qui le bariolent bien plus qu’elles ne l’embellissent, voici quels en sont les emblêmes.
Celui qu’on y a le plus souvent reproduit est la vigne du seigneur ; mais ce symbole des premières époques de la chrétienté, n’imite pas mal ici, par sa disposition, le thyrse de Bacchus. La voilà avec ses longues lianes, ses grappes pourprées, et ses larges feuilles grimpant autour de longs bâtons placés à côté des sarcophages. Autre part elle couvre des treillages figurés dans l’intérieur des cintres, ou bien elle forme une frise de festons tout autour du monument. Après cet emblême, le paon, accompagné de poissons, est celui qui frappe plusieurs fois les yeux. Dans d’autres grottes de la Nécropolis, je l’ai rencontré quelquefois peint isolément au-dessus de sarcophages, et je le vois ici formant le sujet principal d’un tableau qui occupe toute l’étendue d’un cintre. Il est placé dans un panier à anses, déployant circulairement la queue au milieu de bouquets de fleurs, parmi lesquelles il n’est point superflu de nommer des soucis et des pensées, qu’on aperçoit parmi des touffes de roses. L’oiseau de Cérès est sans doute représenté dans ces lieux funèbres en guise d’offrande ; j’en ignore la cause allégorique. Je pourrais, il est vrai, supposer que ces peintures appartinssent à des Carpocratiens. Cette secte emprunta la plupart de ses symboles aux mystères de Cérès, et le paon pourrait en offrir ici un nouveau témoignage ; mais de pareilles interprétations sont trop hasardées ; je me contente donc de les indiquer avec circonspection, et je passe à une autre qui me paraît moins aventurée.
Celle-ci m’est offerte par un tableau plus petit que les précédents et mieux conservé. Un berger y est représenté la houlette à la main, entouré d’un troupeau, et portant un mouton sur les épaules. On reconnaît bien là le bon pasteur de la chrétienté, d’autant plus que la roideur des draperies et le mauvais goût du dessin indiquent le moyen âge, époque de la décadence des arts. Mais voici encore autour du tableau des poissons de différentes espèces posés en offrande ; intention tellement évidente, qu’ils sont trois fois au moins plus grands que les moutons et le berger, et que l’artiste les a détachés du fond du tableau par une forte ombre, comme s’il avait voulu les y représenter suspendus en[209] ex-voto[261]. Ce n’est pas une chose indigne de remarque que de voir cet usage, après avoir traversé tant de siècles, être encore reproduit sur des monuments chrétiens de nos jours. Il n’y a personne qui ait visité l’Italie, et qui n’ait été frappé de ce grand nombre de poissons en argent, et quelquefois même en or, que l’on y voit suspendus dans les églises aux images des saints et des saintes. Je ferai grace, à ce sujet, du flux ordinaire de mes observations et conjectures.
Je dois avouer cependant qu’il est triste pour un Européen de parcourir des ruines qui remontent par leur nom aux époques les plus intéressantes de l’antiquité, et qui n’offrent dans leur état présent que le continuel désenchantement de ces époques. Ce n’est pas sans un fâcheux désappointement, qu’il ne rencontre sur le sol antique de Cyrène, au lieu des monuments vénérables des Battus et des Arcésilas, que de monotones mutilations romaines, couvertes des témoignages informes du génie chrétien du moyen âge. Aussi, fatigué parfois de me traîner si infructueusement dans les souterrains bouleversés de la Nécropolis, je m’en allais, comme par délassement, jouir des sites variés qu’elle présente au dehors. Je profitais de quelque belle matinée, pour faire d’oisives promenades sur les bords fleuris de ses riantes fontaines ; je me plaisais à voir leurs flots, brillants de fraîcheur et colorés du beau soleil d’Afrique, serpenter à travers des touffes de véroniques, de céleri, de cresson, et d’autres plantes aussi communes en Europe, mais que je voyais en Libye comme d’anciennes connaissances, et qui m’en paraissaient douées d’un attrait nouveau. Le plus souvent je grimpais sur un rocher abrupt et élevé ; et soit que l’horizon éclairci me laissât distinguer la plaine unie de la mer, et quelque voile voyageuse venant peut-être, me disais-je, de la Provence ; soit que l’orage, agitant les forêts voisines et obscurcissant les airs, fît retentir autour de moi les innombrables tombeaux de mille cris confus, je reconnaissais, aux fortes impressions locales que j’éprouvais, à cette foule de contrastes des temps passés avec les temps présents, que l’on peut essuyer de longues fatigues, être déçu de ses espérances, et ne point regretter ces jours d’exil passés loin de sa patrie.
[210]C’est par une de ces promenades dont je ne prolongerai pas davantage l’inutile confidence, que j’aperçus, vers le côté occidental de la Nécropolis, une grotte creusée isolément au sommet d’un rocher. J’ai déjà fait part de ma prédilection pour les excavations dont l’accès présentait quelque difficulté, ou était accompagné de quelque chose d’étrange. Quoique las de tant de visites souterraines, je résolus de tenter encore celle-là, et bien m’en prit, car ma peine ne fut pas perdue. Après avoir escaladé le rocher, je me trouvai dans une petite salle dont les parois, très-unies et peintes d’un vert tendre, lui donnaient plutôt l’air d’un riant cabinet aérien que d’une excavation sépulcrale. Le fond de cette jolie grotte en rappelle seul la destination ; il est occupé par un sarcophage creusé dans le roc, et couronné d’une frise en triglyphes, contenant dans chaque métope une peinture élégamment miniée, et d’une conservation parfaite. Mais ce qui augmenta ma surprise, ce fut de reconnaître dans la série de ces petits tableaux les principales phases, ou les diverses occupations de la vie d’une esclave noire ; du moins telle est l’induction que j’ai tirée de ces charmantes peintures. J’ai cru y distinguer successivement les entretiens de l’amitié, l’éducation de jeune fille, l’ambition de la parure, les délassements figurés par l’exercice du balançoir, le bain si nécessaire dans la brûlante Libye, et enfin le triste lit de mort sur lequel la négresse est étendue, les yeux éteints, et paraît être regrettée de son maître, le blanc Cyrénéen, que l’on voit à côté d’elle dans une attitude de douleur.
La coiffure et le costume de ces miniatures ne sont pas moins remarquables, tant par la forme que par la couleur. Les longues robes bleues sans agrafes, et les schalls rouges entrelacés avec les cheveux, ou couvrant la tête en guise de turban, offrent une analogie frappante avec l’habillement des modernes Africaines, et principalement avec celles qui habitent le Fazzan[262]. Mais ces observations, d’ailleurs fondées sur de simples hypothèses, n’ont qu’une bien faible valeur, comparées à la suivante qui présente du moins un document à l’histoire.
On sait que les esclaves noirs furent dans l’antiquité très-recherchés[211] par les Grecs et les Romains[263]. Plaute nous apprend positivement que les Cyrénéens avaient des esclaves à leur service[264] ; et cette peinture porte à croire qu’à Cyrène du moins, s’il n’en fut de même à Rome et à Athènes, parmi ces esclaves non seulement il y en avait de noirs, mais que parmi les noirs il y en avait des deux sexes. Que si l’explication que je viens de donner de ces petits tableaux est douée de quelque vraisemblance, il en résulterait aussi que les Cyrénéens, comme les Orientaux actuels, au lieu de se borner à réduire les jeunes négresses de l’intérieur de l’Afrique qui tombaient en leur pouvoir à l’avilissante condition de domesticité, ils devaient souvent leur accorder des affections plus douces, et se lier avec elles par des relations plus intimes. Je suis d’autant plus porté à adopter cette opinion, que dans le Soudan, contrée de l’Afrique intérieure la plus voisine de Cyrène, le sexe est loin d’y présenter ces difformités du nez et des lèvres qui caractérisent la plupart des Africaines ; et, si mon témoignage peut être de quelque poids dans cette grave question, j’ajouterai que les jeunes filles de la vallée du Soudan, avec lesquelles j’ai eu l’occasion de traverser des zônes de sable, par la régularité de leurs traits, la douceur animée de leurs grands yeux noirs, et la svelte souplesse de leur taille, ne sont pas, il s’en faut beaucoup, des objets à dédaigner.
Au reste, quelle que soit la valeur de cette foule de conjectures dont je bariole à chaque instant ce livre, il me serait aussi difficile de les passer sous silence, que de les établir sur des fondements plus solides. Elles seules donnent, à mes yeux, un peu de vie aux lieux que je parcours ; sans elles, la pensée toujours froide et languissante se lasserait bientôt de l’aspérité des rocailles, et du silence monotone des déserts : elles m’ont soutenu dans ma longue migration en Libye ; puissent-elles soutenir de même celui qui voudra bien en affronter l’aride narration !
[245]V. pour la perspective et les détails de ce monument, pl. XXXVII, XXXVIII.
[247]Voyez pl. LXIII.
[249]Letronne, Moniteur, 29 décembre 1825.
[250]Sallust. de bell. Jugurth. c. 18.
[251]Chronic. Paschale, p. 32.
[254]Synes. Epist. 133, ed. Petav. p. 271.
[256]Même pl. fig. 1. Cette manière de provoquer le soulouc contre les gazelles est exactement pratiquée de nos jours par les Arabes de la Libye.
[257]Hérodote, l. IV, 192.
[258]Cette erreur provient de ce que les Maronites, à l’exemple de plusieurs auteurs de l’antiquité, et notamment de Virgile, ont confondu le cerf avec la gazelle, comme le pense d’Herbelot, ou, ce qui me paraît plus vraisemblable, avec le bubale. Ce quadrupède, que les naturalistes ont classé, je crois, dans la famille des antilopes, beaucoup plus grand que la gazelle, a des formes proportionnément aussi sveltes, et sa tête est garnie de très-longues cornes en spirale. Je l’ai rencontré fréquemment dans l’intérieur de la Libye, et principalement aux environs de l’Oasis d’Ammon.
[259]Voyez pl. XXXIX, 1.
[263]Terent. Eunuch. act. I, sc. 2.
[264]Plaut. Rudens.
Cyrène.
En suivant le chemin qui de la Nécropolis conduit à la plaine exhaussée, sur laquelle sont épars les débris de Cyrène, on ne peut faire autrement que de s’arrêter auprès d’une belle source, qui jaillit avec force du sein d’une colline, située entre les ruines de la ville et le revers du plateau. Cette source, réunie d’abord en une seule nappe d’eau, remplit un canal spacieux creusé fort avant dans la montagne. Dès qu’elle est arrivée à l’extrémité extérieure de son lit souterrain, elle rencontre un massif de rochers d’où elle s’échappe en bouillonnant, et va former immédiatement au-dessous un réservoir abrité par une voûte spacieuse, fruit de l’art aidé de la nature. Ce petit bassin, entouré de roches moussues, réfléchit de toutes parts des touffes épaisses de cheveux de Vénus et d’autres espèces d’adiante, ornement inséparable des grottes de la Cyrénaïque, et que l’on trouve ici comme type dans tout son éclat.
Cependant la nappe d’eau déborderait de tous côtés du réservoir dans les champs voisins, si un ancien canal, formé de gros blocs de pierre équarris, ne lui offrait un nouveau lit qui la conduit, pendant deux cents mètres environ, jusqu’à un mur d’étaiement fort élevé, qui s’étend devant la fontaine. De ce dernier lieu elle se précipite avec fracas, parmi des bouquets de lentisques et de cytises, sur le sentier de la Nécropolis, descend ensuite de cascade en cascade les échelons de la montagne, suit tantôt le lit sinueux que les anciens lui ont creusé dans la roche, tantôt elle le quitte, puis le reprend encore, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à la plaine rocailleuse qui règne au bas de la Nécropolis. Alors elle pénètre dans une petite vallée, se joint à un gros ruisseau formé par plusieurs sources de l’ouest, et coulant avec lui vers le nord, se perd enfin au milieu des ravins et des sinuosités du terrain, qui, là comme ailleurs,[213] finissent toujours par arrêter et absorber le cours des eaux, à force de leur présenter des obstacles et de les subdiviser.
Après ce coup d’œil sur le cours extérieur de la plus abondante des sources de la Cyrénaïque, quelqu’un sera peut-être curieux de connaître le canal souterrain. Ceci est une bien autre affaire. Écoutons les récits des graves Scénites du canton : des magiciens et des spectres munis de baguettes miraculeuses et d’épées flamboyantes, des roues qui tournent continuellement avec un fracas épouvantable, et je ne sais quoi encore, ont interdit de tout temps, disent-ils avec la meilleure foi du monde, l’accès de ce gouffre ténébreux au mortel le plus téméraire, ou bien ils n’ont jamais laissé son audace impunie. Cependant, comme mon questionneur peut ne pas être très-effrayé de ces histoires terribles, et qu’il persiste probablement à vouloir connaître le souterrain, nous allons essayer de le parcourir ensemble. Un de mes Nubiens se laisse persuader : le voilà muni d’un flambeau, il ouvre la marche. A quelques pas de l’entrée, nous enfonçons dans l’eau jusqu’à la ceinture : nous sommes dans le mois de février, et ce bain ne laisse pas que d’être un peu froid ; n’importe, nous avançons. Le canal atteint cinq pieds de hauteur ; sa largeur permet rigoureusement à deux personnes de marcher de front ; et ses parois, sans être d’un travail fini, offrent assez de régularité : on y distingue des couches schisteuses alternativement de rouge vif et de jaune foncé. Le temps a charrié dans le fond un fort dépôt de terre argileuse, et tellement glissante, que nous sommes obligés de nous appuyer contre les parois latérales pour conserver notre équilibre. Nous avons pénétré ainsi assez avant dans le souterrain, et nous continuons d’y trouver les mêmes détails auxquels il faut toutefois en ajouter un accidentel, mais d’un intérêt particulier.
Sur un des côtés du canal, et presque au niveau de l’eau, nous avons remarqué de temps en temps une bande étroite de terre, sur laquelle étaient de légères traces qui n’ont que vaguement attiré nos regards. Cependant, parvenus à un endroit où la bande de terre est plus large et les traces plus multipliées, nous voulons en deviner la cause ; et ce n’est pas sans surprise que nous reconnaissons de belles et larges empreintes de pattes d’hyène, et d’autres plus petites qui nous semblent[214] être celles de loups ou de renards. Ces témoignages valent bien les magiciens et les spectres ; aussi nous arrêtons aussitôt notre marche. Néanmoins la réflexion succède à la surprise, et l’on essaye de distinguer la direction des empreintes. La plupart sont tellement posées les unes sur les autres, comme les pas des voyageurs sur un chemin battu, qu’il est impossible de se faire à ce sujet aucune idée exacte. Mais on ne tarde pas à s’apercevoir que ces traces sont recouvertes d’une légère couche de terre d’alluvion ; on joint ce fait à celui des interruptions qui divisent le petit sentier, et l’on en induit que le volume d’eau, grossi en hiver par la filtration des pluies, couvre à cette époque une partie du sentier qui doit être entièrement découvert en été, et que par conséquent les fauves ne doivent chercher un repaire dans le souterrain que durant cette dernière saison. Rassurés par ces observations qui nous promettent de ne faire aucune fâcheuse rencontre, nous nous empressons de continuer notre marche.
Que l’imagination empreinte de croyances fantastiques a de pouvoir sur les hommes, même sur ceux d’un courage éprouvé ! Notre brave et fidèle Nubien fait bonne contenance ; il avance, le flambeau à la main ; mais les traits de sa figure dissimulent mal la frayeur qui l’agite intérieurement. Il s’efforce de la dompter par de verbeuses protestations : à l’entendre, les Arabes sont des enfants ; pourquoi ne pénètrent-ils pas dans ce souterrain ? où sont les objets de leurs contes ridicules ? Voyons s’il tiendra bon jusqu’au bout. Quoique l’axe général du canal soit du nord au sud, il décrit toutefois quelques sinuosités, nécessitées par l’état plus ou moins sain des couches de la roche. En détournant un de leurs coudes, un sourd mugissement se fait entendre, nous en soupçonnons la cause : cependant le Nubien s’est tu tout-à-coup ; il avance encore, mais il avance en tremblant : le bruit augmente ; pour le coup il n’y tient plus, il s’arrête ; le flambeau va s’échapper de ses mains ; nous nous en emparons, et cet intrépide jeune homme qui n’a reculé devant aucun danger, tremblant maintenant comme un enfant, se glisse à la hâte derrière nous. La rumeur concentrée dans ce corridor étroit, en frappe la colonne d’air de telle manière, qu’elle produit l’effet de voix rauques et glapissantes. Nous ne tardons pas d’arriver à l’endroit d’où part ce singulier[215] vacarme, et nous trouvons au côté oriental, et à-peu-près à la moitié de son étendue, une crevasse caverneuse, par où se précipite avec fracas un volume d’eau considérable. Ce gouffre, trop étroit pour en distinguer à l’aide d’un flambeau la forme intérieure, paraît, au son que produit l’eau, pénétrer très-avant dans le sein de la montagne, et tomber à une centaine de pieds au moins au-dessous du niveau du canal. Si l’on pouvait émettre à ce sujet quelque conjecture, il serait possible que ce torrent souterrain allât déboucher à une caverne située à l’extrémité occidentale de la Nécropolis, d’où jaillit un ruisseau qui, pour donner plus d’extension encore à cette idée, se rendait peut-être autrefois aux magasins de la station d’Apollonie, par l’aqueduc dont j’ai précédemment indiqué les ruines.
Hormis cet accident, le reste du canal n’offre plus rien de remarquable. Nos précédentes observations furent heureusement sanctionnées par l’expérience : aucune rencontre ne nous arrêta dans notre visite ; et dans plusieurs endroits où le sentier des fauves s’élargit, nous le trouvâmes couvert d’ossements de chameaux et d’autres quadrupèdes, restes des proies apportées du désert, et dévorées en ce lieu.
Enfin, dès qu’on est parvenu à cent cinquante mètres de distance de l’entrée, le travail de l’homme finit, et l’on ne voit plus que celui de la nature. Là le canal, terminé dans sa partie supérieure en angle droit, présente encore au-dessous une ouverture irrégulière par où l’on ne peut passer qu’en se traînant à plat ventre dans l’eau ; et l’on arrive de cette manière dans une grotte très-large, mais peu élevée, et tapissée de stalactites. Si l’on est encore poussé par la curiosité, il faut conserver la même position qu’on a prise en entrant, et s’avancer ou plutôt serpenter à travers les rocailles : la vue se perd alors de tous côtés dans les ténèbres, l’eau ruisselle de toutes parts ; elle paraît surgir de la terre ; elle coule perpendiculairement de mille crevasses du plafond cristallisé ; on est dans l’eau jusqu’au cou, on en a la tête inondée ; enfin, après s’être ainsi traîné çà et là dans les entrailles de la montagne, après avoir reconnu une ouverture pratiquée au plafond parmi les stalactites, on se voit forcé de se retirer, car avec l’embarras des formes humaines on ne saurait pousser plus loin cette aquatique reconnaissance.
[216]Nous voici rendus à la lumière, et lorsque nous nous sommes assez égayés réciproquement de l’état où notre curiosité nous a mis, force nous est de faire sécher au moins nos draperies : en attendant que nous puissions les reprendre, je vais chercher à utiliser mon temps. Je me promène auprès de la grotte de la fontaine, j’en parcours attentivement les moindres recoins ; et une inscription grecque, que je n’avais pas d’abord aperçue, vient frapper mes regards : elle est gravée sur le rocher dans un léger enfoncement de forme elliptique, et contient ces mots connus depuis long-temps du monde savant :
L’an XIII, Denys fils de Soter, exerçant la prêtrise, a fait réparer la fontaine[265].
Cela ne m’apprend pas grand’chose ; et la mémoire remplie de souvenirs historiques, je cherche à leur trouver d’autres appuis dans d’autres faits. A cet objet, je monte sur la colline d’où jaillit la source. De ce point élevé, ma vue porte au loin dans l’horizon, et je puis d’un coup d’œil embrasser l’étendue et la direction des ruines de la ville. L’aspect que ces ruines me présentent est loin d’être encourageant ; il est loin de répondre à la haute renommée de l’illustre Cyrène ; n’importe, je suis maintenant le cours de ma recherche, et j’essaierai ensuite de glaner quelques faits parmi ces débris défigurés. Cyrène est éparse devant moi, en agglomérations de pierres qui s’étendent fort loin dans le sud : plusieurs sentiers croisés par d’autres plus petits sillonnent ces ruines, en suivent la même direction, et m’aident surtout à en distinguer l’étendue. Aucune trace des murs de la ville n’a résisté aux outrages du temps ; mais par l’axe général des ruines, et par la forme irrégulière de leur ensemble, on reconnaît évidemment le trapèze que décrivait Cyrène, selon les traditions de l’antiquité.
Si je porte maintenant les yeux vers la source qui jaillit à mes pieds, je serai assuré qu’elle se trouvait dans l’enceinte même de la ville ; et[217] cette simple observation me dévoilera une foule de traits historiques, attachés à cette intéressante localité.
C’est donc là, me dirai-je, cette fontaine d’Apollon, autour de laquelle s’élevèrent les murs de Cyrène[266] ; c’est là cette grotte riante de Cyré, ce frais et verdoyant asile auprès duquel Callimaque chanta le bain de Pallas[267] et les exploits du Dieu de l’harmonie[268] ; c’est là ce lieu séduisant promis par les Giligammes aux colons d’Aziris ; c’est là, sous mes yeux, dans ce champ qui s’étend au-devant de la fontaine, que Battus fit poser ses tentes voyageuses[269]. Il me semble voir le descendant d’Euphème à la tête de ses compagnons, au beau visage attique, au front large et élevé, au corps couvert d’ondoyantes draperies, se désaltérer dans l’onde cristalline qui murmure à mes pieds, y faire de pieuses ablutions, et remercier l’oracle de Delphes de ses ordres bienveillants. Les Asbytes, accompagnés de leurs femmes couvertes de peaux de chèvres teintes de rouge de garance, accourent de la forêt voisine ; des javelots, des haches de pierre tranchante et des massues sont à leurs mains[270] ; sur leur teint bronzé brillent des yeux vifs et même un peu farouches, néanmoins ils n’ont rien de menaçant, et annoncent au contraire des intentions pacifiques. Pasteurs, ils accueillent avec bienveillance des étrangers qu’ils prennent pour des pasteurs : ils se joignent aux Giligammes ; ils invitent les Grecs à défricher ce fertile canton. La terre, leur disent-ils, est commune à tous les hommes ; qu’ils la cultivent en paix, et ils vivront en frères. Battus accepte l’offre hospitalière : il prend possession des environs de la fontaine ; mais, au lieu de tracer des guérets, il trace les murs d’une grande ville[271]. Cependant[218] laissons-là les fictions pour recourir moins frivolement à d’autres identités.
J’ai déja fait mention des débris magnifiques en marbre, couvrant presque totalement le champ qui s’étend devant la fontaine : ces débris me paraissent être ceux du célèbre temple d’Apollon, élevé à Cyrène dans les premiers temps de l’Autonomie[272] ; voici mes raisons. Je ferai d’abord remarquer que nul endroit de la ville ne convenait mieux que celui-ci pour l’érection d’un monument destiné au culte du Dieu que l’histoire, conjointement avec la fable, représente comme l’amant de la nymphe Cyrène, ou, pour parler différemment, de la fille du roi Hypsée. Le feu éternel que l’on conservait dans ce temple[273], et le beau canal qui, d’après sa direction, conduisait évidemment dans le sanctuaire du temple les eaux consacrées à Apollon, présentent des analogies allégoriques qui ne sont pas à dédaigner dans la recherche de faits appartenant à ces temps reculés, où l’imagination jouait un si grand rôle. En outre, selon Pindare, Battus avait fait paver une rue pour la marche des pompes religieuses qui se rendaient au temple d’Apollon[274] ; et cette précaution pieuse, motivée sur la disposition du lieu, sert de nouvelle preuve à mon opinion. Le terrain qui sépare le centre de la ville de la fontaine, décrit auprès de celle-ci une pente rapide et diverses sinuosités contre lesquelles l’art dut lutter dans l’antiquité, et avec d’autant plus de soin, qu’il avait en ceci pour objet le culte des Dieux et les intérêts théocratiques. Quelques restes de la rue pavée se retrouvent même encore à peu de distance des ruines du temple ; ce dont on ne peut douter, si l’on remarque que les autres rues de Cyrène ne furent jamais pavées, puisque chacune d’elles est formée de roc vif, et encore sillonnée de traces de chars.
A ces observations j’en joindrai une autre. Parmi les débris du temple[219] on trouve un bas-relief en marbre, représentant une jeune femme nue jusqu’à la ceinture, sans attribut de déesse, et paraissant couronner un buste dont il manque la tête[275]. Cette jolie figure, dont les contours délicieux et la gracieuse disposition de la draperie rappellent le beau siècle de Périclès, pourrait représenter la nymphe Cyrène couronnant Apollon. Toutefois je me garderai d’insister sur la validité de ce rapprochement, plus susceptible d’affaiblir que d’appuyer les preuves positives que je viens d’exposer sur un des points les plus intéressants de l’histoire archéologique de la Pentapole.
Avançons maintenant dans les ruines de la ville par la rue de Battus. Cette rue qui sert aujourd’hui, comme dans les temps antiques, de communication entre la plaine de Cyrène et la fontaine d’Apollon, est aussi celle auprès de laquelle on trouve les monuments les plus importants et les plus reconnaissables. On a à peine franchi la forte pente qu’elle décrit non loin de la source, que l’on rencontre les ruines d’un amphithéâtre dont les marches inférieures sont enfouies dans la terre ; au-devant sont épars plusieurs fûts de colonnes, et des torses de statues, qui, d’après leurs graves attitudes et leurs larges draperies, paraissent représenter des philosophes. A peu de distance de là, et parmi un nombre plus considérable de colonnes, on remarque un immense bloc de marbre de forme parallélogramme, et offrant une analogie vague avec les stèles égyptiennes, à cause d’un globe sculpté en relief au sommet du monolithe, ce dont je n’ai pu deviner ni l’objet ni l’emblême. Je doute d’ailleurs que ce monument et les colonnes qui l’entourent aient fait partie d’un édifice quelconque élevé en ce lieu même, car ils se trouvent dispersés au pied d’une colline couronnée d’une vaste enceinte et couverte de toutes parts de débris imposants. Quelques pas suffisent pour nous y rendre ; elle est à droite de la rue de Battus : nous y voici. Nous sommes sur le point le plus culminant de la plaine de Cyrène, et nous ne tardons pas à reconnaître autour de nous les ruines d’un Cæsareum, ou temple de César : l’inscription Porticus Cæsarei, gravée en grandes lettres sur une corniche colossale, en est la preuve évidente.
[220]Ce temple fut élevé avec les débris d’édifices plus anciens. Des fragments d’inscriptions renversées, des blocs de pierre de diverse nature, intercalés dans ses assises, l’indiquent suffisamment. Quoique j’aie eu souvent l’occasion de faire cette observation, je la reproduis ici, parce que la cause s’y reproduit, pour ainsi dire, sur une plus grande échelle.
Les matériaux précieux, tels que le marbre, le porphyre et le granit, étrangers, je le répète, au sol de Cyrène, y étaient transportés de loin, et ils ne le furent probablement que sous les règnes brillants de l’Autonomie. On dut donc se servir, pour flatter la vanité d’un prince romain, des matériaux dont on s’était précédemment servi pour flatter celle d’un prince lagide, lesquels avaient sans doute déja été enlevés aux monuments érigés en l’honneur d’un Battus ou d’un Arcésilas. C’est là l’histoire de l’archéologie de la Cyrénaïque, sanctionnée par la plupart de ses monuments ; c’est là la cause de sa dénaturalisation sur son propre sol ; en un mot, c’est là ce qui rend le plus souvent méconnaissables les débris épars des édifices antiques, et ce qui tromperait infailliblement celui qui, à l’aspect de leur confus mélange, voudrait assigner à l’ensemble une origine et une époque précises : ce serait, en d’autres termes, vouloir soutenir qu’un griffon est un aigle ou un lion.
Pour en revenir au temple de César, non seulement ses murs sont bariolés de dépouilles de divers âges ; mais parmi le grand nombre de ses colonnes dispersées çà et là sur le sol, il en est peu qui se ressemblent, soit par la forme, soit par la nature de la pierre. On en voit de rondes, de torses et de cannelées ; les unes sont en marbre blanc, les autres en granit rose, et d’autres en porphyre bleu. A ces détails, il faut en ajouter un plus intéressant, et qui me paraît évidemment se rattacher à ce temple. Hors de son enceinte, mais à soixante-dix mètres seulement vers l’ouest, on trouve le torse d’une statue colossale en marbre blanc, représentant un guerrier. La cuirasse, enrichie de sculptures d’un travail fini, est d’une belle conservation ; on y distingue les emblêmes suivants : au milieu du poitrail une figure de femme ailée, la tête couverte d’un casque, et tenant d’une main un glaive et de l’autre un bouclier, se tient debout sur une louve : il est presque inutile de dire que c’est là l’emblême de Rome la guerrière, portée par l’animal qui allaita son premier roi. Deux[221] autres figures également ailées, sculptées latéralement à la précédente, paraissent représenter les génies qui présidaient aux destins de la ville héroïque. Les écailles semi-sphériques de la cuirasse qui recouvrent les bandelettes libyennes[276], contiennent aussi chacune des sculptures en relief, disposées symétriquement, parmi lesquelles on remarque des dauphins, les têtes de Mercure et d’Apollon, les aigles de Rome, et autres symboles qui contribuent à orner ce beau torse sans trop le charger[277]. Si l’on se rappelle maintenant la situation de ce précieux monument, si l’on observe ses dimensions colossales et le fini du travail, il est hors de doute qu’on ne manquera pas de reconnaître en lui la statue de l’empereur César, que les Barbares, en dépit de son apothéose, ont chassée de la superbe enceinte, et fait rouler dans ce champ avec les colonnes et les voûtes qui en relevaient autrefois l’éclat. Pour le coup, on excusera le voyageur s’il ne peut s’empêcher de réfléchir à la destinée subversive des grandeurs humaines, s’il ne peut s’empêcher de sourire à l’aspect de tant d’orgueil réduit à tant d’humiliation. Debout devant ce tableau philosophique, et seul être pensant au milieu d’un vaste désert, il serait disposé à dire là-dessus bien des choses ; mais par bonheur pour le lecteur qu’un laboureur nomade parcourt la plaine de Cyrène : sa charrue à laquelle est attelé un chameau en sillonne les champs ; elle s’approche du temple de César, heurte contre l’homme-dieu à demi-enfoui dans la terre, écorne l’image de Rome et de ses génies protecteurs. A cette rencontre, le Libyen pousse un cri rauque, et s’emporte contre la rocaille qui encombre ses guérets : l’Européen alors s’éveille ; il trouve dans ce nouvel accident un nouveau texte à ses réflexions ; mais auprès du susceptible nomade, il se garde bien de les faire à haute voix, et se décide enfin à aller rêver ailleurs.
A l’ouest du temple de César, on rencontre des ruines peu apparentes,[222] mais qui ne sont pas dénuées d’intérêt. Il est remarquable que leur situation s’accorde avec celle du temple d’Apollon, et, autant que l’on peut en juger par différentes inscriptions qu’on y trouve, elles appartiendraient originairement à une époque approchante. Le profond ravin qui reçoit les eaux des sources occidentales de la Nécropolis, très-large vers le nord, se rétrécit insensiblement à mesure qu’il pénètre dans les ruines de la ville, puis il s’élargit encore, se dirige vers l’est, mais au lieu de présenter des rives abruptes, se perd en vallée légèrement ondulée. A un point qui se trouve en ligne parallèle avec le temple de César, et à sept cents mètres environ de celui d’Apollon, on voit à la rive occidentale de ce ravin un mur d’étaiement moins considérable que celui de ce dernier temple, mais dont l’objet fut également de soutenir et de niveler le terrain d’une petite terrasse, qui contient aussi les débris en marbre d’un édifice. Parmi ces débris, plusieurs sont couverts d’inscriptions, dont une, gravée sur un beau pilastre, remonte peut-être à l’Autonomie, ou du moins n’est pas postérieure au règne des Lagides, mais elle n’offre malheureusement que des noms propres[278]. Une autre, publiée par M. Letronne, d’après la copie rapportée par Della-Cella, et appartenant, selon ce savant, à l’époque des empereurs, est ainsi conçue :
Claudia Venusta, fille de Claude Carpisthène Melior (a élevé) à ses frais (la statue de) Bacchus, ainsi que le temple (où elle est placée)[279].
Il paraît d’abord résulter de ce dernier document, que les débris que nous avons sous les yeux ne sont pas antérieurs à l’époque romaine, et que l’analogie de position et d’aspect, que j’ai cru entrevoir entre ces ruines et celles du temple d’Apollon n’est qu’accidentelle, et n’entraîne aucun rapport de contemporanéité. Cependant, loin d’être convaincu par de pareils indices, ils fournissent au contraire un nouvel appui à mes précédentes conjectures. L’inscription qui n’est pas postérieure au règne des Lagides, se trouve enfouie parmi les mêmes débris avec celle qui[223] appartient à l’époque romaine : égale dissemblance entre une inscription et des preuves monumentales, auprès de la fontaine d’Apollon, et auprès de ce temple de Bacchus ; nouvelle preuve de ce que j’ai avancé en parlant du Cæsareum, et par conséquent, même induction qui me porte à croire qu’ici, de même que devant la fontaine d’Apollon, et sur la colline de César, il exista dans l’Autonomie ou sous les Lagides un temple ; que ce temple fut réédifié à l’époque romaine, et qu’il peut avoir changé à cette époque de destination, comme il peut l’avoir conservée.
Nous nous rendons de nouveau à la rue de Battus, auprès de laquelle une grande construction a frappé nos regards du haut du Cæsareum ; et nous ne tardons pas d’arriver, en la suivant, auprès de l’immense édifice que nous avons aperçu. Un seul coup d’œil suffit pour dissiper les prestiges que s’était déja forgés notre impatiente curiosité : toutefois, si ces nouvelles ruines ne nous apprennent pas grand’chose pour l’histoire archéologique de Cyrène, nous trouvons qu’elles méritent du moins l’épithète que nous leur avons donnée. Elles présentent, en effet, une enceinte carrée ayant cent quatre-vingts mètres de long sur cent vingt-cinq de large. Cette enceinte est divisée en deux parties, dont une ne forme qu’un enclos sans traces de subdivisions, et l’autre était composée de quatre pièces voûtées, enduites de ciment pareil à celui des citernes : deux d’entre elles sont encore debout ; les lettres latines, marques de repère des architectes, dont chaque pierre est isolément empreinte, indiquent qu’elles sont de l’époque romaine. En outre, deux aqueducs venaient aboutir à cette construction : l’un y conduisait les eaux de la source de Saf-saf, bourg situé à quatre lieues à l’est de Cyrène ; et l’autre, par ses ramifications, paraît avoir été destiné au contraire à les répandre de l’édifice dans diverses parties de la ville. Ces observations portent naturellement à croire que ce monument dut être un immense réservoir construit au milieu de Cyrène, pour subvenir d’une manière plus commode aux besoins des habitants. Non que je croie que toute l’enceinte fut, dans l’antiquité, remplie d’eau ; la partie voûtée, d’ailleurs assez considérable par elle-même, me paraît seule avoir été réservée à cette destination. Cette supposition se change même en certitude, si l’on observe que les parois des voûtes, et[224] non celles du reste de l’enceinte, sont intérieurement enduites de ciment.
Il serait superflu, ce me semble, de grossir cette description de l’énumération minutieuse de chaque agglomération de pierres que l’on rencontre en parcourant la plaine de Cyrène. Lorsque j’aurai dit qu’entre les monuments décrits s’élèvent çà et là des pans de murs, accompagnés de fragments de colonnes et de petits souterrains, ou bien des monceaux informes de débris de toute espèce, et que ces rocailles portent les noms modernes de Mektelèh, Cheghièh, Bou-Ghadir et autres, je ne crois pas qu’en dissolvant ces précieux renseignements dans un fort grand nombre de phrases on m’en saurait bien bon gré. Le plan de ces ruines suffit pour dire ces choses, et il les dira du moins plus succinctement. Il vaut donc mieux que je m’arrête là, où je puis trouver quelques faits à glaner. Les rues de Cyrène sont devant moi ; je suis tenté de les parcourir ; mais, réflexion faite, les notions qu’elles donnent sont peu variées, et ne valent pas la peine d’être exposées comme je les ai recueillies, c’est-à-dire en traînant le lecteur pas à pas dans ces sentiers abandonnés : je préfère les lui résumer, et le laisser en repos.
Les rues de Cyrène, outre celle de Battus, sont au nombre de cinq ; une seule est dirigée de l’est à l’ouest : les quatre autres se prolongent irrégulièrement vers le sud, où elles finissent par former deux angles très-aigus. Elles sont toutes sillonnées de traces des chars antiques, ce que l’on observe partout où la roche s’y trouve dépouillée de terre. Une d’entre elles paraît néanmoins avoir été spécialement consacrée aux courses de chars : non seulement elle est plus large que les autres, et les traces y sont plus profondes et plus multipliées ; mais le mot ΙΠΠΙΚΟΣ profondément gravé en lettres de plusieurs pouces sur la paroi du mur de roche qui en forme un des côtés, indique assez clairement que ce lieu est un ancien hippodrome. Ces rues ne sont point spacieuses, il s’en faut de beaucoup ; l’hippodrome même n’a que dix mètres de largeur, et les autres ne dépassent jamais quatre mètres. Elles sont formées par intervalles, et selon la disposition du sol, tantôt de deux rangs de bornes équarries posées à des distances égales, tantôt d’un ou de deux murs de roche taillés à pic, mais peu élevés ; et d’autres fois par deux rives décrivant un faible talus. A moins que le terrain ne soit latéralement à la rue tout-à-fait[225] uni, ce qui est rare, on y trouve des séries de grottes sépulcrales semblables à celles de la Nécropolis. De courtes inscriptions grecques et latines y sont gravées intérieurement ou extérieurement : elles apprennent que le tel est mort il y a environ deux mille ans ; que ce tombeau est pour lui et les siens ; et rien de plus. Au-dessus des excavations et dans les endroits même qui en sont dépourvus, s’élèvent çà et là parallèlement aux rues des tombeaux élégants couverts en forme de toit, et surmontés infailliblement autrefois de statues. Indépendamment de ces mausolées, dont la situation au centre de la ville et la position élevée inspirent des idées touchantes, on voit aussi le long des rues une prodigieuse quantité de sarcophages monolithes de roche grossière ; en un mot, on peut dire que ces sentiers accompagnés de tant de témoignages de piété funèbre produisent, chacun en petit, à peu près le même effet que la Nécropolis produit en grand.
Dans l’espace qui les sépare, espace très-étroit comparativement à leur longueur, on trouve, de même que dans la partie septentrionale des ruines de la ville, de nombreuses agglomérations de pierres, débris de monuments réduits à cette dernière forme par les laboureurs qui cultivent la plaine de Cyrène. Il faut cependant en excepter quelques restes d’édifices. Tels sont les ruines d’un bain construit en briques, et conservant plusieurs pièces voûtées ; un stadium formé par de simples rangs de bornes semblables à celles des rues ; deux petits temples hypogées de l’époque romaine avec des emblêmes chrétiens ; et enfin plusieurs châteaux, dont deux entre autres sont situés à l’extrémité méridionale des ruines, chacun auprès de l’angle aigu qu’y forment les rues en se joignant.
Le plus oriental de ces derniers, beaucoup plus considérable que les autres, est, si je ne me trompe, et sauf la restriction de réédification, celui que l’histoire a rendu célèbre par le siége de Thimbron, les révoltes des Cyrénéens contre les Lagides, le massacre des envoyés d’Égypte, et autres événements connus[280]. Dans son état actuel il présente tous les caractères[226] de l’époque romaine, dont le plein cintre est mon indice ordinaire, et, je crois, le plus sûr. Ses murs sont défendus à chaque angle par un bastion auquel vient se joindre une forte courtine ; et six entrées, pareilles à celles que j’ai fait remarquer aux édifices romains du même genre, s’aperçoivent à la base de l’enceinte, autour de laquelle règne un large fossé entouré lui-même d’une enceinte extérieure.
Cette position du grand château de Cyrène à l’extrémité méridionale de la ville ne me paraît pas devoir surprendre. S’il est probable, comme je le démontrerai bientôt, que durant l’Autonomie, Cyrène n’eut point à redouter les incursions des Libyens ses voisins, il ne l’est pas moins qu’elle dut être forcée de les tenir en respect. Or, cette grande citadelle placée comme avant-poste vis-à-vis des bourgades indigènes de l’intérieur des terres, était bien propre, dans ces temps de force et de gloire, à répandre au besoin de son sein l’épouvante dans les plaines du sud, et à assurer à la brillante reine de la Libye au moins un empire d’éclat sur les hordes de Barbares qui l’entouraient. Mais lorsque, sous les préteurs romains, les temps furent devenus moins prospères, la citadelle dut également changer de destinée. Au lieu d’aider les Cyrénéens, comme dans l’Autonomie, à régner, sinon en souverains, du moins en seigneurs, sur les farouches Libyens, elle fut probablement réduite à servir de boulevart contre leurs attaques audacieuses. Sous ce dernier rapport, la position de la citadelle de Cyrène s’accorde parfaitement avec celle d’autres édifices semblables, que nous avons précédemment rencontrés dans des lieux éloignés du littoral. Sa réédification romaine est aussi un nouveau garant des inductions émises à ce sujet ; et cette réédification, jointe aux grandes dimensions de l’édifice et à l’aspect des nombreux débris de ses tours colossales qui couvrent maintenant le sol, sert, pour ainsi dire, de commentaire aux affligeantes narrations de Synésius ; elle en offre même des preuves si évidentes, qu’il devient presque superflu d’ajouter que dans toute la plaine qui s’étend au sud de Cyrène, et à une distance de quatre ou cinq lieues, chaque colline est couronnée des ruines d’un petit château, et que ces châteaux appartiennent tous à la même période de décadence et de détresse, à la période romaine. D’autres observations se rattachent au lieu où je me[227] trouve, et me suggèrent d’autres rapprochements qui ne le cèdent pas, à mes yeux, en vraisemblance et en intérêt au précédent.
La rue finit auprès du grand château ; mais à ce point elle se change en chemin spacieux qui contourne brusquement vers l’est, conserve, pendant plusieurs lieues de distance, des traces d’anciens chars ou chariots, et conduit auprès des ruines de Limniade et de Thintis. Il est important de dire que les autres rues de Cyrène ne sont pas, comme celle-ci, suivies de chemins qui paraissent avoir été frayés dans les temps antiques ; et quoique la conservation de celui dont il s’agit puisse être attribuée à sa direction orientale qui le fait servir par cette raison, de nos jours, de ligne de communication entre les habitants de Derne et les Scénites de Cyrène, néanmoins ce fait est remarquable, et aide puissamment aux conjectures que je vais émettre.
Non loin de la citadelle, et vers le côté méridional du chemin, on voit un endroit spacieux qui paraît avoir été ceint autrefois de bornes. D’immenses caroubiers dont le tronc principal, profondément crevassé par le temps, est entouré et quelquefois soutenu d’une nombreuse famille de rejetons devenus arbres vigoureux à leur tour, sont irrégulièrement groupés çà et là, et forment de ce lieu un petit parc délicieusement ombragé. Cette circonstance est d’autant plus frappante, que le reste de la plaine occupée par les ruines de Cyrène est tout-à-fait dépourvu d’arbres. D’après ces observations, ne serait-on pas porté à croire que ce fut dans ce lieu qu’exista le marché de Cyrène, cité par le chantre des Pythiques[281], si l’on se rappelle surtout que dans l’antiquité les marchés étaient toujours séparés de la ville ? Il faut remarquer en outre que la partie la plus habitée de la Cyrénaïque fut incontestablement la partie orientale : le grand nombre de ruines que nous y avons rencontrées, et la situation même de la métropole relativement à ces ruines, en sont des preuves palpables. Or, le chemin qui traversait, de ce côté, plusieurs villes et une infinité de bourgs et villages, rendait la localité dont il s’agit très-favorable, pour un pays agricole, à l’établissement d’un marché public ; et l’espèce de parc que je viens de décrire semble[228] aussi avoir été nécessaire en été, sous le ciel brûlant de la Libye, pour abriter le peuple qui devait y venir de tous côtés étaler ses denrées.
Cependant, si ces conjectures sur le marché de Cyrène sont fondées, elles réfutent les idées que Thrige a émises à ce sujet sur la foi d’un voyageur dont j’ai naguère prouvé la crédulité, et que je trouve maintenant mauvais observateur. La longue série de grottes de la partie occidentale de la Nécropolis, précédemment décrites, et offrant, je le répète, la plupart des inscriptions tumulaires tant au dehors qu’à l’intérieur, ont paru à Lemaire autant de boutiques taillées dans le roc, et contenant des chambres et des fenêtres[282]. D’après ce témoignage que d’autres pourraient traiter d’erreur grossière, il n’est pas surprenant que le savant Danois ait avancé que le marché de la ville de Cyrène existait dans le lieu indiqué par Lemaire, et que ce lieu offrait une preuve de la grande activité du commerce des Cyrénéens[283]. C’est ainsi que les excursions rapides des voyageurs dans les contrées classiques, ne pouvant leur permettre que des aperçus superficiels, servent parfois à obscurcir l’histoire au lieu de l’expliquer.
Que si Lemaire, sans avoir aucune idée d’archéologie comparée, eût cependant donné quelque développement à ses descriptions ; s’il eût ajouté que ces boutiques se trouvaient sur le penchant abrupt de la montagne, qu’on ne pouvait y parvenir qu’en escaladant des ravins, ou en suivant un sentier très-étroit, il est hors de doute que, d’après ces indications, le profond érudit Thrige se serait bien gardé de placer dans ce lieu le marché d’une grande ville, où devaient arriver de tous côtés un grand nombre de charriots, où devait affluer une population agricole, commerciale et surtout très-riche. Ces considérations me font insister plus fortement sur la place que j’ai indiquée au marché de Cyrène, dans la plaine aux confins méridionaux de la ville, et me suggèrent encore une idée sur ce lieu, idée très-vague, il est vrai, et que je donne pour telle, sans pouvoir toutefois résister à l’attrait qu’elle me présente.
A l’extrémité de la rue, endroit non loin duquel, je suis forcé de me[229] répéter, sont la citadelle et le marché de Cyrène, on trouve un groupe d’hypogées à façades d’ordre dorique très-ruinés, mais qui, si l’on en juge par leurs débris, ne le cédaient ni par la magnificence du travail, ni par le grandiose des dimensions, aux plus beaux monuments de la Nécropolis. Pindare nous apprend que le tombeau de Battus premier fut placé à l’extrémité du marché de Cyrène[284] ; et Catulle rappelle évidemment cette tradition en parlant du tombeau sacré de Battus l’ancien[285]. Serait-ce céder trop facilement à mon penchant pour les hypothèses, si je supposais qu’un de ces tombeaux qui élèvent encore auprès du parc silencieux leur faîte décrépit, quoique sans doute réédifié, eût contenu primitivement les cendres du chef de la colonie de Théra ? J’ai cherché attentivement parmi les monceaux de débris qui encombrent les façades de ces tombeaux, et rien n’a pu aider à mes conjectures. Le nom de Carnéade, gravé sur un cube de marbre richement sculpté[286], a frappé mes yeux ; mais cette intéressante homonymie à laquelle j’aurais désiré m’arrêter, fait sourire involontairement l’esprit dans ces solitudes, sans pouvoir toutefois le convaincre.
Il me reste à parler d’un autre fait, entraînant d’autres identités, et se rapportant à la même époque que les précédentes. Pour en prendre connaissance, il faut que, du point où je me trouve, je traverse les ruines de Cyrène dans leur plus grande étendue ; que j’en franchisse l’enceinte présumée, et que j’arrive à l’extrémité occidentale de la Nécropolis.
J’ai fait mention des groupes d’arbres et d’arbustes qui ornent cette partie de la Nécropolis. Si l’on s’avance à travers le flanc de la montagne qui se prolonge vers l’ouest, le nombre de ces arbres augmente de plus en plus ; ils s’étendent même au-dessus du plateau dans l’espace de quelques minutes, jusqu’à ce qu’on rencontre un profond ravin, bordé de précipices et couvert d’une riche végétation. Cette forêt, la seule qui existe sur la plaine et aux environs de Cyrène, rappelle le bois que le pieux Battus fit planter auprès de la ville, et qu’il consacra aux[230] dieux[287] ; rapprochement vers lequel j’ai été d’autant plus facilement entraîné, qu’un monument remarquable m’a paru l’appuyer. A l’extrémité de la forêt, et sur le flanc oriental du ravin qui lui sert de limite, on voit un sanctuaire creusé dans le roc, et le plus grand comme le plus pittoresque de tous ceux que j’ai vus dans la Pentapole. Des marches taillées avec un soin infini aident à y descendre de la plaine de Cyrène, comme à y monter du fond du ravin. Ces marches, assez larges pour que deux personnes puissent y passer de front, présentent le plus souvent une saillie hors du flanc du ravin, quelquefois y sont profondément creusées, et de telle manière qu’elles se trouvent enfouies entre deux murs de roche très-exhaussés.
A ces différences occasionées par les angles brusques du ravin, la nature et le temps en ont ajouté d’autres. Le ciel pluvieux de la Cyrénaïque et sa chaleur fécondante donnent à la végétation une telle activité, qu’elle se glisse partout, remplit chaque cavité, couvre chaque élévation. Elle paraît même vouloir lutter de force avec la dureté des rocs : elle leur dispute à chaque pas le terrain, les divise en mille parties, pénètre dans leurs moindres crevasses ; enfin, pour revenir à mon sujet, elle change de faibles arbustes en arbres vigoureux, et présente des troncs noueux, d’épais ombrages sur des massifs de roche auparavant nus et polis : tel se trouve en effet le bel escalier qui conduit au sanctuaire.
On pénètre dans l’hypogée par trois grandes marches, et l’on arrive dans une vaste pièce quadrangulaire, entourée d’un banc large et peu élevé ; au fond on voit un autel carré, au-dessus duquel est une grande niche réservée à la statue de la divinité qui présidait à ce lieu. Les plantes saxatiles, et celles principalement qui aiment les endroits humides et ombreux, couvrent à un tel point les parois de l’hypogée, qu’il faut les en enlever par touffes, afin de pouvoir déchiffrer les inscriptions dont ces parois sont couvertes. Après ce dépouillement que l’on fait à regret dans ce lieu antique, et comme si l’on portait sur ces champêtres décorations une main sacrilége, un simple coup d’œil jeté sur l’ensemble des inscriptions[231] suffit pour nous convaincre qu’elles appartiennent à des époques bien différentes entre elles. Elles bariolent en tous sens, et de la manière la plus irrégulière, le moindre recoin de l’hypogée : les unes sont gravées profondément en lettres de cinq ou six pouces ; les autres sont d’une écriture si fine qu’à peine sont-elles perceptibles ; et, considérées séparément, chacune d’elles est sans liaison avec celle qui la précède ou la suit, et ne forme jamais qu’une phrase très-courte, souvent tronquée par le temps. Puis on lit çà et là une foule de noms isolés, dont l’homonymie, quoiqu’elle ne soit peut-être qu’illusoire, produit néanmoins une agréable surprise : Tels sont ceux d’Aristocle, Alexandre, Jason, Agathocle, et autres.
En résumant ces documents intéressants, il en résulte que ce lieu était un temple hypogée consacré probablement à l’une des principales divinités de Cyrène, et que les étrangers venaient le visiter, comme pour acquitter un pieux devoir. Or, la situation de ce monument religieux auprès de la seule forêt que l’on trouve sur la plaine de Cyrène, me paraît s’accorder parfaitement avec l’objet et l’origine présumés de ce bois, qui remonterait par conséquent à la première phase de la colonisation grecque en Libye. Les cyprès majestueux qui le composent, seraient donc les descendants de ces arbres que le chef de la dynastie des Battiades consacra aux Dieux ! Et cette destination votive, fruit de la sage politique d’un roi populaire, aurait traversé les divers âges de la Pentapole : elle aurait survécu aux changements de gouvernement et de mœurs ; elle aurait été respectée par les maîtres successifs de cette contrée ; et n’aurait enfin échoué que contre la nouvelle religion de l’Orient, contre l’austère christianisme, dont ici, comme ailleurs, on retrouve les emblêmes dans de petites niches informes qui déparent l’entrée du vénérable sanctuaire.
Tels sont les tristes et rares débris que j’ai aperçus dans le lieu où s’élevait autrefois Cyrène, et le petit nombre d’identités historiques que j’ai pu établir sur eux avec quelque fondement. Pour donner une idée moins imparfaite de cette ville célèbre, et surtout de ses monuments, je voudrais en vain suppléer aux ravages du temps par les ressources que présentent ordinairement les livres, ces autres débris des âges antiques,[232] je n’y trouve, à mon grand regret, qu’à glaner çà et là de stériles et ingrates notions.
Selon quelques auteurs, une ville nommée Zoes ou Zoa aurait existé antérieurement à Cyrène, et dans le lieu même où celle-ci fut bâtie. Les uns ont prétendu que cette ville fut fondée par Battus, et nommée par la suite Cyrène[288] ; et les autres, que Battus n’en fut que le second fondateur[289]. Mais plusieurs savants, entre autres Wesseling, Walckenaer, et notamment Thrige[290], ont suffisamment combattu cette opinion, et prouvé qu’elle n’avait d’autre fondement qu’une erreur philologique, laissée dans l’édition d’Hérodote de Valla. Je ne me fatiguerai pas non plus inutilement à éclaircir quelle fut la véritable origine du nom de la ville de Cyrène. Je laisserai à d’autres le soin de déterminer si cette origine vient du mont ou de la fontaine Cyré, comme le dit Callimaque ; si ce nom de Cyré est libyen ou grec, ce dont Mannert doute ; ou bien si Cyrène dut son nom à la fille du roi Hypsée, dont l’histoire, racontée primitivement par Pindare, fut expliquée ensuite de diverses manières par Diodore, Eustathe, Justin, Étienne, et devint surtout bien connue par les beaux vers de Virgile. Ce qui résulte d’incontestable de ces traditions obscures et compliquées, c’est que la ville de Battus fut bâtie sur le sommet de la montagne, et auprès de la belle fontaine que j’ai décrite ; que cette fontaine fut par la suite consacrée à Apollon, et que la ville fut nommée Cyrène, n’importe à nous qu’elle ait pris ce nom de la montagne, de la source, ou de la fille du roi Hypsée.
Il est aussi hors de doute que, si l’on en excepte Carthage, Cyrène dut être la ville la plus considérable de l’Afrique connue de l’antiquité : l’étendue de ses rues en est un témoignage encore marquant de nos jours. Strabon dit qu’elle était située sur une plaine élevée, unie comme une table, et à cent stades de la mer ; ce qui permit au célèbre géographe de l’apercevoir de son vaisseau dans un trajet maritime. De tels renseignements servent à toutes les époques : le temps n’y peut rien changer,[233] aussi les avons-nous trouvés exactement fidèles. Nous n’en pouvons dire autant des édifices qui ont fait surnommer Cyrène la Magnifique, la très-bien Bâtie, la Ville au trône d’or[291]. Cependant, quoique nous n’ayons vu à leur place que des débris clair-semés et d’informes agglomérations de pierres, le grand nombre de tombeaux encore debout et l’élégance de leur architecture portent à croire le chantre des Pythiques, d’autant plus que l’histoire a pris le soin de faire mention de plusieurs de ces édifices.
Indépendamment des temples d’Apollon et de Bacchus dont j’ai parlé, nous savons par Hérodote qu’à l’est de Cyrène s’élevait une colline consacrée à Jupiter Lycéen[292], et probablement couronnée d’un temple. Pausanias nomme celui de Jupiter Olympien, et Tacite, celui d’Esculape, dans l’un desquels les Cyrénéens renfermaient leur trésor[293]. On peut citer encore ceux de Minerve, de Rhea, de Saturne, et enfin celui de Diane où l’on célébrait les fêtes Artemitia, instituées à Cyrène en l’honneur de cette déesse[294].
Ces temples, dit Théophraste, étaient construits en bois de thyon[295] ; et quoiqu’il soit permis de n’appliquer les expressions du naturaliste grec qu’à la charpente seule, et non à la totalité des édifices, néanmoins cet usage s’explique suffisamment par les grandes forêts de cet arbre qui couvrent les montagnes de la Pentapole, et par le défaut de marbre et d’autres matériaux précieux qui leur sont étrangers. En outre, cette importante tradition ajoute une nouvelle raison à celles que j’ai données relativement à la complète destruction des édifices de l’Autonomie. Si l’on se rappelle les fréquents incendies causés par les Barbares qui envahirent dans les quatrième et cinquième siècles les différents cantons de la Cyrénaïque septentrionale, et dont Synésius a tracé[234] plusieurs fois l’affligeant tableau, on cessera assurément d’être surpris que les restes des temples échappés aux réédifications romaines, et construits en grande partie de bois résineux, soient devenus à cette époque la proie des flammes, au point que nous ne trouvions plus à leur place que des pierres éparses ; tandis que, dans d’autres contrées, des monuments qui remontent à une antiquité infiniment plus reculée, bravent et braveront encore long-temps les efforts des hommes et des siècles.
[265]Traduction de M. Letronne, d’après une copie rapportée par Della-Cella (Annales des Voyag. par Eyriès et Malte-Brun, t. XVII, p. 337).
[266]Pind. Pyth. IV.
[267]Callim. Lavacr. Pallad.
[268]Idem, Hymn. in Apoll.
[269]Hérod. l. IV, 158.
[270]Diod. l. IV, c. 4.
[271]Je suis ici, comme dans l’Introduction historique, la tradition d’Hérodote préférablement à celle de Callimaque, pour ce qui concerne la cause et les circonstances de l’arrivée de Battus à la fontaine d’Apollon. Selon Callimaque, ce fut un corbeau qui conduisit les colons de Théra auprès de cette fontaine ; et il n’est pas inutile de dire que cette tradition, comme la plupart de celles des anciens, est fondée sur une observation locale. Le corbeau est le seul oiseau que l’on rencontre partout en Libye, et particulièrement dans les zônes de sable. Or, cette remarque, qui me paraît propre à expliquer la tradition de Callimaque, peut expliquer aussi la raison pourquoi le corbeau, malgré son croassement et son noir plumage, fut par la suite consacré au dieu de l’harmonie, à Apollon, amant de la nymphe Cyrène.
[272]Callim. Hymn. in Apoll.
[273]Pindare, Pyth. V.
[274]Id. ibid.
[276]Hérodote affirme que les Grecs ont emprunté des Libyens l’égide de Minerve, originairement déesse de la peuplade des Auséens qui habitait les bords de la grande Syrte. Les femmes de ces Libyens, dit-il, et cette assertion est confirmée par Hippocrate et Apollonius de Rhodes, s’habillaient de peaux de chèvres, dont une partie, coupée en petites bandes, pendait sur leurs genoux en guise de franges, ce dont les Grecs ont fait des serpents. Le père de l’histoire a pris même le soin de faire remarquer que le nom grec Égide, vient de ces vêtements libyens (l. IV, 189).
[278]C’est le jugement qu’en a porté M. Letronne ; voyez Nouv. Annal. des Voyages, t. XVII, p. 343.
[279]Ouvrage cité, p. 340.
[280]Voyez au surplus, pour ce qui concerne le château de Cyrène, Diodore, l. XIX, c. 79 ; Polyen, l. II, c. 28.
[281]Pindare, Pyth. IV.
[282]Dans Paul-Lucas, t. II, p. 90.
[283]Thrige, Hist. Cyren. p. 268, 277.
[284]Pindare, loc. cit. v. 124.
[285]Catulle, Od. VI, v. 6.
[287]Pindare, Pyth. V.
[288]Frisch. in Annotat. ad. Callim. Hymn. in Apoll. v. 88.
[289]Schneid. ad. Pind. p. 134.
[290]Histor. Cyren. p. 113.
[291]Pindare, Pyth. V.
[292]Hérod. l. IV, 203.
[293]Dans celui de Jupiter Olympien, selon Pausanias (l. VI, c. 19) ; ou dans celui d’Esculape, selon Tacite. Thrige, Hist. Cyren., p. 218.
[294]Thrige, Hist. Cyren., p. 218.
[295]Theophr. Hist. plant. l. V, c. 5.
Campagne et animaux domestiques de la Cyrénaïque.
Nous savons par l’antiquité que la ville de Cyrène était entourée de campagnes fécondes[296] ; et mes propres observations me portent à ajouter que, soit que l’on veuille désigner par ces campagnes les plaines qui s’étendent aux environs de Cyrène, soit les collines littorales, elles ne le cèdent en rien aux plus beaux cantons de la Pentapole. Leur fertilité prodigieuse explique même l’accroissement rapide que prit la ville de Battus, et le grand nombre d’étrangers qui y affluèrent de diverses parties de la Grèce peu après l’établissement de la colonie, pour envahir et se partager les terres voisines occupées par les Libyens. Quoique j’aie précédemment donné l’espèce d’échelle agricole de la campagne de Cyrène, transmise par le père de l’histoire, je répéterai ici cette précieuse tradition, parce que je pourrai ici mieux en prouver l’exactitude, et l’accompagner d’autres renseignements de l’antiquité qui y sont relatifs.
Les champs de Cyrène se divisaient donc en trois parties, dont chacune avait une époque de fécondité qui succédait à l’autre, formant ensemble trois saisons distinctes qui occupaient les Cyrénéens pendant huit mois de l’année. On commençait par faire la moisson et les vendanges sur la plaine qui borde la mer ; on montait ensuite à la région moyenne qu’Hérodote appelle celle des Bunes, c’est-à-dire, des collines, où les fruits se trouvaient en pleine maturité ; et pendant qu’on recueillait ceux-ci, d’autres fruits mûrissaient sur le sommet des montagnes, et préparaient la troisième récolte.
L’heureuse disposition de cette partie de la Libye qui s’avance en promontoire semi-circulaire dans la méditerranée ; la graduation de ses[236] terrasses boisées, et leur situation variée qui les fait alterner ici avec des plaines, plus loin avec des vallées, expose la plupart d’entre elles aux brises rafraîchissantes de la mer, et les abrite toutes contre le souffle brûlant des vents du Saharah, présentent autant de conditions favorables à cette fécondité successive, et mettent, on peut le dire, la merveilleuse tradition d’Hérodote hors de tout soupçon d’exagération. Il ne manque même à cette description, pour être complètement topographique, que l’indication des distances ; mais Strabon et Pline ont suppléé à cette omission, en disant que les terres dans l’espace de cent stades du rivage sont couvertes d’arbres, et que durant cent stades plus au sud elles ne produisent que des moissons[297]. Si l’on confronte cette nouvelle indication avec l’état actuel de la Cyrénaïque, on la trouve en effet non moins exacte que la première. Les forêts qui couvrent toute la partie septentrionale des montagnes de Barcah, ne s’étendent pas au-delà de quatre lieues des bords de la mer, ce qui correspond parfaitement avec les cent stades indiqués. Quant à l’espace donné pour la partie des terres couvertes de moissons, mais dépourvues d’arbres, il paraît d’abord moins conforme avec l’aspect de cette contrée, puisque les terres cultivées de nos jours en céréales se prolongent au moins à six cents stades de distance au-delà du sommet des montagnes, c’est-à-dire à vingt-cinq lieues environ vers le sud. Cependant, quelque grande que soit cette différence, elle peut provenir, à mon avis, plutôt d’une réticence d’énonciation que d’une erreur locale. Strabon et Pline ne veulent parler sans doute que des champs appartenant en propre aux Cyrénéens ; et dans cette supposition leur indication deviendrait on ne peut pas plus exacte ; car la partie la plus méridionale des terres cultivables dut être de tout temps au pouvoir des Libyens : ceci toutefois a besoin d’explication.
Si l’on quitte les terrasses maritimes auprès desquelles furent fondées les cinq villes principales, désignées collectivement sous le nom de Pentapole ; et si l’on s’avance dans l’intérieur des terres, mais à travers la région élevée, le plateau cyrénéen, dont l’étendue, je le répète, du[237] nord au sud, est de vingt-cinq à trente lieues, on marche continuellement sur des plaines sans cesse ondulées de vallées peu profondes, susceptibles partout de culture, et en grande partie cultivées, couvertes çà et là d’une végétation ligneuse, mais dépourvues de toutes parts de forêts. Durant la saison des pluies, cette immense plaine se reverdit ; des ruisseaux nombreux, quoique momentanés, circulent dans les bas-fonds, et les Arabes désertent les forêts pluvieuses pour venir animer ces solitudes de leurs joyeux campements. En été, c’est tout autre chose : le soleil darde ses rayons brûlants sur ce vaste espace nu ; il change les prairies de l’hiver en terres pelées et grisâtres, et dépouille les arbrisseaux de leur feuillage que l’on voit épars autour des troncs desséchés. Le silence succède alors au tumulte des camps, et l’Européen peut parcourir en sureté, mais non sans tristesse, ces plaines alors qu’elles sont devenues désertes. Toutefois un petit nombre de sources très-distantes l’une de l’autre arrosent encore dans cette saison quelques vallées privilégiées, et attirent auprès d’elles les Nomades les plus pauvres de la contrée, ou ceux qui sont en guerre avec les autres tribus.
Là se trouvent aussi des témoignages des temps antiques ; mais loin d’être ceux de la civilisation, ils rappellent au contraire les hordes de Barbares qui la reléguèrent au littoral. Des tours isolées, massives, de forme pyramidale, construites en briques, et entourées quelquefois d’enceintes spacieuses, tels sont les restes des campements des Libyens qui occupèrent ces plaines durant les phases les plus brillantes de l’Autonomie de Cyrène, comme dans les temps de sa décadence. On ne peut douter que ces habitations, ou, pour mieux dire, ces repaires, n’aient appartenu aux anciennes peuplades indigènes ; non seulement leur architecture informe n’a aucun rapport avec les monuments grecs et romains de la région littorale, mais elle s’accorde parfaitement avec ce que dit Diodore à ce sujet, d’après lequel nous savons que les plus puissants parmi les corps de Libyens de la Cyrénaïque n’habitaient point des villes, mais qu’ils possédaient des tours situées auprès des sources, où ils enfermaient tout ce qui servait à leurs usages[298].
[238]Ces campements stationnaires des anciens Libyens, dont le nombre égale celui des sources de la partie méridionale du plateau, peuvent expliquer aussi une importante question géographique, qui se rattache à ces mêmes cantons de la Cyrénaïque, et qui a induit en erreur un grand nombre d’érudits, dont il faut toutefois excepter le profond et judicieux Mannert. Il me paraît probable que les lieux placés, dans les tables de Ptolémée, au midi de Cyrène, tels que Maranthis, Andan, Achabis, Echinos, Philaus, Arimanthos et autres, au lieu d’avoir été des villes ou des villages habités par les Cyrénéens, ne peuvent se rapporter qu’aux campements libyens, que j’ai décrits ; et que les plus méridionaux des bourgs occupés par la civilisation grecque ou romaine furent Hydrax et Palæbisca, placés à si juste titre par Synésius aux confins de la Libye aride, et dont j’ai précédemment indiqué la situation exacte. Cette solution, qui d’ailleurs n’est que le développement d’une idée émise à ce sujet par Mannert[299], dispensera peut-être quelque systématique géographe, ou du moins me dispensera certainement moi-même de chercher parmi les noms plaqués par les Grecs sur ces tours libyennes, des traces de villes berbères, ou bien de faire à ce sujet toute autre conjecture de cette nature, en dépit même des ressources que présentent leurs noms modernes, Tkassis, Thégarebou et autres, étrangers, ce me semble, à la langue arabe, et surtout malgré l’encourageant rapprochement qu’offre un d’entre eux, Maraouèh, avec le Maranthis de Ptolémée. Mais en voilà assez sur les champs arides de la Libye Cyrénaïque, dernier asile de ses habitants indigènes : retournons à ses vertes campagnes, à ses ombreuses forêts ; c’est retourner au sol de la civilisation.
Les poètes de la haute antiquité se sont plu à faire l’éloge de cette belle région. Homère en a vanté la riante et riche fertilité ; Pindare l’a appelée la Frugifère, le Jardin de Jupiter, le Jardin de Vénus ; et le poète du sang royal de Cyrène s’est servi à-peu-près des mêmes expressions. Mais, quoique ces désignations poétiques soient plus que suffisamment justifiées par l’agréable aspect que les champs de Barcah offrent encore de nos jours, elles nous intéressent moins toutefois, pour le moment,[239] que d’autres traditions plus arides, mais relatives à leurs productions. Selon Théophraste, les terres de la Cyrénaïque étaient légères, point trop fermentables, et vivifiées par un air pur et sec ; l’olivier et le cyprès, ajoute-t-il, y parvenaient à une rare beauté[300]. Diodore dit que non seulement ces terres étaient on ne peut pas plus fertiles ; mais il cite entre autres leurs vignobles, leurs oliviers, leurs pâturages et leurs sources[301]. Enfin, Arrien rapporte aussi qu’elles étaient très-herbeuses, abondamment arrosées, entrecoupées d’un grand nombre de belles prairies, et qu’elles produisaient toutes sortes de fruits[302]. Parmi ses arbres fruitiers je nommerai, d’après l’énumération de Scylax déja citée, les pommiers de toutes les espèces, les grenadiers, poiriers, arbousiers, mûriers, oliviers, amandiers et noyers. Il est presque superflu que je fasse remarquer que les pommiers et les noyers, étrangers au sol africain, furent nécessairement apportés en Libye par les Grecs ; ce qui peut, mieux que mes témoignages, donner une juste idée de l’heureuse situation des collines maritimes de Cyrène, par laquelle elles sont propres non seulement à la végétation de la plupart des plantes indigènes de l’Afrique, mais de toutes celles qui parent et enrichissent les plus beaux cantons de l’Italie. Au nombre de ces dernières, il y en a même plusieurs oubliées par Scylax, et qui dans l’antiquité étaient, ou cultivées dans les jardins de Cyrène, ou croissaient naturellement dans ses champs, comme elles les couvrent encore de nos jours, et comme j’en ai bien des fois couvert mes pages descriptives : ce sont le figuier, le cornouiller et le lentisque. Si l’on désirait à ce sujet des preuves historiques, je pourrais citer ce passage de Plaute, où il est dit qu’un valet ne se nourrissait à Cyrène que de figues[303], et cet autre de Pline, d’après lequel nous apprenons que les cornouilles et les fruits du lentisque servaient dans la Cyrénaïque à la préparation de certains aliments[304].
Après ce coup d’œil général sur la campagne de Cyrène, je désirerais[240] pouvoir donner quelques notions sur les districts dont elle devait être infailliblement subdivisée dans l’antiquité ; mais mes recherches, peut-être trop superficielles, n’ont offert à ma connaissance que le canton maritime d’Hieræa, que j’ai placé aux environs du golfe Naustathmus, d’après l’homonymie que son nom m’a présentée avec une tradition arabe, et ceux de Battia et d’Aprosylis dont parle Synésius. Je ne saurais même déterminer exactement les localités qu’occupèrent ces deux derniers cantons. Il me semble toutefois permis de croire que celui de Battia devait être le plus méridional de la contrée, puisque, lors du saccage de la Pentapole par les Libyens, ce fut dans celui-là qu’ils pénétrèrent d’abord, pour se rendre ensuite à celui d’Aprosylis, et de là dans le reste de la Pentapole[305].
Quant aux usages agricoles de cette contrée, il est probable que pendant l’Autonomie ils y furent les mêmes que dans la Grèce. On sait positivement que, dans l’un et l’autre pays, on plantait et greffait les arbres lorsque les vents étésiens soufflaient, c’est-à-dire dès le commencement du mois d’août[306] ; et qu’après même que Cyrène fut tombée au pouvoir de Rome, les terres continuèrent à être mesurées avec le stade grec, et non avec le pied romain. Il faut ajouter qu’à cette époque la plus grande partie des terres de la Cyrénaïque était du domaine public, qu’elle s’affermait au profit de la république romaine, et que les adjudications s’en faisaient à Rome par les censeurs en présence du peuple[307] ; ce qui, soit dit en passant, doit un peu refroidir notre enthousiasme pour la générosité de Rome, qui voulut bien laisser pendant quelque temps aux Cyrénéens leur liberté fortement compromise par le testament d’Apion, mais en se réservant toutefois les domaines publics, c’est-à-dire en les soumettant à verser dans ses trésors une bonne part de leurs richesses.
Au défaut de plus amples renseignements sur les districts qui divisaient la campagne de Cyrène, et sur les lois et usages agraires qui en durent régir la culture, je recourrai aux animaux domestiques qu’on y trouvait.
[241]Les chevaux de Cyrène sont assez connus par les chants immortels de Pindare, pour qu’il soit superflu de rappeler ici les éloges que d’autres auteurs en ont faits. Il paraît même que leur nombre égalait leur célébrité, puisqu’on les transportait en quantité dans les divers cantons de la Grèce[308]. Mais quelque grande qu’ait été la renommée des chevaux de Cyrène, j’ai peine à croire qu’elle soit provenue plutôt de la légéreté et de la grace de leurs proportions, que de leur force et de leur adresse. La continuelle inégalité du terrain, les profondes ravines, les escarpements abrupts de la partie la plus habitée anciennemment de la Pentapole, me paraissent des conditions locales, plus propres à dresser des chevaux forts et adroits que rapides et sveltes. La passion des Arabes pour les chevaux est assez connue : c’est là l’objet de leur luxe et de leur orgueil ; c’est aussi celui de tous leurs soins. Or, il n’est pas vraisemblable que les peuplades à demi-équestres qui habitent la moderne Cyrénaïque, eussent laissé dégénérer en leurs mains une race de chevaux remarquables par leur vîtesse et la grace de leurs formes, au point de pouvoir être comparés, de nos jours, plutôt à des chèvres agiles et adroites qu’à d’élégants et rapides coursiers[309]. De plus, ces caractères qui distinguent aujourd’hui les chevaux de Barcah, et les font en ce sens apprécier dans toute la Barbarie, existaient identiquement en eux dès le quatrième ou le cinquième siècle de notre ère. On louait à ces époques les qualités des chevaux de la Pentapole ; mais ces qualités consistaient à les rendre également propres à la chasse, à la guerre, à traîner un char ; et si les chevaux de la Grèce et de Rome surpassaient ceux de Cyrène par l’embonpoint, ceux-ci surpassaient les autres par la force : tel est du moins ce qu’en dit Synésius[310].
Dès la plus haute antiquité, les Libyens de la Cyrénaïque, et notamment les Barcéens, firent un grand usage de chevaux. J’ai cité à ce sujet la tradition d’Étienne de Bysance ; et l’on connaît l’interprétation que plusieurs savants ont donnée à cette tradition. Ils ont supposé que les[242] chevaux, n’étant point indigènes en Grèce, y auraient été transportés de l’Afrique par les Phéniciens, d’où serait dérivée la fable du présent d’un cheval que Neptune fit à Athènes. Quoi qu’il en puisse être de ces ingénieuses hypothèses, il me paraît certain que les Libyens littoraux de même que les Cyrénéens, avant la domination de Rome en Afrique, se servirent exclusivement de chevaux, et ne firent aucun usage de chameaux, soit pour les travaux agricoles, soit pour le transport. Ce ne fut que sous la période romaine que ce précieux animal fut introduit par les Libyens, des provinces intérieures de l’Afrique, dans les champs de la Pentapole cyrénaïque. Nous savons positivement que ceux-ci se servaient de chameaux dans leurs courses dévastatrices[311] ; et l’on peut ajouter que ces chameaux devaient être de cette espèce aux formes déliées, connue sous le nom de dromadaires[312] ; ce qui me semble d’autant plus probable que les Touariks, nomades qui habitent l’intérieur de la Libye au sud de la Cyrénaïque, ne se servent aujourd’hui que de dromadaires, réputés les plus sveltes et les plus rapides de toute l’Afrique.
Cette cause de la propagation du sobre habitant des sables, dans les champs fertiles de la Libye septentrionale, est la seule explication que je trouve de ces nombreux troupeaux de chameaux qui couvraient, du temps de Synésius, la campagne de Cyrène[313], quoique les auteurs antérieurs à l’évêque de Ptolémaïs n’aient jamais fait mention de ce quadrupède parmi ceux de la Cyrénaïque. Quant aux mulets et aux ânes dont les Cyrénéens faisaient aussi usage aux mêmes époques[314], leur utilité dut les faire apprécier dans un pays montueux ; mais il est douteux que les Cyrénéens des âges plus reculés s’en soient servis.
[243]Il n’en est pas de même des grands troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres, principal objet de tout temps, des richesses des habitants de cette partie de la Libye, Grecs et Romains, Libyens et Arabes. Le nombre de bœufs dut être si considérable dans cette contrée dès la plus haute antiquité, que les peaux en étaient employées dans le commerce, et transportées à cet effet à l’étranger[315]. En outre, la femelle de cet animal était en Égypte, comme on sait, le symbole de la déesse Isis ; et cette allégorie religieuse sous laquelle la terre et ses productions étaient adorées, se retrouve à Cyrène et dans les cantons environnants consacrée par un usage qui avait le même but. Hérodote dit, en effet, que les femmes de Cyrène et les Libyens voisins s’abstenaient de manger de la chair de vache par respect pour la déesse Isis[316]. Le changement même de gouvernement et de religion ne put détruire dans ce pays cette tradition antique ; elle y existait et y était pratiquée à l’époque chrétienne[317] ; et, chose plus surprenante, elle y existe encore de nos jours, puisque les Arabes de Barcah s’abstiennent de boire le lait de vache, tandis qu’ils font un grand usage de celui des autres bestiaux.
Le bétail à laine de la Cyrénaïque fut connu des Grecs, sans doute par l’expédition des Argonautes, avant l’établissement de la colonie de Théra sur le sol d’Afrique, témoin l’ordre qu’elle reçut de l’oracle de Delphes, et les promesses réalisées qui en furent l’objet[318]. Néanmoins, il est à présumer que les chèvres durent y être de tous temps plus nombreuses que les moutons, d’autant plus qu’en ceci encore des traditions antiques s’accordent avec le climat de cette contrée qui n’est point le même, comme je l’ai indiqué plus haut, dans la région boisée et dans les plaines méridionales. Remarquons d’abord que, selon Diodore, tous les Libyens de la Cyrénaïque[319], et selon d’autres leurs femmes seulement[320], s’habillaient de peaux de chèvres ; d’où il suit incontestablement que les[244] chèvres devaient former la majeure partie des troupeaux de menu bétail de ces anciens nomades, ainsi qu’elles la forment parmi ceux des modernes ; et ajoutons ensuite que le ciel de la Libye est beaucoup plus favorable aux chèvres qu’aux moutons. Ces derniers ne peuvent, en général, habiter la région boisée qu’en été seulement ; en hiver les pasteurs arabes sont forcés de les conduire dans les plaines du sud, qui, dépourvues de haute végétation, et entrecoupées alors de vallées herbeuses, leur offrent des pâturages abondants, sans les exposer aux violents orages qui règnent dans cette saison auprès des terrasses maritimes, et qu’ils ne peuvent aisément endurer. Les chèvres au contraire n’en souffrent nullement, et se plaisent à grimper à leurs escarpements abrupts ; aussi s’y trouvent-elles en nombre prodigieux dans toutes les saisons : tout porte à croire qu’il en fut de même dans l’antiquité.
Un autre animal domestique qui existait dans la campagne de Cyrène, et qui en est exilé maintenant par les lois de Mahomet, nous offre une observation curieuse sur l’hygiène des anciens Libyens ; on se doute bien que je veux parler du porc.
Cet animal, dans son état sauvage, se trouve dans toute la partie de la Libye septentrionale occupée par les sables ; il semble donc que les habitants indigènes de cette contrée auraient dû profiter de ce présent que leur offrait la nature, pour subvenir à leur existence au milieu de plaines arides. Néanmoins, les traditions les plus reculées rapportent que les Libyens s’abstenaient de manger de la viande de cet animal domestique ou sauvage, contrairement aux Cyrénéens qui en étaient gourmands[321]. La même abstinence était observée par les habitants de Barcé ; ce qui, soit dit en passant, confirme les conjectures que j’ai émises ailleurs sur l’origine libyenne des Barcéens. De tous les usages prescrits par le législateur arabe, il n’en est aucun sans doute de plus conforme au climat chaud de l’Orient, que celui de s’abstenir de la chair lourde et indigeste du porc, et il me paraît hors de doute que c’est au pernicieux effet de cette nourriture qu’il faut attribuer la sobriété des Libyens à ce sujet ; sobriété d’autant plus remarquable qu’ils s’étudiaient la plupart[245] à imiter les usages des Cyrénéens[322]. Aussi on n’est pas surpris, d’après de telles précautions, qu’Hérodote ait dit que de tous les peuples connus à son époque, aucun ne jouissait d’une aussi forte santé que les Libyens[323].
Cependant, parmi les grands avantages dont la nature avait doué la campagne de Cyrène, il s’y mêlait aussi quelques inconvénients, accidentels, il est vrai, mais qui n’en étaient pas moins graves. Les champs comme les bestiaux, et même les hommes, furent continuellement exposés à des invasions pestilentielles de nuages de sauterelles. Les Cyrénéens des premiers âges de la colonie cherchèrent à prévenir les dangereux effets de la pullulation de cet insecte dans la Pentapole, par une loi qui ordonnait aux habitants de détruire chaque année, sous peine d’amende, la race de cet insecte dans les différentes phases de sa génération et de son développement[324].
Ces précautions paraissent avoir eu d’heureux résultats pendant l’Autonomie ; et ce ne fut que lorsqu’on les eut abandonnées par la négligence des préteurs romains, que les sauterelles exercèrent de cruels ravages dans la Cyrénaïque. L’histoire a principalement signalé une de leurs effroyables invasions dans cette contrée, sous les consulats de Plaute Hypsée et de Fulvius Flaccus. Ces insectes y arrivèrent en si grand nombre de l’intérieur de l’Afrique, que poussés par les vents dans la mer, et par la mer sur le rivage, ils occasionèrent par leur corruption une épidémie qui fit périr huit mille Cyrénéens et la majeure partie de leurs troupeaux[325]. Ces surprenantes invasions se renouvelèrent dans le cinquième siècle ; et dans ces temps désastreux, à ce fléau se joignirent les tremblements de terre, la peste, les incendies, la guerre, qui désolèrent tour-à-tour l’infortunée Pentapole[326].
Toutefois il suffisait de quelques intervalles de paix, et de l’équilibre rétabli parmi les éléments, pour que la campagne de cette belle partie[246] de la Libye pût, même à ces époques, reprendre tout son éclat, témoin les aimables couleurs dont nous la voyons parée dans les tableaux que Synésius en a diverses fois tracés. Il est vrai qu’un philosophe livré à un épicuréisme moral, et qui, malgré son titre d’évêque, n’en était pas moins resté attaché aux idées platoniques, a dû nécessairement un peu embellir des peintures qui avaient pour objet les champs et les douces rêveries qu’ils inspirent. Écoutons-le ; il ne peut rester froid à l’aspect de ces verdoyantes campagnes colorées du soleil africain : il lui faut des comparaisons, il faut qu’il célèbre leurs charmes au détriment des plus belles contrées. Qu’on lui vante, dit-il, Chypre, Hymette, ou la Phénicie ; que chacun célèbre sa patrie ; selon lui rien n’égale les champs de la Pentapole ; ils n’ont aucune production qui ne soit préférable aux productions des autres pays. Est-ce du vin que l’on parle ? Où le trouver plus léger qu’à Cyrène ? Est-ce du miel ? celui d’Hymette ne saurait lui être comparé : nulle part le miel n’est plus épais, l’huile plus douce, et le blé plus pesant. Qui pourrait, ajoute-t-il ailleurs, voir d’un œil indifférent ces vertes collines, ces gracieuses vallées de Cyrène ? Qui pourrait décrire ces frais asiles, ces grottes délicieuses où l’on rève si agréablement sur des lits de mousse ? Qui pourrait surtout assister sans émotion au spectacle d’une belle matinée de la Pentapole, alors que les premiers rayons du soleil raniment la terre, portent l’espérance dans le cœur de l’homme, et inspirent la joie même aux animaux ; alors qu’on entend de toutes parts le hennissement des chevaux, le bêlement des brebis et des chèvres, et le murmure confus des abeilles qui se mettent en quête de leur riche butin, et vont errer de fleurs en fleurs ? Non, il n’y a pas de musique plus harmonieuse que celle produite par ces cris de la nature ; il n’en est pas qui porte à l’ame une plus douce volupté !
[296]Pind. Pyth. IV, v. 14. Pyth. V, v. 94. Hérod. l. IV, 158.
[297]Strabon, l. XVII, c. 3. Pline, l. V, c. 5.
[298]Diod. Sicul. l. IV, c. 4. Ed. Basileæ, per Henr. Petri, p. 84.
[299]Géogr. des Grecs et des Romains, t. II, p. 2, p. 105.
[300]Theophr. l. VI, c. 27 ; l. IV, c. 3.
[301]Diod. Sicul. l. IV, c. 4.
[302]Arrian. de exped. Alex. c. 28.
[303]Plaut. Rudens, act. III, sc. 4.
[304]Pline, l. XV.
[305]Synes. epist. 125.
[306]Pline, l. XVII.
[307]Cicéron, Harangue contre Rullus, au sujet des lois agraires.
[308]Thrige, Hist. Cyren. p. 257.
[309]Malgré l’assertion du botaniste Tournefort, qui vante la grace et la beauté des chevaux de Barcah (Tournef. Voyage du Levant, t. I, p. 313).
[310]Synes. Epist. 40.
[311]Synes. Epist. 113, ed. Petav. p. 254.
[312]Je ferai remarquer, en faveur de mon opinion, que les peuples nomades de l’antiquité se sont servis de dromadaires, même dans les expéditions militaires régulières. Je n’ai qu’à rappeler ces Arabes de l’armée de Xerxès, qui, au rapport d’Hérodote, étaient montés sur des chameaux dont la vîtesse égalait celle des chevaux (Hérod. l. VII, 86).
[313]Synes. Epist. 129, p. 265.
[314]Id. Epist. 109, p. 252.
[315]Thrige, Hist. Cyren. p. 257.
[316]Hérod. l. IV, 186.
[317]Synes. Epist. 147, p. 257.
[318]Hérod. l. IV, 155.
[319]Diod. l. IV, c. 4.
[320]Hérod. l. IV, 189.
[321]Hérod. l. IV, 186.
[322]Hérod. l. IV, 170.
[323]Id. ib. 187.
[324]Pline, Hist. natur. l. XI, c. 29.
[325]Julius Obsequens, de Prod. c. 90. Orose, l. V, c. 11.
[326]Synes. Epist. 58.
Du silphium, et de quelques autres plantes de la Cyrénaïque connues dans l’antiquité.
J’ai exposé les principales notions laissées par l’antiquité sur la campagne de Cyrène, il me reste à parler de quelques plantes connues dans l’histoire par l’utilité qu’elles ont offerte aux anciens habitants de cette contrée : dans ce nombre il faut sans contredit mettre au premier rang le silphium.
L’imagination exerça une grande influence sur les croyances des âges antiques. Non seulement elle se plaisait à entourer de ses fictions le berceau des hommes célèbres ; elle répandait aussi du merveilleux sur l’origine d’un bois, d’une colline, d’un jardin, et même d’une plante, dont l’attrait ou l’utilité les accréditait parmi les hommes. C’est ainsi que le silphium de la Cyrénaïque, devenu célèbre par les propriétés qu’on lui reconnut, ne put, dans les croyances populaires, partager l’humble destinée des autres herbes des champs. Il lui fallut créer une origine spontanée ; il fallut faire opérer en sa faveur un miracle céleste : ce miracle fut une pluie de poix, et son époque fut fixée à l’an quatre cent trente de Rome, sept ans avant la fondation de Cyrène[327]. Loin d’adopter pour ce prétendu phénomène la solution invraisemblable de l’abbé Belley[328], on se doute bien que sur ce sujet, comme sur tant d’autres, on s’est servi de l’apparence pour la convertir en réalité, et que le feuillage de notre plante doit percer annuellement le sol dès l’arrivée des premières pluies ; mais de telles explications ne peuvent être fondées que sur la confrontation des notions laissées par l’antiquité sur le silphium, avec une plante trouvée dans la Cyrénaïque, et qui en[248] porte les caractères : je vais donc chercher à établir cette confrontation, et je recourrai d’abord aux anciens naturalistes.
En réunissant divers passages de Théophraste sur cette plante, il en résulte que sa racine était épaisse, charnue, vivace ; sa tige, de la même forme que celle du fenouil ; ses feuilles ressemblaient à celles du selinum ; et ses graines étaient larges et ailées, à-peu-près comme celles de la phyllis[329]. Pline diffère peu, à ce sujet, du naturaliste grec, qu’il paraît même avoir copié, mais en donnant quelques renseignements de plus. La racine du silphium avait, dit-il, une écorce noire, et plus d’une coudée de longueur : à l’endroit où elle sortait hors de terre était une grosse tubérosité, qui incisée produisait un suc laiteux. Ses graines étaient plates ; ses feuilles tombaient tous les ans, dès que soufflait le vent du midi ; à cette époque, ajoute-t-il, elles étaient de couleur d’or, métamorphose que subissent un grand nombre de végétaux qui prennent, comme on le sait, cette couleur en automne[330]. A ces renseignements il faut en joindre un autre non moins important, et qui aide à leur explication : c’est celui que nous fournissent les médailles de Cyrène.
Sur plusieurs d’entre elles on voit, d’un côté, la tête de Jupiter Ammon ou bien de Battus ; et de l’autre, la figure du silphium, que l’on reconnaît au premier coup d’œil pour une ombellifère. Les feuilles découpées et opposées, la large gaîne qui enchâsse les pédoncules, la forme globuleuse des fleurs, et surtout de l’ombelle générale qui couronne la tige, indiquent évidemment la famille de la plante décrite par Théophraste, avant que la floraison ait atteint son épanouissement. J’ajouterai que l’espèce de base sur laquelle porte la plante paraît représenter la tubérosité de la racine mentionnée par Pline, et qui n’est autre chose, sans doute, qu’un collet très-charnu.
Telle était la plante elle-même ; voyons quelle fut sa localité.
Selon Théophraste, le silphium croissait principalement aux environs du jardin des Hespérides[331] ; Scylax et Hérodote le placent très-distinctement dans la région littorale de la Pentapole libyque, depuis l’île Platée[249] jusqu’à l’entrée de la grande Syrte[332] ; et Catulle, auprès de Cyrène[333]. Cependant plusieurs autres auteurs paraissent, au contraire, les uns, tels qu’Arrien et Pline, reléguer le silphium sur la lisière des terres fertiles[334] ; les autres, tels que Strabon et Ptolémée, dans les parties centrales du désert au sud de la Cyrénaïque[335]. Des savants ont trouvé un moyen fort simple de concilier ces opinions contradictoires, en adoptant pour la Cyrénaïque toute l’étendue que lui ont donnée quelques auteurs, c’est-à-dire, en y comprenant la région ammonienne. Partant ensuite de ce principe, ils ont cru approcher de la vérité, en supposant que le silphium croissait dans toute cette vaste contrée, et que par cette raison on l’avait placé indifféremment au nord et au sud ; de là ils ont justifié l’épithète de Cyrénaïque silphifère, de Libye silphifère, que l’on trouve fréquemment chez les écrivains de l’antiquité.
Malheureusement cette explication ne peut se concilier avec la nature du sol qui n’est point le même, il s’en faut beaucoup, dans la Libye septentrionale et méridionale. Il est de toute impossibilité que la région qui s’étend au sud de Cyrène, formée de plaines de sable et d’îles de terre salée, ait dans aucun temps produit une plante qui offrît la moindre ressemblance avec le silphium, tel que les anciens et leurs monuments le décrivent. Ainsi, renonçant pour mon compte à expliquer une contradiction qui me paraît inexplicable, je me bornerai à comparer mes observations avec celles des auteurs qui s’accordent avec la géologie de cette contrée, et qui réunissent en leur faveur deux considérations importantes : l’antériorité de l’époque où ils écrivaient, et la compétence de leurs traditions en pareille matière.
Depuis les sommités qui dominent l’ancienne Chersonèse cyrénaïque jusqu’à la côte orientale de la Syrte, limites assignées par Scylax et Hérodote au silphium, on trouve fréquemment dans la partie septentrionale de cette région, et dans un espace qui s’étend tout au plus, vers le sud, à huit ou dix lieues du rivage, une grande ombellifère nommée par les[250] Arabes derias, et dont voici les principaux caractères : la racine fusiforme, charnue, très-longue, est de couleur brune à sa surface ; la tige striée atteint deux ou trois pieds de hauteur, et s’élève sur un collet épais, d’où jaillit, si on le casse, un suc laiteux abondant, et blanc comme celui des euphorbes. Les feuilles radicales sont nombreuses, luisantes, surcomposées ; les caulinaires ont des lobes plus linéaires ; les graines, terminant en petit paquet chaque ombellule, sont ovales, comprimées comme une feuille, entourées d’une membrane transparente, et colorées d’un vernis argenté. La fleur se développe en été ; je ne l’ai pas vue, mais selon divers renseignements que j’ai recueillis, elle est de couleur jaune, échancrée et très-ouverte.
D’après cette analyse, on conviendra que cette ombellifère participe également des genres ferula et laserpitium ; du premier, par la grande hauteur de la tige, et la forme ovale des semences ; et du second, par les membranes qui les accompagnent, et la forme échancrée et très-ouverte des corolles. Autorisé par ces derniers caractères, j’ai classé cette plante dans le genre laserpitium ; mais, ne pouvant lui trouver des détails absolument conformes à aucune des espèces de ce genre, je me suis décidé à la nommer laserpitium derias. Est-il nécessaire que j’insiste maintenant sur l’identité d’organisation extérieure qui existe entre mon laserpitium et le silphium des anciens ? On n’a qu’à comparer les analyses pour s’en convaincre ; je passe donc à des identités non moins frappantes provenant de leurs propriétés.
Les naturalistes cités disent que le silphium faisait endormir les brebis, et éternuer les chèvres, et qu’en général il faisait mourir tout à coup le bétail, ou bien qu’il le purgeait, et rendait sa chair meilleure. Mon laserpitium conserve encore l’une et l’autre propriétés, en faisant remarquer toutefois que la première n’agit que sur le bétail étranger à la Cyrénaïque. J’ai fait mention, dès mon arrivée sur les montagnes de Barcah, des précautions que je fus obligé de prendre, d’après les avis des Arabes, pour empêcher les chameaux de ma caravane de manger le derias, qui à cette époque commençait à couvrir le sol des touffes de son feuillage annuel. Ces précautions étaient d’autant plus indispensables, que mes chameaux, originaires d’Égypte, étaient en outre épuisés[251] de fatigues ; car je sus bientôt par l’expérience que les plus faibles succombaient les premiers. C’est ce que Della-Cella d’ailleurs avait déja indiqué, en nous apprenant que les chameaux qui portaient les bagages de l’armée du Bey s’empoisonnaient en mangeant une ombellifère qui croît sur ces montagnes, et qu’une si grande mortalité éclata parmi eux, que l’armée fut menacée de les perdre tous. Cependant, grace aux prudents conseils de son habile médecin, le Bey put en sauver une partie, en la faisant passer dans des pâturages où l’on ne trouvait pas cette funeste plante. Il paraît en outre que sa vertu excessivement purgative a une action plus violente encore lorsqu’elle est sèche, que lorsqu’elle est verte, puisque quelques brins de derias, mêlés par hasard parmi la paille que l’on donne aux bestiaux, suffisent pour tuer le chameau le plus robuste, né sous un autre ciel que celui de Barcah.
Cette analogie de propriétés est frappante, il faut l’avouer ; mais de toutes celles que possédait le silphium, c’est la seule que nous puissions constater. Les plus précieuses, obtenues par le secours de l’art, quoique germant infailliblement de nos jours avec la plante, y germent infructueusement. Celles-ci dérivaient du suc que l’on obtenait par incision de la tige et de la racine : on appelait le premier Thysias, et le second Caulias ; quelques auteurs ont même donné indistinctement à l’un et à l’autre le nom de Larmes de la Cyrénaïque.
Il paraît bien prouvé que celui de la racine était préférable à celui de la tige, en ce qu’il se conservait plus long-temps. Pour empêcher qu’il ne se corrompît, et surtout afin qu’il pût supporter le transport on y mêlait de la farine ; invention que les Cyrénéens attribuaient à Aristée[336], à ce propagateur des arts agricoles, que la fable a placé au nombre de leurs ayeux. Cependant on conçoit qu’en attaquant la racine d’une plante on s’exposait à la détruire ; aussi une loi avait prévu cet inconvénient : elle fixait le temps et la manière de faire l’incision, et la quantité de suc que l’on devait en tirer pour ne pas faire périr la plante[337]. Si nous en croyons Pline, ce suc était une panacée universelle[252] propre à guérir toutes sortes de maladies, à désinfecter les eaux corrompues et l’air mal-sain[338]. Quoiqu’il soit probable que ces qualités aient été exagérées, cette exagération même explique la célébrité du silphium, et la grande valeur qu’il eut dans l’antiquité.
Non seulement les Cyrénéens, comme je l’ai dit autre part, consacrèrent cette plante au plus vertueux de leurs rois, et la reproduisirent sur leurs médailles ; mais il est certain que son nom passa en proverbe comme symbole des richesses, et qu’elle fut le principal objet du commerce des Cyrénéens, surtout avec Carthage et Athènes ; enfin qu’une simple tige de silphium fut estimée comme un présent qui n’était point indigne des souverains et des dieux. On peut citer, entre autres preuves déja exposées par le savant Thrige, le témoignage d’Hermippe dans Athénée, d’après lequel le silphium était la plus précieuse marchandise des Cyrénéens ; ce sycophante d’Aristophane qui affirme qu’il ne changerait pas son genre de vie, lors même qu’on lui donnerait du silphium de Battus ; ces Ampéliotes[339], Libyens qui envoyèrent une tige de silphium au temple de Delphes, et un don semblable fait par les Cyrénéens à l’empereur Néron. Enfin on peut juger du cas que les Romains faisaient du silphium, et de la haute valeur qu’il eut dans le commerce, puisqu’il fut enfermé dans le trésor public de Rome, et que César, au commencement de la guerre civile, en retira mille et cinq cents marcs d’argent ; aussi ne devons-nous pas être surpris que les anciens aient appelé cette plante le trésor des Africains. Indépendamment de l’observation positive de Théophraste, ces différents passages historiques prouvent que, quoique une plante du même nom ait existé dans d’autres contrées, telles que la Syrie, l’Arach, l’Arménie, la Médie, au mont Parnasse, et sur les montagnes qui séparent l’Inde de la Perse ; néanmoins le silphium de la Cyrénaïque eut des qualités beaucoup supérieures a celui de ces contrées, qualités qu’il pouvait tenir du climat de la Libye, lors même que l’organisation[253] des plantes connues sous le même nom aurait été parfaitement semblable ; ce que je ne saurais ni affirmer, ni contredire. Il paraît même que l’analogie la plus marquante de notre silphium avec celui de ces différents pays consistait dans l’emploi que l’on faisait de l’un et de l’autre comme comestible. A Cyrène on attendait que les feuilles fussent tombées pour en manger la tige après l’avoir corrigée par le feu[340], usage que les Grecs avaient pris des habitants indigènes[341] ; et l’on sait que dans la Bactriane les soldats d’Alexandre, se trouvant dans une disette de vivres, se nourrirent de silphium abondant dans cette contrée[342].
Il me reste encore à dire un mot de la disparition successive du silphium des montagnes de la Cyrénaïque, objet qui a provoqué les recherches d’une foule de savants, sans qu’ils lui aient trouvé une solution satisfaisante.
En suivant la série des traditions de l’antiquité à ce sujet, nous voyons le silphium recueilli avec soin, et très-abondant dans la Cyrénaïque, tant que cet état fut autonome, et diminuer de plus en plus depuis qu’il fut devenu province romaine. En effet, Plaute qui vivait environ un siècle avant cet évènement, nous apprend que l’on faisait encore de son temps d’abondantes récoltes de silphium[343]. Il commença à devenir rare à l’époque de Strabon[344] ; on n’en trouvait presque plus à celle de Pline[345] ; et enfin dans le cinquième siècle, temps où vivait Synésius, on en conservait comme une rareté une plante dans un jardin[346] ; et cependant on le retrouve fréquemment sur les montagnes de Cyrène.
L’histoire, si je ne me trompe, fournit des preuves suffisantes pour expliquer ces contradictions. Strabon attribue la cause de la rareté du silphium, de son temps, à une invasion de Barbares qui avaient cherché à le détruire par l’extirpation même des racines ; Solin, en répétant ce[254] fait, ajoute que les Cyrénéens avaient contribué à détruire le silphium, pour se délivrer des impôts énormes dont il était l’objet ; et Pline, après avoir dit qu’il croissait dans les endroits âpres et incultes, assigne pour cause de sa disparition ses qualités morbifiques sur les troupeaux. Si l’on se rappelle maintenant ce que j’ai dit du funeste effet de cette plante sur le bétail étranger à la Cyrénaïque, et principalement sur les chameaux, on ne sera point surpris que les Libyens qui se servaient, d’après Synésius, de cet animal pour leurs incursions dans la Pentapole, aient cherché à détruire une herbe qui les exposait à perdre peut-être plus par la mort de leurs montures, qu’à gagner par leurs rapines. Si l’on ajoute à cette cause première les dilapidations des gouverneurs romains, dont le silphium était un des principaux objets ; si l’on se rappelle la manière dont on tirait le suc de la plante, manière tellement meurtrière pour elle que, dans l’Autonomie même, la prudence avait dicté des lois pour veiller à sa conservation ; en réunissant ces causes diverses, on ne sera certainement pas surpris que le silphium, limité à la lisière septentrionale de la Pentapole libyque, en butte à tant de vicissitudes, contrariant tant d’intérêts, ait fini par disparaître peu à peu de cette contrée, au point d’y en conserver une tige comme une rareté. Que si nous le trouvons de nouveau abondant de nos jours, la cause en est plus claire encore. La nature peut être, pendant quelque temps, contrariée par les hommes ; elle cède à leurs efforts persévérants ; mais, dès que ces efforts se ralentissent, elle ne tarde pas à reprendre ses droits. Le silphium fut déraciné par les Libyens étrangers, détruit par les Cyrénéens malheureux ; mais les Libyens et les Cyrénéens ayant disparu de ces montagnes, une plante qui y était indigène a dû peu à peu s’y reproduire. Un ou deux individus isolés ont suffi pour opérer le prodige ; les vents en ont dispersé les graines ailées dans les solitudes ; et le silphium de Battus a reparu de toutes parts dans sa patrie. C’est ainsi que je l’ai vu couvrir encore de nos jours les montagnes de la Libye : sa renommée ne s’étend plus chez les nations lointaines ; on ne l’enferme plus dans les trésors, on ne l’offre plus en présent aux rois et aux dieux. Singulière révolution des choses humaines ! Après que plusieurs siècles de civilisation ont passé sur le sol de Cyrène ; après que le plus beau[255] présent que la nature y avait fait aux hommes, détruit par eux, en avait disparu avec eux ; aussi frais, aussi vigoureux que dans les âges antiques, le silphium, jeté sur des tisons ardents, sert aujourd’hui de nourriture à quelques pâtres désœuvrés, seul et même usage qu’en faisaient les Asbytes avant l’arrivée des Grecs en Libye.
D’autres plantes, quoique moins célèbres que le silphium, ont néanmoins contribué à l’illustration des champs de la Cyrénaïque.
Le thyon, appelé par les Latins citrus, était un arbre que les anciens employaient à différents usages, à cause de l’incorruptibilité de son bois, et du parfum qu’il répandait. Le tronc servait, je l’ai déja dit, à la construction des temples ; rien n’était mieux madré que la racine, et dont on fit de plus beaux ouvrages. C’est avec elle qu’on faisait les tables vineuses consacrées aux fêtes de Bacchus ; car les philologues ont prouvé que le nom de Thyades donné aux Bacchantes avait infailliblement rapport à ces tables de thyon, dont l’analogie avec le culte de Bacchus est d’ailleurs constatée par Pline. Le thyon doit, en outre, sa plus grande célébrité au prince des poètes : tout le monde se rappelle qu’Homère le place au nombre des bois odorants dont Circé parfumait sa grotte. Il croissait indubitablement, d’après le témoignage de Théophraste, dans la Cyrénaïque[347]. Parmi les arbres qu’on y trouve maintenant, il n’en est aucun, comme l’a dit Della-Cella, qui paraisse mieux convenir au thyon, soit par la grande hauteur et les fortes dimensions du tronc, soit par le parfum qu’exhale son bois et la beauté de la racine, que le genévrier de Phénicie dont j’ai si souvent fait mention. On peut aussi faire remarquer, en faveur de cette identité, et d’après une observation déja faite je crois autre part, qu’Homère, joignant dans le[256] même vers le cèdre et le melèse avec le thyon, porte à présumer que ce dernier devait être également un conifère.
Si l’on parcourt au printemps ces forêts de thyon, qui du sommet des montagnes de Cyrène s’étendent jusqu’aux vallées maritimes, on rencontre fréquemment à leur pied une petite liliacée, qui jouit aussi par son utilité de quelque illustration dans l’histoire agricole de la Cyrénaïque ; c’est le safran. Quoique cette plante fût infiniment répandue dans plusieurs autres contrées, et qu’à Cyrène elle eût une couleur dont l’intensité s’approchait du noir[348] ; ce que le pollen très-obscur de ses étamines peut confirmer de nos jours, néanmoins la plupart des auteurs de l’antiquité s’accordent à louer la beauté du safran de la Cyrénaïque. Les divers usages que l’on faisait de cette plante expliquent sa renommée un peu éclipsée de nos jours. Non seulement on le mêlait comme nous dans la préparation des mets, des médicaments et des teintures ; mais on s’en servait aussi comme parfum ; et préparé avec de l’huile on en obtenait une essence très-estimée chez les Grecs et les Romains[349].
Toutefois cette essence ne pouvait être comparée à celle que l’on faisait dans la Cyrénaïque avec les roses, et dont l’antiquité a vanté la haute valeur, et assigné même l’époque de sa plus grande perfection, qu’elle a attribuée à Bérénice, fille de Magas. Indépendamment des usages d’une utilité réelle auxquels elle servait, employée tantôt comme antiseptique, à arrêter le progrès des blessures et à empêcher la putréfaction des cadavres ; et tantôt comme préservatif, à défendre les meubles précieux contre les injures de l’air ; on ne doit pas être surpris que les Cyrénéens aient apporté le plus grand soin à la confection de l’essence de rose, puisqu’elle servait principalement à parfumer les cheveux et le linge, et généralement tous les objets de luxe[350].
On ne doit pas l’être davantage que la plus belle comme la plus suave des fleurs ait eu dans cette riante Libye, dans ce jardin de Vénus, un parfum et un éclat qu’elle n’avait point dans les autres contrées[351].[257] Que si mon témoignage pouvait être utile en ceci, je répondrais que ces belles roses libyques vantées par l’antiquité, quoique de nulle valeur aux yeux des Arabes, font peut-être encore l’ornement des fraîches vallées. Du moins j’en ai rencontré fréquemment deux espèces à corolle blanche, qui m’ont paru s’accorder par leurs caractères à celles connues des botanistes sous les noms de Rosa silvestris et spinosissima ; n’osant toutefois affirmer que celles-ci, croissant spontanément parmi les autres plantes, soient les mêmes qui, transplantées autrefois dans les jardins, fournissaient l’essence dont je viens de parler.
Les anciens auteurs font encore mention de deux plantes de la Cyrénaïque qui acquirent quelque renommée ; ce sont le sphagnos ou bryon et le misy. La première qu’ils ont dépeinte comme une mousse odorante qui pendait aux arbres, ne me paraît pas facile à déterminer avec quelque certitude, puisque, malgré le grand nombre de cryptogames qui couvrent les forêts de la Cyrénaïque, il n’en est aucune dont l’odeur offre un caractère remarquable. Quant à la seconde le misy, c’était, selon Pline, une truffe d’un meilleur goût et d’un parfum plus agréable que les autres. Il est certain que l’on rencontre souvent dans les parties sablonneuses du littoral de la Libye une espèce de truffe de couleur blanche. Les Arabes m’ont affirmé qu’il en existait en quantité aux bords de la Syrte ; toutefois je ne répète qu’un oui-dire, et je ne saurais par conséquent rien avancer de positif à ce sujet.
[327]Theophr. de Causa plant. l. I, c. 5. Pline, l. XIX, c. 3.
[328]Belley suppose que les graines du silphium, portées par les vents de l’intérieur de l’Afrique au sol de Cyrène, y avaient germé et occasioné cette tradition (Mémoires de l’Académie, t. XXXVI, p. 22).
[329]Theophr. Hist. plant. l. VI, c. 3.
[330]Pline, l. XIX, c. 3.
[331]Loc. cit.
[332]Scylax, ed. Gronov. p. 108. Hérodote, l. IV, 169.
[333]Laserpiciferis jacet Cyrenis (Ode à Lesbie, v. 4).
[334]Arrian. de Exped. Alexand. l. III, c. 28. Pline, l. V, c. 5.
[335]Strabon, l. II, c. 5 ; l. VII, c. 3. Ptolémée, l. IV, c. 4.
[336]Thrige, Hist. Cyren. p. 244.
[337]Theophr. Hist. plant. l. VI, c. 3.
[338]Pline, l. XII, c. 23.
[339]Thrige pense que ces Ampéliotes, qui ne sont nommés, que je sache, par aucun autre auteur de l’antiquité que par Aristophane, habitaient quelque ville littorale de la Cyrénaïque (Historia Cyrenes, p. 242).
[340]Pline, l. XIX, c. 3.
[341]Solin. Polyhst. c. 14.
[342]Ælian. Varior. Hist. l. XII, 37.
[343]Plaute, Rudens, act. III sc. 2, v. 15, 16.
[344]Strabon, l. XVII, c. 3.
[345]Pline, l. XVIII, c. 3.
[346]Synes. Epist. 106.
[347]Theophr. Hist. plant. l. I, c. 16 ; l. V, c. 5. Ce naturaliste ajoute que le thyon croissait aussi aux environs d’Ammon ; et cette version a été adoptée par tous les traducteurs. Il y a, ce me semble, erreur, ou dans le texte grec de ce passage, ou dans les traditions qui l’ont dicté : le terrain salé de l’Oasis d’Ammon et de celles qui l’avoisinent, très-propre aux tamarix et aux palmiers, dont il est couvert, ne me paraît pas susceptible d’avoir produit, dans aucun temps, un arbre au bois odorant, et probablement un conifère, tel que doit être le thyon, en supposant même que ce ne soit pas le genévrier de Phénicie.
[348]Pline, l. XXI, c. 6.
[349]Thrige, Hist. Cyren. p. 252, 253.
[350]Id. ibid. p. 254, n. 35.
[351]Athen. l. XV, c. 29.
Des relations commerciales des Cyrénéens.
Après avoir exposé le plus succinctement qu’il m’a été possible l’état physique de la Cyrénaïque, tant par mes observations locales que par les documents de l’antiquité, il convient de jeter un coup d’œil sur ceux de ses habitants qui de la Grèce introduisirent la civilisation dans cette région de l’Afrique.
Il paraît que dans la haute antiquité, quoique la navigation peu hardie n’osât encore franchir l’immensité des mers, elle n’en était pas moins active sur les côtes, et qu’elle fournissait un nombre infini de pirates qui les infestaient. C’est ce que la position des principales villes, dans ces époques reculées, à quelque distance des bords de la mer, semble prouver ; et sans sortir mal à propos de mon sujet, c’est ce que l’on peut affirmer relativement à Cyrène, d’après les éloges qu’Isocrate donne aux Cyrénéens, pour avoir eu la prudence de construire leur ville dans un lieu qui la mettait hors de la portée des invasions des ennemis[352].
La même observation peut servir à expliquer la position méditerranée des villes de Barce, de Naustathmus et d’Aphrodisias, situées chacune sur le sommet de la montagne, vis-à-vis des ports naturels que formait le rivage auprès d’elles. D’autres villes de la Cyrénaïque furent construites, il est vrai, immédiatement sur la cote ; mais ces villes postérieures à Cyrène, furent entourées chacune d’enceintes fortifiées. D’ailleurs, l’étendue de la plaine qui séparait le meilleur port de ce littoral de la région élevée, occasiona la fondation de Bérénice. Quant à Apollonie et à Ptolémaïs, d’abord simples ports de villes méditerranées, elles ne durent la leur, l’une qu’au développement du commerce, et l’autre qu’au changement de dynastie, et ne devinrent apparemment villes considérables[259] que lorsque la Pentapole plus puissante put repousser les pirates qui venaient infester ses côtes.
Ces idées me conduisent naturellement à établir que les Cyrénéens, durant les deux périodes successives de la splendeur de leur colonie, pendant qu’ils furent gouvernés par leurs propres rois, et qu’ils se gouvernèrent eux-mêmes en république, n’eurent rien à redouter des habitants indigènes qu’ils parvinrent au contraire à faire retirer pour la plupart vers la partie méridionale de la contrée. Mais, dès qu’ils furent tombés au pouvoir de Rome, soit par la négligence des préteurs, soit par la faiblesse qui suit ordinairement la perte de la liberté, ce ne fut plus les invasions maritimes qu’ils eurent davantage à craindre ; ils se virent contraints de chercher à se maintenir sur le territoire même où ils avaient précédemment triomphé. La civilisation dut alors se replier sur elle-même ; elle dut s’entourer de remparts : les plaines lui devinrent funestes ; il lui fallut de profonds ravins, des escarpements abrupts pour se garder, des châteaux pour se défendre. Ce fut alors que les Libyens, auparavant dépouillés, devinrent à leur tour spoliateurs : ils attaquèrent les Cyrénéens dans les enceintes mêmes de leurs villes, portèrent le fer et le feu dans les campagnes, en enlevèrent les récoltes et les troupeaux, et finirent par humilier à un tel point les usurpateurs du sol de leurs ayeux, que les misérables Cyrénéens, à leur approche, s’enfuyaient comme des troupeaux dans des chapelles fortifiées, et n’opposaient d’autres armes à leurs attaques que des larmes et de timides prières.
Indépendamment des preuves historiques qui attestent chez les Cyrénéens ces deux phases générales de splendeur et de décadence, de force et de faiblesse, les ruines elles-mêmes nous en ont offert de plus irrécusables encore. Tous les châteaux situés dans l’intérieur des terres portent sans exception le caractère romain, et les deux seuls construits en des temps antérieurs, ceux de Lemschidi et de Lemlez qui dominent le golfe Nausthamus, furent infailliblement destinés par leur position à défendre cette importante partie du littoral contre les invasions maritimes.
Ce n’est, en conséquence, que pendant les deux premières périodes de la colonie de Théra, que les Cyrénéens durent conserver le type de leur origine primitive, et présenter dans leur organisation politique ce[260] caractère grandiose qui se dessine à nos yeux sous des traits d’autant plus majestueux, qu’ils appartiennent à ces temps reculés que nous apercevons bien plus par l’imagination que par la réalité. Quelque intéressant qu’il pourrait être d’examiner par des rapprochements historiques le développement de ces deux phases brillantes, de voir progressivement cet arbrisseau de l’Attique transplanté en Libye, germer, croître, et se couvrir de fleurs et de fruits, néanmoins le plan que j’ai suivi dans cet écrit ne me permet pas, sans former une trop grande disparate, de m’étendre pour le moment sur ce sujet. Je dois donc me contenter de donner, d’après des indications locales, une idée succincte des relations commerciales des Cyrénéens : ce sera respecter, comme je l’ai fait jusqu’à présent, le titre de ce livre ; ce sera ne point dépasser mal à propos les limites d’un voyage.
La position méditerranée de Cyrène indique, à elle seule, que l’agriculture dut être le premier objet des occupations de ses habitants : ce ne fut donc que lorsqu’ils se trouvèrent surchargés des biens que le sol leur offrait en profusion, qu’ils cherchèrent à les répandre au-dehors, et à les échanger contre des objets de luxe.
Ce développement de la prospérité sociale de la colonie de Théra ne fut pas tardif. Un demi-siècle s’était à peine écoulé depuis la fondation de Cyrène, que les richesses conventionnelles des Cyrénéens étaient très-considérables. C’est ce que l’on doit inférer du mécontentement du conquérant de l’Égypte, de Cambyse, qui se plaignit de la parcimonie des présents des Cyrénéens, montant toutefois à cinq cents mines d’argent, tandis qu’il reçut favorablement ceux beaucoup plus faibles des nations voisines[353]. Mais deux siècles après cette époque, les richesses des Cyrénéens avaient pris un accroissement bien autrement rapide, puisque le plus pauvre d’entre eux possédait des anneaux de la valeur de dix mines, et dont le travail était admirable[354].
On ne peut douter que ce ne soit de l’intérieur de l’Afrique que les Cyrénéens aient retiré les matériaux précieux, tels que l’or, l’argent et pierreries pour confectionner ces bijoux et les ouvrages numismatiques[261] dans lesquels ils n’excellaient pas moins[355] : ce dont nous sommes d’ailleurs convaincus par les monuments parvenus jusqu’à nous. La position des Oasis d’Ammon et d’Augilles leur offrait des stations commodes pour ce commerce ; et les relations que les Cyrénéens eurent avec la première de ces Oasis, sont aussi irrécusables qu’elles semblent avoir été bien suivies de tout temps. Les colonnes votives ornées de dauphins que l’on rencontrait sur la route qui conduisait de Cyrène à Ammon, la similitude architectonique que l’on trouve entre les monuments de l’une et l’autre contrée, et le voyage des Cyrénéens qui servirent à Alexandre de guides et d’introducteurs, pour visiter le temple du dieu de la Libye, indiquent en effet que ces relations furent établies long-temps avant le règne du héros macédonien, puisqu’à cette époque les Cyrénéens paraissent déja avoir été les maîtres de cette Oasis. D’un autre côté, on sait que plus tard les Ptolémées s’en déclarèrent les protecteurs ; que sous les Romains elle fit partie du nome libyque, et qu’elle dépendait encore de ce nome à l’époque de Justinien. L’étendue de cette Oasis, la bonté de ses eaux thermales, la fertilité de son territoire, et, répétons-le, son heureuse situation commerciale au centre de la Libye, expliquent ce continuel intérêt qu’elle inspira aux peuples civilisés qui occupaient le littoral ; il en serait infailliblement de même de nos jours, si la civilisation retournait dans des régions qu’elle a trop long-temps délaissées.
Quant à l’Oasis d’Augilles, privée de la plupart des avantages de la première, elle ne dut servir en tout temps que de simple station aux caravanes. Plus rapprochée de Cyrène que celle d’Ammon, elle offrait aux Cyrénéens un point de communication directe avec le pays des Garamantes, communication qui semble avoir eu quelque activité a cause des grenats que l’on tirait du mont Atlas[356], et surtout à cause de ce grand commerce de peaux de bœufs et de chèvres qui existait autrefois[357], comme il existe encore aujourd’hui, entre les habitants du Phazan et ceux de la Cyrénaïque.
Charax, située sur les bords de la grande Syrte, était l’entrepôt du commerce[262] de Cyrène avec Carthage : le silphium en fut le principal objet[358]. Il est plus que probable que Cyrène dut avoir aussi des relations commerciales très-actives avec l’Égypte, soit par Parætonium avec Alexandrie, soit par Ammon avec la Thébaïde : toutefois les renseignements de l’antiquité manquent totalement à ce sujet. Il me parait tout au plus permis d’affirmer que l’on transportait de Cyrène en Égypte le sel d’Ammon, que l’on trouvait, comme on le trouve fréquemment aujourd’hui, enfoui dans les sables de l’intérieur de la Libye. Ce sel, aussi agréable à la vue qu’au goût, dit Synésius, et l’expérience me permet de confirmer encore en ceci les traditions de l’évêque philosophe, était très-estimé à cause de sa pureté[359] ; on en faisait un grand usage en médecine, et on l’employait dans les sacrifices[360]. On peut ajouter que les Cyrénéens allaient chercher à Parætonium une craie blanche qu’on y fabriquait, et qui par cette raison portait le nom de cette ville. C’était une sorte de combinaison de l’écume de mer consolidée avec du limon, susceptible de prendre un grand poli, et précieuse pour les constructions à cause de sa ténacité[361]. Si je ne me trompe, c’est au ciment Parætonium que la majeure partie des citernes antiques de la Marmarique doivent leur conservation.
Le commerce maritime des Cyrénéens, outre le silphium, les chevaux et les peaux de bœufs et de chèvres, consista principalement dans l’exportation du vin et de l’huile. Hérodote et Diodore louent la bonté du vin de Cyrène que l’on transportait en Sicile et dans les diverses parties de la Grèce ; et l’on sait par Strabon que les Carthaginois venaient échanger sur les frontières de la Cyrénaïque leurs marchandises contre son vin. On peut en dire autant de l’huile dont la qualité a été louée par des écrivains différents, et à des époques bien éloignées entre elles ; et le grand nombre de forêts d’oliviers que l’on rencontre dans cette contrée, portent à croire que cette production du sol de Cyrène ne dut pas faiblement contribuer à l’accroissement des richesses de ses habitants.
[263]En résumé, les Cyrénéens paraissent avoir eu des relations commerciales ou politiques avec les divers peuples qui entouraient le bassin de la méditerranée, et principalement avec les autres colonies grecques ; ce que l’on peut inférer de l’homonymie qui existe entre les noms de villes et de peuplades de ces différents pays.
Quant aux relations bien plus essentielles qu’ils étaient naturellement à portée d’établir avec les habitants indigènes, on peut avancer que les Cyrénéens, considérés comme peuple, ne s’allièrent dans aucun temps avec eux, qu’ils les traitèrent toujours de Barbares, et que ceux-ci, par résultat, vécurent indépendants des maîtres de la Pentapole, sans leur payer le moindre tribut. Les témoignages de l’histoire prouvent la première assertion, et la position retranchée des campements libyens dans la partie méridionale de la contrée prouve la seconde. Cette excessive réserve des Grecs conserva la pureté de leur sang européen, et leur valut l’épithète de blancs Cyrénéens[362] ; mais c’est là tout l’avantage qu’ils en retirèrent : avantage qui ne saurait, il faut l’avouer, compenser la série de fautes politiques qu’il occasiona, et que les Carthaginois plus sages s’étaient bien gardés de commettre. Si l’on examine, à cet égard, les intentions qui guidèrent ces deux peuples dans l’établissement de leur colonie respective aux rivages de l’Afrique, si l’on réfléchit aux mesures qu’ils prirent chacun pour sa stabilité et pour son développement, on les trouvera diamétralement opposées, et l’on sera forcé de reconnaître que les effets si contraires qu’elles eurent étaient dignes de répondre à des causes si différentes.
Les Cyrénéens, au lieu d’imiter les Carthaginois, au lieu de se concilier d’abord l’affection des indigènes en leur payant un tribut, pour les rendre ensuite eux-mêmes volontairement tributaires, envahirent leur territoire, puis ils les en chassèrent ; au lieu de provoquer des alliances avec les Libyens, et prendre ainsi racine sur un sol étranger, il les méprisèrent, en les croyant indignes de leur sang ; enfin, pour dernière et[264] plus grande faute, au lieu de les incorporer comme les Carthaginois dans leurs armées, et de les employer à cultiver leurs champs, ils vécurent séparés d’eux, et presque toujours en hostilité : accumulation de négligences, ou pour mieux dire, défaut total de politique, qui fut peut-être la cause de l’instabilité du gouvernement de Cyrène même dans ses phases les plus brillantes, et qui occasiona certainement plus tard ces fréquentes invasions des Libyens dans les murs des cités de la Pentapole, et leur déplorable saccage.
Telles sont les notions que j’ai pu retirer de mes promenades dans les champs abandonnés de la célèbre Cyrénaïque, et les observations que mes faibles lumières m’ont permis d’émettre sur l’histoire et la géographie ancienne de cette intéressante contrée[363]. L’histoire de Cyrène ne devait pas être l’objet spécial de ce livre ; mais j’ai cru utile d’en exposer les traits les plus saillants dans une courte Introduction, afin de rappeler en peu de mots ce que l’on ne trouve qu’épars parmi beaucoup d’ouvrages. Il n’en était pas de même de la géographie ancienne de la Cyrénaïque. Mannert a manqué d’observations locales ; Ritter n’a fait à ce sujet que traduire la relation de Della-Cella ; et cette relation est assurément plus archéologique que géographique. C’est donc vers cette branche de la science que j’ai dû principalement diriger mes recherches dans les traditions de l’antiquité ; elle me promettait des rapprochements intéressants à confronter, des points réellement neufs à établir ou du moins à proposer : c’est aussi ce que j’ai assayé de faire. Puissent les juges de ces sortes de travaux me prouver par leur critique que je n’ai pas tout-à-fait perdu mon temps !
Ce qui me reste à dire sur ce voyage n’offre qu’un bien faible intérêt ; mais il accomplira la tâche que je me suis imposée pour le moment. Je vais donc parler des Oasis, voisines de la grande Syrte.
[352]Isocrat. in Orat. ad. Philipp.
[353]Hérod. l. III, 13.
[354]Eupole, dans Élien., l. XII, 30.
[355]Pollux, l. IX, c. 6.
[356]Strabon, l. XVII, c. 3 ; trad. franç. p. 479, n. 6.
[357]Thrige, Hist. Cyren., p. 257.
[358]Strab. l. XVII, c. 3.
[359]Synes. epist. 147.
[360]Arrian. de exped. Alex. l. III, c. 4.
[361]Pline, l. XXXV, c. 6.
[362]L’épithète de blancs, que Stratonicus le Rhodien donne aux Cyrénéens, me paraît convenir incontestablement à la couleur de la race grecque comparée à la libyenne, et ne saurait être interprétée, ce me semble, comme l’a fait Causabon, qui l’a attribuée à la mélodie de la musique des Cyrénéens (Causab. animadv. in Athen. l. III, c. 21, p. 198, 199).
[363]A ce sujet, je répéterai ici avec plus d’exactitude ce que j’ai dit ailleurs un peu vaguement : Je dois à l’obligeance du profond philologue M. Letronne l’explication verbale, et d’après le texte grec, de quelques passages obscurs des auteurs de l’antiquité, dont je n’ai consulté ordinairement que les traductions latines ; et à mon savant et respectable confrère M. Eyriès, l’avantage d’avoir pu profiter de plusieurs ouvrages en langue allemande que je ne connais pas.
Voyage à Audjelah.
Grande Syrte.
La ville de Bérénice, je le répète, a presque totalement disparu sous la moderne Ben-Ghazi, et, d’après les faibles indices qui en restent, on ne peut se faire une idée exacte de son ancienne étendue. Quant au port qui occasionna la fondation des deux villes ancienne et moderne, il est un peu rétréci par l’envahissement des sables, sans être pour cela moins sûr. Il présente encore une belle rade abritée par deux promontoires, dont le méridional est plat et couvert de palmiers, et le septentrional plus élevé, correspond au Pseudopenias de Strabon : un gros rocher que l’on aperçoit dans la mer à quelque distance de ce dernier promontoire, m’a paru être la petite île basse et noire servant dans l’antiquité à abriter les bateaux, ainsi que le rapporte le Périple anonyme[364].
Puisque je ne retrouve que de rares et insignifiants vestiges de l’ancienne Bérénice, m’arrêterai-je long-temps dans les murs de la ville moderne ? Dénombrerai-je ses maisons plates et bâties sur le sable ; ses habitants, Juifs, Mograbins et Arabes ? Parlerai-je de son commerce de bestiaux, de miel et de laine ? Ferai-je la description des jardins de la ville, de ces petits champs dans le sable, dont le pourpier et le poivre-long font ordinairement les honneurs, et qu’ombragent quelques palmiers aux maigres panaches battus par les vents ? Ou bien renonçant à ces vétilles, d’ailleurs à la connaissance d’une foule d’Européens qui visitent Ben-Ghazi, peindrai-je le souverain de la moderne Cyrénaïque, entouré de sa cour d’Arabes déserteurs, et tenant nonchalamment son divan dans une masure délabrée, décorée du nom de château ? A ce sujet, déroulerai-je la liste de ces seigneurs féodaux par la forme, et simples fermiers par le fait, qui, en vertu de pouvoirs accordés par le pacha[266] Yousouf, viennent s’installer durant trois années consécutives à l’extrémité de la province de Barcah, et, n’osant pénétrer eux-mêmes dans ses forêts, y envoient de temps à autre des émissaires, pour retirer ou pour essayer de retirer de leurs hôtes le tribut annuel, dont la totalité ne doit pas s’élever à moins de cent soixante mille piastres d’Espagne ?
Mais à ces divers propos, il me semble entendre mon lecteur, justement fatigué de mes prolixes récits, se récrier et me dire qu’il est temps d’y mettre un terme. Tel est aussi mon dessein. Pour en atteindre plutôt le but, je me hâte de quitter Ben-Ghazi, ne pouvant toutefois me dispenser de prévenir les personnes curieuses d’aller visiter l’intéressante Cyrénaïque, qu’elles trouveront dans cette ville auprès de M. Rossoni, et à Tripoli auprès de M. Vattier de Bourville, des fonctionnaires dont le zèle cosmopolite pour les sciences, et l’obligeance pour ceux qui les cultivent, ajouteront de nouveaux charmes à leur pélerinage aux champs classiques de Cyrène. Cela dit, je plie ma tente, et me dirigeant au Sud vers le désert des Syrtes, je vais résumer en peu de mots ce qui me reste à dire sur mon excursion en Libye.
C’est apparemment aux bas-fonds qui avoisinent la côte de la grande Syrte, qu’il faut attribuer les traditions de l’antiquité sur les grands dangers que recélait ce golfe ; car de nombreuses observations ont prouvé de nos jours qu’il est généralement dépourvu d’écueils et presque partout navigable. La côte orientale est celle qui paraît avoir été de tous temps la plus inhospitalière : témoin les expressions dont se sert à ce sujet le Périple anonyme[365], et celles non moins caractéristiques de Méla qui la désigne par importuoso littore pertinax. Aussi ne doit-on pas être surpris que malgré la bonne qualité du sol et les belles prairies qui bordent toute cette partie de la côte, depuis Bérénice jusqu’aux deux tiers de distance du fond du golfe, les Cyrénéens n’y aient élevé aucune ville d’une grande importance. Il est même à remarquer, pour complément de ce fait, que Borium, la seule ville de ce canton qui ait acquis quelque illustration dans l’histoire de la Cyrénaïque, soit d’abord comme asile de la secte hébraïque dont elle renfermait un temple célèbre, soit, plus tard,[267] comme boulevart de l’empire romain à Cyrène, loin d’avoir été élevée sur la côte, fut construite au contraire, d’après Procope, dans un étroit vallon[366], au pied du plateau cyrénéen, et vis-à-vis probablement du promontoire du même nom[367], qui en est distant de cinq ou six lieues. Des ruines surnommées par les Arabes Massakhit, comme celles d’Aphrodisias, sont indiquées à peu près dans cette localité ; quelque autre Européen pourra peut-être vérifier ce renseignement que je n’ai pu vérifier moi-même, et qui assurément n’est pas dépourvu d’intérêt.
Quant aux autres bourgs et villages que les divers géographes de l’antiquité placent sur ce littoral, il n’en est aucun, je le répète, qui ait eu quelque importance commerciale ou politique : Ils nomment successivement depuis le promontoire Borion ou Boreum, Diachersis, Mastoras, Heracleum ou la tour d’Hercule, Drepanum, simple promontoire selon les uns[368], et ville selon d’autres[369], enfin Serapeum, Diaroas et Apis qu’un observateur moderne a reconnu comme limite méridionale de la navigation le long de la côte orientale de la Syrte. Je ne parle point de Charax situé au fond du golfe, ni des autels des Philènes dont les vents ont depuis bien des siècles dispersé les témoignages mobiles.
Mais par contraste, si ce canton n’attira que faiblement l’attention des Cyrénéens, on peut avancer que, si ce n’est à l’époque des Ommiades, du moins à celle des Fathimites, il fut préféré par les Sarrasins à la région montueuse. Les nombreux débris de bourgs et de villages appartenant à cette période qu’on rencontre dans toute l’étendue de ce littoral jusqu’aux étangs de Berss, dont j’ai parlé, et les traditions bien plus concluantes des historiens orientaux, en sont des preuves assez fortes. Les belles prairies qui forment au printemps, de cette côte spacieuse, une immense plaine fleurie, convenaient-elles mieux aux mœurs chevaleresques et aux habitudes primitives des nouveaux possesseurs de cette contrée, que les montagnes voisines ? c’est ce qu’on ne saurait affirmer.[268] Il n’en est pas moins certain que ce canton devint, dans le sixième siècle de l’Hégire, le siége de l’empire de Barcah ; et tandis que les villes de l’ancienne Pentapole tombaient en ruines, que Barcé réédifiée par les Ommiades n’était plus elle-même qu’une petite bourgade, les villes de Ladjedabiah et de Sort florissaient aux bords de la Syrte, et étaient, au rapport d’Edrisi, les plus considérables du troisième climat[370], c’est-à-dire, de tout ce pays qui comprenait dans son vaste circuit la Marmarique et la Cyrénaïque. On trouve les ruines de la première de ces villes à treize lieues du cap Carcora, à trois des bords de la mer, et dans cette partie de la plaine qui sert de confins aux terres fertiles. Si l’on en juge par l’étendue qu’elles occupent, et les beaux débris qu’on y aperçoit, ce devait être en effet une ville assez considérable. Les mieux conservés de ces débris sont deux châteaux, dont un se fait remarquer par ses grandes dimensions, par les pierres colossales de ses assises et l’élégance moresque de l’ensemble de l’édifice[371]. Sur plusieurs voûtes en fer à cheval qui le décorent, on voit des inscriptions cufiques en grandes lettres très-frustes, dont un profond orientaliste pourrait tirer peut-être quelques lumières pour l’histoire obscure de Barcah.
Il n’est pas superflu d’ajouter que dans les assises de ces deux édifices, comme dans un grand nombre de ceux que nous avons rencontrés dans la Pentapole, on remarque plusieurs fragments d’inscriptions grecques tronquées et renversées. Cet indice, qui sert de nouvelle preuve au système de réédification adopté par tous les peuples qui ont successivement occupé cette contrée, peut servir aussi à retrouver dans ce lieu la situation de l’ancien Serapeum, éloigné, d’après l’Anonyme, de trois cent vingt stades de Chersis. Ladjedabiah est à treize lieues du cap Carcora, ce qui correspond exactement à la distance citée ; et Carcora paraît convenir à la situation de Chersis auprès duquel était un port, à cause du mouillage qui existe auprès de ce cap, le seul ou du moins le meilleur de toute la côte orientale de la Syrte. De plus, en continuant à suivre les indications du même stadiasme, on pourrait aussi reconnaître,[269] mais non sans un peu d’imagination, la tour d’Hercule située à cent stades au nord de Serapeum, dans une construction informe que l’on rencontre à peu près à cette distance sur une pointe rocailleuse qui serait par conséquent le promontoire Drepanum décrit par le stadiasme[372]. Cette construction, demeure actuelle d’un obscur Mourabout, repose sur des fondements antiques ; et ses murs, malgré le profane mélange des blocs qui les composent, semblent trahir par leur grande vétusté une antique et vénérable origine.
Quant à la seconde ville, celle de Sort, qu’Aboulféda place à deux cent trente milles de Tripoli, et Edrisi à deux cents pas des bords de la mer ; je ne puis rien dire à son sujet, puisque je n’ai pas visité cette partie de la côte. Toutefois, si l’on en croit les récits des Arabes du canton, des ruines non moins considérables que celles de Ladjedabiah, et portant encore le nom remarquable de Sort, qui n’est, comme on s’en aperçoit, qu’une altération de celui de Syrte, se trouveraient au fond du golfe. Cette ville aurait-elle remplacé l’ancienne Charax, ainsi que Ladjedabiah paraît avoir remplacé l’ancien Serapeum ? C’est ce qu’un Européen plus persévérant que moi se plaira peut-être à vérifier.
Au sud de Ladjedabiah, le sol continue pendant quelque temps encore à être labourable, et présente çà et là de petits champs cultivés ; puis le voisinage de la région des sables s’annonce par leur empiétement sur les terres ; enfin à deux lieues de distance, terre et végétation disparaissent tout-à-fait, et l’on entre dans le désert des Syrtes, désert affreux s’il en est !
Sans doute que des traditions antiques et une imagination prévenue influent sur l’effet que produisent sur nous les objets physiques : les noms des Syrtes fabuleuses et de leurs innombrables reptiles, les tourments qu’y éprouva le vertueux Caton et sa stoïque persévérance, sont propres, il faut l’avouer, à préparer l’esprit du voyageur au tableau qui se déroule devant lui et à en augmenter l’horreur. Néanmoins, quelque indifférent que l’on puisse être au pouvoir des souvenirs, je doute qu’un Européen aventuré pendant la chaude saison dans ces immenses solitudes pour s’avancer dans les terres, quoique familiarisé avec le sol de Libye, n’en[270] éprouve pas une impression pénible. Il tourne le dos à l’Europe, et son horizon se déroule à ses yeux en plaine mobile et sans bornes : Là, nulle végétation, quelque grêle et grisâtre qu’elle soit, ne fait hâter le pas du chameau, et n’interrompt la monotonie de sa marche ; nulle colline, quelque aride et calcinée qu’elle soit, ne coupe la nudité du désert et ne suggère au voyageur de vagues rêveries par ses formes fantastiques ; nul palmier solitaire, agitant au loin sa cime au gré des vents, ne provoque les chants de l’arabe par l’annonce de la source hospitalière ; nul troupeau de gazelles, se jouant dans la plaine, ne vient distraire la caravane attristée : l’hyène même et les autres fauves de Libye ne s’aventurent jamais dans cette zone brûlée, et le silence de ce tombeau de la nature n’est pas même troublé par leurs hurlements nocturnes. Un ciel de feu, un sol constamment uni, du sable, toujours du sable, rien que du sable sans eau, telle est la région qui s’étend du littoral des Syrtes jusqu’à la station de Rassam ; et cet espace, en n’en parcourant qu’une ligne, forme au moins trente lieues d’étendue.
Et cependant une telle région non-seulement fut toujours habitée dans l’antiquité, mais les hommes s’en disputèrent même la possession. Pour concevoir de pareils faits, dont on ne peut douter d’après d’irrécusables renseignements historiques, il faut admettre que lorsque la civilisation occupait les montagnes voisines, et attirait par l’espoir des déprédations les peuplades de l’intérieur de l’Afrique, la région de la grande Syrte devait offrir des vallées habitables, et rendues telles par les efforts de ceux qui étaient venus s’y établir. Quelques puits creusés çà et là, quelques canaux semblables à ceux de la Marmarique, auront réuni les pluies de l’hiver dans les bas-fonds, et répandu un peu de végétation sur des plaines maintenant envahies par les sables. Cette supposition se change d’ailleurs en certitude, si l’on observe que les Psylles, premiers habitants de la Syrte, y avaient creusé des citernes, au rapport d’Hérodote, et que ce ne fut que par leur desséchement qu’ils se virent contraints d’abandonner leur pays, et d’aller faire cette guerre allégorique au vent du midi, auteur de leurs maux[373].
[271]Quoi qu’il en soit, c’est dans ces lieux que les Nasamons, après le départ des Psylles, fixèrent leur séjour ; c’est là que, malgré les conditions indispensables de mon hypothèse, cette pauvre peuplade voyait de temps en temps ses rares moissons et ses champs mêmes emportés par les vents :
Aussi les usages des Nasamons paraissent avoir été appropriés à la nature du sol qu’ils habitaient. Ils n’occupaient point des tours comme les Libyens de la région montueuse ; ils ne se construisaient point des maisons comme les Maxyes leurs voisins ; ils n’avaient point des tentes commes les Scénites des environs d’Ammon ; mais ils se faisaient avec des asphodèles et des joncs entrelacés de petits logements qu’ils transportaient d’un endroit à un autre, et qu’ils pouvaient placer partout sur ces sortes de terrains mouvants[374]. On pourrait aussi attribuer aux mêmes causes le soin qu’ils prenaient de ne pas laisser expirer leurs proches couchés sur le dos, et de les tenir assis, de crainte peut-être que leur corps ne disparût sous les sables[375] ; et leurs chasses de sauterelles, mesquines mais nécessaires ressources, auxquelles ils étaient obligés de recourir en été, pour subvenir à leur nourriture[376]. La saison de l’automne leur était plus favorable : ils s’éloignaient alors de l’aride littoral où ils laissaient leurs troupeaux, et se rendaient à l’Oasis d’Augiles, dont les habitants hospitaliers leur permettaient de recueillir une partie des dattes qui croissaient abondamment dans leur canton[377].
L’excessive stérilité de la patrie des Nasamons, et la pauvreté qui en résultait pour eux, pourraient pallier en quelque sorte la mauvaise réputation que leur ont faite quelques auteurs de l’antiquité, à cause des déprédations qu’ils commettaient sur les navires jetés sur leurs côtes par les tempêtes, et au moyen desquels un d’entre eux dit ingénieusement qu’ils faisaient le commerce avec tout l’univers[378].
[272]Cependant il paraît que ces déprédations devinrent si nuisibles au commerce de Cyrène, que, dès que les Romains furent possesseurs de la Pentapole libyque, ils cherchèrent à purger la grande Syrte de ces voisins plus dangereux pour leurs intérêts que ses propres écueils. A cet objet, Auguste ne dédaigna point de leur faire porter la guerre, et ce ne fut pas sans peine qu’il les contraignit à reculer devant les aigles de Rome ; il réussit néanmoins à leur faire quitter le littoral, et Denys le Periegète dit, en effet, que de son temps on n’y apercevait plus que leurs demeures vides, c’est-à-dire ces cabanes d’osier et d’asphodèles dont j’ai parlé. Toutefois, ils firent encore une tentative pour reconquérir leur misérable patrie, et ils y parvinrent ; mais les mêmes causes apparemment ayant provoqué les mêmes effets, Domitien, au rapport d’Eusèbe et de Josèphe, leur fit éprouver une nouvelle défaite, et les força à se retirer de nouveau dans l’intérieur des terres vers le sud-est, dont ils allèrent probablement peupler les petits îlots de terre qu’on y rencontre de nos jours.
Depuis ce temps-là ils ne reparurent plus le long de la côte, qui fut désormais occupée par les peuplades voisines, les agriculteurs Maxyes et les paisibles Aniches.
Oasis d’Augiles.
Après avoir traversé dans la direction sud-est la région de la grande Syrte, pour se rendre à l’Oasis d’Augiles, on arrive à Rassam, petite portion de terre cristallisée par le sel, où l’on trouve, parmi des bouquets de tamarix et de palmiers, les ruines d’un château sarrasin et un puits d’eau saumâtre.
De Rassam à Audjelah il faut parcourir encore vingt lieues de distance : une source d’eau douce nommée Sibillèh, située dans un champ de soudes, forme l’entrée de l’Oasis.
Vouloir dire l’effet que produit sur une caravane, venant en été des bords de la Syrte, le seul aspect de ce peu d’eau limpide dans le sable, et de ce champ couvert d’une pâle végétation, ce serait tenter une chose[273] fort difficile. Comment peindre cette physionomie souffrante de l’homme, alors qu’elle est ranimée par l’espérance, qu’elle aperçoit le terme de ses maux ? Comment rendre ce murmure d’impatience et de plaisir mille fois plus agréable que les accents bruyants de la joie ? Il ne faudrait pas non plus oublier les soutiens de la caravane, les sobres et patients chameaux, à la seule odeur de l’eau, hâtant péniblement le pas, et, les yeux démesurément ouverts, balançant tous ensemble leur tête laineuse qu’ils dirigent chacun vers le même point. On arrive, on se désaltère, on remercie de mille manières le prophète. Viennent ensuite quelques habitants de l’Oasis, on se félicite, on se complimente de part et d’autre, et l’on reçoit les fruits de l’ineffable hospitalité.
Audjelah, l’Augiles des historiens, est loin d’offrir l’agréable aspect des Oasis voisines de l’Égypte : un village et une forêt de palmiers isolés dans une immense plaine de sable rougeâtre, tel est le triste coup d’œil que présente cette Oasis. On peut en dire autant de Djallou et de Lechkerrèh, autres petits cantons habités qui dépendent de nos jours d’Augiles, comme il est probable qu’ils en dépendaient dans l’antiquité ; ils sont séparés l’un de l’autre par six ou sept lieues de distance.
Une quatrième Oasis censée aussi faire partie du groupe des précédentes, s’en trouve éloignée de trois journées environ de marche vers l’occident. Ce lieu caché au milieu d’un labyrinthe de monticules de sables mouvants, se nomme Maradèh ; et soit que son aspect s’embellisse de la profonde horreur qui l’entoure, soit qu’une ceinture de collines schisteuses bariolées de grandes veines jaunes et bleues, délasse un peu la vue fatiguée de la monotonie de ce vaste désert, soit enfin que plusieurs sources d’eau douce, dont une thermale, raniment par leur agréable saveur l’estomac affadi par les eaux saumâtres, ce n’est pas sans plaisir que l’on arrive dans ce petit canton. Le sol, formé de terre rougeâtre comme celui des Oasis d’Égypte, offre avec celles-ci une analogie plus remarquable. De même que dans ces Oasis, on y trouve abondamment l’hedisarum alhagi, ce sainfoin du désert célèbre chez les écrivains orientaux, tandis qu’il ne croît, ni sur les terres trop grasses de Cyrène, ni dans les plaines argileuses de la Marmarique, ni à Augiles. Une belle forêt de palmiers en couvre la surface.
[274]On se doute bien qu’un pareil canton, quoique peu spacieux, a dû attirer l’attention des Arabes. On y voit en effet les ruines de deux villages ; cependant, il est maintenant sinon tout-à-fait abandonné, du moins il reste inhabité durant la majeure partie de l’année. Les divisions des tribus qui s’en sont tour à tour disputé la possession, et plus encore les superstitions que la crédulité a attachées à ce lieu isolé, en sont, m’a-t-on dit, la cause. Toutefois, les Nomades des environs de la Syrte ne laissent pas que de venir chaque année y recueillir les dattes ; mais n’osant résider dans les villages ruinés, livrés au pouvoir des esprits, ils se sont construit séparément des habitations en branches de palmiers[379]. C’est là qu’ils viennent s’établir, en automne, avec leurs troupeaux ; et comme ce petit canton est, je le répète, sous la dépendance d’Augiles, ils sont obligés de payer à cet effet une redevance au gouverneur de ce groupe d’Oasis ; mais cette contribution plus que les autres est fort aventurée. Je retourne à Augiles.
Augiles fait partie des états du pacha de Tripoli ; et de même que la région de Barcah et celle du Fazzan, elle est affermée à un bey[380] qui lui paie annuellement la somme de dix mille piastres d’Espagne. Le prélèvement de cette contribution est uniquement fondé sur les palmiers, dont la taxe est de deux piastres de Tripoli par pied, c’est-à-dire, de huit sous environ, monnaie de France. Ceci ne donnerait qu’une idée[275] fausse du nombre des palmiers d’Augiles, si l’on n’ajoutait pas que la moitié seulement de ce nombre est soumise à l’impôt ; l’autre moitié appartient aux mosquées et à leurs desservants.
Les villages épars dans les trois Oasis nommées, sont bâtis en blocs de pierre, tirés d’une épaisse couche schisteuse que l’on trouve sous les sables à six pieds environ de profondeur. La plupart des maisons ont une enceinte extérieure avec une hutte conique au milieu, faites l’une et l’autre en branches de palmiers : elles servent à renfermer les dattes et les troupeaux. Quant aux habitants, si l’on en croit leur propre rapport, ils peuvent fournir environ trois mille hommes armés, ce qui porterait la population totale sans distinction d’âge ni de sexe, à neuf ou dix mille ames.
Sibillèh, située à trois lieues et au nord du village principal, est la seule source de tout le canton. Ainsi point de ruisseaux, comme à Ammon et à l’Oasis de Thèbes, qui consolident autour d’eux le terrain, le parent de fleurs et de verdure, répandent la fraîcheur dans les airs, et vont enfin serpenter et se perdre au milieu de petits jardins où croissent en abondance les arbres fruitiers et les plantes potagères ; jardins d’autant plus agréables qu’ils sont, la plupart, remplis de citronniers et de grenadiers, dont les branches s’entrelacent ensemble, et forment d’épais ombrages, des voûtes fleuries et parfumées sous un soleil de feu et au milieu d’un désert sans ombre ; tel était un des plus doux attraits du jardin des Hespérides de la Cyrénaïque.
Au lieu de ces bienfaits accordés par la nature à ces Oasis, on ne voit à Augiles que des puits creusés à une vingtaine de pieds de profondeur, revêtus de troncs de dattiers, et d’où l’on extrait des eaux plus ou moins saumâtres. C’est avec ces seules ressources que les habitants s’efforcent d’alimenter la végétation de quelques champs, si l’on peut même donner ce nom à des bandes de sable, métamorphosées en humus, par les débris des palmiers et par de journalières et pénibles irrigations. Toutefois au moyen de cette lutte de l’industrie contre la nature, on parvient à faire croître l’orge et plus difficilement le blé ; le doukhn, espèce de millet dont se nourrissent en général les habitants de l’Afrique, est la plante qui se refuse le moins à cette ingrate culture ;[276] le piment et le pourpier s’y montrent aussi peu rebelles ; on peut en dire autant de l’ail et de l’oignon qui occupent à eux seuls de petits champs entiers ; mais il n’en est pas de même des tomates, des melons d’eau et des gourmands melloukhièhs, dont on ne peut obtenir, à force de soins, qu’un petit nombre de plantes. Enfin, les seigneurs les plus riches du canton, ceux qui ont à entretenir un cheval, ce qui n’est pas une médiocre affaire dans cette pauvre Oasis, emploient plus de précautions encore pour faire germer dans le sable un peu de bercim, de ce trèfle symbole des gras pâturages de la vallée du Nil. Le bey Abou-Zeith m’en montra avec orgueil auprès de sa demeure une prairie d’une vingtaine de pieds d’étendue.
Isolés au milieu des déserts, n’ayant dans leur triste patrie brûlée par le soleil aucune des compensations que les autres Oasis offrent à leurs habitants, ceux d’Augiles ont dû être essentiellement voyageurs. Ils se destinent dès l’enfance à cette carrière, et ils y deviennent fort habiles. Je dis habiles, puisque, par la situation du sol ingrat qu’ils habitent et par l’indispensable besoin d’en sortir quelquefois, l’art de parcourir les déserts doit être à ces hommes, ce que l’art de naviguer serait à des insulaires relégués sur de stériles rochers. La connaissance des astres est, comme on s’en doute, le point fondamental de cet art ; ils en conservent avec soin les principales notions qu’ils se transmettent de père en fils. Quant aux procédés de l’enseignement, ils sont peu compliqués : le seuil de leurs cabanes est leur observatoire, leurs télescopes sont leurs regards perçants qu’ils peuvent promener à l’aise sur l’immense pavillon qui se déroule, sans taches, au-dessus de leurs têtes.
Qu’un Européen aille assister aux séances pastorales de ces académies du désert ; l’objet en vaut la peine. Qu’il aille s’asseoir au-devant de la cabane rustique, sur le sable rafraîchi par les brises de la nuit, au milieu des vieillards, des femmes et des enfants ; et il verra l’ancien du village, dont la figure vénérable s’animera aux rayons de la lune, indiquer à l’assemblée de la voix et du geste les diverses constellations ; il l’entendra décrire les cercles et les ellipses des planètes, dénombrer les étoiles fixes, les nommer par leurs noms classiques quoique altérés par la langue et les traditions, et désigner par leur moyen les routes inaperçues[277] sur les plaines unies du désert, mais tracées dans le firmament : il sera frappé de la patriarcale simplicité de ses paroles et de la religieuse attention de l’auditoire. Il entendra ensuite les jeunes gens répéter avec recueillement les leçons du vieillard ; il verra même de petits êtres tout nus, assis sur les genoux de leurs mères, lever leurs mains enfantines vers le ciel, et balbutier les noms des guides futurs de leurs lointains voyages ; puis, à une sévère réprimande, cacher leur figure honteuse dans le sein maternel. Le pétillant vin de palmier terminera la séance ; il répandra la gaieté parmi les assistants, et l’Européen en les quittant conservera une longue impression, je n’en doute point, de cette séance pastorale formée dans un coin du désert, et dont il ne pourra sûrement contester l’utilité.
Les approvisionnements de comestibles que les habitants d’Augiles sont obligés d’aller faire chaque année à Ben-Ghazi, commencent à mettre en pratique leur éducation voyageuse. Ces approvisionnements consistent en céréales, beurre et bestiaux contre lesquels ils échangent leurs dattes, dont la qualité exquise, de beaucoup préférable à celles des autres Oasis libyques, fut appréciée même dans la haute antiquité[381]. Le voyage de Tripoli, moins nécessaire pour eux, est aussi moins fréquent. Ils se rendent plus souvent à Syouah, mais ils ne font ordinairement que s’y arrêter quelques jours, pour continuer ensuite leur route vers la vallée du Nil, où ils apportent les peaux de chèvres et le miel des montagnes de Barcah, et un petit nombre de plumes d’autruche, fruit de leur propre chasse aux environs d’Augiles. Mais ces courtes excursions sont généralement abandonnées aux jeunes gens encore inexpérimentés, et à quelques vieillards leurs guides, qui terminent ainsi leur carrière comme ils l’ont commencée. Les grands déserts du sud, la spacieuse vallée du Soudan, en un mot les provinces centrales de l’Afrique et particulièrement la ville de Tombouctou, tels sont les lointains et productifs voyages qu’entreprennent les hommes dans la force de l’âge, et dont la durée atteint quelquefois plusieurs années : le commerce des esclaves en est malheureusement l’objet exclusif.
[278]Ainsi des hommes patients, laborieux, sobres, entreprenants, et si fidèles à leur parole, que l’inviolabilité de leurs serments est passée en proverbe dans toute la Libye, de tels hommes, dis-je, emploient les plus belles années de leur vie, les fruits de leur utile expérience à aller arracher du fond de l’Afrique des essaims de jeunes nègres, pour les conduire aux marchés du Caire et de Tripoli. Ils mettent entre ces enfants et leur patrie des déserts immenses, les chassent nuit et jour devant eux comme de vils troupeaux, et, chose incroyable, si je n’en avais pas été le témoin, ils forcent, chemin faisant, leur douleur à chanter, de crainte que la mélancolie n’engendre parmi eux une funeste contagion, ce qui, malgré leurs cruelles précautions, arrive bien souvent. On avouera qu’il est fâcheux de voir tant de vertus péniblement acquises et plus péniblement exercées, employées à de pareils résultats.
Indépendamment des traditions de l’histoire, d’après la seule idée que j’ai donnée du sol et de la situation d’Augiles, on ne doit pas s’attendre à y trouver, de même qu’aux Oasis d’Égypte, les moindres vestiges de ces beaux monuments qu’un habile voyageur, M. Cailliaud, dévoila naguère au monde archéologue. Les seuls édifices antiques dont on puisse y apercevoir des traces témoignent mieux que mes paroles le peu de ressources que cette Oasis a dû offrir de tous temps à ses habitants. Ces édifices consistent en grands massifs de briques crues au nombre de trois, contenant chacun un puits au milieu. Il n’en reste, à peu de chose près, que les fondements ; mais, autant qu’on peut en juger par la disposition de l’ensemble, ce devaient être de grandes tours semblables à celles que j’ai rencontrées sur le plateau cyrénéen : c’est dire que je les crois aussi d’origine libyenne, puisque les Sarrasins n’ont jamais employé, du moins dans ces contrées, les briques crues pour leurs édifices. Les opinions des Arabes sur des monuments antiques ont sans doute une bien faible valeur ; mais il en est qui se distinguent par leur simplicité, et par conséquent par leur vraisemblance, et celles-là ne sont point à dédaigner : de ce nombre est le récit que je vais rapporter.
C’est le cadi d’Augiles qui parle ; il est placé sur un de ces monticules de ruines, et avec son long bâton il indique le village : « Avant[279] qu’il fût bâti, dit-il, là où l’on voit maintenant ces maisons existait une plaine couverte de soudes et de roseaux ; et à l’endroit même où nous sommes s’élevait un château dont les murs se rétrécissant de la base au sommet le faisaient ressembler aux pyramides du Caire. Cette forêt de dattiers qui nous entoure n’a pas été plantée par les croyants ; de tous temps elle couvrit ce canton : elle forme maintenant nos richesses, auparavant elle était le prix des fatigues du voyageur. Néanmoins quelques familles de pasteurs de la côte venaient chaque année en recueillir les dattes, conduisant avec eux leurs troupeaux qui trouvaient un bon pâturage dans la plaine de soudes. Le château servait à renfermer la récolte, et à veiller à sa sûreté : à cet objet, le chef des pasteurs l’occupait. Si par hasard il apercevait dans l’horizon quelque caravane nombreuse, il faisait un signal, et ils accouraient tous vers le château avec leurs troupeaux, où ils s’enfermaient jusqu’à ce que les étrangers eussent quitté le canton. »
Quoi qu’il en soit des circonstances qui accompagnent cette tradition, le fond en paraît d’autant plus probable qu’il s’accorde avec d’autres à peu près semblables recueillies dans d’autres Oasis, qui semblent aussi n’avoir servi que de lieux de campements annuels durant cette période qui séparé la haute antiquité du moyen âge, c’est-à-dire, entre l’expulsion ou la retraite des Libyens ou des Éthiopiens, et la fondation des villages Berbères ou Arabes.
Il est toutefois certain que les villages actuels d’Augiles existaient au moins dès le quinzième siècle, d’après le témoignage de Léon l’Africain ; et, ce qui est plus intéressant, on voyait encore à cette époque les trois châteaux dont je viens de parler : quelques détails du voyageur arabe, à leur sujet, m’auraient épargné bien des paroles.
Quant aux époques de la haute antiquité, l’Oasis d’Augiles fut incontestablement habitée ; mais quoique Étienne de Bysance ait dit qu’il y existait une ville[382], je ne crois point qu’il faille prendre ce mot à la lettre, d’autant plus que ce géographe n’a pas été sobre de pareilles dénominations.[280] Il me paraît plutôt probable que les Augilites[383] durent avoir des habitations semblables à celles des autres peuplades qui s’étendaient plus à l’ouest, c’est-à-dire, quelques excavations faites dans la roche ; c’est ce que l’on peut d’ailleurs inférer tant du silence de l’histoire sur cette prétendue ville, que de quelques traditions qui se rapportent aux Augilites et au pays qu’ils habitaient. Hérodote, auquel il faut toujours avoir recours, m’offrira les dernières, et je les trouverai tellement fidèles, qu’elles pourraient encore servir à décrire l’Augiles moderne.
Il a parlé de ses forêts de palmiers, de la qualité exquise de leurs dattes, et nous avons dit qu’elles sont la plus grande ressource que possède encore Augiles. La seule fontaine qu’on y trouvait de son temps, est la seule qu’on y trouve de nos jours ; c’est Sibillèh. La seule colline qui, d’après l’historien, existait dans ce canton, est la seule qui interrompe la monotonie de son immense plaine de sables : elle occupe la partie nord du village principal. De plus, il ajoute que cette colline, comme celles d’Ammon, était de sel[384] ; et dans le monticule de spath calcaire d’Augiles, comme aux collines d’Ammon, nous trouvons des masses de sel gemme. Ainsi vingt-trois siècles ont passé sur le canton d’Augiles, et les mêmes ressources qu’il offrait aux anciens habitants, il les offre aux habitants actuels ; exceptons-en les villages arabes, et c’est encore le même aspect. Cette idée ne déplaît pas au voyageur ; il aime à s’y arrêter, car le plus souvent ce qu’il a de mieux à faire dans ces déserts, c’est de chercher à ranimer sa pensée aux souvenirs des âges antiques. Le voilà donc parmi les Libyens d’Augiles ; que faisaient-ils dans ce triste pays ? Quels étaient leurs mœurs, leurs usages ? C’est ce qu’il se demande ; malheureusement l’histoire ne lui offre que bien peu de renseignements. Les seuls qu’elle ait transmis à ce sujet sont relatifs à leurs croyances religieuses, qui ne laissent pas que d’avoir quelque chose de particulier. Différemment des Libyens nomades, les Augilites, au lieu d’adorer les astres, n’avaient d’autres dieux que leurs mânes, ne juraient qu’en[281] leur nom, les consultaient comme des oracles, et dans ces occasions ils dormaient sur les tombeaux, et prenaient leurs songes pour les réponses des mânes[385].
On peut observer en passant que ce n’est pas sans intérêt pour l’histoire de l’esprit humain que l’on voit cette bizarre croyance exister avec des caractères à peu près semblables, et peut-être dès la même époque, en des lieux fort éloignés de cette Oasis, dans les îles Mariannes, dont les habitants n’invoquent, comme les anciens Augilites, d’autres dieux que les esprits de leurs morts qu’ils appellent Anitis, et auxquels, dit Bernardin de Saint-Pierre, d’après le père Gobien, ils attribuent le pouvoir de commander aux éléments, de changer les saisons, et de rendre la santé[386]. Ce serait sans doute en pure perte que l’on chercherait à cette anomalie morale observée en des lieux si distants entre eux, d’autre fondement que la bizarrerie de l’esprit humain. Me bornant donc à mes seuls Augilites, je dirai que l’on trouve encore de nos jours dans leur Oasis des témoignages marquants de ce culte. Ces témoignages, du moins, j’ai cru les rencontrer auprès d’une excavation antique située à Djallou. On y pénètre par une entrée carrée taillée dans la couche de roche schisteuse que j’ai dit régner partout dans ces Oasis à six pieds environ au-dessous de la surface du sol. Latéralement à l’excavation sont deux escaliers qui du fond en atteignent le sommet : ses dimensions totales sont de sept mètres de chaque côté. Ce petit hypogée, découvert et déblayé il y a peu d’années par les habitants, n’offrirait par lui-même aucun indice des usages que j’ai rappelés, si d’autres circonstances ne s’y rattachaient. Le chef du village me montra une petite colonne en quartz de deux pieds six pouces de hauteur et de forme conique, que l’on avait retirée de la grotte lors du déblayement. Une autre pierre retirée aussi du même endroit, couronnait la tombe d’un Santon : celle-ci, à peu près de la même hauteur que la précédente, est de roche granitique et d’une forme différente : elle figure un bloc carré dont les deux côtés supérieurs seraient en angle rentrant[387].
[282]Ces deux monuments ont quelque rapport avec certaines pierres votives des anciens ; et l’on avouera que s’ils sont dépourvus de caractères plus décisifs, le canton reculé où ils se trouvent, l’espèce de roche dont ils sont formés, qui lui est étrangère et qu’on a dû y apporter de loin, et surtout le lieu même dont ils ont été retirés, offrent par différentes raisons plusieurs points d’analogie avec les usages tumulaires des anciens Augilites. On sait combien le sable est conservateur : les antiquités extraites des catacombes de l’Égypte en sont d’assez fortes preuves. Ce ne serait donc pas émettre une conjecture dépourvue de fondement, si l’on supposait que ces petits monuments renfermés pendant une longue suite de siècles dans un hypogée sépulcral, et enterrés sous les sables, fussent des pierres votives que les Augilites auraient élevées à leurs mânes, et offrissent par conséquent des témoignages encore existants de la fidélité des récits de l’histoire, et du culte funéraire des anciens habitants d’Augiles.
Pendant que je suis encore aux portes de l’Afrique, entouré d’Arabes voyageurs, m’entretenant avec eux de leurs lointaines migrations, je pourrais m’amuser à traduire leurs récits, et à éclaircir peut-être de quelques faits nouveaux la géographie obscure des provinces centrales. Mais ce n’est pas sans plaisir que j’apprends à l’instant même que de pareilles notions puisées à de pareilles sources deviennent superflues. Un Européen vient de traverser la redoutable Afrique : seul, il s’est aventuré dans ses déserts dévorants, et il leur a échappé ; il a su tromper le fanatisme religieux par le fanatisme de la gloire ; il a séjourné à la mystérieuse Tombouctou, et il en est de retour. Gloire à vous, heureux voyageur ! Votre courage a dompté l’hydre gardienne ; et la pomme, vous avez l’honneur de l’offrir à la France.
J’abandonne donc sans regrets mes causeries d’Augiles ; mais en portant ma vue vers l’intérieur de l’Afrique, j’y ai rencontré involontairement des noms dont j’aimerais à orner ce fragment de géographie sur cette contrée, si ma faible voix pouvait ajouter la moindre chose à leur célébrité. Sans diriger mes regards loin de moi, la moisson serait abondante et les fruits en seraient variés. Je devrais en premier lieu nommer M. Jomard, puisque ce serait rappeler un savant depuis long-temps dévoué à la géographie de l’Afrique. Je saisirais ensuite cette occasion pour signaler à mon tour un bon résumé historique sous le titre modeste d’Essai ; je parcourrais[283] avec lui les annales arides de l’Afrique, et je serais surpris d’y trouver du charme : telle est la magie du style lorsqu’il est uni au savoir, et M. Larenaudière est un de ceux qui connaissent le grand art de rendre l’érudition aimable par les prestiges d’un langage séduisant. Je ne pourrais aussi me défendre de citer les excellents travaux de MM. Brué et Lapie sur l’Afrique ; je contribuerais volontiers à mettre au jour cette scrupuleuse conscience qui, par des moyens différents, ne laisse apercevoir d’un amas de recherches que les sommités, et les sommités réelles. Poursuivant ma revue, je rencontrerais une foule de noms représentant chacun dans la science un caractère à part. Parmi ces derniers je choisirais ceux de MM. Walkenaër, Eyriès et Jaubert, dont le savoir orné d’une simplicité antique en acquiert plus de prix ; et si je voulais prouver que cette simplicité peut prendre une physionomie piquante, je joindrais à ces géographes M. de la Roquette, un des savants interprètes du grand Colomb. Je ne devrais non plus omettre, ni les profondes et ingénieuses expositions de M. Denaix, ni les philantropiques recherches de M. Dupin, ni les scientifiques tableaux de MM. Balbi, Moreau et autres : travaux d’autant plus importants à mes yeux, qu’indépendamment de leur propre but, ils peuvent aider le géographe philosophe à des développements d’un ordre différent.
Mais si l’apostille dont j’aurais voulu orner la fin de ce livre comme d’un cul-de-lampe géographique, aurait pu paraître au moins superflue, il n’en est pas de même de celle que je dois à la reconnaissance. Ainsi quelque fugitives que puissent être les observations dont j’ai composé mon récit, qu’il me soit permis en le terminant, sans parler de MM. Firmin Didot, auprès de qui les ouvrages de quelque utilité, quoique accompagnés de dessins explicatifs d’une publication fort dispendieuse, trouvent de véritables Mécènes, qu’il me soit permis, dis-je, d’offrir de nouveau mes remercîments à l’estimable négociant M. Guyenet, qui, par sa généreuse assistance, m’a mis à même d’en recueillir les matériaux les plus indispensables en des lieux difficiles à parcourir. Je ne saurais trop insister sur ce sujet, puisque, prêter un appui désintéressé à une entreprise scientifique, c’est, si elle est couronnée de quelques résultats, en avoir le principal mérite.
FIN DE LA RELATION.
[364]Iriarte, p. 487.
[365]Iriarte, p. 487.
[366]Procop. de Ædifi. l. VI, c. 2.
[367]Ce promontoire fut nommé Borion par les Grecs, dit Solin, parce qu’il était constamment battu par le vent du nord (Solin, Polyhist. c. 40). Il prit dans la suite les noms d’Hypon et d’Hyporegius.
[368]Ptolémée, l. IV, c. 4.
[369]Étienne de Bysance, au mot Drepane.
[370]Edrisii Africa, ed. Hartm. p. 301.
[371]Voyez pl. LXXXIX, XC.
[372]Iriarte, p. 487.
[373]Hérodote, l. IV, 173.
[374]Hérodote, l. IV, 190.
[375]Id. ibid.
[376]Id. ibid. 172.
[377]Id. ibid. 172, 182. Pline, Histo. natur. l. V, c. 4.
[378]Lucain, Phars. l. IX, v. 443, 444.
[380]On n’apprendra pas peut-être sans intérêt que ce bey, nommé Abou-Zeith Abdallah, est Français, et qu’il est né à Toulon. Il faisait partie, à l’âge de douze ans, de l’expédition française en Égypte, en qualité de tambour. Pris dans un combat par un corps de Bédouins, il fut vendu au pacha de Tripoli : son heureux physique fit sa fortune. Il resta long-temps attaché à la personne du pacha, comme mamelouk, et fut ensuite envoyé dans le Fazzan, avec l’armée de Mohammed le Circassien. La bravoure qu’il montra dans cette campagne, qui eut pour résultat la conquête totale du Fazzan, lui attira les bonnes graces de son souverain : celui-ci le récompensa en lui accordant le titre de bey et le gouvernement d’Augiles. Abou-Zeith-Abdallah n’a conservé d’autres souvenirs de sa patrie, qu’une idée vague de la ville et des environs de Toulon, et d’autre usage de sa langue originaire, que quelques mots provençaux qu’il estropie avec une bonhomie charmante. C’est Abou-Zeith lui-même que l’auteur tient ces détails. Il se plaît à ajouter qu’il en a reçu, outre l’hospitalité habituelle des mœurs orientales, l’accueil le plus cordial et les prévenances les plus délicates.
[381]Hérod. l. IV, 182.
[382]Voce Augila.
[383]Je me conforme à la dénomination d’Étienne de Bysance.
[384]Hérod. l. IV, 182.
[385]Pomp. Mela, l. I, c. 8. Solin. Polyhst. c. 44.
[386]Bernard. de Saint-Pierre, Études de la Nature, 3e édit., t. III, p. 31, 32.
A.
Abassides (la dynastie des) succède dans la Cyrénaïque à celle des Ommiades, xxx.
Aboulféda, cité, 269.
Abousir, nom des ruines de la ville de Taposiris, 5, 6, 7.
Abou-Zeith-Abdallah, gouverneur du pays d’Augiles : son origine et sa carrière.
Actium (la bataille d’) : ses résultats pour les destinées de la Cyrénaïque, xx.
Adicran, roi libyen, implore et obtient le secours des Égyptiens contre les Cyrénéens, 176.
Adrianopolis de Libye : époque de sa fondation, et remarques sur le silence de plusieurs anciens géographes, relativement à cette ville, 189, 190.
Adrien (l’empereur) : ses bienfaits en Cyrénaïque et médaille qui les rappelle, xxvi, 189 et note. — Ses parties de chasse dans la Marmarique, 123.
Afrique (l’) : moyens que les Cyrénéens auraient pu employer pour la civiliser, xxiii. — Opinion de l’auteur sur la manière la plus propre à la parcourir scientifiquement, 1, 2.
Agis, général de Ptolémée Soter, apaise une sédition à Cyrène, xix.
Agrippa protége les Juifs de Cyrène, xxvi.
Aïoubites (la dynastie des) succède dans la Cyrénaïque à celle des Fathimites, xxxi.
Alazir, roi des Barcéens, s’allie avec la famille royale de Cyrène, 176.
Alexandre-le-Grand : son voyage au temple d’Ammon, xvi, 29, 30.
Alexandrie : départ de l’auteur de cette ville, 1, 3.
Américains (les) se sont emparés de Derne, 97.
Ammien-Marcellin, cité, 96, 177, 185.
Ammon (l’Oasis d’) : avantages qu’offre sa position pour le commerce méditerranéen de la Libye, xvi, 261.
Ammonia, surnom de Parætonium, 30.
[286]Ampéliotes (les), peuple libyen : envoient une tige de silphium au temple de Delphes, 252 et note.
Ampélisque, personnage du Rudens de Plaute, 164.
Amrou-ben-el-As, conquérant de l’Égypte : son propos sur les habitants de la Pentapole, xxx.
Anastase I (l’empereur) : un de ses rescrits gravé sur une caserne de Ptolémaïs, 179.
Anthée (la ville d’), 85. — (Le géant), 86. — (Le royaume d’), 86.
Antide (la Chersonèse), 85, 86.
Antiphræ, villages : leur situation, 18, note.
Antipyrgus, ville : sa situation correspond à celle des ruines de Toubrouk, 48, 49.
Antoine (le triumvir) sépare la Cyrénaïque de l’empire romain, xx. — Donne force de loi au décret de César sur les Juifs, xxv. — S’enfuit avec Cléopâtre à Parætonium, 30.
Antonin (l’itinéraire d’), cité, 96, 125, 177, 188, 189.
Anville (d’), cité, 23, 106, note, 126.
Aoulâd-Aly, nom collectif des tribus d’Arabes qui occupent la majeure partie de la Marmarique : dénombrement de ces tribus, 64, 65. — Total de la population qu’elles forment, 66. — Confins de leur territoire, 43. — Leurs mœurs et leurs usages, 67 et suivantes jusqu’à 81 inclusiv.
Aphrodisias (l’île d’), 84, note, 116. — (La station maritime d’), 115.
Apion, roi de Cyrène, lègue ses états aux Romains, xix.
Apis, ville : sa situation, 33, 55, note.
Apollon : ses amours avec la nymphe Cyrène, xiii, 218. — Description de la fontaine qui lui était consacrée, 212, 213, 214, 215, 216, 217. — (Temple d’), 218, 219.
Apollonie, port de Cyrène et une des cinq villes qui formaient la Pentapole, 116, note, 142, 162, 163, 164, 165, 166, 189, 177, 178, 181, 191, 192.
Apollonius de Rhodes, cité, 221, note.
Apriès, roi d’Égypte, fait une expédition contre les Cyrénéens en faveur des Libyens, 85.
Aprosylis, un des anciens cantons de la Cyrénaïque, 240.
Arabes Scénites (les) : leurs adieux lorsqu’ils se quittent, 4. — Leurs ateliers, 110, 111. — Leurs superstitions, 112, 133, 139. — Leurs camps et accueil qu’y reçoit l’auteur, 19, 20, 21. — Distinguent leurs tribus par des signes, et tracent ces signes sur les monuments qu’ils rencontrent, 26, note, 72, note. — Leurs tombeaux, 31, 32.
Araraucèles (les), Libyens : homonymie remarquée à leur sujet, xxii, 263.
[287]Arcadius (l’empereur) : sous son règne, Cyrène tombait en ruines, xxviii.
Arcésilas III, roi de Cyrène : ses tentatives pour détruire les institutions du législateur Démonax, et quel en fut le résultat, xv, 176.
Ardanaxès (le promontoire), 47.
Argonautes (les) : influence présumée de leur expédition sur la colonisation grecque en Libye, xiii, 173.
Aristée, fils de la nymphe Cyrène : son éducation pastorale en Libye occasionne ensuite la propagation des arts agricoles en Arcadie, xv.
Aristippe (le philosophe), né à Cyrène : ses préceptes, autant qu’on peut les induire de la réunion des traditions anciennes, xxiv.
Ariston, citoyen de Cyrène, excite une sédition contre le parti aristocratique, xvii.
Arméniens (les) : leur passage en Libye, 204.
Arrien, cité, 29, note, 239, 249, 282.
Aryandès, gouverneur d’Égypte, envoie une expédition contre Barcé, en faveur de Phérétime, xvi, 8, 176.
Asbytes (les), Libyens : lieux qu’ils occupaient, 185, note, 217. — Mangeaient le silphium, 253, 255.
Asie Mineure (l’) : relations des Cyrénéens avec les colons grecs qui en habitaient les côtes, xxii, 192.
Athénée, cité, 256.
Auchises (les), peuple libyen qui habitait au sud de Cyrène, xxii.
Augiles (l’Oasis d’), actuellement nommée Audjelah, fut un point de communication indispensable entre Cyrène et le Fazzan, 261. — Description qu’en a laissée Hérodote, 275, 276. — Son état actuel, 280. — Culte et usage des anciens Augilites, 280, 281, 282. — Mœurs et usages des habitants modernes, 276, 277, 278.
Auguste (César) est reconnu souverain de la Cyrénaïque par les Cyrénéens, xx. — Confirme par un décret les priviléges que les Juifs avaient obtenus du sénat, xxv.
Azarium, port de Libye où débarqua Synésius, 86, note.
Aziris, Axilis, Nazaris, canton où séjournèrent les colons de Théra en quittant l’île de Platée, 53, 84, 85, 86, note, 96, note, 126, 217.
B.
Bacchus (temple de), à Teuchira, 184. — A Cyrène, 223.
Bactriane (la) : les Libyens de Barcé y fondent une ville, 177.
Balacris, Balis, ville : est-elle d’origine phénicienne ? 170.
[288]Balbi (M. A.), mentionné, 283.
Baleus, Baal (le dieu), 170.
Bankes (M.), cité, 114.
Barcah, ville : métropole de la Cyrénaïque sous la dynastie des Ommiades, xxx, 177, 178. — N’est plus qu’une petite bourgade sous les Fathimites, xxxi.
Barcé, une des cinq villes formant la Pentapole sous l’Autonomie : sa situation, son origine, et coup-d’œil sur ses annales historiques, 175, 176, 177, 178. — Les Barcéens donnent leur nom aux peuplades libyennes de la Cyrénaïque, xxi, 178.
Baretoun, Berek, noms que donnent les Arabes aux ruines de Parætonium, 29, note.
Batrachus, port : cause de sa dénomination, 51.
Battia, un des anciens cantons de la Cyrénaïque : probablement le plus méridional, 240.
Battiades (le règne des) : ses principaux événements et sa durée, xv, xvi, xvii.
Battus I, fondateur et roi de Cyrène : son arrivée à la tête des colons de Théra auprès de la fontaine d’Apollon, xiii, 217. — Ses institutions religieuses et politiques, xiv, 217.
Belley (l’abbé), cité, 247.
Benaïèh-abou-Sélim, ruines d’un château romain, 16.
Bénéghdem (description des ruines de), 170, 171.
Ben-Ghazi, ville arabe : sa distance du plateau cyrénéen, 186. — Lieu de résidence des gouverneurs du pays de Barcah, 265. — Son port, 265, 266.
Beny-Hassan, catacombes situées dans la Haute-Égypte, 5.
Berbères (les) : s’ils ont habité la Libye avant la colonisation grecque ? xii, 8.
Bérénice, une des cinq villes qui formaient la Pentapole : l’opinion qui place le jardin des Hespérides auprès de cette ville, réfutée par sa situation sur une plage aride, 172, 173.
Bernardin de Saint-Pierre, cité, 281.
Berss (el), nom donné à des ruines de hameaux sarrasins et à des étangs salés, 188.
Betkaât, vallon : ruines d’anciennes fortifications qui le dominent, 108, 109.
Bibars (le sultan) fait fortifier la côte libyque lors du débarquement de saint Louis à Tunis, 48.
Bomba (le golfe de), fréquenté par les Maltais, 52. — (L’île de) est la seule de la Marmarique qui offre un bon mouillage, 52.
Bombæa, colline sépulcrale : sa situation, 50.
Boreum, Borion, promontoire : sa situation et origine de son nom, 267.
Borium, ville : sa situation, 266.
[289]Bou-Chaffèh, vallée où l’on rencontre des restes d’anciennes cultures, 140.
Boumnah, ruines d’un château, dans la Marmarique, 10, 11. — Dans la Cyrénaïque, 130, 157.
Boun-Adjoubah, vallée où se trouvent les ruines de l’ancienne Apis, 32, 33.
Brouès (el), ravin de Derne : son aquéduc, 99.
Brué (M.), mentionné, 283.
Brutus (le parti de Cassius et de) : son influence sur le gouvernement de Cyrène, xxv.
C.
Cabales (les), Libyens : homonymie remarquée à leur sujet, xxii. — Lieux qu’ils occupaient, 185, note.
Caillé (M.), mentionné, 282.
Cailliaud (M.), mentionné, 278.
Callimaque, poète du sang royal de Cyrène, cité, 217, 218.
Cambyse (le roi) force Arcésilas III à lui payer un tribut, xv. — Son expédition en Libye, 8.
Carnéade, philosophe natif de Cyrène, 229.
Carpocrates, philosophe, chef de la secte carpocratienne, xxiii.
Carpocratiens (les) : leurs préceptes, usages et prophètes, xxviii, 208. — Grottes consacrées à leur culte, 128, 129.
Carthaginois (les) : leur politique vis-à-vis des Libyens, 263, 264.
Catabathmus magnus, montagne, séparait, du temps des Romains, l’Afrique de l’Asie, 39. — Antérieurement, la Cyrénaïque de la Marmarique, 55, note.
Catabathmus parvus, colline : sa situation, 19.
Cellarius, cité, 18, 19, 23, 43, 52, 142, note.
César Auguste (temple de), 218, 220. — (Statue de), 220, 221.
Chabrol de Volvic (M.), cité, 5, note, 6.
Chammamèh (Kassabah-el-), ruines d’un monument égypto-grec, 13.
Chammès, ruinés de la tour d’Alchemmas, 34, 37.
Chenediréh, ruines d’un château romain : chapelle chrétienne qu’il renferme et à quel usage elle servait, 120, 121.
Chersis, village, 115, note, 141.
Chersonèse (la petite) : sa distance d’Alexandrie, 3. — (La grande) : sépare les montagnes de Cyrène des plaines de la Marmarique, 83.
Chrétiens (les) de la Cyrénaïque, 102, 114, 129, 161.
Chronicon Pascale, cité, 204.
Cicéron, cité, 240.
Clapperton, cité, 27, note, 113.
[290]Cobad, roi de Perse, adopte les usages des Carpocratiens, xxviii.
Conchylium, lac : sa situation, 86, note.
Coumbouss : mélange de ruines de divers âges, 45.
Cyré, fontaine, 85, note, 217.
Cyrénaïque (la) : formes diverses et successives de son gouvernement, ii. — Tombe au pouvoir de Rome, et jointe à la Crète elle devient province prétorienne, xx. — Plus tard elle est divisée en deux provinces, xxviii. — Son étendue et ses limites, 55, note. — Échelle végétative de sa campagne, xxiii, 235. — Descriptions de Synésius, 245, 246. — Dispositions, étendue et productions de ses terres, 235, 236, 239. — Différence de la partie maritime et de la partie méridionale des terres, 237. — Surnoms que lui ont donnés les poètes anciens, 238. — Ses animaux domestiques, 241, 242, 243. — Observation sur l’hygiène des Libyens à l’égard de la viande de porc, 244. — Analogie entre les usages des anciens Égyptiens, des Libyens, des Cyrénéens et des habitants actuels de Cyrène, au sujet de la viande et du lait de vache, 243. — Fléaux auxquels était exposée la campagne de la Cyrénaïque, 245.
Cyrène, métropole de la Cyrénaïque : époque de sa fondation, xi. — Lieu où elle était située, 235. — Forme qu’elle décrivait, 216. — Rues qu’on y voit de nos jours, 224, 225. — Place qu’occupait le marché public de la ville, et réfutation à ce sujet de l’opinion de Lemaire, 227, 228. — Bois que Battus y consacra aux dieux, 230. — Villes qu’elle fonda, xxi. — Divinités qui y recevaient un culte particulier, et leurs temples, 233. — Diversité des traditions sur l’origine du nom de Cyrène, 232.
Cyrénéens (les) envahissent les terres des Libyens leurs voisins, 176. — S’adressent à Démonax, législateur de Mantinée, xv. — Envoient des ambassadeurs à Alexandre, xvi. — Leurs divisions les font tomber sous le joug de tyrans domestiques, xvii. — Recourent à Platon pour en recevoir des lois, xvii. — Attaqués et soumis par Ophella, xviii. — Se révoltent, xix. — Sont de nouveau soumis par Magas, xix. — Rome leur laisse la liberté, et ils n’en profitent point, xx. — Leurs relations, mœurs et usages, xxi, xxiii, xxiv, 206, 211, 260. — En quoi consistait principalement leur commerce, 261, 262, 263. — Cause de la situation méditerranée de leurs villes les plus anciennes, 116, 117, 258, 259. — Leur système de défense contre les attaques des Barbares, 108, 259. — Leur conduite impolitique à l’égard des Libyens fut la principale cause de leur décadence, 259, 263. — Parallèle entre les Cyrénéens et les Carthaginois, 263, 264.
[291]D.
Damanhour, ville d’Égypte, lieu où se rendent les Arabes de la Marmarique depuis que Mohammed-Aly a détruit leurs fortifications de Parætonium, 30, 31.
Daphnèh, vallée : accueil qu’y reçoit l’auteur, 44. — Canaux d’irrigation qu’on y trouve, 45.
Dar-Fayal, canton, 46.
Darnis, ville : époque de sa fondation, 96. — Le christianisme y a laissé des traces sur les monuments et dans les traditions, 97, 102, 103.
Della-Cella (M.), cité, 123, 164, 172, 175, 179, 180, 181, 184, 185, 187, 188, 216, 222.
Démonax, législateur, fait, d’après l’invitation des Cyrénéens, des changements à leurs institutions, xv.
Denaix (M.), mentionné, 283.
Denham (le major), cité, 27, note, 113.
Deris, port et promontoire : indices vagues de l’antiquité pour retrouver sa situation, 14, note, 18, note.
Derne, ville : accueil qu’y reçoit l’auteur, 90, 91, 92, 93, 94. — Description de la ville et de ses environs, 95 et suivantes, jusqu’à 102.
Diane (la déesse) : nom des fêtes instituées en son honneur à Cyrène, 207.
Diodore de Sicile, cité, 163, 192, 217, 225, 237, 239, 243.
Diounis (Ghabou-), ruines d’un château, 156.
Djaborah, ruines d’un bourg, 155, 180.
Djallou, Oasis, voisine et dépendante d’Augiles.
Djammernèh (examen d’une citerne de), 17.
Djaus, ruines d’un village : sa situation pittoresque, 157.
Doriens (les), de même origine que les Cyrénéens, durent être en relation avec eux, xxii.
Drepanum, promontoire : sa situation, 267.
Dresièh, ruines d’une petite ville, 13, 14.
Drovetti (M.), mentionné, 94.
Dupin (M. C.), mentionné, 283.
E.
Ecceus, Tritonis, Lathôn, fleuve : conjecture sur le lieu de son ancien gisement, 186, 187, 188.
[292]Égypte (l’) : parallèle de ses anciens édifices et de ceux de la Marmarique, 8, 9.
Égyptiens (les anciens) ne paraissent pas avoir élevé de monuments dans la Marmarique avant Alexandre, 8.
Ensana, ville : explication de la tradition d’Yacouti, 112, 114.
Épicure, philosophe : au nombre des prophètes des Carpocratiens, xxviii.
Erasem ou Ersen, fontaine : rapprochement que provoquent son nom et sa situation, 84, 85.
Eratosthène, philosophe, né à Cyrène, xxiv.
Erythra ou Erythron, ville, 106, 140, 141, 161, 164.
Esculape (le temple d’), à Balacris, 170. — A Cyrène, 233.
Étienne de Bysance, cité, 86, note, 116, 140, 146, 155, 163, 165, 170, 175, 176, 185, 189, 267, 279, 280.
Euphème, un des Argonautes, souche présumée de la race des Battus, 217.
Eupole, cité, 260.
Eyriès (M.), cité, 27, note, 216. — Mentionné, 264, 283.
F.
Fathimites (les) occupent les environs de la grande Syrte, et y fondent deux grandes villes, 267, 268, 269.
Fazzan (le) : commerce de peaux que les Cyrénéens faisaient avec ce pays, 261.
Faye, cité, 5.
Florus, cité, 30.
G.
Garamantes (les), peuple qui occupait le pays nommé actuellement Fazzan ou Fezzan, 189.
Gauthier (M.), cité, 29, note.
Gazal (Ain-el-), source sulfureuse : les eaux n’en sont potables que lorsque la mer est calme, 51.
Gébelin (Court de) : sa méprise sur les signes du mont Liban, 29, note.
Géographie sacrée, citée, 95, 106, 114, 126, 140, 155, 163, note, 177, 190.
[293]Germa, ville du Fazzan, 27, note.
Ghabaouet, anciens tombeaux chrétiens, situés à l’Oasis de Thèbes, 161.
Gharah, Oasis, 19.
Ghernès, ruines d’une ville, 159, 160, 161.
Ghertapaulous, ruines d’une ville auprès du golfe Naustathmus : silence des géographes anciens à son égard, 146.
Guettadjiah, ruines d’une mosquée dans la vallée Maréotide, 11.
Ghirza, ville ruinée : les sculptures qu’on y trouve sur un monument ont contribué à accréditer le bruit d’une ville pétrifiée, 113.
Gidanes (les), peuple Libyen, 71, note.
Giligammes (les), Libyens, conduisent les colons grecs auprès de la fontaine d’Apollon, 217. — Lieux qu’ils occupaient, 84.
Godefroi (le P.), cité, 113, 114.
Grennah, nom des ruines de Cyrène, 94, 104.
Gronovius, cité, 86, note, 116, note.
Guyenet (M. C.), mentionné, 125, note, 283.
Gyzis, ville et port, 23.
H.
Hadjis, nom des pélerins qui se rendent à la Mecque : manière de voyager de ceux qui viennent de la Barbarie, 32, 34, 35, 36.
Hal-al (ras-el-), cap et golfe, 134, 141.
Harâbi, nom collectif des tribus d’Arabes qui occupent les montagnes de la Cyrénaïque : leurs mœurs et leurs usages, 147, 148, 149, 150, 151, 152, 166, 167, 168.
Hayer (el-), ruines d’un grand réservoir situé au milieu de la ville de Cyrène, 223, 224.
Herbelot (d’), cité, 114, 128, 207, note.
Hercule (temple d’), 53. — (Tour d’), 269.
Hermæa extrema, promontoire, 18, 19.
Hérodote, cité, 16, 28, note, 51, 53, 54, 55, note, 60, 62, 63, 71, note, 84, note, 85, note, 86, note, 96, 116, 129, 165, 171, 173, 175, 176, 184, 185, 206, 217, 221, 233, 235, 242, 244, 245, 249, 260, 270, 271, 277.
Hespérides (le jardin des) : sa situation, 171, 172, 173, 174.
Hespéris, ville, premier nom de Bérénice, xxi, 187.
Heyf (el-), cap, extrémité occidentale du golfe des Arabes, 18.
Hiarah, nom des collines qui dominent le golfe Naustathmus, 146.
[294]Hiéroclès, cité, 96, 163, 177, 188, 189.
Hiérodules (les), nom des prêtres du temple d’Ammon, embrassent la religion chrétienne, xxvii.
Hieræa, un des anciens cantons de la Cyrénaïque : lieux qu’il occupait, 146.
Hôch (el-), colline couronnée d’une sanctuaire, 132, 133, 153.
Horace, cité, 10.
Hydrax, village : sa situation déterminée par la description qu’en fait Synésius, 106, 141, 238.
Hypatia, femme célèbre qui enseigna la philosophie à Alexandrie : elle compta Synésius au nombre de ses disciples, xxviii.
I.
Ilos, île voisine de Ptolémaïs, 178.
Irasa, canton, 84, 85, note, 86, note, 87.
Isidore de Séville, cité, 55, note.
Isocrate, cité, 258.
Israélites (les) : leurs institutions à Bérénice, xxvi. — Peinture attribuée à leur époque, 204, 205. — Situation des Juifs modernes à Derne, 100.
J.
Jablonski, cité, 162.
Jaubert (M. A.) : sa traduction d’une inscription arabe, 12. — Mentionné, 283.
Jérôme (saint), cité, 176.
Jérusalem (le temple de) recevait annuellement une capitation des Juifs de Cyrène, xxv.
Jomard (M.), mentionné, 282.
Julius Obsequens, cité, 245.
Jupiter Lycéen (colline de), 233.
Jupiter Olympien (le temple de) renfermait le trésor des Cyrénéens, 233.
Justin, cité, xiii.
Justinien (l’empereur) propage la religion chrétienne dans la Cyrénaïque et à l’Oasis d’Ammon, xxvii. — Ses monuments et réédifications en Libye, 184.
K.
Kaffram, nom d’une petite colline percée en grottes sépulcrales, 117.
[295]Kassaba-Zarghah, ruines d’un monument attribué à l’époque des Lagides, 22.
Klekah, ruines, 49.
Koubbèh (vallée de), 109. — (Ruines de), 117.
Kourmah (description du canton de), 58.
Kouroumous, lieu situé aux confins de la Libye fertile, 105.
Kraât, nom d’un village ruiné, 117.
L.
Ladjedabiah, ville sarrasine, xxxi.
Lamaïd, château construit par le sultan Bibars, 11, 12, 13, 48.
Lameloudèh, nom des ruines de la ville de Limniade : souterrain et réservoirs qu’on y trouve, 126, 127.
Lancret, cité, 5.
Lapie (M.), mentionné, 283.
Larenaudière (M. de), cité, 27, note. — Mentionné, 283.
Lechkerrèh, Oasis dépendante d’Augiles.
Lemlez, ruines d’un château grec : sa situation, 137, 259.
Lemschidi, ruines d’un château grec : sa situation, 137, 259.
Lepère (M.), cité, 5.
Le Quien, cité, 96, 106, note, 161 ; note, 163, note, 177.
Letronne (M.), cité, 4, 142, note, 162, 179, 204, 216, 222. — Mentionné, 264.
Leuce-Acte, promontoire : cause de sa dénomination, 19, note.
Libye (la) inférieure, 96. — Supérieure, 153. — Aride, 106.
Libyens (les) : accueil qu’ils font aux colons de Théra, et leurs paroles, xiii. — Leurs campements retranchés, 237, 238. — Leurs dévastations dans la Pentapole, 121. — Introduisirent les chameaux de l’intérieur de l’Afrique dans les champs de la Cyrénaïque, 242. — Origine de l’égide de Minerve par les habillements des Libyennes, 221, note.
Limniade, Lemnandus, Lemnandi, Lamponia, ville : séparait, sous les Romains, la Marmarique de la Cyrénaïque, 126.
Limniades (les), nymphes, 127.
Lixos, promontoire, 174.
Læa, île, 116.
Louis (le roi saint), 48.
Lucullus est envoyé à Cyrène par Sylla, xx.
[296]M.
Maârah, ruines d’un château : ateliers arabes qu’il contient, 110, 111.
Macrizy, cité, 10.
Magas, gouverneur de Cyrène, fait une expédition contre l’Égypte, xix.
Magharenat-el-Heabès, tombeaux égypto-grecs, 49, 50, 52.
Magharenat, magasins souterrains situés entre Cyrène et Apollonie, 191, 192, 193, 194.
Mahadah, nom actuel de l’ancien port de Zygis, 23.
Maktaéraï, ruines : anciennes habitations de Troglodytes, 16.
Malée, promontoire, situé à la partie orientale de la côte du Péloponèse, et actuellement nommé Sant-Angelo, 173.
Mannert, cité, 29, 50, 52, note, 53, 96, 126, 171, 175, 176, 238.
Mantinée, ville d’Arcadie dans le Péloponèse, xv.
Maradèh (description de l’Oasis de), 273, 274.
Maréotide (description de la vallée), 9, 10, 11, 14, 34.
Maréotis, lac près d’Alexandrie, séparé de la mer par une petite chaîne de collines calcaires, 3, 6.
Marmarides (les) s’opposent à l’expédition de Magas contre l’Égypte, xix. — Sont repoussés par les Romains dans l’intérieur des terres, 17. — Diversité des anciennes traditions sur les limites du pays qu’ils occupaient, 55, note.
Marmarique (la) : étendue progressive des limites de cette contrée, 55, note, 126. — Époque, durée et caractère de sa végétation, 42, 54, 59, 60, 61. — Principaux animaux et oiseaux qu’on y rencontre, 61, 62, 63, 64, 87. — Saison des pluies, 37. — Citernes anciennes et modernes, 55, 56. — Explication des signes empreints sur les rochers et les monuments de la Marmarique, 24, 25, 26, 27, 28, note.
Maronites (les), auteurs de la géographie nubienne, cités, 207.
Masdacès, un des prophètes des Carpocratiens, répand ses préceptes en Perse, xxviii, 128.
Massagètes (les), peuple qui habitait la grande plaine à l’orient de la mer Caspienne, 129.
Massakhit, ruines d’une ville : les nombreux fragments de statues qu’on y trouve sont une des causes de la tradition d’une ville pétrifiée, existant en Afrique, 111, 112, 113, 114.
Matter (M.), cité, xxvii, 128.
Mèdes (les), leur voyage en Libye, 204.
Mellah, cap, 47.
[297]Ménalippe, prêtre d’Apollon, périt par les ordres du tyran Néocratis, xvii.
Mendar-el-Medah, collines, 22.
Ménélas, port, ainsi appelé à cause du prince Grec de ce nom qui y aborda, 47, 53.
Michaud (M.), cité, 48.
Minerve, enseigne aux Libyens à conduire les chars, 176.
Minutoli (M.), cité, 1, 31, 40.
Mohammed-Aly, pacha d’Égypte : ses institutions politiques sont le sujet des entretiens des Arabes du désert, 21. — Disperse les Aoulâd-Aly réunis auprès du port de Parætonium, et attire leurs chefs à sa cour, 30, 31, 66, 67.
Mohammed-Bey, fils du pacha de Tripoli, 90.
Mohammed-el-Gharbi, envoyé des États barbaresques, auprès du pacha d’Égypte : obligations que lui doit l’auteur, 2, 94.
Moreau (M.), mentionné, 283.
Moukhni (le bey), gouverneur du pays de Barcah, 104, 147.
Müller (M.), élève de l’école royale des langues orientales de Paris, compagnon de voyage de l’auteur, 2, 10, 22, 37, 40, 41, 89, 93, 104, 123, 124, 125.
Myrmex, île, 178.
N.
Nabathéens (usages des), xxviii, 114, 129.
Nasamons (les), Libyens, aidèrent au commerce de Carthage, xxii. — Lieux qu’ils habitaient, 271. — Leurs mœurs et leurs usages, 129, 271. — Furent attaqués, et repoussés dans l’intérieur des terres par les Romains, 272.
Natroun, nom arabe de l’ancienne ville d’Érythron, 189, 140, 141, 143.
Naustathmus (le port et promontoire), 115, note, 141, note, 142, 146, 161, 162, note, 164.
Nécropolis (la) de Cyrène (coup d’œil extérieur de), 194, 195, 196, 197, 198, 199. — (Distribution intérieure et monuments des souterrains de), 201, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 209, 210, 211.
Néocratis, tyran de Cyrène, xvii.
Neptune enseigne aux Libyens à dompter les chevaux, 176.
Nil : situation de ce fleuve relativement à la Cyrénaïque, xi. — (Vallée du), 8, 9, 60, 68, 112.
[298]O.
Oasis (les) d’Égypte : cause de la situation, actuellement isolée, de la plupart de leurs anciens monuments, 11, note.
Olbie, ville épiscopale, 114.
Ommiades (les) s’emparent de la Cyrénaïque, xxx.
Ophella, général de Ptolémée, soumet les Cyrénéens, xviii. — Se révolte contre Ptolémée, fait alliance avec Agathocle et meurt, xix.
Orose, cité, 245.
Osiris (temple d’), 7. — (Tombeau d’), ibid.
P.
Palæbisca, village : sa situation, 106, 141, 238.
Paliurus, rivière, 52, 53, 86, note.
Panormus, port, 43.
Parætonium, ville : capitale du nome libyque, 29, 30.
Paul (saint), cité, 126.
Pausanias, cité, 233.
Pellerin, cité, 189.
Péloponèse (le) : sa situation relativement à la Cyrénaïque, 174.
Pentapole, nom collectif des cinq principales villes de la Cyrénaïque, xii.
Périple anonyme (le), cité, 18, 23, 51, 53, 86, note, 96, 115, 140, 141, 142, 146, 162, note, 189, 178, 181, 184, 188.
Pétau (le père), cité, 141, note.
Petra, métropole des Nabathéens, 114.
Petras-Parvus, ville : sa situation, 49, 51.
Phéniciens (les) : leur association présumée avec les Berbères et les Libyens, xii. — Transportèrent des chevaux de l’Afrique en Grèce, 242. — (Port des), 173.
Phérétime reçoit un présent dérisoire du roi de Salamine ; s’adresse à Aryandès ; tire une vengeance atroce de la mort de son fils, et périt misérablement, xvi, 8, 176.
Philippes (la bataille de) eut des résultats favorables aux Juifs de Cyrène, xxv.
Phillènes (les autels des) furent le point de démarcation des états de Cyrène et de Carthage, xvii, 55, note. — Étaient construits de sable, 267.
Philline (la danseuse), xviii.
Phiscon Évergète, roi de Cyrène, fondateur de Ptolémaïs, 180. — Transmet à Apion la Cyrénaïque, comme royaume indépendant, xix.
Phycus, promontoire, 130, note, 141, note, 143, 163, 189, 172, 173, 174.
[299]Pindare, cité, xv, 85, 163, 185, 217, 218, 227, 229, 233, 235.
Pinède, cité, 170.
Plateau cyrénéen (le) : dénomination adoptée par l’auteur pour désigner toute la plaine qui s’étend sur les montagnes de la Cyrénaïque, 84, 86, note, 87.
Platée, île où débarquèrent les colons de Théra : sa situation, 51, 52, note, 54, 86, note.
Platon : sa réponse aux ambassadeurs Cyrénéens, xvii.
Plaute, cité, 116, note, 164, 165, note, 211, 239, 253.
Pline l’ancien, cité, xxii, 55, note, 163, 165, 174, 175, 185, 236, 239, 240, 245, 248, 249, 252, 253, 256, 262.
Plinthine (le golfe de), 7, 18.
Plutarque, cité, xvii.
Pococke, cité, 128.
Pollux, cité, 261.
Polybe, cité, 19.
Polyen, cité, 225.
Pomponius Méla, cité, 16, 39, 55, note, 115, note, 129, 142, 185.
Posirion, ville : la même que Taposiris, 7.
Procope, cité, 6, 7, 30, 177, 181, 184, 185.
Provence (la végétation de la Cyrénaïque septentrionale diffère peu de celle de la), 102.
Psylles (les), Libyens : lieux qu’ils habitaient, 271.
Ptolémaïs, une des cinq villes qui formaient la Pentapole libyque : confondue par plusieurs géographes avec Barcé ; sa situation, 175. — (Aqueduc de), 181, 182.
Ptolémée (Claude), d’Alexandrie, cité, 55, note, 95, 96, 106, 115, note, 116, note, 126, 140, 141, 142, 155, 175, 178, 181, 183, 187, 188, 189, 249.
Pythagore (le philosophe) : compris parmi les prophètes des Carpocratiens, xxviii, 128.
Pythie (la) ordonne à Battus d’aller fonder une colonie en Libye ; ses promesses sont réalisées, xiii, 217.
R.
Raoul-Rochette (M.), cité, 85, note.
Rassam ou Ras-Sem, station dans le désert de la grande Syrte, 113.
Reffah, ruines d’un château, 130.
Romains (les) : moyens qu’ils employèrent pour défendre le littoral de la Marmarique contre les Marmarides, 17, — la Pentapole contre les Ausuriens, 121.
[300]Roquette (M. de la), mentionné, 183.
Rossoni (M.), vice-consul d’Angleterre à Ben-Ghazi, mentionné, 104.
S.
Sacy (M. S. de), cité, 12.
Saffnéh, ruines d’un ancien village : disposition de ses tombeaux, 158.
Saf-Saf, ruines d’un ancien bourg, 223.
Saharah (grand désert de), 160.
Salamine, ville située à la partie orientale de l’île de Chypre, appelée Constantia dans le moyen âge, xvi.
Salluste, cité, 39, 86, note, 204.
Salt, mentionné, 94.
Samos, île de la mer Égée, xv.
Sarrasins (les), 48, 110, 159.
Saturne, compris par les Carpocratiens au nombre de leurs législateurs ou prophètes, xxviii.
Scholz (M.), cité, 11, 13, 27, 28, note, 39.
Scylax (le périple de), cité, 18, 51, 54, 55, note, 85, 86, note, 96, 115, 116, note, 142, 162, 165, 189, 171, 172, 175, 178, 185, 186, 187, 249.
Sélim I (l’empereur) s’empare de la Cyrénaïque, xxxi.
Senniou, ruines d’un château, 130.
Serapeum, bourg : sa situation, 268.
Servius, cité, 175.
Sésostris (voyage de) en Libye, 8.
Shaw, cité, 112.
Sibillèh, source située à l’Oasis d’Augiles : la même que celle dont parle Hérodote, 280.
Silphium (le) : consacré à Battus, fondateur de Cyrène, xxiii, 252. — Son origine miraculeuse, 247. — Analyse qu’en ont laissée les anciens, 248. — Analyse de l’auteur, 250. — Contradictions des traditions à l’égard de localités qu’elles lui assignent, et lieux où il croît de nos jours, 249. — Suc que l’on en tirait ; autres propriétés qu’il avait dans l’antiquité, et celles qu’on lui retrouve, 250, 251. — Emploi que l’on en faisait et son haut prix, 252. — Observations sur sa disparition de la Cyrénaïque et sur sa réparition, 253, 254.
Smith (M.), cité, 146.
Soliman II (l’empereur) joint la Cyrénaïque à Tripoli et en forme un seul état, xxxi.
Soloum, port, 43.
[301]Sort, ville, sa situation, xxxi.
Souza, nom arabe de Sozysa, 161, 166.
Sozysa, nom que reçut Apollonie dans le moyen âge, 163.
Strabon, cité, xxviii, 3, 4, 10, 14, 18, 29, note, 30, 33, note, 47, 53, 55, note, 57, 96, 115, note, 129, 142, 146, 162, 165, 171, 175, 183, 185, 186, 187, 188, 236, 249, 253, 261, 262.
Stratonicus le Rhodien, cité, 263.
Suidas, cité, 175.
Sylla (le consul) cherche à concilier les différends des Cyrénéens, xx.
Synésius, philosophe platonicien, évêque de Ptolémaïs : implore le secours d’Arcadius en faveur de Cyrène, xxix. — Sa description des dévastations des Barbares, ibid. — Cité, 50, 86, note, 96, 106, 114, 121, 126, 140, 141, 156, 163, 165, 189, 177, 178, 182, 185, 189, 206, 238, 240, 241, 242, 243, 245, 253, 262.
Syrte (la grande), 50, 55, note, 59, 67, 71, note. — (La petite), 55, note.
T.
Tacite, cité, 233.
Tammer, ruines d’un temple, 116, 117.
Taposiris (usages des anciens habitants de), 4. — (Situation de la ville de), 7, 96, note.
Tebelbèh (ruines de la tour de), 138, 142.
Tegheigh (ruines du château de), 138.
Térence, cité, 211.
Téreth, ruines de la ville de Thintis, 154, 155, 157.
Tetrapyrgia, bourg aux quatre tours, 49.
Teuchira, autrement dite Arsinoé, une des cinq villes qui composaient la Pentapole libyque : discussion sur les deux noms qu’elle porta, 185, 186, 188, 189.
Thaoughat (ruines du château de), 156.
Thaoun (Ouadi-el-), la vallée du Moulin, 22.
Thèbes (l’Oasis de), 161, note.
Théophraste, cité, 171, 233, 239, 247, 248, 251, 255.
Théra (l’île de) : une grande sécheresse qui y survint fut cause du départ de plusieurs de ses habitants pour aller établir une colonie en Libye, xii, xiii.
[302]Thesmophories (les), fêtes religieuses : emprunts que les Carpocratiens paraissent lui avoir faits, 128.
Thesté, fontaine située dans le canton d’Irasa, 85, note.
Thimbron fait une expédition contre Cyrène, xvii, 185, 225.
Thintis, Thestis, Thyne, Disthis, ville, 155.
Thrige (M.), cité, 85, note, 171, 175, 228, 232, 233, 241, 243, 251, 252, 256, 261.
Thyon (le), arbre, ne croît point à Ammon malgré l’assertion de Théophraste, 255, note. — Usages divers que l’on faisait de son bois, xxxii, 255, 256.
Tokrah, nom arabe des ruines de la ville de Teuchira, 183.
Tolometa, nom arabe des ruines de la ville de Ptolemaïs, 178, 183.
Tombouctou (la ville de), 160.
Touariks (les), peuple, 27, 28, 29, note, 242.
Toubrouk, nom arabe des ruines d’Antipyrgus ; port, 46, 47, 48, 49, 51.
Tourba, cap : l’ancien Zephyrium, 115.
Tournefort, cité, 241.
Tripoli d’Afrique (la ville de), xxxi, 30, 39, 94, 100, 104, 147.
Tritonis (le lac) : auprès de la grande Syrte, 86, note. — Auprès de Bérénice, 188.
Troglodytes (les), 16. — (Le pays des), 55, note.
V.
Vattier de Bourville (M.), vice-consul de France à Tripoli d’Afrique, mentionné, 266.
Vénus (îles et temples de) dans la Cyrénaïque, 115, 116 et note 3, 177, 188.
Viviani (M.), cité, 62.
Vopiscus, cité, 17.
W.
Walckenaer (M.), cité, 232.
X.
Xerxès (on comptait des dromadaires dans l’armée de), 242, note.
[303]Y.
Yousouf, pacha de Tripoli, 3, 93, 124.
Z.
Zaouani, nom arabe d’un groupe de mausolés situés auprès du golfe de Naustathmus, 144, 156.
Za’rah (plateau de) : fêtes des Arabes auxquelles l’auteur assiste, 42, 43.
Zarine, nom que le périple anonyme donne à un lieu qui parait correspondre à Darnis, 96, 115.
Zatrah, nom d’un village ruiné, 117.
Zeitoun, lieu qui paraît correspondre à Hydrax, 105, 106.
Zemlèh (puits de), 43.
Zephyrium (le port et promontoire) : leur situation, 115, note, 140.
Zoa ou Zœs, nom donné par quelques auteurs à la ville de Cyrène, ou à une autre qui lui aurait été antérieure, 232.
Zoroastre, compris parmi les législateurs ou prophètes des Carpocratiens, xxviii, 128.
Zygis ou Zygren, petite ville et port de la Marmarique, 23, note.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
D’APRÈS UN HABITANT D’AUGILES[388].
D’Audjelah, en se dirigeant droit à l’ouest, après quatre journées de marche, on arrive à Zaltha, station où l’on trouve quelques bouquets de palmiers, et de l’eau potable, quoique saumâtre.
A quatre journées de distance, et dans la direction ouest, 9° nord, de Zaltha, est el-Ouabri, lieu où l’on trouve un bassin de grès qui contient de l’eau de pluie durant la majeure partie de l’année.
A quatre journées de distance, et à l’ouest, 9° sud de el-Ouabri, est Kannabah, petite Oasis produisant des dattiers, des tamarix, des aghouls (sainfoin du désert), et contenant de l’eau douce.
A une journée de distance, et à l’ouest de Kannabah, est Temsèh, village faisant partie du pays du Fazzan ; les habitants, dont le nombre est de trois ou quatre cents, cultivent, dans les sables et avec l’eau des sources et des puits, de l’orge, du bled, des melons d’eau, des figuiers et des grenadiers. Il n’y a point dans ce village d’agent du bey Hassan, gouverneur du Fazzan ; le Cheik-Beled retire les contributions, qui ne sont imposées que sur les dattiers : chaque cent pieds de dattiers paie une piastre forte d’Espagne.
A une journée de distance, et à l’ouest-nord-ouest de Temsèh, est Zaouilah,[308] grand village au sud duquel sont les ruines de deux monuments construits en grandes assises (deux châteaux sarrasins). Les habitants portent le surnom de Sarffah. Leur nombre s’élève à quinze cents environ. Le terrain de Zaouilah est composé d’un mélange de terre salée et de sable. On y trouve un grand nombre de puits revêtus en troncs de dattiers, comme ceux d’Audjelah, et point de sources. On n’y cultive que le bled et l’orge : les palmiers y sont en grande quantité. Ce village et le précédent sont situés dans une plaine rase, où l’on ne voit ni colline ni la moindre élévation, et offrant le même aspect que le canton d’Audjelah. Ces sortes de plaines du désert sont nommées Serrir, par les Arabes. Zaouilah est la résidence d’un chaous du bey Hassan.
Après une journée de marche, à l’ouest de Zaouilah, et par une forêt non interrompue de dattiers, on arrive à Hammerah, village un peu moins considérable que Zaouilah. Au nord, et en vue d’Hammerah, est un hameau appelé Masséghaouin.
A deux heures de distance, et à l’ouest-nord-ouest de Hammerah, est Oum-el-Heranep, village à peu près aussi grand qu’Hammerah, et où l’on ne trouve aussi que des puits et, par conséquent, que la même culture. Le chemin qui sépare ces deux villages est parsemé de quelques palmiers.
A trois heures de distance et au sud ¼ ouest de Oum-el-Heranep, est Maghaouèh, petit village dont le terrain, quoique formé en majeure partie de terre salée, et couvert de plusieurs pieds de sable, contient néanmoins plusieurs sources d’eau douce.
A deux heures de distance, et à l’est de Magahouèh, est Taouillah, village borné au sud par une chaîne de collines.
A demi journée de distance et à l’ouest de Taouillah, est Teraghah, village aussi grand que Zaouilah, et dont le sol est arrosé par plusieurs sources abondantes, qui permettent d’y cultiver, outre les céréales, la vigne, le melon d’eau, le figuier et le grenadier. Au nord de Teraghah, on voit des cônes isolés, ou formés de roche schisteuse d’un rouge éclatant.
A une petite journée de distance, et à l’ouest de Teraghah, est Zezaouèk, hameau, en vue et au sud duquel on en trouve un second, qui prend son nom El-Ain, d’une belle source qu’il contient.
[309]Enfin, à demi-journée de distance, et à l’ouest de Zezaouèk, est Mourzouk, ville capitale du Fazzan, située dans une plaine de sable et de terre salée. Cette ville, ainsi que tous les chefs-lieux des provinces centrales de l’Afrique, doit ses richesses et son activité à son grand marché, où les habitants des divers points du Fazzan viennent successivement vendre leurs récoltes, ou les échanger contre d’autres denrées. La branche la plus considérable de son commerce d’exportation consiste en peaux de chèvres pour outres et sellerie que l’on y fabrique avec un grand art. Les femmes de Mourzouk ont à peu près le même costume que les Égyptiennes, au voile près, dont elles partagent avec les Bédouines l’avantage d’être débarrassées. Leur corps est couvert d’une ample chemise bleue (mouktah), et lorsqu’elles sont mariées, elles se coiffent d’un schall (médaourah) d’étoffe de coton teinte en rouge. Il en est peu qui ne portent, outre ces vêtements, un (mellahièh) autre schall dont elles se couvrent la tête, et qui, retombant sur les épaules, leur sert à se draper de diverses manières. De même que les Égyptiennes, elles ont le front orné d’un bandeau de sequins ou d’autres pièces de monnaie ; à leurs oreilles pendent aussi d’énormes boucles d’argent, et il est rare que leurs pieds et leurs bras soient dépourvus d’un ou de plusieurs anneaux de verre de diverses couleurs. Hassan-Bey est le gouverneur actuel de Mourzouk ; ses forces consistent en cent cinquante cavaliers de Tripoli et trois cents fantassins recrutés parmi les Arabes du désert. Ce bey a remplacé Moustaffah, mort dans le Fazzan, de retour d’une expédition au Bournou, d’où il avait rapporté cinq mille esclaves.
[388]On a conservé exactement dans cet Itinéraire les distances données par l’habitant d’Augiles, quoiqu’elles soient généralement peu d’accord avec celles des cartes.
PAR M. FRÉDÉRIC MULLER.
Dernah. | درنه |
Abiar el kelleh. | ابيار الخلعه |
Bousbekah. | بوس بكه |
Abousir. | ابوسير |
Ouadi mariout. | وادي ماريوط |
Bednat. | بدنات |
Sérenèh. | سرنه |
Bourden. | البوردن |
Boumnah. | بومنه |
Kasr ghettadjiah. | قصر قطاجّه |
El-Hammam. | الحمّام |
Kasr Amaïd. | قصر عميد |
Zhaher. | ظاهر |
Kassabat elchammamèh. | قصبه الشمّامه |
Dresièh. | درزيه |
Gebel-kouramah. | جبل كرامه |
Benaièh-Abou-sélim. | بنية ابو سليم |
Maktaérraï. | مقطع الرّاي |
Giamerneh. | جامرنه |
Asambak. | اسمبك |
Gephrah. | جفره |
Acabah-el-soughaier. | عقبة الصغير |
Mendar-elmedah. | مندار المداح |
Achebeat. | الشبعات |
Elkassébat zargah. | القصبة زارغه |
Berek marsa. | برك مرسا |
Boun Adjoubah. | بون عجوبه |
Kasr Abousouety. | قصر ابو ثوتي |
Argoub souf. | عرقوب صوف |
Marsa elbeït. | مرسا البيت |
Kasr chamès. | قصر شامس |
Choubbak. | شبّاك |
Kasr ladjédabiah. | قصر الاجدابيه |
Akaba-el-souloum. | عقبه الصّلوم |
[312]Birzemleh. | برزمله |
El-zoroah. | الذرعه |
El-daraah. | الدرعه |
Daphnèh. | دفنه |
Kasr Djedi. | قصر الجدي |
Harâbi. | حرابي |
Habboun. | حبّون |
Mouraboutin. | مرابطين |
Coum boun. | كوم بون |
Toubrouk. | طبروق |
Kelekah. | الكلكه |
Magharat el-Habs. | مغرات الحبس |
Aïn elghazal. | عين الغزال |
Bombah. | بومبه |
Batrakah. | بتركه |
Themimèh. | ثميمه |
Ras-el-tin. | راس الطين |
Aïn Erzem ou Erazem. | عين ارزم |
Hédjadj. | حجّاج |
Chaouch. | شاوش |
Dérias. | درياس |
Hadji-abd-el-Aziz. | حاج عبد العزيز |
Beled el-Sour. | بلد الصور |
Magharah. | مغاره |
Djebeli. | جبلي |
Abou Mansour. | ابو منصور |
El-Tahtani. | التحتاني |
El-Fokâni. | الفوقاني |
Brouès. | البروس |
Maarras-el-leben elftahiah. | معرّس اللبن الفتايه |
Grennah. | قرنّه |
Cheikh Aziz. | شيخ عزيز |
Kasr Ghardam. | فصر قردم |
Kourmous. | كورموس |
Chéhah. | شهه |
Kasr-Abou-hassan. | قصر ابو حسن |
Ouadi-Harden. | وادي هردن |
Ouadi Bethak. | وادي بتحاق |
Koubbèh. | قبّه |
El-Hey. | الحيّ |
Kraâth. | كرعط |
Kafram. | كفرام |
Zatrah. | زطره |
Tadenet | تدنت |
Massakhit. | مسخيط |
Ouadi el-Haradj. | وادي الحرج |
Khechm-rezk. | خشم رزق |
Ouadi el-Harran. | وادي الحرّان |
Kasr Harami. | قصر حرامي |
[313]Lemlez. | الاملز |
Kasr iaden. | قصر يادن |
Tegheigh. | تقيق |
Aghtas. | اغطاس |
Natroun. | نطرون |
Ouadi-abou-scheffeh. | وادي ابو شفّه |
Ras-el-halal. | راس الهلال |
Menakiet. | المناكات |
Zaouani. | زواني |
Oumma-Bneib. | ام بنيب |
Gherthaboulous. | قرطبولوس |
Djaus. | جوز |
Ghabou-djaus. | قبو جوز |
Hiarah. | ياره |
Djoubrah. | جوبره |
Ghabou-Diounis. | قبو ديونس |
Safneh. | صفنه |
Ghernès. | انقرنس |
Thaougât. | طاوقات |
Abou Ebeilah. | ابو ابيلح |
Tereth. | ترت |
El-Gouafel. | القوافل |
Lameloudeh. | الاملوده |
Djaborah. | جبوره |
Souza. | سوزه |
Magharenat. | مغارنات |
Grennah. | قرنّه |
Safsaf. | سفساف |
El-Empharrah. | الامفرّح |
Kasr Scheghièh. | قصر شقيه |
Bou-Meliou. | بو مليو |
El Hayer. | الحيّر |
Moukfeif. | مكفيف |
Bou Bdeir. | بو بدير |
Hôch. | حوش |
Kasr-Abou-Rhaouèh. | قصر ابو غاوي |
Kasr-Abou ghadis. | قصر ابو قادس |
Maâthan chaeth. | معطن شعط |
El Keren. | الكرن |
Abou’l-ghadir. | ابو الغدير |
El Bagharah. | البقره |
El Nétechss. | النتكس |
El Mektelèh. | المقتله |
Tel-Ghazèh. | تل غازه |
Mouchedachièh. | مشداشيه |
Charah. | شراع |
Tegharrebou. | تغارّبو |
Ouadi Sammalous. | وادي سمّلوس |
Tkassis. | تكسس |
Kasr Sammalous. | قصر سملوس |
[314]El-Maraouèh. | المراوه |
Bénéghdem. | بنقدم |
Tolometa. | ثلمثه |
Kasr-el-Asker. | قصر العسكر |
Taoukra. | طاوكره |
El Merdjeh. | المرجه |
Barcah. | برقه |
Sebkha-el-berss. | صبخه البرس |
Kassebat. | قصبة |
Ben-Ghazi. | بن غازي |
Tellemoun. | تلمون |
Djelid. | جليد |
Mourseff. | مورسف |
Ladjedabiah. | الاجدابيه |
Rassam. | رسم |
Sebilèh. | سبيلة |
Serir. | سرير |
Audjelah. | اوجله |
Zeghaghnèh. | زقاقنه |
Sebkhah. | صبخه |
El-Hâti. | الحاطي |
El-Sarranèh. | السرّانه |
El-Ghetaoui. | القطوي |
Kseb. | قصب |
Ghafouli. | غفولي |
Saouani. | صواني |
Doukhn. | دوخن |
Darfour. | دارفور |
Berber. | بربر |
Maradeh. | مراده |
Meyrighah. | مهريقه |
Ain sidi Mohammed. | عين سيدي محمد |
Aghoul. | اغول |
Ghour-djahenneim. | غور جهنيم |
Hayfath. | حيفاط |
Ain-el-Ball. | عين البلّ |
Ain el-Daba. | عين الضبع |
Zaghouth. | زقوط |
Zalah. | زلعه |
Zaouièh. | زاوية |
Djallou. | جالو |
Haragh. | عراق |
Lébé. | لبه |
Oum el-Messid. | ام المسيد |
El Heiry. | الهري |
Léchkherréh. | الاشخرّه |
Lagheiah. | لقيه |
Tarfayah. | طرفايه |
Faredghah. | فردغه |
Mogharah. | مقرّه |
[315]Ouadi guatmir. | وادي قطمير |
Louéchkah. | الوشكه |
Ghéghab. | ققاب |
Taraknet. | تركنة |
Sirêh. | سيره |
Kasr maârah. | قصر ماره |
Beit tamar. | بيت ثمر |
Debek. | دبكه |
Melh-ar-rach. | ملح الرش |
Chenedirèh. | شنديره |
Elkaraschi. | الكراشي |
Ghelleb. | جلّب |
Oum ellaham. | ام اللحم |
Kasr seniou. | قصر سنيو |
Reffah. | رفّعه |
Boumnah. | البومه |
El Haudh. | الحوض |
Ouadi Tebelbèh. | وادي تبلبه |
Maâthen. | معطن |
Aoûd. | عود |
Lemchidi. | الامشيدي |
Chiathah. | شياطه |
Ghazelièh. | غزليه |
Maraghi. | مرقي |
Kamissah. | خميسه |
Maouêmet. | ماوّمت |
Gharah. | قرعي |
Oum-el-soughaier. | ام الصغيّر |
Abou’l-Gharadek. | ابو الغرادك |
Moqarrah. | مقرّه |
Kardasséh. | كرداسي |
Nota. M. Pacho, pour adoucir la prononciation de quelques noms arabes, et pour se conformer d’ailleurs à la prononciation rapide et contractée de cette partie de l’Afrique, a presque toujours supprimé l’alef initial de l’article et du mot abou. On a cru devoir ici le réintégrer quelquefois, afin de rendre la transcription française plus conforme à l’orthographe arabe ; mais ce léger changement et quelques autres modifications peu importantes, n’empêcheront pas le lecteur de reconnaître l’identité des noms de cette liste avec ceux qu’il a déja lus dans le Voyage. M. Müller étant d’ailleurs absent au moment de l’impression, on s’est réglé le plus qu’il a été possible sur son manuscrit.
[318]Nota. Tous les mots marqués d’une astérisque sont ou arabes, ou dérivés d’une racine arabe.
[319]VOCABULAIRE
DU
LANGAGE DES HABITANTS D’AUDJELAH,
RECUEILLI ET
TRANSCRIT EN ARABE PAR M. FRÉDÉRIC
MULLER,
ANCIEN ÉLÈVE DE L’ÉCOLE ROYALE DES LANGUES ORIENTALES ;
Revu
par M. AGOUB,
PROFESSEUR DE LANGUE ARABE AU COLLÉGE ROYAL DE
Louis-Le-Grand.
A | ||
Abaisser. | Hafra. | حفره |
Abattre. | Thayah*. | طيّح |
Abattu. | Youayah. | يوّايه |
Abçès. | Doummeleh*. | دمّلة |
Abeille. | Tement. | تمنت |
Aboiement. | Guerzen. | قرزن |
Abondance. | Daggout. | دقّوت |
Aboyer. | Guerzeni. | قرزني |
Abreuver. | Yéchouaya. | يشوّايه |
Abricot. | Michmech*. | مشمش |
Absence. | Yéghabah*. | يغابه |
ALL[320]Absenter (s’). | Aghab*. | اغاب |
Abuser (s’), se tromper. | Yéghléthah*. | يغلط |
Accoucher. | Idjer. | يجر |
Accourcir. | Yerzaya. | يرزيه |
Accrocher. | Yaallega*. | يعلّقه |
Accroître. | Daggat. | دقّات |
Achever. | Ammartet. | عمّرتت |
Achevé. | Taammartet. | تعمّرتت |
Adoucir. | Retteb*. | رطّب |
Age. | Ammagoua. | اماقوع |
Agile. | Féchouch. | فشوش |
Agilité. | Féchach. | فشاش |
Agrandir. | Makkar. | مكّار |
Aider. | Yougheya. | يوغيّه |
Aigre. | Tehmeta*. | تحمطه |
Aiguiser. | Sounnit*. | سنّيت |
Aimer. | Yéghachtia. | يغاشتيه |
Ainsi. | Toudig. | تودق |
Aisselle. | Teghmert. | تغمرت |
Allaiter. | Iembeya. | يمبيه |
Alléger. | Fech. | فشّ |
Aller. | Youghera. | يوغره |
ex : Je vais. | Nemadiakhr*. | نمضياخر |
Aller devant. | Djeghez. | جقز |
Allumer. | Chelhamt. | شلحمت |
ASS[321]Allonger. | Edgout. | ادقوت |
Amer. | Mourr*. | مُرّ |
Amollir. | Retteb*. | رطّب |
Ample. | Wourket. | وركت |
Ane. | Azeit. | ازيت |
Annoncer. | Daynis. | دينس |
Aplatir. | Khabatez. | خبطز |
Appeler. | Naghy*. | ناغي |
Apporter. | Heggad. | حقّاد |
Apprendre, enseigner. | Elmeida. | الميدا |
S’instruire. | Yelmeida. | يلميدا |
Approcher. | Yeddella. | يدلّا |
Appuyer. | Thaft. | طفت |
Araignée. | Djekez. | جكز |
Argent, métal. | Fedjrah. | فجرة |
Argent, monnaie. | Barah, turk. | بره |
Arme. | Selah*. | سلاح |
Arracher. | Ekkech. | اكّش |
Arrêter (s’). | Thafdhilin. | طفضيلين |
Arrivée. | Youchada. | يوشاده |
Arriver. | Chada. | شاده |
Article. | Edjijia. | اجيجيه |
Assassin. | Yanghia. | ينغيه |
Assassiner. | Anghia. | انغيه |
Assez. | Aéssoud. | عصّود |
BEA[322]Associé. | Mecharekina*. | مشاركينه |
Atteindre. | Yéouath. | يوّاط |
Attendre. | Sbordik*. | صبرديك |
Automne. | Téghéricht. | تغرشت |
Autre. | Akher*. | اخر |
Autruche. | Naamet*. | نعامة |
Avaler. | Yezarat. | يظرات |
Avare. | Ahach. | احاش |
Accoutumé. | Yehbéla. | يهبلا |
Acheter. | Yéségha. | يسغه |
B | ||
Baigner (se). | Yésiéfa. | يسيفه |
Baiser, v. | Yammahessa. | يمهسّه |
Baiser, s. | Yammahess. | يمهسّ |
Balle. | Taqileh. | ثقيلة |
Barbe. | Taamert. | تعمرت |
Barbier. | Yezem. | يزم |
Bas. | Elmaqtha*. | المقطعه |
Bataille. | Yerouaha. | يروَها |
Bati. | Hawir. | هاوير |
Batir. | Wir. | وير |
Baton. | Tagharit. | تغريت |
Beaucoup. | Doggout. | دقّوت |
BLE[323]Bon-marché. | Ghaleika. | غليكه |
Bœuf. | Akfik. | اكفيك |
Bouc. | Zalaa. | زلعه |
Bouche. | Amennes. | امنّس |
Boucher, v. | Mernez. | مرنز |
Boucher, s. | Yégharrech. | يغرّش |
Boue. | Témédghat. | تمدغات |
Bouillir. | Yétawer. | يتور |
Boulanger. | Yennatthar. | ينطّار |
Boule. | Tahhallaq. | طحلّق |
Bourreau. | Yeghettem igiliouy. | يغتّم يجيليوي |
Bourse. | Tékissid. | تكيسّيد |
Bout. | Chethbath. | شطباط |
Boyaux. | Tchermin. | تشرمين |
Braire. | Neheq*. | نهق |
Braise. | Teragghiat. | ترقية |
Bêche. | Mashah*. | مسحة |
Bled. | Yarden. | ياردن |
Bénéfice. | Elfaïdeh*. | الفايده |
Beurre. | Alida. | اليده |
Bientôt. | Qaouama*. | قوّما |
Blanchir. | Naddéfah*. | نضّفه |
Blessé, être. | Yéouathieh. | يوّاطية |
Blessé. | Ettaouéthah. | اطاوّطه |
Blessure. | Tékattech. | تكتّش |
CAU[324]Bleu. | Telazraq*. | تلازرق |
Boire. | Yéchou. | يشو |
Ex. Donnez-moi à boire. | Efkidi kachoua. | افكيدي كشوه |
Bois. | Sghaghin. | صغاغين |
Boîter. | Aradj*. | عرج |
Boîteux. | Arradj*. | عرّج |
Borgne. | Delaaouar*, persan. | دلاوار |
Bras. | Afous. | افوس |
Brebis. | Geleb. | جلب |
Briquet. | Zenad*. | زناد |
Brisé. | Erzay. | ارزاي |
Briser. | Erzayeh. | ارزايه |
— (se.) | Yerzayeh. | يرزايه |
Brouiller. | Echchera. | اشّره |
Brulé. | Mahrouq*. | محروق |
Bruler. | Haraq*. | حرق |
Brouillard. | Demmeza*. | دمّزه |
C | ||
Carré. | Yakareina. | ياكرينا |
Canon de fusil. | Bondokat*. | بندقات |
Cassé. | Erzay. | ارزاي |
Casser (se). | Yerzayeh. | يرزايي |
Cause. | Damankouyenti. | دامنكوينتي |
CHE[325]Cavalier. | Elbeba. | الببه |
Ce, cette. | Douayeh. | دوايه |
Cendre. | Aghwel. | اغول |
Cependant. | Afioua. | افيوه |
Certainement. | Ezdaqa*. | اصدقة |
Cerveau. | Taqileh. | ثقيله |
Cervelle. | Taqileh. | ثقيلة |
Chacun. | Koulliounkesimani*. | كلّ ينقسماني |
Chaîne. | Tedjiri. | تجيري |
Chair. | Aksoum. | اكسوم |
Changer. | Yenfela. | ينفلا |
Chant. | Yediz. | يديز |
Chanter. | Yaghlediz. | يغلديز |
Charger. | Mertouf. | مرتوف |
Charge. | Ammertouf. | امّرتوف |
Chargé. | Youseq*. | يوسق |
Chasse. | Khalleb. | خلّب |
Chasseur. | Yekhalleb. | يخلّب |
Chat. | Thazerdaght. | طزردغت |
Chemin. | Tabarouth. | تبروط |
Chemise. | Tékabert. | تكبرت |
Cher. | Yéghalayeh*. | يغلايه |
Chercher. | Ghaleit. | غليت |
Cheval. | Aghmar. | اغمار |
Cheveu. | Ezem. | اذم |
COU[326]Cheville. | Errichet. | ارّيشت |
Chien. | Eghzin. | اغزين |
Chien du fusil. | Akadjet. | اكاجت |
Cœur. | Ouelnis. | اوّلنس |
Combattre. | Yérouahah. | يرواها |
Combien. | Samaghoua. | صمغوه |
Comprendre. | Fehmés*. | فهمس |
Conduire. | Fikez. | فكز |
Coq. | Akadjet. | اكاجة |
Corde. | Édjeri. | اجري |
Corne. | Aghit. | اغيت |
Cou. | Agarat. | اقارات |
Coucher (se). | Ychayeh. | يشايه |
Coude. | Merfeq*. | مرفق |
Coup. | Eioued. | ايواد |
Couper. | Yekthimeh. | يقطيمه |
Courber. | Aouedjeh*. | عوّجه |
Courbé. | Mâouedjeh*. | معوّجه |
Courit. | Yétazzeh. | يتازّه |
Court. | Kasir*. | قصير |
Couteau. | Tékhandjiart*. | تخنجرت |
Couture. | Ezzoumak. | ازّومك |
Couvercle. | Yendeltia. | يندلتيه |
Couverture. | Thalabah. | طلابه |
Couvrir. | Endetti. | اندتّي |
DEF[327]Craindre. | Yérouaha. | يرواها |
Crainte. | Arouaha. | اروها |
Crasse. | Ousikh*. | وسيخ |
Creuser. | Négarad. | نقاراد |
Crier. | Enagha*. | اناغه |
Cru. | Yérayah. | يرايه |
Cuillère. | Téféloucht. | تفلوشت |
Cuire. | Tchoummat. | تشومات |
Cuisinier. | Échouman. | اشومان |
Cuisse. | Thaghmay. | طاغماي |
Cuivre. | Anich. | انيش |
Cultiver. | Harits*. | حرث |
Culture. | Haraseh*. | حراثه |
D | ||
Daim, gazelle. | Adjem. | ادجم |
Danse. | Choua. | شوة |
Danser. | Echoua. | اشوة |
Danseur. | Châoua. | شاوَه |
Date. | Tékartay. | تكرتاي |
Datte, fruit. | Lahbou. | لحبو |
Davantage. | Dakket. | دكت |
Dedans. | Azkik. | اذكيك |
Défaut. | Aïb*. | عيب |
DOU[328]Dégat. | Cherouath. | شرواط |
Délié, mince. | Daqaq*. | دقاق |
Délivrer, sauver. | Khallès*. | خلّص |
Démarche. | Aroukh. | اروخ |
Dent. | Sennou*. | سنّو |
Déployé. | Methaoues. | مطوّس |
Déployer. | Thaouès. | طوَس |
Dépôt. | Imanet*. | امانة |
Dernier. | Edaniet. | ادانية |
Dernièrement. | Ichfeldanieh. | ايشفلدانية |
Dérobé. | Méghattha. | مغطّا |
Dérober. | Ghattha. | غطّا |
Desséché. | Mikourah. | ميكورة |
Dessécher. | Ikourah. | يكورة |
Difficile. | Ouâar*. | واعر |
Diminuer. | Dérouch. | دروش |
Dîner. | Yetch. | يتش |
Dispute. | Ouahleina. | واحلينا |
Divisé. | Mejnaneh. | مجنانه |
Diviser. | Yejnaneh. | يجنانه |
Doigt. | Ghed. | قد |
Donner. | Gharameh. | غرامه |
Dormir. | Ichayeh. | يشايه |
Dos. | Ghezzer. | قزّر |
Douceur. | Moum. | موم |
ELE[329]Doux. | Moumeh. | مومه |
Drap. | Malf*. | ملف |
Dressé. | Mekerr. | مكرّ |
Dresser. | Kerr. | كرّ |
Drogue. | Doua*. | دوا |
Dur. | Yékorah. | يكوره |
E | ||
Eau. | Imen. | يمن |
Ecaille. | Téserimt. | تسريمت |
Echapper (s’). | Yéréouel. | يروّال |
Echelle. | Tahadit. | تحاديت |
Eclair. | Barq*. | برق |
Eclairé. | Menawouar*. | منوّر |
Eclairer. | Nawouar*. | نوّر |
Ecorce. | Taserimt. | طسريمت |
Ecorché. | Maslokh*. | مسلوخ |
Ecorcher. | Aéslokh*. | اسلوخ |
Ecriture. | Arrab*. | عرّب |
Egal, uni. | Ouahed*. | واحد |
Egarer. | Yétchouéddar. | يتشوتدار |
Elargi. | Kaouama. | كوّما |
Elargir. | Yékaouema. | يكوّما |
Elevé. | Maïosk. | مايوسك |
ENV[330]Elever, hausser. | Aïosk. | ايوسك |
Empan. | Echber*. | اشبر |
Empli. | Maëtker. | معتكر |
Emplir. | Aëtker. | عتكر |
Emprunt. | Miéfkes. | ميفكس |
Emprunter. | Yefkès. | يفكس |
Encore. | Elikka. | اليكّا |
Enfant. | Yéréhou. | يرهو |
Enflé. | Menfekh*. | منفخ |
Enfler. | Nefekh*. | نفخ |
Enfuir (s’). | Yéréouel. | يروّل |
Enivrer. | Sekker*. | سكّر |
Enivrant. | Mesekker*. | مسكّر |
Enrhumé. | Misterouh*. | مستروح |
Enrhumé (être). | Esterouh* | استروح |
Entier. | Ekmeleh*. | اكملة |
Entièrement. | Bettemêm*. | بالتّمام |
Entortillé. | Ebrénah. | ابرنه |
Entortiller. | Brénah. | برنه |
Entourer. | Édourah*. | ادوره |
Entrée. | Younaah. | يونعة |
Enveloppé. | Mélouffi*. | ملفّي |
Envelopper. | Louffi*. | لفّي |
Envoyé. | Maïsen. | معيسن |
Envoyer. | Aïsen. | عيسن |
FAI[331]Epais. | Azouar. | ازوار |
Epi. | Tékadert. | تكدرت |
Epine. | Deri. | دري |
Epouse. | Tekhtabeh*. | تخطابة |
Epouser. | Atekhtabet*. | اتخطابة |
Epoux. | Tekhtab*. | تخطاب |
Escalier. | Tahadit. | تحدية |
Essuyé. | Melouffeh. | ملوفّة |
Essuyer. | Louffeh. | لوفّة |
Estomac. | Maadeh*. | معدة |
Etain. | Tildount. | طلدونت |
Eté. | Ahoch. | احوش |
Eteindre. | Chakka. | شكّة |
Eteint. | Echka. | اشكة |
Etendre. | Afous. | افوس |
Eternuer. | Esenser. | اسنسر |
Etoile. | Negmet*. | نجمة |
Etranger. | Estamesna. | اسطمسنه |
Etroit. | Qarez. | قارز |
F | ||
Facher (se). | Yéghattah. | يغطّا |
Facile. | Derouch. | دروش |
Faim. | Loza. | لوزه |
FIN[332]Fait. | Anighah. | انيغة |
Tout-à-fait. | Ekmella*. | اكملّه |
Falloir. | Yéghally. | يغلّي |
Fange. | Témédghat. | تمدغات |
Farine. | Newroun. | نورون |
Faute. | Edno. | ادنو |
Faux, instrument. | Emker. | امكر |
Femelle. | Temighni. | تميغني |
Femme. | Tétoutah. | تطوطه |
Fendre. | Charreit*. | شرّيط |
Fendu. | Mecharreita*. | مشرّيطه |
Fer. | Zel. | زل |
Fermé. | Makkecha. | مكّشه |
Fermer. | Yékkecha. | يكّشه |
Fesse. | Almagâad*. | المقعد |
Fête. | Aid*. | عيد |
Feuille. | Teserrim. | تصرّيم |
Fève. | Éwéouen. | اوّون |
Fiel. | Andal. | اندال |
Fiente. | Tamakocht. | تمكشت |
Figue. | Thellakh. | طلاخ |
Figure. | Andiouan. | انديوان |
Fil. | Ezzeloum. | ازّلوم |
Fille. | Thériout. | طريوت |
Fini. | Tamartet. | تامرتت |
FRO[333]Finir. | Amartet. | امرتت |
Flairer. | Yénéki. | ينكي |
Flamme, | Afou. | افو |
Fleur. | Sahar*. | زهر |
Foie. | Aul. | اول |
Folie. | Cheithaneh. | شيطانه |
Fondre. | Yédabah. | يدبه |
Fondu. | Médabah. | مدبه |
Force. | Degoud. | دقود |
Forcé. | Msimanès. | مسيمانس |
Forcer. | Simanes. | سيمانس |
Par force. | Yéghlebah*. | يغلبه |
Fort. | Zor. | زور |
Foudre. | Gaouy. | قوي |
Four. | Lésikh. | لسيخ |
Fourchette. | Déri. | دري |
Fourmi, | Tékétfi. | تكتفي |
Fraîcheur. | Nada*. | ندا |
Frais. | Saouad. | صواد |
Frère. | Oumak. | اومك |
Froid. | Esaqqua. | اسقّي |
Fromage. | Temlid. | تمليد |
Front. | Djebeheh*. | جبهه |
Frotté. | Échéred. | اشرد |
Frotter. | Châred. | شارد |
GUE[334]Fruits. | Elkhodret. | الخضرة |
Fuir. | Yérouel. | يروّل |
Fusil. | Bondokat*. | بندقات |
G | ||
Gai. | Méfreha*. | مفرحه |
Gaîté. | Farha*. | فرحه |
Galle. | Thamasoud. | طماصود |
Garde, prendre garde. | Thouah. | طوَه |
Garrotter. | Kant. | كنت |
Genou. | Afoud. | افود |
Gorge, gosier. | Khandjart. | خنجرت |
Gouter. | Efkik. | افكيك |
Gouverner. | Mekellid. | مقلّيد |
Gouverneur. | Kellad. | قلّاد |
Grain. | Eftéhou. | افتَهوه |
Graisse. | Eddind. | ادّيند |
Grande. | Mokar. | مكار |
Gras. | Gaouy*. | قَوي |
Gravé. | Ménégrech. | منقرش |
Graver. | Négrech. | نقرش |
Gros. | Tenou. | تنو |
Guérir. | Yénézah. | ينزه |
HUI[335]H | ||
Habiller. | Kesoud. | قسود |
— (s’). | Ankesoud. | انقسود |
Habit. | Tékébert. | تكبرت |
Habitant. | Yakimeh. | يكيمة |
Habité. | Diléouan. | ديلاوان |
Habiter. | Echfera. | اشفره |
Habituer (s’). | Bekkoul. | بكّول |
Hacher. | Enjarat. | انجرات |
Haleine. | Ekammel. | اكمّل |
Hausser. | Erfâa*. | ارفع |
Hauteur. | Alouéh*. | علوه |
Herbe. | Ekéghast. | اكغست |
Heure. | Afioua. | افيوه |
Hibou. | Boum*. | بوم |
Hier. | Yed. | يَد |
Hirondelle. | Tharned. | طرند |
Hiver. | Téghéricht. | تقرشت |
Homme. | Amaden. | امادن |
Honte. | Aïb*. | عيب |
Huile. | Zeit*. | زيت |
I | ||
Ici. | Ela. | الا |
JUR[336]Immolé. | Magharich. | مغارش |
Immoler. | Gharich. | غارش |
Immonde. | Efkis. | افكيس |
Impair. | Eiouana. | ايوانه |
Imparfait. | Hhach. | حاش |
Impur. | Efkis. | افكيس |
Interroger. | Neghaka. | نغاكه |
J | ||
Jambe. | Emédjer. | امجر |
Jaune. | Kamezar. | كمزار |
Jaunir. | Kamzar. | كمزر |
Jeune. | Métchik. | متشيك |
Jeuner. | Edouf. | ادوف |
Joie. | Méfreha*. | مفرحه |
Joli. | Mari. | ماري |
Joue. | Fich. | فيش |
Jurement. | Efed. | افد |
Jurer. | Yéfed. | يفد |
L | ||
La. | Diliou. | ديليو |
Laisser. | Yédji. | يجي |
Laitue. | Mézalem. | مذالم |
Langue. | Elsou. | الصو |
Large. | Emten. | امتن |
MAN[337]Larme. | Yémannes. | يمانّس |
Las (être). | Yéfella. | يفلّا |
Léché. | Meksaha. | مكسها |
Lécher. | Eksaha. | اكسها |
Lentille. | Ads*. | عدس |
Lettre. | Tékhartey. | تخارتي |
Levain. | Khamired*. | خميرد |
Lézard. | Elfennak. | الفنّك |
Lien. | Oulo. | اولو |
Lin. | Slad. | صلاد |
Lit. | Thaoues. | طَوس |
Lorsque. | Lamma*. | لمّا |
Loup. | Akidaf. | اكيداف |
Loyer. | Thâfedh. | طافض |
Lune. | Ayour. | ايور |
M | ||
Maché. | Mahlimeh. | محليمه |
Macher. | Halimeh. | حليمه |
Maigre. | Aïan*. | ايان |
Maigrir. | Dhaaf*. | ضعف |
Main. | Edaqel. | ادكل |
Maison. | Ichaëh. | يشايه |
Mal, opposé à bien. | Yaammarla. | يعمّرله |
Douleur. | Afaudah. | افوده |
Manche. | Onfos. | انفوس |
MOU[338]Marié. | Métézaouedj*. | متزوّج |
Marier. | Zaouêdj*. | زوّج |
Marmite. | Elgadir. | القادر |
Mauvais. | Yaammarla. | يعمّارله |
Mêche. | Ichaya. | يشايه |
Mêlé. | Makhlouth*. | مخلوط |
Mêler. | Khalath*. | خلط |
Membre. | Hessoud. | حسّود |
—viril. | Eghezor. | اقزور |
Mener. | Ouaddi*. | ودّي |
Menton. | Dagn*. | ذقن |
Menu. | Rghig*. | رقيق |
Mépris. | Tenebret. | تنبرت |
Mère. | Omm*. | اُم |
Meunier. | Téfed. | تفد |
Minaret. | Éouadden*. | اوذّن |
Mince. | Rgig*. | رقيق |
Moisi. | Menfaéker. | منفكر |
Moisir. | Enfaéker. | انفكر |
Montrer. | Eddecheh, | ادّشه |
Mordre. | Édded*. | عضّض |
Morve. | Egattar. | اقّطار |
Mouche. | Doubban*. | دبّان |
Moucher (se). | Esansar. | اسانسار |
Mouchoir. | Abaquieh. | اباقيه |
Mouillé. | Mélouachoun. | ملواشون |
NOU[339]Mouiller. | Elouachoun. | الواشون |
Mourant. | Ifaâ. | يفعه |
Mourir. | Djénazet. | جنازة |
Mouton. | Haoli. | حولي |
Mouton. | Yakkecheh. | يكّشه |
N | ||
Nager. | Yemin. | يمين |
Naître. | Erro. | ارّو |
Natte. | Hasir*. | حصير |
Navet. | Aghzar. | اغزار |
Né. | Nerro. | نرّو |
Net. | Elharrer. | الحرّر |
Nettoyé. | Mecharrer. | مشرّر |
Neveu. | Omak. | امك |
Nez. | Téréouet. | تروة |
Nièce. | Tenzert. | تنزرت |
Nié. | Mielghoun. | ميلغون |
Nier. | Yelghoun. | يلغون |
Nôce. | Echkoum. | اشكوم |
Noir. | Echthaf. | اشطاف |
Noircir. | Asoued*. | اسوّد |
Nom. | Semennas. | سمنّاس |
Nommé. | Mesemmas*. | مسمّاس |
Nommer. | Semmas*. | سمّاس |
Nouveau. | Athar. | اطار |
PAN[340]Noyau. | Meknéouak. | مكنواك |
Noyé. | Mougharred. | مغرّد |
Noyer. | Yougharred. | يوغرّد |
Nu. | Youdenah. | يودنه |
Nuages. | Thadegnech. | طادقنش |
Nuit. | Awed. | اود |
Passer la nuit. | Ebat*. | ابات |
O | ||
Oignon. | Bazalim*. | بصليم |
Œil. | Athi. | اطي |
Ombre. | Tilly*. | ظلّي |
Oncle. | Ammis*. | عمّس |
Ongle. | Khanis. | خانس |
Or. | Oro. | اورو |
Ordure. | Ousikh*. | وسخ |
Oreille. | Esem. | اسم |
Oreiller. | Thachoum. | طاشوم |
Os. | Aghazt. | اغازت |
Outre pour l’eau. | Addi. | ادّي |
P | ||
Pain. | Thaouegt. | طاوقت |
Pair. | Méchathi. | مشاطي |
Paille. | Echil. | اشيل |
Palmier. | Azouan. | ازون |
Panier. | Abazart. | ابازارت |
PES[341]Pantalon. | Seroual*. | سروال |
Papier. | Karthayah. | كارطايه |
Pareil. | Aouaoued. | اواود |
Parent. | Nesib*. | نسيب |
Parfait. | Kamel*. | كامل |
Parfaitement. | Beltamam*. | بالتمام |
Parler. | Echérouy. | اشروي |
Partagé. | Magsoum*. | مقسوم |
Partager. | Gasem*. | قسم |
Payer. | Aghiz. | اغيز |
Peau. | Eglim. | اقليم |
Peigne. | Aghewezt. | اغوزت |
Pelure. | Taserimt. | تسريمت |
Penchant. | Koras. | كراس |
Pendre. | Efkest. | افكست |
Pepin. | Errast. | ارّاست |
Percé. | Makhras*. | مخرص |
Percer, trouer. | Kharras*. | خرّص |
Perdre. | Dhayaa*. | ضيّع |
Perdrix. | Ghethat. | قطاط |
Père. | Akhfcha. | اخفشه |
Grand-Père. | Oudelghay. | اودلغاي |
Permission. | Oqchir. | اوقشير |
Perte. | Khiçarah*. | خساره |
Pesant. | Ezzag. | ازّق |
Peser. | Teguibibi. | تقيبيبي |
POM[342]Peste. | Ayyaneh. | ايّانه |
Peureux. | Yerouaha. | يرواها |
Peut-être. | Afcho. | افشو |
Pied. | Athar. | اطار |
Pierre. | Dératha. | درطه |
Pierre à fusil. | Souaneh*. | صوانه |
Pieu. | Cherian. | شريان |
Pilé. | Mekmaya. | مكمايه |
Piler. | Kamaya. | كمايه |
Pillage. | Tazch. | تازه |
Pillé. | Yétazeh. | يتازه |
Piquer. | Garaz*. | قرص |
Pistolet. | Béchatil. | بشاتيل |
Plaire. | Eïouathy. | ايواطي |
Planche. | Louh*. | لوح |
Plein. | Etkerreh. | انكرّه |
Pleurer. | Yéwella. | يوّله |
Plomb. | Taqileh. | ثقيله |
Plongeur. | Eghathas*. | اغاطّس |
Plume. | Richeh*. | ريشه |
Poche. | Djibennous. | جيبنوس |
Poids. | Meizan*. | ميزان |
Pois. | Djelban*. | جلبان |
Poisson. | Samak*. | سمك |
Poix. | Erkan. | اركان |
Pomme. | Teffah*. | تفّاح |
PRI[343]Pondre. | Tésiouy. | تصيوي |
Posé. | Mécherech. | مشرش |
Poser. | Chérech. | شرش |
Potence. | Echnag*. | اشناق |
Pou. | Thaouellekt. | طاوّلّكت |
Pouce. | Thaght. | طاغت |
Poudre. | Barout*. | بارود |
Poule. | Tékadjet. | تكاجت |
Poulet. | Edjijiau. | اجيجيو |
Poulie. | Sebah. | سباح |
Pourri. | Yekmiya. | يخميه |
Pourriture. | Ekhmiya. | اخميه |
Poursuivi. | Melhaq*. | ملحق |
Poursuivre. | Lahaq*. | لحق |
Pourvu que. | Gharilon. | غريلون |
Poussière. | Melan. | ملان |
Prairie. | Témourt | تمورت |
Prendre. | Foukez. | فوكز |
Présent. | Erech. | ارش |
Présent, cadeau. | Illahouehez. | الاهوهز |
Presser (se). | Istaadjel*. | استعجل |
Prêté. | Martal. | مرتل |
Prêter. | Artal. | ارتل |
Prier. | Yemout. | يموت |
Prière. | Erekka. | اركّه |
Prix, valeur. | Elakkenes. | الكّنس |
RAP[344]Promptement. | Fisaâ*. | فيسعه |
Puce. | Barghout*. | برغوث |
Puits. | Aouénou. | اونو |
Punaise. | Bagh*. | باغ |
Pus. | Elmed*. | المد |
Putréfaction. | Façadeh*. | فساده |
Putréfier (se). | Taaffen*. | تعفّن |
Putride. | Maafoun*. | معفون |
Q | ||
Quadrupède. | Afounas. | افوناس |
Quenouille. | Ezd. | ازد |
Queue. | Azif. | ازيف |
Quittance. | Chiouad. | شيواد |
Quitte. | Achiouad. | اشيواد |
Quitter. | Dgi. | جي |
R | ||
Rabattre, diminuer. | Naqqas*. | نقص |
Raccourcir. | Qassar*. | قصّر |
Race. | Sah. | ساح |
Racler. | Hakk*. | حكّ |
Radouci. | Meleyyin*. | مليّن |
Radoucir. | Leyyin*. | ليّن |
Rafraîchir. | Essiaf. | اسياف |
Raisin. | Aneb*. | عنب |
Rapprocher. | Djighez. | جيغز |
RES[345]Rapprocher (se). | Djighezeh. | جيغزه |
Raser. | Hezam. | هزام |
— (se.) | Hezameh. | هزامه |
Rasoir. | Khandjar*. | خنجر |
Rassasié. | Eïyouaneh. | ايوانه |
Rassasier. | Eïouan. | ايوان |
Rat. | Éghzert. | اغزرت |
Ratisser. | Hakk*. | حكّ |
Rave. | Lift*. | لفت |
Reculer. | Atchiglat. | اتشيغلات |
Réfroidir. | Barred*. | برّد |
Règle. | Eddiouah. | ادّيواه |
Règles des femmes. | Demen. | دمن |
Rencontrer. | Lamlagh. | لملاغ |
Rendre. | Aïkri. | ايكري |
Rente. | Gharameh. | غرامة |
Renvoyer. | Entharad*. | انطرد |
Répandre. | Qalab*. | قلب |
Répandu. | Meqleb*. | مقلب |
Repos. | Yaugharr. | يوغرّ |
Reposer (se). | Miaugharr. | ميوغرّ |
Reptile. | Taghardim. | طغرديم |
Réservoir. | Haudh*. | حوض |
Respiration. | Ténaffos*. | تنفّس |
Respirer. | Ténaffès*. | تنفّس |
Reste. | Ettabaq. | اتّبق |
RUD[346]Rester. | Laouada. | لواده |
Retard. | Athaouel*. | اطاوّل |
Retarder. | Thaouel*. | طوّل |
Retenir. | Thaff. | طافّ |
Retour. | Kéri. | كري |
Retourner. | Afioua. | افيوه |
Revenir. | Ékeri. | اكري |
Rêver. | Tewerquiat. | تورقيات |
Révolté (être). | Tégharit. | تغريت |
Rhume. | Ésenser. | اسنسر |
Riche. | Etkeira. | اتكيره |
Rire. | Etsa. | اثه |
Robuste. | Yéouéna. | يوَّنه |
Rond. | Tahallaqat*. | تحلّقت |
Ronfler. | Kharr*. | خرّ |
Roseau. | Tagasibat*. | تقصبة |
Rosée. | Nada*. | ندا |
Roti. | Meggaça. | مقّسه |
Rotir. | Eggaça. | اقّسه |
Rouge. | Nézouagh. | نزواغ |
Rougir. | Zouagh. | زواغ |
Rouille. | Séda*. | صدا |
Rouiller. | Sadda*. | صدّي |
Rouler. | Dar*. | دار |
Rude. | Ezaouar. | ازاوار |
SEN[347]S | ||
Sable. | Hemlal. | هملال |
Sabre. | Hauch. | حوش |
Sac. | Thaghrart. | طاغرارت |
Sage. | Harech. | حرش |
Saignée. | Aadjem*. | عجم |
Salaire. | Rédjar. | رجار |
Sale. | Ousikh*. | وسيخ |
Salé. | Tessan. | تسّان |
Salir. | Ouassakh*. | وسّخ |
Salive. | Talqomt. | تعلقمت |
Saluer. | Sad. | صاد |
Salut, conservation. | Sah. | صاح |
Sauver. | Khallas*. | خلّص |
Scie. | Monchar*. | منشر |
Scié. | Ménachchar*. | منشّر |
Scier. | Néchchar*. | نشّر |
Scorpion. | Téghardim. | تغرديم |
Sec. | Yakkaora. | يكّوره |
Sécher. | Akkaora. | اكاوره |
Secoué. | Miaharrek*. | ميحرّك |
Secouer. | Yéharrek*. | يحرّك |
Semaine. | Djéméêt*. | جمعة |
Semblable. | Meçaouy*. | مساوي |
Semer. | Hammay. | حمّاي |
Sentir. | Chemm*. | شمّ |
SUR[348]Serpent. | Tekéchilt. | تكشلت |
Serrer. | Thaf. | طاف |
Serviette. | Aleghna. | الغنه |
Serviteur. | Atteghad. | اتّغاد |
Seul. | Yéouénan. | يونان |
Seulement. | Bess*. | بسّ |
Siffler. | Yénassek. | ينسّك |
Signe. | Laalam*. | العلم |
Singe. | Guird*. | قرد |
Soif. | Yéfouyé. | يفويه |
Sommeil. | Eneddem. | اندّم |
Soulever. | Asekt. | اسكت |
Soulier. | Bolghah*. | بلغه |
Soupé. | Menacharq. | مناشرق |
Souper, v. | Etch. | اتش |
Source. | Tiouen. | تيون |
Sourcil. | Hadjeb*. | حاجب |
Sourd. | Eslalodah. | اسلالوده |
Souvenir (se). | Makti. | مكتي |
Sucer. | Emben. | امبن |
Suer. | Etahed. | اتحد |
Sueur. | Aareqy*. | عرقي |
Suffire. | Dakout. | دكوت |
Suffisamment. | Dakou. | دكو |
Surplus. | Baqy*. | باقي |
Surtout. | Afkoul. | افكول |
TET[349]T | ||
Tabac. | Thabgha. | طبغه |
— à priser. | Ennekeh. | انّكه |
Tabatière. | Khastimt. | خستيمت |
Table. | Thaouélest. | طاولست |
Talon. | Arkou. | عركو |
Tamarix. | Temmet. | تمّت |
Tan. | Elarg. | الارق |
Tanner. | Arg. | ارق |
Tanneur. | Iarrag. | يراق |
Tante. | Attak. | اتّك |
Tapis. | Thaoues. | طاوس |
Taureau. | Afounas. | افوناس |
Teindre. | Echtaf. | اشتاف |
Teint. | Méchtaf. | مشتاف |
Teinture. | Echtafeh. | اشتافه |
Teinturier. | Méchtaf. | مشتاف |
Témoigner. | Aghil. | اغيل |
Témoin. | Agghileh. | اغّيله |
Tempe. | Dmerneh. | دمرنه |
Temps. | Aouamah. | اوامه |
Tendre. | Enjerr*. | انجرّ |
Tente. | Tekhimet*. | تخيمة |
Tête. | Taqileh. | ثقيله |
Téter. | Yembeya. | يمبيه |
TUÉ[350]Téton. | Anebbi. | انبّي |
Tibia. | Afoud. | افود |
Tigre. | Nemr*. | نمر |
Tirer. | Djikez. | جيكز |
Toile (pièce de). | Magthaa*. | مقطعه |
Toit. | Thasiout. | طاسيوت |
Tombeau. | Atcha. | اتشه |
Tomber. | Yéfaâ. | يفعه |
Tondre. | Ghessas*. | قصّص |
Tonner. | Raad*. | رعد |
Tordre. | Yébren. | يبرن |
Tortu. | Yauthérah. | يوطره |
Rendre tortu. | Mayauthera. | مايوطره |
Tour, circonférence. | Qaïminet. | قايمينت |
Tout. | Koullou*. | كلّ |
Toux. | Koha. | كوهه |
Trahir. | Yahras. | يحرس |
Trahison. | Khaunah*. | خونه |
Traverser. | Azzal. | ازّال |
Trembler. | Etertâad*. | اترتعد |
Triste. | Yahreza. | يهرزه |
Tromper. | Yéghauf. | يغوف |
Trou. | Mokhrem*. | مخرم |
Troupeau. | Thafal. | طفال |
Trouver. | Laqa*. | لقا |
Tué. | Mauta*. | موته |
VIG[351]Tuer. | Yémauta*. | يموته |
Turban. | Achchal*. | اشّال |
U | ||
Uni. | Mettebaya. | متّبايه |
Unir. | Attébaya. | اتّبايه |
Utile. | Ennefâa*. | النفعه |
— (être.) | Néfâa*. | نفع |
Utilité. | Nafaat*. | نفعة |
— Profit. | Elfaïdeh*. | الفايده |
V | ||
Vache. | Aqfiqeh. | اقفيقه |
Vain, inutile. | Dérouch. | دروش |
Vallon. | Négred. | نقرد |
Valoir. | Laal. | لعل |
Veau. | Warimeh. | واريمه |
Veiller. | Endem. | اندم |
Vendre. | Yédjidj. | يجيج |
Ver. | Thaqouq. | ظاقوق |
Vérité. | Kaouamah. | كوامه |
Vérole (petite). | Habéba. | هببه |
Verre | Qézazteh*. | قزازته |
Vétérinaire. | Founaséh. | فوناسه |
Vide. | Qélodah. | قلوده |
Vider. | Ghara. | غره |
Vigne. | Temmedeh. | تمّده |
VUE[352]Village. | Echal. | اشال |
Vinaigre. | Khall*. | خلّ |
Viser. | Thaouez. | طاوز |
Visiter. | Yégoult. | يغولت |
Voir. | Eghzart. | اغزارت |
Voisin. | Anergh. | انرغ |
Voix. | Aïat. | ايات |
Vol. | Yénagha. | يناغه |
Vol d’un oiseau. | Aghtah. | اغطه |
Voler. | Méchan. | مشان |
—Dérober. | Yousek. | يوسك |
Voleur. | Ghazi. | غازي |
Vouloir. | Ewehau. | اوّهو |
Voyager. | Yaad. | يعد |
Voyageur. | Youchad. | يوشاد |
Vrille. | Barrimeh*. | برّيمة |
Vue. | Yéghzart. | يغزارت |
ERRATA.
Page 320, lignes 7 et 8, lisez, sans astérisque, les mots Ammartet et Taammartet.
Page 336, lig. avant-dernière, Elsuo, lisez : Elsou.
Page 343, lig. 5, Thaouellekh, lisez : Thaouellekt.
Page 344, lig. 8, Maafoun, lisez : Maafoun*, avec un astérisque.
Les habitants d’Audjelah ont fait de nombreux emprunts à la langue arabe : plus du quart de leur vocabulaire appartient à cette origine. En parcourant le manuscrit de M. Müller, j’ai pu d’abord m’apercevoir que les mots arabes ou dérivés d’une racine arabe, n’avaient pas été tous indiqués par l’astérisque. J’ai cru, dans l’intérêt des études philologiques, devoir réparer ces omissions : le nombre des mots désignés, n’était dans le manuscrit que de 150 ; quelques-uns même, marqués seulement au crayon, annonçaient une incertitude ; j’ai porté ce nombre à 219.
Je dois aux savants de mettre ici sous leurs yeux la série de ces mots que j’ai ramenés à l’origine arabe :
Lang. d’Audj. | Arabe[389]. | |
---|---|---|
Aigre. | تحمطه | حمض |
Aller, je vais. | نمضياخر | نمضي اخر |
Bientôt. | فوّما | قوامًا |
Bleu. | تلازرق | الازرق |
Borgne. | دلاوار | الاعور |
Brouillard. | دمّزه | دمس |
Canon de fusil. | بندقات | بندقيّة |
Chacun. | كل ينقسماني | كلّ قسم |
Certainement. | اصدقه | صدق |
Chargé. | يوسق | وسق |
Cher. | يغلايه | غالي |
Comprendre. | فهمس | فهم |
Couteau. | تخنجرت | خنجر |
Crier. | اناغه | ناغي |
Délié. | دقاق | دقيق |
Dent. | سنّو | سنّ |
Drogue. | دوا | دوا |
Ecorcher. | اسلوخ | سلخ |
Ecorché. | مسلوخ | مسلوخ |
Ecriture. | عرّب | عرّب |
Egal, uni. | واحد | واحد |
Empan. | اشبر | شبر |
Entier. | اكمله | كامل |
Entourer. | ادوره | دور |
[354]Envelopper. | لفّي | لفّ |
Enveloppé. | ملفّي | ملفوف |
Epouser. | اتخطابه | خطب |
Epoux. | تخطاب | خطيب |
Epouse. | تخطابة | خطيبة |
Fendre. | شرّيط | شرط |
Fendu. | مشرّيط | مشرّط |
Fesse. | المقعد | المقعد |
Forcément. | يغلبه | غلب |
Fraîcheur. | ندا | ندا |
Front. | جبهه | جبهة |
Gras. | قوي | قوي |
Hibou. | بوم | بوم |
Levain. | خميرد | خميرة |
Minaret. | اودّن | ماذنة |
Mordre. | عضض | عضّ |
Nommer. | سمّاس | سمَّي |
Nommé. | مسمّاس | مسمَّي |
Oignon. | بصليم | بصل |
Ombre. | ظلي | ظلّ |
Oncle. | عمّس | عمّ |
Plongeur. | اغاطّس | غطّاس |
Potence. | اشناق | مشنق |
Pus. | المد | المادّة |
Rasoir. | خنجر | خنجر |
Répandre, renverser. | قلاب | قلب |
Répandu. | مقلب | مقلوب |
Rond. | تحلّقت | حلقة |
Roseau. | تقصبة | قصبة |
Remuer. | يحرّك | حرّك |
Remué. | ميحرّك | محرّك |
Seulement. | بسّ | بسّ |
Singe. | قرد | قرد |
Tendre. | انجرّ | جرّ |
Tente. | تخيمة | خيمة |
Tout-a-fait. | اكمله | كاملًا |
Trahison. | خونة | خونة |
Trembler. | اترتعد | ارتعد |
Trou. | مخرم | خرم |
Tuer. | يموته | موّت |
Tué. | موته | ميّت |
Turban. | اشّال | الشّال |
Utile, adj. | النفعه | النافع |
Utile (être). | نفع | نفع |
Verre. | قزازته | قزاز[390] |
On voit, par ce seul tableau, qu’en adoptant un mot arabe, les habitants d’Audjelah l’ont quelquefois détourné de son acception primitive : ainsi, ils emploient dans le sens d’épouser, le verbe arabe خطب, qui ne signifie que fiancer. Le mot قوي signifie[355] fort, vigoureux ; ils lui donnent, par extension, le sens de gras. C’est par euphémisme sans doute, qu’ils nomment مقعد la partie postérieure du corps, sur laquelle on s’assied. Le mot لفت est en arabe le nom du navet ; chez eux il s’applique à la rave dont la véritable dénomination est فجل. Semblable à toutes les langues des nombreuses peuplades de l’Afrique, la langue d’Audjelah n’est pas écrite ; on n’y connaît d’autre écriture que celle des Arabes, et chez eux le mot écrire est synonime d’écrire en arabe, mettre en arabe ; ce qu’ils expriment fort bien par le mot عرّب, qui répond ici au mot écriture. Mais dans tous ces exemples, il n’y a, à vrai dire, qu’extension de sens. Il est des mots qui s’éloignent encore plus de leur signification primitive et que, par cette raison, je n’ai point marqués d’un astérisque, quoiqu’ils appartinssent évidemment à la langue arabe. Je citerai, entr’autres exemples, les suivants :
Le mot الخضرة ne signifie en arabe que la verdure ; les habitants d’Audjelah l’emploient dans le sens de fruits.
En arabe, on appelle جنازة une pompe funèbre ; chez eux il signifie mourir.
Le mot غازي aggresseur, prend, dans leur vocabulaire, le sens de voleur.
Ils nomment قلاد un gouverneur ; le verbe arabe قلد (2me conj. dériv.) qui a donné naissance à ce mot signifie en effet investir d’une charge, d’une dignité, d’un commandement ; mais la forme adoptée par les habitants d’Audjelah, aurait plutôt en arabe une signification transitive.
شيطانه folie n’est qu’un emploi métaphorique du mot شيطان démon. En français on dit quelquefois c’est un possédé, pour dire, c’est un fou.
Le verbe arabe طوي signifie ployer ; les habitants d’Audjelah l’emploient dans le sens contraire : déployer طوس thaouas.
Je profiterai de l’occasion qui m’est offerte par ce dernier mot, pour signaler le س final qu’ils ajoutent quelquefois à la racine arabe, comme dans فهمس pour فهم, سماس pour سمي, عمس pour عم. Outre ce crément, ils en ont un autre qui accompagne ordinairement les noms, et qui est presque toujours un ت initial, comme on le voit par les mots تلازرق, تخيمة, تحمطه, تقصبة.
Il faut maintenant passer à quelques observations sur l’usage qu’on a fait de l’alphabet arabe pour représenter la prononciation des mots d’Audjelah. Il y a tout lieu de croire, et cela est d’ailleurs annoncé en tête même du vocabulaire, que les mots ont été d’abord recueillis en lettres françaises et transcrits ensuite en arabe : dans ce passage, tardif peut-être, d’une écriture dans une autre, ils ont dû éprouver quelques altérations : la prononciation des Naturels n’étant plus là pour déterminer le choix des consonnes arabes, les méprises étaient inévitables ; à moins qu’on ne se fût muni[356] d’avance de cet alphabet, si inutilement célèbre, dont Volney rêva vingt ans l’application européenne, et qui, une fois enfin, eût été appliqué avec fruit. Malheureusement, en composant son vocabulaire, l’auteur ne paraît pas s’être d’abord attaché à un système fixe de transcription ; de manière que lorsqu’il a fallu ensuite convertir les lettres françaises en lettres arabes, il a souvent confondu les sons simples avec les sons emphatiques ou gutturaux, c’est-à-dire les ت avec les ط, les س avec les ص, les ك avec les ق, et quelquefois même les ا avec les ع. Rien n’est plus propre à mettre ce fait en évidence, que la différence d’orthographe dans un même mot répété en deux ou trois endroits du vocabulaire, pour représenter des significations analogues ou identiques. Cherchez, par exemple, le mot ecaille, vous trouverez تسريمت taserimt ; cherchez ensuite le mot Ecorce, vous trouverez طسريمت commençant par un ط ; cherchez encore le mot Pelure, vous retrouverez تسريمت avec un ت. Il est évident que les mots écaille, écorce, pelure, sont employés ici comme synonimes, quoiqu’il n’y ait entre eux que de l’anologie ; mais quelle est la véritable prononciation du mot taserimt ? faut-il un ت ? faut-il un ط ? la critique ne fournit à cet égard aucun moyen de solution : il faudrait retourner sur les lieux. Cette irrégularité de transcription se reproduit fréquemment et de diverses manières ; en voici d’autres exemples, fidèlement copiés du manuscrit :
Achever. | Ammartet. | عمّرتت |
Finir. | Amartet. | امرتت |
Boule. | Tahhallaq. | طحلّق |
Rond. | Tahallaqt. | تحلّقت |
Echelle. | Tahadit. | تحاديت |
Escalier. | Tahadit. | تحادية |
Scorpion. | Téghardim. | تغرديم |
Reptile. | Taghardim. | طغرديم |
Papier. | Kartayah. | كارطاية |
Lettre. | Tékhartey. | تخارتي |
Date. | Tékartay. | تكرتاي |
J’ajouterai un dernier exemple : le mot Bœuf est traduit dans le manuscrit par akfik qu’on a transcrit اكفيك ; en cherchant le mot Vache, on trouve akfiqeh, qui n’est que le féminin d’akfik ; mais cette fois deux ق ont pris la place des deux ك, et l’on a transcrit اقفيقه[391].
Si cette inexactitude de transcription, ne m’avait pas été démontrée par les synonimes, je l’aurais bien plus facilement encore reconnue dans les mots qui appartiennent à une racine arabe. C’est ainsi que j’ai rendu à leur véritable origine les mots :[357] شرّيط fendre, dérivé de l’arabe شرط qui a la même signification ; يوسق chargé, participe irrégulièrement formé du verbe وسق charger ; عضض mordre, dont la racine arabe est le verbe sourd عض. Dans le manuscrit, ces trois mots étaient orthographiés ainsi : يوسك, اضض, شريت.
Le mot aïan, maigre, quoique désigné comme arabe dans le vocabulaire, est transcrit ايان ; il faut certainement عيان, qui en arabe signifie faible, maladif, fatigué.
Delaaouar, borgne, était indiqué au crayon comme persan ; je ne vois dans ce mot que la transcription de l’arabe الاعور, le borgne, précédé d’un د ajouté. Dans le vocabulaire, on a écrit دلاوار.
مسحه, bèche, est un mot arabe, mais il faut le lire مسحاة ; car la suppression de l’alef le ferait dériver du verbe sain مسح, tandis qu’il a pour racine le verbe défectueux سحا.
Le son du ق a été représenté tantôt par un q, tantôt par un g, tantôt par les deux lettres gh, qui répondent assez bien au son que les Arabes d’Afrique donnent au ق, qu’ils prononcent en effet comme un g dur et guttural. Mais comme les lettres gh ont été aussi employées dans le vocabulaire pour représenter le غ, il en est résulté quelques méprises : le mot bagh, punaise, en est un exemple ; c’est incontestablement le mot arabe بق qui a la même signification. Dans le vocabulaire, on a transcrit bagh par باغ.
Je bornerai là mon examen ; et je dois me hâter de dire que, malgré les imperfections que j’ai signalées, le vocabulaire de M. Müller n’en est pas moins un document utile et important. C’est un travail tout fait pour le premier voyageur qui visitera, après lui, l’Oasis d’Audjelah : il n’y aura plus qu’à l’étendre et à le régulariser. Des hommes dévoués à la science ont déja sillonné l’Afrique dans tous les sens ; ils ont rapporté de leurs courses avantureuses des vocabulaires recueillis sur divers points de ce vaste et inexplicable continent. Mais M. Müller est, à ma connaissance, le premier voyageur qui aît publié un vocabulaire de la langue parlée à Audjelah ; et, à une époque où toute notion acquise sur l’Afrique est accueillie comme une conquête, l’auteur me paraît avoir bien mérité des savants, et s’être préparé, pour l’avenir, des titres à leurs suffrages.
AGOUB.
[389]Lorsque le mot de la langue d’Audjelah a conservé dans sa dérivation les formes régulières de la langue arabe, j’ai écrit à côté le mot arabe tout formé ; dans les cas contraires, j’ai quelquefois préféré n’écrire que la racine.
[390]Pour زجاج, qui est moins employé dans l’arabe usuel.
[391]Le manuscrit portait même افقيقه, mais j’ai corrigé cette transposition.
Recueilli par M. Frédéric Müller.
Pain. | Khobz, Rgif. | خبز, رغيف |
Viande. | Aksoum. | اكسوم |
Haricots. | Loubieh. | لوبيا |
Vin. | Khamar, Laguebi. | خمر, لاقبي |
Lentilles. | Ténifé. | تنيفه |
Mouton. | Hhaoli. | حاولي |
Eau. | Aman. | امان |
Couteau. | Tekhouset. | تخوصة |
Plat, Assiette. | Thaza. | طاظا |
Homme. | Aogguit. | اوقّيت |
Pierre. | Adrha. | ادغا |
Palmier. | Tazoutat. | تزوتات |
Feu. | Temsa. | تمسه |
Fusil. | Tabandact. | تبانداقت |
Oui. | Eioua. | ايوا |
Non. | Oula. | اولا |
Jour. | Asfa. | اصفا |
Aujourd’hui. | Asfabidous. | اصفا بيدو |
Encre. | Lemdad. | لمداد |
Plume pour écrire. | Laqalam. | لاقلم |
Plume d’oiseau. | Tericheh. | تريشه |
[359]Donne-moi de l’encre. | Aghat lemdad. | اغاة لمداد |
Herbe. | Lealef. | لهالف |
Bled. | Iarden. | ياردن |
Orge. | Teumzen. | تومذن |
Désert, Montagne. | Adrhar. | ادغار |
Maison. | Abgguin. | ابغين |
Tabac. | Tabrha. | تبغا |
Nuit. | Ietaa. | يتعا |
Chameau (le). | Alrhoum. | الغوم |
Œuf. | Tébétoue. | تبتوع |
Le manger. | Atchou. | اتشو |
Le boire. | Tesoua. | تسوه |
Paille. | Loum. | لوم |
Lait. | Akhi. | اخي |
Fèves. | Yéouawoum[392]. | يوواون |
Turban. | Alfaf. | الفاف |
Couverture de Bédouin. | Ahram. | اهرام |
Place, Endroit. | Ankan. | انكان |
Fièvre. | Tazaqt. | طزقت |
Long. | Athouïl. | اطويل |
Souliers. | Zarabin. | زربين |
Peu. | Ahibba. | اهيبّا |
Beaucoup. | Koma. | كوما |
[360]Rasoir. | Terhosat. | تغصات |
Huile. | Dahan. | دهان |
Olivier. | Azemmour. | ازمّور |
Raisin. | Tezrhaine. | تزغاين |
Bois. | Sarharhine. | سغاغين |
Dattes vertes. | Ghaouene. | غاوين |
Dattes mures. | Tena. | تنا |
Pied. | Thar, pl. Techka. | طار طشكا |
Livre. | Tekhtemet. | تختمت |
Taisez-vous. | Sisem. | سسم |
Écoute. | Sell. | سلّ |
Tête. | Akhfi. | اخفي |
Cheval. | Agmar. | اقمار |
Jument. | Tegmert. | تقمرت |
Nouveau. | Atrar. | اترار |
Poussière. | Ejdan. | ازدان |
Nez. | Tanezert. | تنزرت |
Vois, Regarde. | Hommar. | حمّار |
Habit. | Kebraouêne. | كبراوين |
Bras, Coudée. | Fous. | فوس |
Œil. | Thoth, pl. thaouene. | طوط طاوين |
Femme. | Taltan. | تلتان |
Père, Mère. | Abba, Omma. | ابَّ امَّ |
[392]Pour la conformité des deux orthographes, il faudrait remplacer la lettre m par un n, ou le ن par un م ; mais nous n’avons rien voulu changer au manuscrit de M. Müller. Si ce Fragment eût été plus étendu, il aurait été l’objet d’un travail semblable à celui que nous devons à M. Agoub sur le Vocabulaire d’Audjelah ; il suffit de dire ici qu’il contient une vingtaine de mots arabes et que le غ y est presque toujours représenté par les lettres rh.
Carte de la Marmarique et de la Cyrénaïque, comprenant les Oasis voisines de ces contrées, dressée par l’auteur, d’après ses observations astronomiques et ses itinéraires, et appuyée en plusieurs points sur les cartes et les observations les plus récentes.
Privé durant son voyage de garde-temps, l’auteur n’a pu déterminer la position des lieux en longitude, qu’en suivant les rumbs de vent de la boussole, et en supputant les heures de marche. Quant à la fixation de la latitude de ces lieux, et relativement à ceux situés dans l’intérieur des terres, il s’est servi d’un octant et d’un horizon artificiel, avec lesquels il a pu faire de fréquentes observations, mais seulement jusqu’au mois de février, c’est-à-dire, jusqu’à ce que la hauteur du soleil n’eût pas dépassé quarante-cinq degrés. Les principaux lieux observés sont :
Noms des lieux. | Latitude septentrionale. | ||
---|---|---|---|
Boumnah (ruines d’un château), vallée Maréotide | 30° | 51′ | 35″ |
Ghattadjiah (ruines de Marée) | 30 | 40 | 50 |
Abousir (ruines d’) | 30 | 57 | 40 |
Lamaïd (château), fond du golfe des Arabes | 30 | 52 | 00 |
Abdermaïn, puits | 30 | 45 | 57 |
Dresièh (ruines de la ville de) | 30 | 54 | 00 |
Maktaéraï, bourgade troglodyte | 30 | 59 | 00 |
Puits d’El-Heyf | 31 | 9 | 50 |
Djamernèh (ruines de), bourgs d’Antiphræ | 31 | 6 | 00 |
Mahadah (port de) | 31 | 11 | 57 |
Zarghah-el-Ghublièh, tombeau | 31 | 7 | 40 |
Parætonium (extrémité orientale du port de) | 31 | 18 | 00 |
Boun-Adjoubah, ruines de l’ancienne Apis | 31 | 20 | 35 |
Chammès, tour d’Alchemmas | 31 | 30 | 35 |
Zemlèh, puits au-dessus du plateau de Za’rah | 31 | 38 | 00 |
[362]Djédid, ruines dans la vallée des Lauriers | 31 | 45 | 30 |
Combous, ruines | 31 | 50 | 00 |
Toubrouk (côté septentrional du port de) | 32 | 5 | 30 |
Klekah, ruines | 32 | 4 | 50 |
Ain-el-Gazal, source située à l’extrémité orientale du golfe de Bomba | 32 | 10 | 30 |
Ersen ou Erasem, source située à l’extrémité orientale du plateau cyrénéen | 32 | 31 | 20 |
Derne | 32 | 47 | 30 |
Ghardam, ruines d’Hydrax, ancien village situé sur les confins méridionaux des terres fertiles | 32 | 35 | 55 |
Bou-Hassan, tour | 32 | 37 | 5 |
Koubbèh, ruines d’anciens thermes | 32 | 46 | 10 |
Maârah, château | 32 | 49 | 00 |
Massakhit, ruines d’une ville | 32 | 50 | 5 |
Lameloudèh, ruines de Limniade | 32 | 46 | 15 |
Natroun, ruines d’Erythron | 32 | 55 | 00 |
Village au fond du golfe Naustathmus | 32 | 54 | 00 |
Hal-Al, extrémité du promontoire Naustathmus | 32 | 56 | 20 |
Boumnah (château de), Cyrénaïque | 32 | 44 | 20 |
Lemlez, château | 32 | 50 | 30 |
Téreth (Thintis) | 32 | 46 | 00 |
El-Hôch, sanctuaire | 32 | 49 | 20 |
Ouma-Bneib, ruines d’un village | 32 | 51 | 50 |
Zaouani (mausolées de) | 32 | 53 | 50 |
Ghernès, ruines d’une ville | 32 | 46 | 2 |
Saf-Saf, ruines | 32 | 47 | 30 |
Cyrène | 32 | 47 | 30 |
Magharenat, magasins souterrains | 32 | 50 | 00 |
Apollonie | 32 | 54 | 25 |
Ptolémaïs | 32 | 44 | 00 |
Teuchira | 32 | 34 | 00 |
Ben-Ghazi (Bérénice) | 32 | 8 | 5 |
Carte de la partie orientale de la Pentapole libyque, dressée par l’auteur.
La lisière blanche, qui suit les sinuosités de la côte, doit représenter la petite plaine d’un quart de lieue environ de largeur qu’on y rencontre partout,[363] entre les bords de la mer et les premiers escarpements de la montagne, depuis Derne jusqu’au cap Phycus. Le travail topographique de la partie septentrionale donne une idée de la disposition des terrasses boisées qui s’élèvent en échelons depuis le littoral jusqu’au sommet des montagnes ; et celui de la partie méridionale représente une portion du plateau cyrénéen, ondulé en tous sens de vallées peu profondes.
Plan des ruines de Cyrène, levé en 1825.
Ce plan a été dessiné et réduit au 8000e, sous la direction de M. le chevalier Lapie, par M. Dufour, que recommandent déja plusieurs importants travaux géographiques. Le dessin répond exactement aux mesures géométriques prises à Cyrène, et explique suffisamment la disposition du petit nombre de débris qui existent encore de cette ville célèbre. Il suffit d’ajouter que la partie inférieure du plan représente le point le plus culminant du plateau cyrénéen, la plaine sur laquelle fut bâtie la ville ; et que la partie supérieure, sillonnée par les eaux de la fontaine d’Apollon, doit figurer un terrain inégal, rocailleux, couvert çà et là de quelques genévriers, qui s’étend au bas de la Nécropolis. Quant à la Nécropolis elle-même, presque totalement taillée dans le revers de la montagne, on a essayé d’en indiquer le gisement et la disposition par des ombres, selon la méthode adoptée pour la cartographie.
VUE D’UN TEMPLE ANTIQUE SITUÉ A ABOUSIR.
Ces ruines se trouvent sur une crête rocailleuse, couverte de sables, à quelques pas des bords de la mer, et au nord de l’ancienne ville de Taposiris, dont elles font partie. Les dimensions générales du mur d’enceinte sont de quatre-vingts mètres de chaque côté ; celui qui forme la façade dans le dessin est tourné vers l’orient. Selon toutes les apparences, elles sont les débris d’un temple égypto-grec. MM. de Chabrol, Lanout, Faye et Lepère, qui ont visité ce monument, y ont trouvé dans l’intérieur des chapiteaux d’ordre dorique.
Ruines d’une mosquée située aux environs du lac Maréotis.
Ce petit édifice, construit avec les débris de monuments plus anciens, est situé sur la lisière qui sépare les terres labourables de la vallée Maréotide du désert de sables. D’après une assez grande quantité de ruines parsemées aux environs de cette mosquée, et portant la plupart des signes de réédification, on pourrait croire que ce lieu offre l’emplacement de la ville de Marée, capitale du nome Maréotide.
Vue d’un ancien phare, à Abousir.
Ce monument, vulgairement appelé Tour des Arabes, sert aux marins actuels, à défaut d’autre élévation sur cette côte, à reconnaître la position d’Alexandrie. Sa situation sur une petite colline qui domine les ruines de Taposiris, plus que sa propre élévation, lui donne cette utilité qui, d’ailleurs, fut sa véritable destination dans l’antiquité. La plaine qui forme le second plan du dessin, peut donner une idée de l’aspect de la vallée Maréotide, en y ajoutant toutefois plus de végétation fruticuleuse que n’en offre la planche.
VUE DU CHATEAU LAMAÏDE.
Ce château est situé sur les bords de la mer, au fond du golfe des Arabes, et auprès d’une dune de sables qui côtoie une grande partie du littoral de la Marmarique. Entre les frises de l’ogive en relief qui décore la façade, on voit une inscription en grands caractères sculptés en relief, par laquelle on apprend que cet édifice fut construit par le sultan Bibars, contemporain de saint Louis. (Voyez la traduction de cette inscription, par M. A. Jaubert, insérée dans la Relation, p. 12.)
Vue d’un édifice antique, à Kassaba-Zarghah el-Baharièh.
Ce mausolée fut construit, ainsi que le dessin l’indique, sur un petit plateau[365] calcaire, éloigné de deux portées de fusil environ des bords de la mer. Le côté septentrional du plateau contient des excavations sépulcrales ; et sa surface, si ce n’est en totalité, du moins en partie, fut pavée en larges blocs de pierres équarris. Ces divers tombeaux faisaient infailliblement partie du cimetière de la petite ville de Zygis, dont les débris sont épars sur la plaine, couverte de flaques d’eau salée, qui sépare ces monuments des bords de la mer, et dont le port, actuellement nommé Mahadah, se retrouve aussi à peu de distance vers l’est.
Vue d’un édifice antique, à Kassaba-Zarghah el-Ghublièh.
Quoique ce petit monument, qui servit comme le précédent de tombeau, en soit éloigné d’une heure vers le sud, sa situation sur le point le plus élevé du canton, et son isolement, portent à croire qu’il fut de même construit par les habitants de Zygis, mais probablement à une époque antérieure, ce que semble attester la diversité du style de leur architecture. Les rangées de pierres disposées en forme elliptique, que l’on voit auprès de cet ancien édifice, donnent une juste idée de l’architecture de la plupart des tombeaux bédouins.
PLANS, COUPES ET DÉTAILS DE DIVERS MONUMENTS DE LA MARMARIQUE.
Fig. 1, 2.
Places de deux grottes sépulcrales du mont Bomboa, décrit par Synésius.
Fig. 3.
Coupe et distribution du fond d’une pièce d’une des précédentes grottes sépulcrales.
Fig. 4.
Place de la mosquée, dite Ghettadjiah, située dans la vallée Maréotide.
Fig. 5.
Coupe de la façade d’un tombeau égypto-grec, nommé Kassaba el-Chammamèh, situé aux environs du golfe des Arabes.
Fig. 6.
Côté intérieur des murs de l’enceinte de la ville de Toubrouk.
VUE DU CÔTÉ ORIENTAL DE LA VILLE DE DERNE.
Le village qui occupe la majeure partie du dessin est Mansour-el-Tahatâni, un des cinq qui composent collectivement la ville de Derne. C’est sur la plaine qui règne au bas de ce village que se trouve le cimetière général de la ville. Il est remarquable que les habitants choisissent l’opuntia pour orner leurs tombeaux préférablement au cyprès, si commun dans le pays, et que les Orientaux ont l’habitude, comme on sait, de placer auprès de leurs sépultures. Le château, flanqué de quatre tours, qui domine, la ville, fut construit par les Américains durant le court espace de temps qu’ils furent maîtres de Derne.
GROTTES SÉPULCRALES, DITES KENNISSIÈH, SITUÉES AUPRÈS DE L’ANCIENNE DARNIS.
On parvient à ces grottes par des marches taillées dans les endroits les plus abrupts d’un ravin situé aux bords de la mer. Les grandes niches creusées aux côtés de l’entrée principale, et les emblêmes du christianisme qu’on y trouve dans l’intérieur, justifient le nom d’église que leur donnent les Arabes.
VUE D’UN PONT, DANS LE VALLON DE DERNE.
Le principal objet de ce pont est de servir d’aquéduc au ruisseau Bou-Mansour, dont le cours actuel, à travers les petites terrasses cultivées du vallon de Derne, était interrompu par le ravin el-Brouis, représenté dans cette planche. Cet édifice a été élevé, il y a peu d’années, par les ordres et aux frais de Mohammed-el-Gharbi, envoyé des États barbaresques auprès du vice-roi d’Égypte ; ce qui peut donner une idée du goût pour la civilisation et les établissements utiles, que Mohammed Aly communique à ceux qui l’entourent, lors même qu’ils sont indépendants de son pouvoir.
RUINES DE KOUROUMOUS. — INTÉRIEUR DU CHATEAU EL-HARAMI.
Ce monument, situé aux confins méridionaux des terres fertiles de la Cyrénaïque, faisait partie des tombeaux de l’ancien village d’Hydrax.
Le nom de ce château sarrasin répond à l’usage auquel il servit pendant long-temps. Situé à dix lieues de Derne, et à l’extrémité des gorges étroites et boisées de Maârah et de Tarakenet qui conduisent à cette ville, il offrait aux bandits un lieu de repaire très-favorable pour dépouiller les voyageurs qui se rendaient à Derne. Les tribus des environs se sont réunies, il y a peu d’années, et en démolissant le château elles ont rendu leur contrée plus praticable.
VUE, COUPE ET PLAN D’ANCIENS THERMES SITUÉS DANS LA VALLÉE DE KOUBBÈH.
Il paraît qu’indépendamment des différentes pièces dont ces thermes étaient subdivisés, ils contenaient un nombre considérable de cuves monolithes qui en faisaient le tour, et étaient situées sur un plan inférieur à celui du reste de l’édifice ; apparemment pour recevoir plus facilement les eaux par des rigoles. Celles de ces cuves qu’on tailla dans le roc même y existent encore à leur place ; et d’autres, formées séparément de blocs détachés, se trouvent dispersées çà et là au milieu des ruines, et servent aux Arabes d’abreuvoirs pour leurs troupeaux.
Fig. 1.
Coupe d’une galerie intérieure des thermes, adossée contre la colline, et se trouvant actuellement à découvert. En confrontant cette élévation avec la vue en perspective, on reconnaîtra les parties qui ont été restaurées.
Fig. 2.
Plan de la même galerie : la grotte que l’on voit dans le massif d’ombres est taillée autour de la source qui alimentait les thermes, et dont les eaux passaient au-dessous de la galerie par un canal souterrain.
Fig. 1.
Vue de deux hypogées funéraires, situés dans la vallée de Koubbèh : les niches de formes diverses qui en entourent les entrées, indiquent qu’ils ont servi aux chrétiens de la Cyrénaïque.
[368]Fig. 2.
Plans des deux hypogées précédents : leur position sur la planche relativement au dessin de perspective, désigne l’hypogée auquel ils appartiennent.
Fig. 3.
Plan du château de Chenedirèh.
Fig. 4.
Plan des ruines du temple de Vénus, situé auprès de l’ancienne station d’Aphrodisias.
VUE DES GROTTES SÉPULCRALES DE MASSAKHIT.
Tel est l’aspect qu’offrent un grand nombre de petites Nécropolis des anciens bourgs de la Cyrénaïque : une falaise irrégulière dans laquelle sont creusées en tous sens des grottes sépulcrales. Sur le devant, comme dans celle-ci, s’étend ordinairement un beau tapis de verdure ou un champ de céréales ; et sur le sommet sont épars les débris du bourg. Le grand nombre de niches de toutes formes que l’on voit, soit dans les métopes et les entre-colonnements de la façade, soit isolément sur le mur de la falaise, appartiennent au moyen âge.
PLAN ET INTÉRIEUR D’UN HYPOGÉE CHRÉTIEN, A MASSAKHIT.
Ce tombeau fait partie de la même Nécropolis. Les emblèmes chrétiens et le[369] arabesques qu’il contient, confirment évidemment l’opinion émise relativement à l’époque à laquelle on vient d’attribuer les niches qui couvrent la falaise sépulcrale de la planche précédente.
VUE D’UN CHATEAU ANTIQUE, SITUÉ DANS LA PLAINE DE CHENEDIRÈH, ENTRE LES ANCIENNES VILLES D’ERYTHRON ET DE LIMNIADE.
Tel est le coup d’œil que présentent constamment, à plus ou moins de conservation près, ces nombreux châteaux romains que l’on trouve sur chaque élévation qui avoisine la moindre bourgade de la Cyrénaïque. Les Arabes les désignent tous indistinctement par le nom de Sirèh, mot remarquable qui offre une analogie palpable avec celui de Cyré ou Cyra, que les anciens Libyens donnaient à la montagne sur laquelle fut bâtie Cyrène, et qui signifiait peut-être dans leur langage montagne ou élévation.
VUE DU KASSR SENNIOU. — CIMETIÈRE ANTIQUE A SAFFNÈH.
Ce château fut construit par les Sarrasins avec les débris d’un ancien monument. Le souterrain dont on aperçoit l’entrée sur la planche, contourne une partie de l’édifice, et fut destiné à contenir des tombeaux. Cette disposition se rencontre souvent dans la Cyrénaïque auprès d’autres ruines semblables à celles-ci, telles que Maârah, Chenedirèh et autres.
Ce cimetière, malgré l’ogive des voûtes, appartient à une époque antérieure à l’invasion des Sarrasins dans la Cyrénaïque. On sait d’ailleurs que les monuments sarrasins de cette période contiennent des voûtes en fer à cheval : les ruines de Ladjedabiah (Voy. Planche LXXXIX) nous en offrent des preuves, même dans cette contrée.
VUES DES MAUSOLÉES SITUÉS DANS LA PLAINE DE ZAOUANI, AUX ENVIRONS DU GOLFE NAUSTATHMUS.
Ces tombeaux, les plus élégants et les mieux conservés de tous ceux que l’on trouve dans la Cyrénaïque, joints à un grand nombre d’autres en partie[370] détruits et à de belles grottes sépulcrales ornées de façades doriques, formaient la Nécropolis d’une ville très-considérable, inconnue des anciens géographes. Les ruines de cette ville ont même conservé chez les Arabes une désinence grecque : elles sont appelées Ghertapoulous ; on les rencontre à un quart d’heure de distance des tombeaux vers le nord, et au sommet d’un profond ravin qui correspond au fond du golfe Naustathmus. Il faut aussi faire remarquer que, de même que la plupart des ruines des villes et villages de la Cyrénaïque, celles-ci offrent des témoignages marquants du séjour qu’y ont fait les Chrétiens. On est donc en droit d’être surpris que les auteurs de cette dernière période aient, comme ceux de la haute antiquité, négligé de parler de cette ville, qui, d’après sa situation auprès de la plus belle rade de la Cyrénaïque et ses magnifiques débris, dut infailliblement jouer un rôle important dans l’histoire de cette contrée.
COUPES, PLANS ET DÉTAILS DES MAUSOLÉES DE ZAOUANI.
Fig. 1.
Coupe de la façade du mausolée de la planche xvi.
Fig. 2.
Coupe de la façade du mausolée de la planche xvii.
Fig. 3.
Coupe du Mausolée, formant un carré rectangle, de la planche xviii.
L’intérieur de cet élégant édifice est subdivisé en trois cloisons, sans ouverture extérieure, et remplies chacune d’ossements d’enfants en bas âge.
VUE D’UN ÉDIFICE ANTIQUE NOMMÉ GHABOU-DJAUS.
Ces ruines, pittoresquement situées sur le penchant d’une belle colline, faisaient partie d’un monument plus considérable, et un des plus anciens de la Cyrénaïque parmi ceux dont il existe encore des débris, mais dont il serait difficile d’assigner la véritable destination.
RUINES DU CHATEAU DIOUNIS, SITUÉ DANS LA PLAINE DE L’ANCIENNE THINTIS.
Ce château offre un exemple du système qui paraît avoir été adopté de tous temps en Cyrénaïque pour la construction des châteaux, consistant dans une double ou triple superposition de pièces voûtées. Le témoignage des ruines actuelles permet de dire que ce système fut établi par les Grecs, adopté par les Romains et imité par les Sarrasins. Les châteaux évidemment grecs de Lemschidi et de Lemlez auprès du golfe Naustathmus ; ceux de Chenedirèh, d’Ay-Thas, de Tebelbèh, de Thaoughat, de Boumnah, de l’époque romaine, caractérisée par les voûtes en plein cintre ; et enfin, ceux de Mouchedachieh, d’El-Harâmi, de Bénéghdem et de Diounis, évidemment sarrasins, offrent des preuves encore existantes de ce système de superposition adopté successivement par les divers peuples qui ont occupé la Cyrénaïque.
VUE DES RUINES DE DIABORAH.
Le mur d’enceinte dessiné sur le premier plan de cette planche appartient à un vaste édifice funéraire, le seul de ce genre que l’on trouve dans la Cyrénaïque. Les tombeaux qui l’entourent sont la plupart taillés dans le roc vif, et peuvent donner une idée de l’aspect qu’offrent en Cyrénaïque un grand nombre de petites Nécropolis dépendant des villes ou des villages situés dans les plaines, dépourvues d’élévations suffisantes pour y creuser des grottes sépulcrales.
VUE DE LA PARTIE SEPTENTRIONALE DES RUINES DE GHERNÈS.
Le principal édifice que renferme cette planche paraît être d’anciens thermes, dont les voûtes en plein cintre indiquent l’époque romaine. Les petits soupiraux que l’on voit à la partie supérieure des voûtes, offrent une analogie marquante avec la disposition des bains actuels de l’Orient.
VUE D’UN TOMBEAU CIRCULAIRE, SITUÉ SUR UNE COLLINE AUPRÈS DE GHERNÈS.
Les mausolées de forme circulaire sont très-rares dans la Cyrénaïque ; et il[372] est à remarquer qu’ils furent ordinairement construits sur des élévations et presque toujours isolément, de manière qu’on pût les apercevoir de très-loin. La grande excavation que l’on voit au-dessous de ce mausolée fut destinée à servir également de tombeau : l’avenue taillée dans le roc qui en précède l’entrée se retrouve auprès de toutes les grottes sépulcrales, toutes les fois que les localités l’ont permis.
PLANS ET COUPES DE DIVERS MONUMENTS DE LA CYRÉNAÏQUE ET DE L’OASIS D’AUGILES.
Fig. 1.
Plan des bains de Ghernès.
Fig. 2.
Plan du tombeau circulaire situé auprès de Ghernès.
Fig. 3.
Coupe de la porte d’un édifice de la ville de Ghernès.
Fig. 4.
Plan d’un souterrain de la ville de Limniade.
Fig. 5.
Plan d’un réservoir de la ville de Limniade.
Fig. 6.
Monuments trouvés à l’Oasis d’Augiles, et appartenant probablement au culte funéraire des anciens Augilites.
VUE DE MARSAH-SOUZA, ANCIEN PORT DE CYRÈNE.
Le massif de ruines attenant au premier plan de ce dessin est un rocher subdivisé intérieurement en plusieurs salles sépulcrales envahies par la mer ; il se trouve à l’extrémité occidentale du port. Les deux îlots que l’on voit aussi dans cette planche sont couronnés de débris d’anciennes fortifications, et durent, dans l’antiquité, former l’entrée du port de Cyrène.
COLONNES ET CHAPITEAUX DE DIVERS TEMPLES DE LA CYRÉNAÏQUE.
Fig. 1.
Colonne de marbre pentélique faisant partie des ruines d’un temple d’Apollonie.
Fig. 2.
Colonne de marbre blanc appartenant à une église d’Apollonie. Le socle quadrangulaire, orné d’une croix sculptée en relief, qui est placé dans la planche au bas de cette colonne, fait partie des ruines du même édifice.
Fig. 3, 4.
Chapiteaux de marbre blanc trouvés parmi les ruines de Beit-Tamer, ancien temple de Vénus, situé auprès de la station d’Aphrodisias.
Fig. 5.
Chapiteaux faisant partie des ruines du temple de Ptolémaïs.
Fig. 6.
Chapiteau d’un édifice de Teuchira.
Nota. On a oublié de mettre sur cette planche l’échelle de proportion des monuments qu’elle contient. La colonne de la fig. 1 a 6 mètres 2 décimètres de hauteur, y compris la base et le chapiteau ; le diamètre du fût est de 7 décimètres. On peut se servir de cette donnée pour connaître comparativement les dimensions et proportions de l’autre colonne et des divers chapiteaux contenus dans cette planche : ils ont été dessinés sur une échelle commune.
RUINES DU QUAI D’APOLLONIE.
Ce quai, dont il ne reste à peu près que les trois quarts, fut construit en demi-cercle composé de trente à quarante marches ; il formait par conséquent un vaste et magnifique amphithéâtre, sur les gradins duquel on montait les marchandises pour les introduire dans la ville. La situation d’Apollonie sur des rochers taillés en falaises motiva cette belle construction, qui devait dans l’antiquité présenter un coup d’œil fort agréable. Les édifices, qui entouraient le quai et le quart au moins de ses propres gradins, se sont écroulés à ses pieds et ont comblé le bassin semi-circulaire autrefois occupé par les eaux, dont il[374] ne reste plus que de petites flaques. Les figures placées, dans la planche, au sommet de cet édifice, peuvent servir d’échelle comparative pour en connaître les dimensions.
GROUPE D’HYPOGÉES, SITUÉS ENTRE CYRÈNE ET APOLLONIE.
Cette façade est remarquable en ce qu’elle offre une disposition architectonique qu’on ne retrouve point ailleurs en Cyrénaïque, même parmi la Nécropolis de Cyrène. Cette disposition consiste dans une série de cadres monolithes, ornés de pilastres et d’une frise en triglyphes, placés chacun au-dessus de l’entrée d’un caveau sépulcral, et figurant ensemble un grand entablement. Ces cadres, dont il ne reste qu’un seul debout, étaient destinés à contenir des inscriptions relatives aux personnes ensevelies dans le caveau qu’ils surmontaient ; quelques lettres très-frustes s’aperçoivent encore sur ceux de ces cadres qui sont renversés au-devant du monument.
VUES DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Ces dessins offrent collectivement la réunion des divers styles d’architecture employés successivement par les habitants de Cyrène à orner leurs tombeaux. Le dorique en forme le type principal, et l’imitation de l’architecture égyptienne s’y rencontre souvent, mais toujours dans les détails et jamais dans l’ensemble du monument. Le style propre à chacune des façades dessinées dans ces planches se trouve exactement répété, dans cette belle et vaste Nécropolis, sur une infinité d’autres façades de grottes sépulcrales plus ou moins détruites : il a paru suffisant de dessiner séparément les mieux conservées.
COUPES ET DÉTAILS DES FAÇADES DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Ces coupes, ainsi que les profils d’architecture qui les accompagnent, correspondent aux dessins en perspective des planches précédentes. Leur titre indique suffisamment celles des grottes auxquelles ils appartiennent, pour rendre toute autre explication superflue.
COUPES DE QUELQUES AUTRES FAÇADES DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Quoique ces façades soient d’un style différent de celles des planches précédentes,[375] et qu’elles en complètent même la série, il a paru suffisant d’en donner un simple dessin au linéament, sans augmenter le nombre des vues en perspective qui offrent entre elles, dans cette Nécropolis, trop de monotonie de situation.
VUE D’UN TOMBEAU, SITUÉ A L’EXTRÉMITÉ EST DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Même observation que pour la XXXIXe et la XLVIIe planche.
1. Coupe du tombeau situé à l’extrémité orientale de la Nécropolis de Cyrène.
2. Façade d’un autre tombeau.
Voir à la XXXIXe.
Plans de diverses grottes de la Nécropolis de Cyrène.
PEINTURE TROUVÉE DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Elle est taillée dans le flanc d’un ravin de la Nécropolis de Cyrène ; elle offre plus de richesses monumentales à elle seule que toutes les autres ensemble. Cette grotte, sans niches ni sarcophages, contient au milieu un puits sépulcral, et ses quatre parois sont couvertes de peintures qui paraissent représenter des jeux funéraires. La mieux conservée, comme la plus remarquable, est celle-ci : elle occupe toute la longueur d’une paroi : elle est composée d’une série de figures dont les unes, revêtues de riches costumes, exécutent une marche solennelle, et les autres, divisées en plusieurs groupes et couvertes d’une simple draperie, donnent l’idée du peuple de Cyrène qui assiste à la cérémonie et s’attroupe auprès des principaux personnages. En tête du tableau est une espèce de meuble, auprès duquel des jeunes gens sont occupés à préparer des mets, emblème sans doute des repas qui suivaient, dans l’antiquité, les fêtes populaires ; une table couverte de couronnes et de palmes le termine. Là se trouvent trois personnages mitrés, debout chacun sur un piédestal. L’un d’entre eux est appuyé sur une massue, l’autre paraît consacrer les palmes et[376] les couronnes, et le troisième, dans l’attitude d’orateur, semble attirer l’attention du peuple groupé auprès de lui.
Tel est l’effet, qu’indépendamment de toute induction scientifique, produit au premier coup d’œil cette peinture intéressante.
PEINTURE TROUVÉE DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Un berger y est représenté la houlette à la main, entouré d’un troupeau, et portant un mouton sur les épaules. On reconnaît bien là le bon pasteur de la chrétienté, d’autant plus que la roideur des draperies et le mauvais goût du dessin indiquent le moyen âge, époque de la décadence des arts. Mais voici encore autour du tableau des poissons de différentes espèces posés en offrande, intention tellement évidente, qu’ils sont trois fois au moins plus grands que les moutons et le berger, et que l’artiste les a détachés du fond du tableau par une forte ombre, comme s’il avait voulu les y représenter suspendus en ex-voto.
PEINTURES TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. 1 Paroi D ; 2 Paroi DX.
Elle représente une chasse et un cirque. La première surprend au premier aspect, à cause du cerf qui en forme le principal sujet, et contre lequel un chasseur anime le soulouc, qu’il retient d’une main par un lien, et de l’autre agite un fouet pour stimuler son ardeur. Or, le cerf, comme Hérodote a pris soin de l’affirmer, et malgré l’erreur commise par les Maronites dans la géographie nubienne, ne se trouve nulle part en Afrique. Il fut donc apporté par les Grecs dans la Pentapole libyque ; cette peinture semble l’attester, de même que la cause de la naturalisation dans cette contrée peut être expliquée par d’autres monuments. Il faut sans contredit l’attribuer au culte de Diane, une des principales divinités des Cyrénéens.
La seconde est fort bizarre, en ce qu’on y voit confondus des animaux féroces, tels que le lion, le léopard s’élançant sur un taureau, avec un bouc, des gazelles et des chiens lévriers, que l’on reconnaît de suite pour les souloucs indigènes de l’Afrique septentrionale.
PEINTURES TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. 1 Paroi c ; 2 Paroi a.
On y remarque une scène représentant la lutte et le pugilat. Certes voilà[377] des formes athlétiques bien prononcées, et exposées dans tout leur jour : pas même une simple feuille de vigne ! D’une part les efforts, et de l’autre l’aplomb, sont assez bien indiqués. Le sang coule des blessures et rougit le sol ; une des malheureuses victimes gît étendue sur l’arène ; du moins c’est là l’intention de l’artiste ; car, bien que l’athlète soit peint au-dessus du tableau comme s’il nageait dans les airs, il est censé placé sur un plan horizontal ; mais cette inexpérience de perspective est trop connue dans les peintures antiques, pour que nous soyons surpris de la retrouver ici. La même réflexion s’applique à la position aérienne de deux vases contenant l’huile et les pinceaux qui servaient à oindre le corps : ces détails n’offrent aussi rien que de très-connu. Il n’en est pas de même d’un scorpion suspendu à une main isolée, et ainsi représenté à côté du tableau. J’ignore si ce reptile dépourvu de venin peut devenir, comme tant d’autres, l’antidote du mal ; mais il est remarquable que les habitants actuels de la Cyrénaïque se servent, disent-ils, du scorpion pour arrêter la putréfaction des blessures.
La paroi suivant celle décrite plus haut était entièrement occupée par un combat de gladiateurs dont il ne reste malheureusement qu’un fragment. Les combattants, couverts de cuirasses, ont la figure garantie par un masque, et la tête ornée de grands panaches de diverses couleurs. Cette dernière particularité est remarquable en ce qu’elle n’existe, que je sache, dans aucun des sujets antiques analogues à celui-ci ; ce qui permet de croire que cet usage était local. Un homme à tête découverte, sans armure, et ayant seulement une baguette à la main, arrête le vainqueur ; tout porte à croire que ce personnage représente un héraut du camp. Quant aux détails de cette peinture relatifs aux diverses parties de l’armure et des gladiateurs, ils n’offrent rien qui ne soit connu par d’autres monuments anciens funéraires de l’antiquité, et notamment par les sculptures du tombeau de Scaurus, découvert aux ruines de Pompéi.
PEINTURES TROUVÉES SUR LA FRISE D’UN TOMBEAU, A Cyrène.
Ces peintures sont dans une petite salle dont les parois, très-unies et peintes d’un vert tendre, lui donnaient plutôt l’air d’un riant cabinet aérien que d’une excavation sépulcrale. Le fond de cette jolie grotte en rappelle seul la destination ; il est occupé par un sarcophage creusé dans le roc, et couronné d’une frise en triglyphes, contenant dans chaque métope une peinture élégamment miniée, et d’une conservation parfaite. Mais ce qui augmente la surprise, c’est de reconnaître dans la série de ces petits tableaux les principales phases, ou les diverses occupations de la vie d’une esclave noire ; du moins telle est l’induction[378] que j’ai tirée de ces charmantes peintures. J’ai cru y distinguer successivement les entretiens de l’amitié, l’éducation de jeune fille, l’ambition de la parure, les délassements figurés par l’exercice de la balançoire, le bain si nécessaire dans la brûlante Libye, et enfin le triste lit de mort sur lequel la négresse est étendue, les yeux éteints, et paraît être regrettée de son maître, le blanc Cyrénéen, que l’on voit à côté d’elle dans une attitude de douleur.
La coiffure et le costume de ces miniatures ne sont pas moins remarquables, tant par la forme que par la couleur. Les longues robes bleues sans agrafes, et les schalls rouges entrelacés avec les cheveux, ou couvrant la tête en guise de turban, offrent une analogie frappante avec l’habillement des modernes Africaines, et principalement avec celles qui habitent le Fezzan.
INTÉRIEUR D’UNE GROTTE SÉPULCRALE CHRÉTIENNE : NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
Lors même que les peintures qui en couvrent les parois n’offriraient pas le témoignage certain de cette époque religieuse, une inscription cursive, précédée de la croix, la prouverait irrécusablement. Mais il convient de donner auparavant une idée de l’architecture et de la distribution de ce nouvel hypogée. Le fond a un aspect vraiment monumental : un sarcophage s’y trouve creusé avec un art infini dans la paroi ; il est orné de guirlandes et de têtes de bouc, et couronné d’une petite voûte en plein cintre, sculptée en coquille : latéralement au sarcophage sont deux niches décorées chacune d’un vase d’une forme très-élégante. Les autres côtés de l’hypogée qui forment angle droit avec celui du fond, contiennent aussi des sarcophages et des cintres, dont les uns sont couverts de peintures, et les autres offrent les mêmes détails que le précédent. Ces irrégularités qui choquent dans la description, ne déplaisent pas à la vue du monument, puisqu’elles en varient l’aspect, et qu’elles correspondent d’ailleurs symétriquement entre elles. Quant aux peintures qui le bariolent bien plus qu’elles ne l’embellissent, voici quels en sont les emblèmes.
Celui qu’on y a le plus souvent reproduit est la vigne du Seigneur ; mais ce symbole des premières époques de la chrétienté, n’imite pas mal ici, par sa disposition, le thyrse de Bacchus. La voilà avec ses longues lianes, ses grappes pourprées, et ses larges feuilles grimpant autour de longs bâtons placés à côté des sarcophages. Autre part elle couvre des treillages figurés dans l’intérieur des cintres, ou bien elle forme une frise de festons tout autour du monument. Après cet emblème, le paon, accompagné de poissons, est celui qui frappe plusieurs fois les yeux. Dans d’autres grottes de la Nécropolis, je l’ai rencontré quelquefois peint isolément au-dessus de sarcophages, et je le vois ici formant[379] le sujet principal d’un tableau qui occupe toute l’étendue d’un cintre. Il est placé dans un panier à anses, déployant circulairement la queue au milieu de bouquets de fleurs, parmi lesquelles il n’est point superflu de nommer des soucis et des pensées, qu’on aperçoit parmi des touffes de roses. L’oiseau de Cérès est sans doute représenté dans ces lieux funèbres en guise d’offrande ; j’en ignore la cause allégorique.
VUE D’UN SARCOPHAGE, DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE A CYRÈNE.
Elle est située à l’ouest de la Nécropolis de Cyrène ; le sarcophage qui s’y trouve est magnifique, il est en marbre blanc avec son couvercle. Cette grotte, dont l’entrée et l’intérieur sont très-détériorés, formait une pièce ayant trois subdivisions, dont deux latérales à l’entrée, et la troisième au fond. Elles contenaient chacune un sarcophage en marbre de styles différents. Celui-ci est le seul conservé ; il a sur sa façade quatre cariatides, dont deux figures de filles et deux de garçons. Ces figures, ainsi que tous les autres dessins, sont sculptées en bas-relief ; elles soutiennent des guirlandes composées de feuilles de différentes espèces, de fleurs et de fruits. Au milieu et entre la guirlande soutenue par les figures de filles, est une tête de grandeur naturelle ; au milieu du cou est un nœud avec deux ganses. Entre les deux autres guirlandes, soutenues de chaque côté par deux cariatides de deux sexes, sont des têtes d’enfant. Les figures sont d’un bon style ; les draperies sont bien ménagées, et nouées à la grecque au-dessous du sein. Des trous ont été pratiqués en différents endroits sur cette façade, par les Arabes, dans le but de connaître ce que contenait le sarcophage avant qu’ils aient pu remuer le couvercle, qui se trouve maintenant un peu détourné. Aux deux côtés qui forment les extrémités du sarcophage est un simple réseau, au milieu d’une guirlande de même nature que celles de la façade, mais le dessin est brut. Il a sept pieds cinq pouces de long sur trois pieds huit pouces de large ; la hauteur de la caisse est de trois pieds trois pouces, et celle du couvercle d’un pied trois pouces.
FRAGMENTS DE SARCOPHAGES EN MARBRE.
Dans une chambre voisine de celle où j’ai trouvé le sarcophage décrit plus haut, je fis déblayer différents blocs de marbre ; un beau fragment m’offrit un guerrier armé de sa cuirasse, paraissant prêt à immoler une mère dont le fils est étendu à ses pieds. Ce même fragment, qui est la base mutilée du sarcophage,[380] offre à son grand côté des restes d’une scène de même nature, des chevaux et des chiens pêle-mêle, fuyant précipitamment. Ce bas-relief permet de croire que le sarcophage a dû contenir un guerrier, ou une victime des fureurs de la guerre.
SARCOPHAGE SITUÉ DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE, PRÈS DE LA FONTAINE D’APOLLON, A CYRÈNE.
Il est en marbre blanc, ayant deux griffons sur un des grands côtés en bas-relief. Ils appuient une pate sur une espèce de vase long ou candelabre, d’où sort de la flamme ; les trois autres côtés du même dessin ont une frise en guirlandes, au sommet, suspendue à des têtes de bouc ; à leur base est une autre guirlande, et au fond un dessin en lignes contournées en S.
TORSE COLOSSAL EN MARBRE, PARMI LES RUINES DE CYRÈNE.
Il se trouve à soixante et dix mètres, vers l’ouest, du temple de César. Il est d’une grandeur colossale, en marbre blanc, représentant un guerrier. La cuirasse, enrichie de sculptures d’un travail fini, est d’une belle conservation ; on y distingue les emblèmes suivants : au milieu du poitrail une figure de femme ailée, la tête couverte d’un casque, et tenant d’une main un glaive, et de l’autre un bouclier, se tient debout sur une louve : il est presque inutile de dire que c’est là l’emblème de Rome la guerrière, portée par l’animal qui allaita son premier roi. Deux autres figures également ailées, sculptées latéralement à la précédente, paraissent représenter les génies qui présidaient aux destins de la ville héroïque. Les écailles semi-sphériques de la cuirasse, qui couvrent les bandelettes libyennes, contiennent aussi chacune des sculptures en relief, disposées symétriquement, parmi lesquelles on remarque des dauphins, les têtes de Mercure et d’Apollon, les aigles de Rome, et autres symboles qui contribuent à orner ce beau torse sans trop le charger.
Si l’on se rappelle maintenant la situation de ce précieux monument, si l’on observe ses dimensions colossales et le fini du travail, il est hors de doute qu’on ne manquera pas de reconnaître en lui la statue de l’empereur César, que les Barbares, en dépit de son apothéose, ont chassée de la superbe enceinte, et fait rouler dans ce champ avec les colonnes et les voûtes qui en relevaient autrefois l’éclat.
(Portant par erreur le no LIX à double.)
Fig. 1.
Plan des ruines d’un temple situé à Ptolémaïs.
a. Pronaos qui contient encore trois colonnes debout avec leurs chapiteaux (Voyez pl. LXVIII).
b. Ouvertures qui communiquent à un souterrain voûté, divisé en neuf corridors, et destiné probablement à contenir de l’eau, usage qu’il offre encore maintenant.
Fig. 2.
Plan d’une ancienne caserne de la même ville.
a. Côté du mur où se trouve le rescrit d’Anastase Ier. Voyez Relat., page 179.
b. Pièce contenant encore les anciens fourneaux de la caserne.
c. Escalier pratiqué dans l’intérieur du mur et tout le long de l’enceinte.
d. Entrées voûtées.
e. Soupirail.
Fig. 3.
Plan d’un château sarrasin, situé sur la route qui conduit de Cyrène à Ptolémaïs.
BAS-RELIEF ET TÊTES EN MARBRE, PARMI LES RUINES DE CYRÈNE.
Parmi les débris du temple d’Apollon, on trouve ce bas-relief en marbre, représentant une jeune femme nue jusqu’à la ceinture, sans attribut de déesse, et paraissant couronner un buste dont il manque la tête.
Ces deux têtes ont été trouvées parmi les ruines de Cyrène ; elles sont de marbre blanc. L’une est d’une dimension colossale, et l’autre de grandeur naturelle.
PLAN D’UN HYPOGÉE, DIT KENNISSÈH (LES ÉGLISES) FAISANT PARTIE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
C’est au fond de cet hypogée que se trouvent les deux grottes de la planche[382] XXXIX. Il est situé à peu près au milieu de la Nécropolis de l’Est, et est le plus remarquable de tous par sa grandeur et ses distributions.
INSCRIPTIONS TROUVÉES A CYRÈNE.
INSCRIPTIONS TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UN SANCTUAIRE, A CYRÈNE.
INSCRIPTIONS TROUVÉES A CYRÈNE.
VUE DU CHATEAU DE BÉNÉGDEM, SITUÉ SUR LA ROUTE DE CYRÈNE A PTOLÉMAÏS.
Il est situé à l’ouest de Cyrène, et à une journée de chameau de la mer ; il a vingt-deux mètres et vingt centimètres de longueur, sur quarante-trois mètres quatre-vingt-cinq centimètres de largeur, formant un carré oblong. Sa longueur est de l’Est à l’Ouest. Ses deux grands côtés ont au milieu de leur longueur une tour carrée de six mètres quarante-cinq centimètres de largeur. Ces tours attenantes au mur d’enceinte forment deux ailes au monument, se projetant en dehors ; elles ont chacune une pièce voûtée ; le tout construit en dalles calcaires, liées entre elles par du ciment.
VUE DES RUINES D’UN TEMPLE A PTOLÉMAÏS.
Le premier plan de cette vue représente le parvis du temple, formé par une espèce de stuc, dans lequel sont enchâssés des cailloux roulés. Plusieurs ouvertures sont pratiquées sur la surface du parvis, qui en quelques endroits conserve encore des restes d’une mosaïque grossière, dont il était généralement revêtu. Les trois colonnes encore debout sont probablement le reste du propylée. On voit sur le massif de construction qui leur sert de base générale, deux inscriptions grecques dont une est renversée.
(Portant par erreur le no LXVIII à double.)
VUE DES RUINES DE LA PORTE OCCIDENTALE DE PTOLÉMAÏS.
Deux grands massifs d’une égale dimension, ayant à leur côté Est une ouverture carrée à mi-distance de leur hauteur, portent à croire qu’ils peuvent être les restes de l’ancienne porte de Ptolémaïs, à l’extrémité Ouest de laquelle ils se trouvent. Les ruines du temple, qui est l’objet de la vue précédente, se voient à l’Est.
VUE DES MONUMENTS FUNÉRAIRES, SITUÉS A L’OUEST DES RUINES DE PTOLEMAÏS.
Le principal de ces tombeaux est construit sur un rocher taillé carrément. Il est orné à son sommet d’une frise du même style que celles que nous avons observées dans la Nécropolis de Cyrène. Il forme intérieurement une galerie, ayant de chaque côté cinq caisses ou caveaux dont les entrées sont ornées de frises simples, mais d’un bon goût. Au-dessus des caveaux est un second étage divisé en plusieurs pièces. Les autres tombeaux ou masses carrées que l’on aperçoit auprès de celui dont nous venons de parler, sont formés par des rochers isolés, dans l’intérieur desquels on a taillé une ou plusieurs chambres. L’extérieur est taillé à peu près en carré d’une manière assez grossière.
PLAN, COUPE INTÉRIEURE ET DÉTAILS DU GRAND TOMBEAU, SITUÉ A L’OUEST DE PTOLÉMAÏS.
Voyez Relation, pages 180 et 181.
INSCRIPTION GRAVÉE SUR UNE CASERNE ANTIQUE A PTOLÉMAÏS.
(Cette dernière porte par erreur le no LXXIX.)
INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS.
INSCRIPTIONS GRAVÉES SUR LES TOMBEAUX DE PTOLÉMAÏS.
INSCRIPTIONS TROUVÉES A TEUCHIRA.
ENCEINTE DE L’ANCIENNE VILLE DE TEUCHIRA.
Les ruines de cette ville sont entourées d’une muraille d’enceinte, formant un carré irrégulier de deux milles environ de circonférence. Cette muraille, d’une belle conservation, et flanquée de tours à ses angles, a été redressée avec des matériaux d’édifices anciens.
a. Bassins taillés dans la roche et creusés à leurs parois en grottes sépulcrales.
b. Grande tour au centre de laquelle est un puits.
c. Tours quadrangulaires qui servaient à défendre la ville.
d. Côté de l’enceinte qui côtoie les bords de la mer ; il est presque totalement détruit.
VUE D’UNE GROTTE SÉPULCRALE, APPARTENANT AU MOYEN AGE, ET FAISANT PARTIE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE.
RUINES D’UN GRAND MONUMENT SARRASIN A LADJEDABIAH.
VUE D’UN CHATEAU SARRASIN A LADJEDABIAH.
On trouve ces ruines à treize lieues du cap Carcora, à trois des bords de la mer. Voyez Relation, pages 268 et 269.
VUE D’UN VILLAGE EN BRANCHES DE PALMIERS, A L’OASIS DE MARADÈH.
A peu près au centre de Maradèh proprement dite est un rocher sur lequel[385] sont les ruines d’un village, ayant un mur d’enceinte, et construit en pierres et terre : de ce point, on aperçoit toute l’étendue de l’Oasis au Nord de ces ruines ; derrière une petite chaîne de monticules ou rochers, qui divisent cette Oasis en deux parties, sont les ruines d’un autre hameau construit de la même manière que le précédent, ayant au milieu une espèce de tour carrée, comblée maintenant, et qui a dû servir de lieu de défense aux anciens habitants. Les nomades des environs de la Syrte viennent chaque année y recueillir les dattes ; mais n’osant résider dans les villages ruinés, livrés au pouvoir des esprits, ils se sont construit séparément des habitations en branches de palmiers.
VUE DE L’OASIS DE LECHKERRÈH, VOISINE D’AUGILES.
Dans cette Oasis, de même qu’à Maradèh, il n’y a point de village bâti, ce sont des huttes en branches de palmiers, entourées d’une enceinte de même nature. Les Arabes de Barcah y viennent séjourner en été avec leurs bestiaux, y sèment un peu d’orge, et recueillent les dattes, pour lesquelles ils paient un tribut au pacha de Tripoli. Je n’y ai trouvé qu’une dixaine d’hommes qui y sont domiciliés, et dont les ressources consistent en quelques chèvres. Ces habitants sont loin d’offrir l’aspect malheureux de ceux de Maradèh. On voit à Lechkerrèh un grand carré, ou enceinte fermée par un mur peu élevé, construit en pierres et terre, et ayant intérieurement à chaque angle une espèce de tour dont l’entrée est au-dessus du niveau du sol. Cette bâtisse et une autre d’une moins grande dimension qui est à côté, quoique toutes les deux fort ruinées, m’ont paru avoir été faites par les Arabes.
NÉGRESSE DU SOUDAN.
Cette planche représente un groupe de jeunes négresses du Soudan, contrée de l’Afrique intérieure, avec lesquelles j’ai eu l’occasion de traverser des zones de sable : la régularité de leurs traits, la douceur animée de leurs grands yeux noirs, et la svelte souplesse de leur taille sont loin de présenter ces difformités du nez et des lèvres qui caractérisent la plupart des africaines.
DROMADAIRE BICHARIÈH, AVEC SES HARNAIS NUBIENS.
Céraste.
Geranium uniflorum (n. s.).
Ornithogalum sessile.
Senecio orientalis.
Echium cyrenaïcum.
Stachis latifolia.
Euphrasia cyrenaïca.
Ranunculus asiaticus.
Nouveau genre de la famille des cyprès ; il croît auprès de la fontaine d’Apollon.
FIN DE L’EXPLICATION DES PLANCHES.
[393]L’auteur de la Relation n’a d’autre mérite, pour la plupart des planches, que d’avoir pris sur les lieux, aussi fidèlement qu’il lui a été possible, les croquis qui ont servi, sous sa direction, à MM. Courtin et Adam fils à faire les dessins qui composent cet Atlas.
PAR M. LETRONNE.
Parmi les inscriptions rapportées par M. Pacho, il n’en est qu’un petit nombre qui présentent de l’intérêt sous le rapport de l’histoire ou de la langue. Le reste n’offre que des noms propres. Un travail assez étendu sur ces inscriptions, que j’avais remis à M. Pacho, quelque temps avant sa mort, ne s’est point retrouvé. Dans les instans de trouble et d’égarement d’esprit qui ont précédé cette horrible catastrophe, cet infortuné voyageur a brûlé indistinctement, à ce qu’il paraît, un grand nombre de papiers, et mon manuscrit y a passé avec d’autres choses sans doute plus importantes. N’en ayant pas gardé de copie, je devrais le recommencer ; mais le temps me manque. On ne trouvera donc ici que le fragment que j’en avais détaché et publié dans le Journal des Savans, mars et mai 1828, et qui heureusement concerne les plus intéressantes de ces inscriptions. Pour les autres, comme elles ne renferment le plus souvent que des noms propres, on voudra bien se contenter d’une indication sommaire. Il en est même que je passerai tout-à-fait sous silence, parce que les copies de M. Pacho m’ont paru pouvoir suffire au lecteur instruit : on aura donc à peu près tout ce que mon travail pouvait offrir de réellement utile ; on ne perdra que quelques rapprochemens paléographiques ou chronologiques d’un médiocre intérêt.
No 1. Cette inscription est la seule qui soit en vers ; c’est une épitaphe[388] en vers élégiaques qui, par son sujet et son mérite, peut enrichir l’anthologie grecque.
En voici le texte restitué et la traduction[394] :
L. ΚΘ. Τῖτος Πετρώνιος
Καπίτων, ἐτῶν ΔΚ.
Βαιόν σοι τὸ μεταξὺ βίου θανάτοιό τ’ ἔθηκε
καὶ τύμβου, Καπίτων, καὶ θαλάμοιο, Τύχη,
Νύκτα μίαν ψεύϛιν, καὶ ἀνηλέα, τὴν ἄνις αὐλῶν,
τὴν δίχα σοι παϛῶν, τὴν ἄτερ εἰλαπίνης·
Αἲ, Αἲ τὴν ἐπὶ πέπλα, καὶ εἰς ἀμύριϛα πεσοῦσαν
ϛέμματα, καὶ βίβλους σεῖο, πρόμοιρε, τέφρην.
Οἲ θρήνοισι βοητὸν ὑμήναον· οἲ προκελεύθους
λαμπάδας ὑϛατίου καὶ κενεοῖο λέχους.
L’an XXIX. Titus Petronius Capiton, âgé de 24 ans.
La Fortune, Capiton, n’a mis pour toi, entre la vie et la mort, entre l’hymen et la tombe, que l’intervalle d’une seule nuit, trompeuse, impitoyable, sans instrumens de fête, pour toi sans lit nuptial, sans festin. Infortuné jeune homme ! La poussière est tombée sur tes vêtemens de noce, tes bandelettes non encore parfumées, tes couronnes de biblus. Ah ! des gémissemens ont été ton chant d’hyménée ! Ah ! Hélas ! les flambeaux t’ont conduit à la couche dernière, que personne ne doit partager.
Selon l’usage des inscriptions funéraires qu’on trouve en Cyrénaïque, on a exprimé la date de la mort en années du règne du prince, mais sans indiquer le nom de ce prince. Cet usage singulier, et dont je ne puis m’expliquer le but, jette beaucoup d’obscurité sur l’époque de ces monumens. Ici, il n’y a point d’incertitude ; les noms Titus Petronius annoncent l’époque romaine, et l’année 29 ne peut convenir qu’à Auguste, puisque le règne d’aucun autre empereur n’a duré 29 ans. Le monument est donc de l’an 3 de notre ère.
L’épitaphe suit l’énoncé de la date. Les lettres numérales ΔΚ sont placées en sens inverse, comme dans les inscriptions de Syrie. J’en ai vu plusieurs exemples parmi celles de la Cyrénaïque ; je n’en connais pas un seul sur les monumens de l’Égypte. Si j’en ai bien compris les détails, Titus Petronius Capiton est mort la nuit même qui devait être celle de ses noces. De là une opposition assez touchante entre les cérémonies nuptiales et les cérémonies funèbres. Il y a dans l’Anthologie une épigramme de Méléagre sur une jeune fille, morte aussi la veille de son mariage[395] ; elle l’emporte en grace et en correction ; mais je ne sais si l’inscription de Cyrène n’est pas d’une tournure plus ingénieuse.
[389]Il n’y eut qu’une seule nuit (νὺξ μία), faible intervalle (βαιὸν τὸ μεταξὺ) entre l’hymen et la tombe (θαλάμου καὶ τύμβου) : les épithètes ψεύϛιν [trompeuse] et ἀνηλέα [impitoyable] semblent convenir mieux à la fortune, auteur du mal, qu’à la nuit, qui n’en a été que le témoin. La forme ψεῦϛις, pour le féminin de ψεύϛης, n’est pas connue ; on ne trouve que ψεύϛρια ou ψεύϛειρα. Cette nuit malheureuse fut ἄνις αὐλῶν sine tibiis, c’est-à-dire, qu’on n’entendit pas retentir le son des flûtes (αὔλημα τὸ γαμήλιον) qui accompagnait la marche des jeunes époux le jour de la noce[396] ; aussi la veille de ce jour s’appelait-elle προαύλια[397] ; et c’est pour cela que Philippe de Thessalonique dit de Vénus qu’elle aime λιγυρῶν αὐλῶν ἡδυμελεῖς χάριτας[398].
Τὴν δίχα σοι παϛῶν. Le παϛὸς était proprement l’alcôve du lit, ou l’ensemble des rideaux qui l’enveloppaient[399] ; ce mot est ici pris comme synonyme de θάλαμος ; et δίχα παϛῶν est pour δίχα παϛοῦ : le pluriel est commun en ce cas. Ainsi, Méléagre, dans son épigramme déja citée : καὶ θαλάμων ἐπλαταγεῦντο θύραι[400] ; dans une adespote, on lit : πρόσθεν ἐμῶν θαλάμων[401] ; dans une de Persès : ὡραίους ἤγαγεν εἰς θαλάμους[402] ; ailleurs les deux mots sont réunis : ἐκ δ’ ἐμὲ παϛῶν νύμφην κἀκ θαλάμων ἥρπασ’ ἄφνως Ἀΐδας[403] ; enfin, dans une épigramme d’Agathias le scholastique : οὐδ’ ἐπὶ παϛοὺς ἠγάγετο[404]. C’est ce vers qui montre que Capiton était mort avant d’avoir conduit sa nouvelle épouse au domicile conjugal où se donnait le banquet de noces.
Αἲ, αἲ τὴν... τέφρην. Ainsi Méléagre : Αἲ, αἲ τὰς μαϛῶν ψευδομένας χάριτας[405] ; et Philippe de Thessalonique : αἲ, αἲ πέτρον ἐκεῖνον[406]. Les leçons πεσοῦσαν et βίβλους pour βίβλου me semblent certaines ; et le pronom σεῖο se rapporte aux mots qui précèdent, et non pas à τέφρην.
Voilà pour la syntaxe de ces deux vers ; mais les mots et le sens présentent plus d’une difficulté. Qu’est-ce que la cendre tombée sur ses voiles, ses bandelettes ou guirlandes, etc. Cela se rapporte-t-il à quelque usage inconnu ! Je ne le pense pas. Il n’y a là, je crois, qu’une impropriété d’expression.
[390]D’abord, il me semble que πέπλα, ϛέμματα et βίβλοι σεῖο, désignent les vêtemens et les ornemens que portait Capiton. Nous voyons dans Chariton[407], que Callirhoé, nouvelle mariée, fut mise dans la tombe, couverte de toute sa parure de noce et de la couronne qui avait orné son front le jour de son mariage ; ce qui rappelle l’usage encore subsistant en Épire, où les époux sont parés, le jour de l’enterrement, de leurs couronnes nuptiales, quand ils n’ont pas changé de lien[408]. C’est, je pense, la parure de noce de Capiton que désignent les mots πέπλα, ϛέμματα et βίβλοι. Le premier désigne, par une expression spécifique, le vêtement en général, la ϛολὴ ou ἐσθὴς νυμφικὴ de Chariton, la γαμικὴ χλανὶς d’Aristophane[409], la robe préparée pour la noce, et que Chariton n’avait pu revêtir. Admète, dans Euripide, emploie le même mot, quand, après les funérailles d’Alceste, il rentre seule dans son palais : il compare les habits de deuil, μέλανες ϛολμοὶ, qu’il porte maintenant, aux vêtemens blancs, λευκὰ πέπλα, qui le paraient le jour qu’il y conduisit son épouse chérie[410]. Les ϛέμματα pourraient être des guirlandes ; je crois plutôt que ce sont les bandelettes (λημνίσκοι, infulæ coronarum) des couronnes qui devaient parer la tête de Capiton ; et βίβλοι doit désigner ces couronnes elles-mêmes : les mots ταινίαι et ϛέφανοι se trouvent souvent ensemble[411]. Il y avait une espèce de biblus appelée ϛεφανωτρὶς, dont on tressait des couronnes. Agésilas, en Égypte, s’en était servi au témoignage de Théopompe[412] ; et Appien dit de Pharnace : βίβλον τις πλατεῖαν φέρων ἐξ ἱεροῦ ἐϛεφάνωσεν αὐτὸν ἀντὶ διαδήματος[413]. La fleur du biblus était-elle, en Cyrénaïque, employée spécialement aux couronnes nuptiales ? je l’ignore. Βίβλοι signifie donc ϛέφανοι ἐκ βίβλου, comme λωτοὶ, dans Méléagre[414], signifie des flûtes, αὐλοὶ ἐκ λωτοῦ, parce qu’on faisait avec le lotus une espèce de flûtes qu’Euripide appelle λίβυς λωτὸς[415], et qu’il nomme ailleurs λίβυς αὐλός[416]. L’épithète ἀμύριϛα jointe à ϛέμματα annonce qu’on n’avait pas eu le temps de parfumer ni les bandelettes, ni les couronnes ; ce qui s’explique par un passage d’Aristophane, où l’on[391] voit qu’on ne les parfumait qu’au moment de conduire la mariée.... οὔτε μύροισιν μυρίσαι ϛακτοῖς ὁπόταν νύμφην ἀγάγησθον[417].
Maintenant que signifie : « Hélas ! la cendre tombée sur les vêtemens, les bandelettes, etc. ! » Cela ferait-il allusion à quelque usage inconnu, pour nous, de jeter de la cendre sur le linceul et les ornemens du mort ! L’expression πεσοῦσα me fait croire que τέφρη, cendre, par une impropriété d’expression peu surprenante dans cette épitaphe, a le sens de κόνις, employé souvent pour γῆ ou χθών. Ainsi : κούφη τοι γὰρ ἐμοὶ πέλεται κόνις[418] ; et ἀλλὰ τὰ [sc. ὀϛέα] μὲν κεύθει μικρὰ κόνις ἀμφιχυθεῖσα[419]. Le mot κόνις étant un synonyme de τέφρη, dans l’acception de cendre, le poète a cru que τέφρη pouvait se prendre pour un synonyme de κόνις dans le sens de poussière. Si τέφρη est pris ici pour κόνις, on voit que ἡ ἐπὶ πέπλα πεσοῦσα τέφρη revient à ἡ ἐπὶ π. πεσ. χθὼν ou γῆ et se rapporte à la terre, à la poussière qui tombe, que l’on jette sur le cadavre du mort, ce qui est exactement analogue à l’expression d’Euripide : κούφα σοι | χθὼν ἐπάνω ΠΈΣΕΙΕ, γύναι[420] ; et à cet autre du même : κακοῖς δ’ ἔφ’ ἔρμα ϛερεὸν ῈΜΒΆΛΛΟΥΣΙ γῆς[421]. Je crois que c’est là le sens que notre poète a donné à ces deux vers.
Οἲ θρήνοισι βοητὸν ὑμήναον : le poète, ayant besoin d’un dactyle, a suivi ; pour ce mot, une orthographe singulière, en écrivant ὑμήναον au lieu de ὑμέναιον. On peut citer, pour son excuse, un passage de Sapho, cité par Héphestion, où de bons critiques ont laissé ὑμήναον[422]. On ne connaît que les composés ἀμφιβόητος, διαβόητος, ἐπιβόητος, περιβόητος et ἀβόητος[423]. Le simple βοητὸς ne s’est encore trouvé nulle part ; mais il n’a rien d’illégitime. L’expression rappelle le βοάσατ’ εὖ τὸν ὑμέναιον, ὦ, | μακαρίαις ἀοιδαῖς | ἰακχαῖς τε νύμφαν d’Euripide[424]. Quant à la pensée, on en retrouve l’équivalent dans le θρῆνος ὀ ὑμέναιος d’Achilles Tatius[425], le εἰς δὲ γόους ὑμέναιος ἐπαύσατο de Parménion[426] et le θρῆνος δ’ εἰς ὑμέναιον ἐκώμασεν de Philippe[427]. Mais ici la tournure[392] est plus vive et plus expressive. L’hyménée se chantait surtout après le festin de noce, lorsque les deux époux étaient conduits dans l’appartement conjugal[428] ; et de là, cette ingénieuse expression, dans l’épitaphe d’une jeune fille : οὐ δ’ ὑμέναιον | ᾖσέ τις οἰνοχαρὴς πρόσθεν ἐμῶν θαλάμων[429]. Capiton, conduit, non pas au lit nuptial, mais à la tombe, a eu des gémissemens pour chant d’hyménée.
Il y a encore dans la dernière phrase une dilogie ingénieuse qui repose sur ce que la marche des jeunes époux, comme le cortége funéraire, était précédée par des flambeaux, désignés ici d’une manière pittoresque par les mots προκέλευθοι λαμπάδες λέχους. Les flambeaux d’hymen conduisaient au lit nuptial ; les flambeaux funèbres, à la couche dernière, idée exprimée dans l’épigramme de Méléagre : αἱ δ’ αὐταὶ καὶ φέγγος ἐδᾳδούχουν παρὰ παϛῷ | πεῦκαι, καὶ φθιμένᾳ νέρθεν ἔφαινον ὁδόν.
Il se pourrait que κενὸν (λέχος) signifiât simplement vain, inutile, stérile, comme κενεαὶ ὠδῖνες dans Méléagre[430], et κενεὸς τάφος dans Grégoire le théologien[431]. Mais je crois que l’auteur lui a donné le sens propre de vide, désert, solitaire ; Euripide fait dire à Admète : πέμπουσί μ’ ἔσο λέκτρων κοίτας ἐς ἐρήμους[432] ; et à la place du mot ἔρημος, il emploie κενὸς, un peu plus bas, γυναικὸς εὐνὰς εὖτ’ ἂν εἰσίδω κενάς[433]. Au lieu d’être conduit au lit nuptial, où devait se trouver la jeune mariée, Capiton est porté au lit funèbre qu’il occupe tout seul. D’ailleurs, s’il avait été marié, ce lit funèbre aurait été partagé un jour par sa femme, parce que la femme et le mari étaient le plus souvent renfermés dans le même tombeau : mais la couche dernière de Capiton est et sera toujours solitaire. C’est ce double sens qui me paraît compris dans le mot κενός.
No 2. C’est la seule peut-être de toute la collection qui soit antérieure aux Lagides ; elle ne contient malheureusement que des noms propres, sans même qu’on sache à quelle affaire ils se trouvent liés, et quel est l’objet du monument.
No 1. Fragment d’inscription latine destinée, à ce qu’il paraît, à mentionner la dédicace ou l’érection d’un portique faisant partie d’un Cesareum, ou monument consacré à Jules César : l’inscription doit être du règne d’Auguste. (V. le voyage, p. 219 et suiv.)
No 2. Cette inscription est placée au-dessus d’une fontaine d’Apollon ; il faut la lire :
L. ΙΓ Διονύσιος Σώτα, ἱερειτεύων[434] τὰν κράναν ἐπεσκεύασε. « L’an XIII. Dionysius, fils de Sotas, exerçant la prêtrise, a réparé la fontaine. »
Cette fontaine est tout près de ruines considérables qui ont appartenu à un temple. Ce sont la fontaine et le temple d’Apollon, si célèbres à Cyrène[435] ; les doutes à cet égard sont levés par le fragment de dédicace impériale. (no 10 de cette même pl.) M. Pacho l’a copié d’après sur une bande de marbre blanc, courbée comme l’arc d’un hémicycle et dont il occupe la courbe intérieure. Je soupçonne que ce bloc faisait partie du dossier d’un exèdre qui a dû être fort grand ; car le bloc qui a deux pieds de long, est très-légèrement courbé. Cet édifice fut élevé en face du temple d’Apollon, avec l’argent fourni par les prêtres, comme le dit l’inscription dont il ne reste que ceci.
Les mots ΤΩ ΣΕΒΑΣΤΩ ΑΡΧΙΕΡΕΟΣ qui commencent la seconde ligne annoncent qu’il s’agit d’Auguste. La place du mot ἀνέθηκεν qui a dû correspondre au milieu de l’inscription indique qu’il manque aux deux lignes précédentes trente-deux à trente-quatre lettres. Ces indications suffisent pour rétablir la première ligne ; quant à la seconde, cela est tout-à-fait impossible, puisque la lacune a dû être remplie par les titres de Quintus Lucanus qu’on ignore, et par le nom de l’édifice qu’on ne connaît pas davantage.[394] Voici la lecture de ce qui existe encore, et la restitution de ce qu’il est possible de rétablir sans arbitraire.
Ὑπὲρ τῆς αὐτοκράτορος Καίσαρος, θεῶ ὑ | ιῶ, Σεβαϛῶ, ἀρχιερέως, σωτηρίας, Κόϊντος Λουκάνιος |
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . | . . . ἐκ τᾶς τῶν Ἀπόλλωνος ἱερέων ἐπιδόσιος |
ἀνέθηκεν. |
« Pour le salut de l’empereur César, fils du dieu [César], Auguste, grand pontife, Quintus Lucanius [. . . . . . . . a élevé ce . . . . . . . .], avec la contribution fournie par les prêtres d’Apollon. »
Le seul changement que je me sois permis, c’est de faire un ι du τ au commencement de la première ligne, pour avoir la fin du mot υἱῶ (dor. pour υἱοῦ). Le mot ἐπίδοσις a le sens de erogatio publicè facta.
No 3. Κλαυδία Βενόστα Κλαυδίου Καρτισθένους Μελίορος θυγάτηρ τὰν Κόραν καὶ τὸν ναὸν ἐκ τῶν ἰδίων ou bien ἐκ τῶν ἰδίων καὶ τὸν ναόν. « Claudia Venusta, fille de Claude Cartisthène Melior, [a élevé] à ses frais [la statue de] Proserpine en ce temple. »
Inscription du temps de l’empereur Claude ou de Néron. L’expression τὰν Κόραν pour τὸ τᾶς Κόρας ἄγαλμα a été expliquée ailleurs[436]. Claudia Venusta avait fait élever à ses frais et la statue et le temple. Ainsi dans une inscription de Syrie[437] ... τὸν ναὸν καὶ τὸ ἄγαλμα ἐκ τῶν ἰδίων ἀνέθηκεν. Ce qui distingue celle de Cyrène, c’est que le verbe manque, sans qu’il en résulte la moindre équivoque.
La même observation s’applique à celle du No 4, qui constate que la même Claudia Venusta avait élevé une statue et un temple à Bacchus. Κλαυδία Βενόστα Κλαυδίου Καρτισθένους Μελίορος θυγάτηρ Διόνυσον ἐκ τῶν ἰδίων σὺν τῷ ναῷ.
Νo 5. Κλαυδίαν Ἀρατὰν Φιλίσκω θυγατέρα, φύσει δὲ Εὐφάνους, ματέρα Κλαυδίας Ὀλυμπιάδος, αἰωνίω γυμνασιαρχίδος, ἀρετᾶς ἕνεκα, Κυραναῖοι. « Les Cyréneens [ont honoré par ce monument], à cause de sa vertu, Claudia Arété, fille de Philiscus par adoption, d’Euphanès par nature, mère de Claudia Olympias gymnasiarque perpétuelle. »
Cette inscription est du même temps que les deux précédentes. Ἀρατὰ pour Ἀρετή, dorisme comme Ἄρταμις, τράχω, ἅτερος pour Ἄρτεμις, τρέχω, ἕτερος.
[395]Φύσει δὲ, par nature, ce qui indique que Philiscus n’était que père adoptif. La même formule se lit ailleurs[438]. D’autres fois, on nommait le premier le père naturel, comme ἐπὶ ἱερέως Μέμονος τοῦ Ὀρεστείδου, κατὰ δὲ ποίησιν Εὐωνύμου[439].
La fonction de gymnasiarque était aussi exercée par les femmes[440] ; mais la forme γυμνασίαρχος sert ordinairement pour les deux genres.
No 7. Le nom propre est estropié : il paraît être celui d’une femme, Σαλυΐα, Salvia. L’inscription n’est remarquable que par le monogramme qu’on pourrait prendre pour celui du Christ, puisqu’il offre réellement les lettres ΧΡ, ce qui, avec les trois autres lettres ΑΙΝ, donne le mot χάριν (εὐνοίας). C’est le seul exemple que j’en connaisse.
No 8. Fragment de l’inscription funéraire de Lucius Vibius Cattabus, fils de Lucius (Vibius Cattabus) ; il paraît y avoir eu [faciendum] coeravit (pour curavit) : la même inscription était répétée en grec au bas. Il paraît y avoir Λεύκιος ὁ ὑὸς Λευκίου Κάτταβος... ὃς ἐποίησε. Ce n’est pas la seule fois que faciendum curavit a été rendu par ἐποίησε.
No 9. Inscription chrétienne d’un bas temps, pleine de fautes d’orthographe : κῖτε pour κεῖται, est fréquent dans les monuments de cette époque, de même que κὲ pour καὶ, τέθικαν pour τέθεικαν, iotacisme ; θεῶ pour θεοῦ, reste de dorisme.
Διμιτρία θυγάτηρ Γαίου τοῦ ὠνησαμένου τὸ μνῆμα τοῦτο ἐνθάδε κῖτε μετὰ τοῦ υἱοῦ αὐτῆς θεῶ δούλου· οὗτοι ἐτελεύτησαν ἐπὶ.... Μαξίμου γενομένου· τέθικαν αὐτοῖς Κάλλιππος ὁ ἀνὴρ αὐτῆς κὲ υἱὸς αὐτοῦ Γαῖος κὲ γαμβρὸς αὐτοῦ Πανύβουλος καὶ μνήθητο αὐτῶν· ἐντὸς πηχῶν.
Démétria, fille de Gaius, qui a acheté ce monument, repose ici, avec son fils, serviteur de Dieu.
Ils sont morts sous . . . . ., Maxime . . . . . et y ont été déposés par Callippe, son mari ; par Caïus, fils de ce dernier, et Panybule, son gendre. Accordez-leur un souvenir . . . . . coudées en dedans.
No 1. Tombeau avec deux noms propres estropiés ; il semble que ce soit Κοῖρος ou Κοῖτος Ἀριϛοκλίδα. « Cœrus ou Cœtus, fils d’Aristoclide. »
Au-dessous Ἰάσονος τόπος. « Lieu de sépulture de Jason. »
No 2. Ces inscriptions, trouvées dans un sanctuaire, ont été écrites par les gens qui venaient le visiter : ce sont des noms, ou tout seuls, ou suivis de ἥκω ou de ἦλθε.
[396]Διοσκουρίδης. | |
Δίων ἥκω. | |
Ἕλεξ ἥκω. | |
Πρόθυμος ἥκω. | |
Ἴασος (?) ἥκω. | |
Ἀγαθοκλέα. | Ἀγαθοκλῆ. |
Σωσιϛρατίου. | Ἀγαθοκλέους. |
Ἰδουμαῖος. | |
ἦλ θε. |
D’autres Iduméens y ont écrit leurs noms, probablement à la même époque ; ce sont :
Κοσβάρακος (?) | puis........ | |
Μαλίχου[441]. | Κράτερος. | |
Ἰδουμαῖος. | et | Σύμμαχος. |
Ἰδουμαῖος. |
On lit dans une autre : Τιβέριος Κλαύδιος Ἴϛρος τοῖς θεοῖς ἀπέδωκε θυσίαν. « Tibère Claude a fait un sacrifice aux dieux [adorés dans ce sanctuaire]. »
On pourrait à la rigueur lire : πρὸς τοῖς θεοῖς, et entendre ici πρὸς dans le sens de παρὰ, si fréquemment employé dans ces sortes de locutions προσκύνημα παρὰ τῷ θεῷ ἐποίησε. Mais il manque un nom après Tibère Claude ; je ne doute pas que M. Pacho n’ait passé deux lettres, et qu’il faille lire : Ἴστρος.
Inscriptions sans intérêt, ne renfermant que des noms propres.
Le No 3 est un fragment de dédicace romaine ; on y distingue PONT. MAX. TRIB. [POTEST.]
Le No 9 seul mérite quelque attention.
Καλῇ τύχῃ. L. Ν. à la bonne fortune. L’an LV. (καλῇ τύχῃ, pour ἀγαθῇ τύχῃ).
Πυραμαῖος Πυραμαίου, Pyramée, fils de Pyramée. Ἰλῖνε καλοκαγαθὲ Σέκονδε..... Adieu, vertueux..... Ilinus secondus.
La même un peu plus haut.
Ἀριϛοτέλης Σώσιος Ίαρεὺς Ἀπόλλωνος· μηθένα ἐντίθῃ.
[397]« Aristote, fils de Sosis, prêtre d’Apollon. Qu’on ne mette personne [dans ce tombeau]. »
La formule μηθένα ἐντίθη est elliptique : il faut entendre sans doute la défense, si souvent répétée, d’enterrer dans le tombeau une autre personne qu’Aristote fils de Sosis. ΤΑΡΕΥΣ doit être ΙΑΡΕΥΣ pour ΙΕΡΕΥΣ, dorisme, comme ἱαρὸς pour ἱερὸς dans les tables d’Héraclée, et Ἱάρων pour Ἱέρων dans l’inscription du Casque trouvé à Olympie.
Noms propres.
Cette inscription qui commence par ces mots : Αὐτοκράτωρ Καῖσαρ Ἀναϛάσιος ἀνίκητος..... σεβαστὸς Αὔγουστος[442], est un rescript de l’empereur Anastase relatif au service militaire. Ce rescript mérite d’occuper les loisirs d’un philologue exercé : mais la restitution en est bien difficile. (voir le voyage, page 178.)
Il n’y a sur cette planche que trois inscriptions qui offrent de l’intérêt et méritent quelque attention.
Les deux premières sont intéressantes surtout par la place qu’elles occupent. En effet, les pierres sur lesquelles elles sont gravées font partie du soubassement d’un temple ; l’une d’elles est même dans une situation renversée, et même tronquée, pour donner à la pierre les dimensions dont on avait besoin. Il est évident que ces pierres ont servi comme matériaux dans la construction de l’édifice. Avant de connaître cette particularité, et à la seule vue du dessin représentant les ruines de ce temple (Pl. LXVIII.) j’avais dit à M. Pacho que cet édifice n’était pas antérieur à la domination romaine. La présence de ces inscriptions met le fait hors de doute, comme on va le voir.
[398]Celle qui est dans une situation renversée est disposée ainsi :
Il est facile de voir que les deux premières lignes ont été tronquées, par le motif indiqué plus haut : il serait impossible de les rétablir si l’on ne pouvait savoir quelle a été leur longueur. Heureusement cette circonstance capitale se déduit de la position des mots Η ΠΟΛΙΣ qui forment à eux seuls la troisième leçon, puisqu’on ne peut douter qu’ils n’occupassent à très-peu près le milieu de l’inscription. On en conclut avec certitude qu’il manque seulement de huit à dix lettres aux deux lignes tronquées.
Maintenant, si nous cherchons, dans la série des princes lagides, quelle est la reine Arsinoë, fille de Ptolémée et de Bérénice, nous ne trouverons que la seconde femme de Ptolémée Philadelphe, et sa sœur, fille de Ptolémée Soter et de Bérénice. L’inscription entière était donc :
Βασιλίσσαν Αρσινόην, θεὰ | ν Ἀδελφὴν |
τὴν Πτολεμαίου καὶ Βερενίκης | θεῶν Σωτήρων |
ἡ πόλις. |
« La ville [de Ptolémaïs honore par ce monument] la reine Arsinoë, déesse sœur, fille de Ptolémée et de Bérénice, dieux sauveurs. » C’est une dédicace qui fut probablement placée entière sur la base d’une statue, érigée peut-être à l’époque et à l’occasion du mariage d’Arsinoë avec son frère, en 276 avant J. C.
L’autre inscription est entière, sauf quelques erreurs de copie faciles à corriger. La voici :
« La ville [de Ptolémaïs honore par ce monument] le roi Ptolémée frère de Ptolémée et de la reine Cléopatre, dieux Philométor. »
C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un roi lagide est désigné, dans une inscription, par les mots frère de tel et de telle, au lieu de fils de tel roi et de telle reine. Mais cette désignation s’explique facilement, ce me semble, et sert à donner la date précise de l’inscription.
Le roi dont Philométor est ici qualifié le frère, est Évergète II, fils comme lui de Ptolémée Épiphane. La reine Cléopâtre ne peut être que la Cléopâtre, sœur de tous les deux, d’abord femme de Philométor, et qui, après la mort de son premier mari, en 147, fut épousée, en 146, par son autre frère Évergète II, et partagea le trône avec lui. Il est donc certain que l’inscription est postérieure à la mort de Philométor, en 146. Mais comme on est également sûr que, l’année suivante, Évergète II répudia cette sœur Cléopâtre, pour épouser la fille de cette princesse et de son frère[443], on a l’année précise de la dédicace, c’est-à-dire, l’an 145 avant notre ère. Cette dédicace est donc un hommage rendu à Philométor par les habitants de Ptolémaïs, peu de temps après la mort de ce prince. Sans doute la ville lui avait décrété une statue de son vivant : mais sa mort étant survenue avant qu’elle ne fût terminée, on dut le désigner nécessairement par le titre de roi, de dieu Philométor, en y ajoutant celui de frère des deux princes qui occupaient alors le trône.
Il est clair que des statues en l’honneur d’Arsinoë Philadelphe et de Ptolémée Philométor n’ont pas été détruites tant qu’a duré la dynastie des Lagides. Ce ne peut être qu’après leur domination que ces statues, ainsi que les dédicaces qui contenaient le nom des princes, ont pu être renversées, et les fragments des piédestaux employés dans la construction d’un édifice. Cette observation, indépendamment du caractère de l’architecture, prouve donc que le temple de Ptolémaïs dont M. Pacho a dessiné les ruines, appartient au temps de la domination romaine.
[400]La troisième est un fragment gravé sur une pierre encastrée dans le mur de Kasr-el-Askar à Ptolémaïs :
Ce fragment n’est que le milieu d’une inscription en deux lignes. Il s’agit d’en retrouver le commencement et la fin ; quelque hardie que puisse paraître la restitution que je vais hasarder, je crois cependant que, comme elle satisfait aux conditions qu’exige l’état du monument, elle porte un assez grand caractère de certitude.
D’après ce qui a été dit plus haut, la petite ligne qui commence par ΚΑΙΣΑΡΟΣΘΜ a dû se trouver au milieu de la grande ; c’est la principale condition que devra remplir la restitution de l’une et de l’autre.
Et d’abord, le mot ΚΑΙΣΑΡΟΣ, dans les inscriptions impériales, est toujours suivi du mot ΣΕΒΑΣΤΟΥ, à moins qu’il ne s’agisse d’Auguste, le seul empereur qui ait été désigné par le simple mot ΚΑΙΣΑΡ : or, les lettres ΘΜ qui viennent après prouvent que le mot ΣΕΒΑΣΤΟΣ n’a pu le suivre. Cette dédicace appartient donc certainement au règne d’Auguste.
Il devient vraisemblable que le nom ΑΝΤΩΝΙΑ qu’on lit à la première ligne, désigne Antonia, nièce d’Auguste, mère de Germanicus et de Claude, épouse de Drusus l’Ancien. S’il en est ainsi, son nom a dû être suivi de ceux de Claude Drusus, et en effet les lettres ΚΛΑΥ paraissent bien appartenir à ΚΛΑΥ [ΔΙΟΥ], nom qui était suivi de ΝΕΡΩΝΟΣ ΔΡΟΥΣΟΥ..... ΓΥΝΗ ou ΓΥΝΑΙΚΙ. Les noms de ce prince se présentent ordinairement dans un autre ordre (Nero Claudius Drusus) ; mais cette différence ne peut nous arrêter : bien des exemples de ce genre la justifieraient au besoin.
En troisième lieu, les lettres ΕΒΑΣΤΟΣ, qui précèdent et qui proviennent évidemment de ΣΕΒΑΣΤΟΣ, ne peuvent cependant désigner Auguste ; car le nominatif en un tel endroit serait inexplicable. On peut encore regarder comme à peu près certain que c’est le reste du titre de φιλοσέβαστος, titre analogue à celui de φιλορώμαιος, que prennent souvent des particuliers et des villes, comme ceux de Carrhes, sur les médailles, et surtout à ceux de φιλοκαῖσαρ[444], φιλοτιβέριος, φιλοκλαύδιος[445], etc., épithètes de flatterie qui se[401] trouvent sur des monuments écrits de différents genres. Ici φιλοσέβαστος désigne, dans le même sens, le dévouement du peuple de Ptolémaïs envers l’empereur Auguste. Il y avait donc, avant le mot Ἀντωνίᾳ, les mots Πτολεμαιέων ὁ δῆμος ὁ φιλοσέβαστος.
Le mot ΚΑΙΣΑΡΟΣ, de la troisième ligne, doit dépendre de la date exprimée ἔτους ou Γ., selon l’usage : dans ce cas les lettres ΘΜ ne pouvaient être guère autre chose que le commencement d’un des mois égyptiens, les seuls qu’on trouve dans les inscriptions grecques de la Cyrénaïque : ces lettres ne conviennent à aucun autre mieux qu’à ΦΑΜΕΝΩΘ. Ainsi la date était exprimée comme dans ces inscriptions d’Égypte et de Nubie, ἔτους ΛΑ Καίσαρος, Θωϋθ[446], ou bien ἔτους ΛΒ Καίσαρος, φαωφὶ[447], ou enfin L. ΛΑ Καίσαρος Παῦνι ΙΒ[448].
Il est impossible de savoir si le quatrième du mois a suivi le nom φαμενὼθ, ce qui importe peu, puisqu’il ne s’agit que d’une seule lettre ou deux au plus. Les mots Καίσαρος φαμενὼθ devant correspondre au milieu de la première ligne, il doit se trouver autant de lettres avant celle qui correspond à la première de Καίσαρος, ou des deux lettres numériques qui ont pu suivre ce mot, c’est-à-dire, après celle qui est au-dessus de la dernière de φαμενὼθ ; or, cette condition importante est exactement remplie par la restitution suivante fondée sur les observations qui précèdent.
Πτολεμαιέων ὁ δῆμος ὁ φιλοσ | έβαϛος Ἀντωνίᾳ, Κλαυ | δίου Νέρωνος Δρούσου Γερμανικοῦ γυναικὶ. L.. |
Καίσαρος φα | μενὼθ... |
« Le peuple philosébaste de Ptolémaïs, à Antonia, femme de Claude Néron Drusus Germanicus. L’an... de César, au mois de phaménoth. »
Inscriptions funéraires sans intérêt.
Contentons-nous de citer : Ἰουλία Πρόκλα, ἐπόησεν ἑαυτῇ καὶ τοῖς αὑτῆς.
Même observation que ci-dessus. On ne peut remarquer que celle-ci.
Γ. Ἰούλιος Στέφανος ἐπόησεν ἐξ ἀρχιδίων τὸν σηκὸν καὶ τὰν ἐξέδραν καὶ τὸν περίβολον ἐξ ἰδιᾶν δαπανᾶν, ἑαυτῷ καὶ τοῖς τέκνοις.
Caius-Julius-Stéphanus a fait construire des fondements ; le sécos, l’exèdre et l’enceinte à ses frais pour lui et ses enfants.
Ἐξ ἀρχιδίων, locution inconnue, doit avoir le sens de ἐξ ἀρχῆς, ἐκ θεμελίων : elle annonce la corruption de la langue.
Même observation.
Tombeau où l’on distingue les mots L ΙΒ Φαρμουθὶ Δ Πραξαγόρα Θεανοῦς. « An XII, 4 de Pharmuti [tombeau] de Praxagoras fils de Théano. »
On remarquera la ligature qui, dans le mot Φαρμουθὶ, représente les deux lettres Φ Α.
Autre tombeau, sur la base duquel on lit cette inscription d’un style qui décèle un très-bas temps.
Κλα. Γαιανῷ καὶ συμβίῳ μου. Ἀπαγορεύω δὲ ἕτερόν τινα μὴ ἀνύξαι, μηδὲ θάψαι, ἐκτὸς εἰ μὴ παιδὶ αὐτοῦ· εἰ δ’ οὐ ἐκτείσει τῷ ταμείῳ Χ Α Φ.
« A Claude Gaïanus et à mon épouse [ce tombeau appartient] : je fais défense à personne d’ouvrir ce tombeau, ni d’y enterrer quelqu’un, excepté mon fils : si non, il paiera au trésor 1500 deniers. »
Ἀνύξαι, pour ἀνοίξαι. On remarquera la faute ἐκτὸς εἰ μὴ, et le solécisme παιδὶ pour παῖδα. ϹΙΔΟΥΝ ne peut être que εἰ δ’ οὐ : le Ν est une faute du graveur.
No 1. Σήστιος Κάρπος καὶ Σηστία...... υνις ἐποίησαν ἑαυτοῖς καὶ τοῖς ἰδίοις τέκνοις.
« Sestius Carpus et Sestia.... ynis ont fait [ce tombeau] pour eux et leurs enfants. »
[403]No 2. Tombeau d’une jeune fille de deux ans.
« . . . . . . . . . . . . . agée de deux ans, repose ici. Son père fait défense à qui que ce soit d’ouvrir la tombelle de cette sépulture, et d’y enterrer quelqu’un, à peine d’une amende de 500 deniers payables au trésor très saint.
Ne t’afflige pas, héroïne : personne n’est immortel. »
ὁ τόπος est le terrain concédé pour la sépulture, et τὸ λαρνάκιον, diminutif de λάρναξ, la tombe, comme on dit, le sarcophage, où le corps était renfermé. (ce diminutif manque aux lexiques.) ἀνύξη doit être par iotacisme pour ἀνοίξῃ de ἀνοίγειν, ouvrir ; la formule θάρσει...... οὐδεὶς ἀθάνατος, est connue.
No 3. Μ. Οὔλπιος Ἐπίνικος αὑτῷ καὶ τοῖς ἰδίοις· καὶ Ὀλπία Ἀθηναῒς ἑαυτῇ καὶ τοῖς ἰδίοις.
« Μ. Ulpius Epinicus pour lui-même et les siens ; et Ulpia Athénaïs pour elle-même et les siens. »
No 4. LΒ. Παοινὶ ΚΒ. ἐτελεύτησε Κλαύδιος Δράκων. L. Κ Δ μηνῶν Γ ἁμερᾶν ΙΕ.
LΕ Ἀθὺρ ΚΕ ἐτελεύτησε Κλαύδιος Ἀχιλλᾶς L. ΚΔ μηνῶν Ι, ἁμερᾶν Ε.
« L’an II, le XXII de Payni, est mort Claude Dracon, âgé de 24 ans, 3 mois, 15 jours.
L’an V, le 25 d’Athyr, est mort Claude Achillas, âgé de 24 ans, 10 mois, 5 jours. »
No 5. Δ. Πετρώνιος Ἐπαφρόδιτος ἑαυτῷ καὶ τοῖς ἰδίοις.
« L. Petronius Épaphrodite, pour lui et les siens. »
No 6. Sur le grand tombeau. Τελεσίδοτος Φλαβίου Ἀντωνίου Σύλλας.
« Télésidote Sylla fils de Flavius Antonius (Télésidote.) »
No 7. L’inscription doit se lire : Αὔλου Καττιλίου Καπίτωνος.
« tombeau d’Aulus Cattilius Capiton. »
No 15. Probablement. L ΙΕ χοιακ K Γναῖος Σαβεῖνος ἐτῶν KB.
Les Inscriptions recueillies à Teuchira ne donnent que des noms propres. La seule qui mérite quelque attention est sur la PL. LXXXVI.
C’est un fragment d’un distique funéraire fort mutilé, qu’on pourrait essayer de lire ainsi :
Θευπρόπιος pour Θεοπρόπιος, orthographe fréquente dans les inscriptions du pays, reste de dorisme ; nom de trois syllabes par synérése.
Le milieu du vers est bien incertain ; ἐν θνητοῖσιν ou bien ἐν ζωοῖσιν ἄριστος est plus sûr. Dans une adespote on dit d’un jeune homme (ἀκμὴν νέος) qu’il était ἀγαθὸς ἐν ἅπασιν. (no 6956 ou bien Anthol. Palat., 11.817.) ὀκτωκαιδεκέτης est certain.
Le reste est problématique ; on pourrait lire ζῆσεν ἅπαντα σοφῶς, dont le sens serait meilleur encore ; ainsi ζήσας ὡς δεῖ ζῆν. (même épigramme.)
FIN.
[394]Les observations suivantes ont paru dans le Journal des Savans, mars, 1828.
[395]CXXV, Anal. 1, 38. Anth. Pal. VII, 182. Il y en a encore une d’Érinne (no 3), une de Philippe de Thessalonique (no 79), et une de Parménion (no 13), qui ont quelque analogie avec celle-ci.
[396]Villois ad Long. p. 303.
[397]Pollux, III, 39.
[398]N. LIV, Anal. II, 194. = Anth. Pal. tom. II, p. 679.
[399]Pollux, III, 37.
[400]V. 4.
[401]Adespot. 703. = Anth. Pal. VII, 407.
[402]No VI. Anal. II, 5. = Anth. Pal. VII, 487.
[403]Adesp. 710, a. = Anth. Pal. append. 229. = Jacobs, ad Anthol. XII, p. 286.
[404]Anth. Pal. VII, 567.
[405]CXXIV, 6. Anal. I, 36. = Ant. Pal. VII, 468.
[406]LXXVIII. Anal. II, 234. = Anth. Palat. VII, 554.
[407]I, p. 13, l. 20. = III, p. 66, l. 8. Lips.
[408]Pouqueville, Voyage de la Grèce ; II, p. 53, 2e édit.
[409]Aves, 1692.
[410]Alcest. 925.
[411]D’Orvill. ad Chariton. p. 258. Lips.
[412]Ap. Plut. in Agesil. § 36. Athen. XV, p. 676, D. Conf. Boettiger’s Sabina, I, p. 228. Leipz. 1806.
[413]Mithrid. § III.
[414]Anal. I, p. 38 ; et Jacobs, t. VI, p. 139.
[415]Troad. 544. = Helen. 170.
[416]Alcest. 347. = Herc. fur. 684.
[417]Plut. 528.
[418]Adespot. 715. = Anth. palat. app. no 310. Agathias, à propos d’un enfant mort dans le ventre de sa mère, joue sur cette expression : χούφη σοι τελέθει γαϛὴρ, τέκος, ἀντὶ κονίης (ep. 78).
[419]Adesp. 722. = Anth. palat. app. no 212.
[420]Alcest. 462.
[421]Helen. 860.
[422]Hermann, Elem. doctr. metr. p. 28. = Neue ad Sapph. fragm. p. 80, Berol. 1827.
[423]Adespot. 692.
[424]Troad. 335-337. Barn. = Cf. Seidler ad h. I.
[425]I, 13, p. 74, édit. Boden.
[426]No XIII, Anal. II, p. 203. = Anth. Palat. VII, 183.
[427]No LXXIX, Anal. II, p. 234. = Anth. Palat. VII, 186.
[428]Xénoph. Ephes. I, 8, p. 13, l. 14 : ἦγον τὴν κόρην εἰς τὸν θάλαμον, μετὰ λαμπάδων, τὸν ὐμέναιον ᾄδοντες.
[429]Adespot. 703. = Anth. Pal. app. 225.
[430]Epigr. suprà laud.
[431]Anth. Palat. VIII, 229.
[432]Euripid. Alcest. 925.
[433]V. 945.
[434]Forme inconnue pour ἱερατεύω : on connaît déjà ἱερείτης et ἱερεῖτης.
[436]Rech. pour servir à l’hist. de l’Égypte, etc., pag. 414.
[437]Burckhardt, Trav. in Syria, pag. 115.
[438]Marm. Oxon., no IX, l. 2.
[439]Ap. Jos. Ant. Jud., XIV, 10, 23.
[440]Vandale, Dissert., p. 627.
[441]C’est le Malchus syriaque ; l’autre nom est-il dans le même cas ?
[442]Sur la réunion des mots σεβαστός et Αὔγουστος, voyez ce que j’ai dit dans l’analyse des Inscriptions de Vidua, p. 8.
[443]Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte, p. 153.
[444]Philo ad Caïum, p. 772 D, 778 D. — Inscr. dans Koehler, Mon. de la reine Comosarye, p. 68, 69.
[445]Spanh. Præst. num. p. 52, 477, 520, 524.
[446]Recherches, etc., p. 162.
[447]Les mêmes, p. 164.
[448]Les mêmes, p. 166.
Page | ||
NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES DE M. PACHO | i | |
AVANT-PROPOS. | i | |
INTRODUCTION HISTORIQUE. | xi | |
CHAPITRE PREMIER. Préparatifs du voyage. — Départ. — Abousir. — Vallée Maréotide. — Dresièh. — Maktaërai. — El Chammamèh. — Désert de Kourmah. | 1 | |
CHAPITRE II. Akabah-el-Soughaïer. — Kassaba-Zarghah. — Lettres et signes sur les monuments. — Parætonium. — Tombeaux arabes. — Apis. — Les Hedjadjs. — Pluies. | 19 | |
CHAPITRE III. Akabah-el-Soloum. — Plateau de Za’rah. — Accueil des Harâbi. — Vallée de Daphnèh. — Canaux d’irrigation — Toubrouk. — Bombæa. — Platée. — Aziris. — Citernes. | 39 | |
CHAPITRE IV. Coup-d’œil sur l’histoire naturelle de la Marmarique. — Dénombrement des différentes familles de la tribu des Aoulâd-Aly. — Leurs mœurs et leurs usages. | 57 | |
§ Ier. Histoire naturelle. | 57 | |
§ II. Habitants de la Marmarique. | 64 | |
CHAPITRE V. Côté oriental des montagnes cyrénéennes. — Irasa et Thesté. — Arrivée à Derne. — Accueil des habitants. | 83 | |
CHAPITRE VI. Derne. | 95 | |
CHAPITRE VII. Départ de Derne. — Hydrax et Palæbisca. — Vallon Betkaât. — Château de Maârah. — Massakhit. — Ville pétrifiée. — Zephirium. — Aphrodisias. — Temple de Vénus. — Bains. | 104 | |
CHAPITRE VIII. Chenedirèh. — M. Müller. — Lameloudèh. — Carpocratiens. — Châteaux et souterrains. | 120 | |
CHAPITRE IX. Région septentrionale de la Pentapole. — Sanctuaires. — Erythron. — Naustathmus. — Ghertapoulous. — Zaouani. | 132 | |
CHAPITRE X. Guerres entre les Arabes. — Vallée des Figuiers. | 147 | |
CHAPITRE XI. Djaus. — Téreth. — Djoubrah. — Diounis. — Station et départ de ma caravane. — Ghernès. — Apollonie. | 153 | |
CHAPITRE XII. Camp d’Arabes. | 166 | |
CHAPITRE XIII. Promontoire Phycus. — Ville de Baâl. — Jardin des Hespérides. — Barcé. — Ptolémaïs. | 169 | |
CHAPITRE XIV. Teuchira. — Fleuve Ecceus. — Adrianopolis. | 183 | |
CHAPITRE XV. Magasins souterrains. — Nécropolis de Cyrène. | 191 | |
CHAPITRE XVI. Cyrène. | 212 | |
CHAPITRE XVII. Campagne et animaux domestiques de la Cyrénaïque. | 235 | |
CHAPITRE XVIII. Du silphium, et de quelques autres plantes de la Cyrénaïque connues dans l’antiquité. | 247 | |
CHAPITRE XIX. Des relations commerciales des Cyrénéens. | 258 | |
CHAPITRE XX. Voyage à Audjelah. | 265 | |
§ I. Grande Syrte. | 265 | |
§ II. Oasis d’Augiles. | 272 | |
TABLE DES MATIÈRES. [Index alphabétique] | 285 | |
APPENDICE | ||
ITINÉRAIRE D’AUDJELAH A MOURZOUK | 307 | |
LISTE DE QUELQUES MOTS EMPLOYÉS DANS CETTE RELATION, ET TRANSCRITS SUR LES LIEUX, EN CARACTÈRES ARABES | 311 | |
VOCABULAIRE DU LANGAGE DES HABITANTS D’AUDJELAH | 317 | |
REMARQUES SUR LE VOCABULAIRE D’AUDJELAH | 353 | |
FRAGMENT D’UN VOCABULAIRE DU LANGAGE DES HABITANTS DE L’OASIS DE SYOUAH | 358 | |
EXPLICATION DES PLANCHES QUI ACCOMPAGNENT CETTE RELATION | 361 | |
NOTES SUR LES INSCRIPTIONS DE LA CYRÉNAÏQUE | 387 | |
CARTES | ||
CARTE DE LA MARMARIQUE ET DE LA CYRÉNAÏQUE COMPRENANT les Oasis voisines de ces Contrées | face à | i |
PARTIE ORIENTALE DE LA PENTAPOLE LIBYQUE | face à | 169 |
PLAN des Ruines de CYRÈNE | face à | 169 |
Par M. J.-R. PACHO.
Planches.
PARIS,
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT, PÈRE
ET FILS,
RUE JACOB, No 24.
1828.
I. | VUE D’UN TEMPLE ANTIQUE À ABOUSIR. |
II. | RUINES D’UNE MOSQUÉE SITUÉE AUX ENVIRONS DU LAC MARÉOTIS. |
II. | VUE D’UN ANCIEN PHARE À ABOUSIR. |
III. | VUE DU CHATEAU LAMAÏD. |
IV. | VUE D’UN ÉDIFICE ANTIQUE À KASSABA ZARGHAH-EL-BAHARIÈH. |
IV. | VUE D’UN ÉDIFICE ANTIQUE À KASSABA ZARGHAH-EL-GHUBLIÈH. |
V. | PLANS, COUPES ET DÉTAILS DE DIVERS MONUMENTS |
VI. | VUE DU CÔTÉ ORIENTAL DE LA VILLE DE DERNE. |
VII. | GROTTES SÉPULCRALES, DITES KÉNNISSIÈH, SITUÉES AUPRÈS DE L’ANCIENNE DARNIS. |
VIII. | VUE D’UN PONT, DANS LE VALLON DE DERNE. |
IX. | RUINES D’UN MAUSOLÉE, SITUÉ AUPRÈS DE L’ANCIEN VILLAGE D’HYDRAX. |
IX. | INTÉRIEUR DU CHÂTEAU EL-HARÂMI, SITUÉ DANS LA VALLÉE DE TARAKENET À L’OUEST DE DERNE. |
X. | RUINES D’ANCIENS THERMES SITUÉS DANS LA VALLÉE DE KOUBBÈH. 1, 2. COUPE ET PLAN DU FOND DE L’ÉDIFICE. |
XI. | 1, 2 ; VUE ET PLANS DE DEUX HYPOGÉES FUNÉRAIRES, SITUÉS DANS LA VALLÉE DE KOUBBÈH. 3, PLAN DU CHÂTEAU DE CHENEDIRÈH. 4, PLANS DES RUINES D’UN TEMPLE DE VÉNUS, SITUÉ AUPRÈS D’APHRODISIAS. |
XII. | VUE DES GROTTES SÉPULCRALES DE MASSAKHIT. |
XIII. | PLAN ET INTÉRIEUR D’UN HYPOGÉE CHRÉTIEN, SITUÉ AUPRÈS D’APHRODISIAS. |
XIV. | RUINES D’UN CHÂTEAU ANTIQUE, SITUÉ DANS LA PLAINE DE CHENEDIRÈH, ENTRE LES ANCIENNES VILLES D’ERYTHRON ET DE LIMNIADE. |
XV. | VUE DU KASSR SENNIOU. |
XV. | CIMETIÈRE ANTIQUE À SAFFNÈH. |
XVI. | VUE D’UN GRAND MONUMENT FUNÉRAIRE, SITUÉ DANS LES ENVIRONS DU GOLFE NAUSTATHMUS. |
XVII. | VUE DES MONUMENTS FUNÉRAIRES SITUÉS DANS LA PLAINE DE ZAOUANI. |
XVIII. | VUE D’UN PETIT MAUSOLÉE, SITUÉ DANS LES ENVIRONS DU GOLFE NAUSTATHMUS. |
XIX. | COUPES, PLANS ET DÉTAILS DES MONUMENTS SÉPULCRAUX DE ZAOUANI. |
XX. | RUINES D’UN ÉDIFICE ANTIQUE NOMMÉ GHABOU-DJAUS. |
XXI. | RUINES DU CHÂTEAU DIOUNIS, SITUÉ DANS LA PLAINE DE L’ANCIENNE THINTIS. |
XXII. | VUE DES RUINES DE DJABORAH. |
XXIII. | VUE DE LA PARTIE SEPTENTRIONALE DES RUINES DE GHERNÈS. |
XXIV. | VUE D’UN TOMBEAU CIRCULAIRE, SITUÉ SUR UNE COLLINE AUPRÈS DE GHERNÈS. |
XXV. | PLANS ET COUPES DE DIVERS MONUMENTS DE LA CYRÉNAÏQUE ET DE L’OASIS D’AUGILES. |
XXVI. | VUE DE MARSAH-SOUZA, ANCIEN PORT DE CYRÈNE. |
XXVII. | COLONNES ET CHAPITEAUX DE DIVERS TEMPLES DE LA CYRÉNAÏQUE. |
XXVIII. | RUINES DU QUAI D’APOLLONIE. |
XXIX. | VUE D’UN GROUPE D’HYPOGÉES FUNÉRAIRES, SITUÉS DANS UNE VALLÉE, ENTRE CYRÈNE ET APOLLONIE. |
XXX. | PREMIÈRE VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXI. | COUPES ET DÉTAILS DES FAÇADES DE LA PLANCHE XXX. |
XXXII. | DEUXIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXIII. | TROISIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXIV. | COUPES ET DÉTAILS DES FAÇADES DES PLANCHES XXXII ET XXXIII. |
XXXV. | QUATRIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXVI. | COUPES ET DÉTAILS DE LA FAÇADE DE LA PLANCHE XXXV, ET D’UN TOMBEAU, SITUÉ DANS LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXVII. | CINQUIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXVIII. | PLAN ET COUPE DES HYPOGÉES DE LA PLANCHE XXXVII. |
XXXIX. | COUPE DE L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XXXIX. | COUPE DE L’ENTRÉE DES GROTTES DITES KENNISSIÈH ; NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XL. | SIXIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLI. | COUPES ET DÉTAILS DES FAÇADES DE LA PLANCHE XL. |
XLII. | SEPTIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLIII. | HUITIÈME VUE DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLIV. | COUPE ET DÉTAILS DE L’INTÉRIEUR D’UNE DES GROTTES SÉPULCRALES DE LA PLANCHE XLIII. |
XLV. | VUE D’UN TOMBEAU SITUÉ À L’EXTRÉMITÉ ORIENTALE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLVI. | 1, COUPE DU TOMBEAU, SITUÉ À L’EXTRÉMITÉ ORIENTALE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE ; 2, FAÇADE D’UN AUTRE TOMBEAU. |
XLVII. | COUPES DE DEUX FAÇADES DES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLVIII. | PLANS DE DIVERSES GROTTES DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
XLIX. | PEINTURE TROUVÉE DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE ; PAROI b. |
L. | CONTINUATION DE LA PEINTURE TROUVÉE SUR LA PAROI b D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
LI. | PEINTURE TROUVÉE DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
LII. | PEINTURES TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE : 1, PAROI d ; 2, PAROI d, x. |
LIII. | PEINTURES TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE : 1, PAROI c ; 2, PAROI a. |
LIV. | PEINTURE TROUVÉE SUR LA FRISE D’UN TOMBEAU, À CYRÈNE. |
LV. | INTÉRIEUR D’UNE GROTTE SÉPULCRALE CHRÉTIENNE : NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
LVI. | VUE D’UN SARCOPHAGE, DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE À CYRÈNE. |
LVII. | FRAGMENTS DE SARCOPHAGES EN MARBRE. |
LVIII. | SARCOPHAGE, SITUÉ DANS L’INTÉRIEUR D’UNE GROTTE, PRÈS DE LA FONTAINE D’APOLLON, À CYRÈNE. |
LIX. | TORSE COLOSSAL EN MARBRE, PARMI LES RUINES DE CYRÈNE. |
LIX. | 1, PLAN DES RUINES D’UN TEMPLE, SITUÉ À PTOLÉMAÏS ; 2, D’UNE ANCIENNE CASERNE DE LA MÊME VILLE ; 3, D’UN CHÂTEAU SARRASIN, SITUÉ SUR LA ROUTE QUI CONDUIT DE CYRÈNE À PTOLÉMAÏS. |
LX. | BAS-RELIEF ET TÊTES EN MARBRE, PARMI LES RUINES DE CYRÈNE. |
LXI. | PLAN D’UN HYPOGÉE SÉPULCRAL, DIT KENNISSIÈH (LES ÉGLISSES) FAISANT PARTIE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
LXII. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À CYRÈNE. |
LXIII. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À CYRÈNE. |
LXIV. | INSCRIPTIONS TROUVÉES DANS L’INTÉRIEUR D’UN SANCTUAIRE, À CYRÈNE. |
LXV. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À CYRÈNE. |
LXVI. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À CYRÈNE. |
LXVII. | VUE DU CHÂTEAU DE BÉNÉGDEM, SITUÉ SUR LA ROUTE DE CYRÈNE À PTOLÉMAÏS. |
LXVIII. | VUE DES RUINES D’UN TEMPLE, À PTOLÉMAÏS. |
LXIX. | VUE DES RUINES DE LA PORTE OCCIDENTALE DE PTOLÉMAÏS. |
LXX. | VUE DES MONUMENTS FUNÉRAIRES, SITUÉS À L’OUEST DES RUINES DE PTOLÉMAÏS. |
LXXI. | PLAN, COUPE INTÉRIEURE ET DÉTAILS DU GRAND TOMBEAU SITUÉ À L’OUEST DE PTOLÉMAÏS. |
LXXIII. | INSCRIPTION GRAVÉE SUR UNE CASERNE ANTIQUE À PTOLÉMAÏS. |
LXXIV. | INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS. |
LXXV. | INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS. |
LXXVI. | INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS. |
LXXVII. | INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS. |
LXXVIII. | INSCRIPTIONS DE PTOLÉMAÏS. |
LXXIX. | INSCRIPTIONS GRAVÉES SUR DES TOMBEAUX DE PTOLÉMAÏS. |
LXXX. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À TEUCHIRA. |
LXXXI. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À TEUCHIRA. |
LXXXII. | INSCRIPTIONS DE TEUCHIRA. |
LXXXIII. | INSCRIPTIONS DE TEUCHIRA. |
LXXXIV. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À TEUCHIRA. |
LXXXV. | INSCRIPTIONS DE TEUCHIRA. |
LXXXVI. | INSCRIPTIONS TROUVÉES À TEUCHIRA. |
LXXXVII. | ENCEINTE DE L’ANCIENNE VILLE DE TEUCHIRA. |
LXXXVIII. | VUE D’UNE GROTTE SÉPULCRALE, APPARTENANT AU MOYEN ÂGE, ET FAISANT PARTIE DE LA NÉCROPOLIS DE CYRÈNE. |
LXXXIX. | RUINES D’UN GRAND MONUMENT SARRASIN, À LADJEDABIAH. |
XC. | VUE D’UN CHÂTEAU SARRASIN À LADJEDABIAH. |
XCI. | VUE D’UN VILLAGE EN BRANCHES DE PALMIERS, À L’OASIS DE MARADÈH. |
XCII. | VUE DE L’OASIS DE LECHKERRÈH, VOISINE D’AUGILES. |
XCIII. | NÉGRESSES DU SOUDAN. |
XCIV. | DROMADAIRE BICHARIÈH, AVEC SES HARNAIS NUBIENS. |
XCV. | CÉRASTE. |
XCVI. | GERANIUM UNIFLORUM (n. s.) — ORNITHOGALUM SESSILE. |
XCVII. | SENECIO ORIENTALIS. – ECHIUM CYRENAICUM. |
XCVIII. | STACHYS LATIFOLIA. – EUPHRASIA CYRENAICA. |
XCIX. | RANUNCULUS ASIATICUS. |
C. | NOUVEAU GENRE DE LA FAMILLE DES CYPRÈS. |